Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 septembre 2015


Rue de la Chaîne, la Galerie du Pôle Image (rebaptisée Centre Photographique) vernit ce vendredi soir l’exposition J’habiterai mon nom de Seba Kurtis qui doit son titre à une  formule de Saint-John Perse dans son poème Exil. Elle est sous-titrée Immigration Files et tombe en plein dans l’actualité. J’y suis dès dix-huit heures afin de voir ça tranquillement.
Seba Kurtis est lui-même ancien immigré illégal pour raison économique (la variété la plus mal vue par les politiciens), venu d’Argentine avec sa famille en deux mille un après la crise financière, installé d’abord en Espagne puis en Angleterre où il a été régularisé (comme on dit). Ses photos prises en divers endroits, dont Cherbourg et Rouen pour cause de résidence, ont pour sujet cette immigration qu’il traite de manière artistique en modifiant l’image par divers procédés techniques dans l’idée de lui faire subir ce que subissent ceux qui fuient leur pays. Le résultat ne m’éblouit pas. La partie de l’exposition qui me retient un peu est celle montrant ses photos familiales sorties d’une boite à chaussures ayant pris l’eau.
Il y a bientôt là quelques dizaines de vernisseuses et vernisseurs dont des représentants d’institutions culturelles locales (Musée, Opéra), toutes personnes de la classe intellectuelle, donc favorables à l’arrivée de gens venus d’ailleurs. Je ne risque pas d’entendre ici le discours majoritaire, celui qui me fait mal aux oreilles dans les cafés ou au marché. Un sosie de Cavanna raconte le récent piratage de la boîte mail de l’Ubi. Je prends un godet empli d’un tiers de vin rouge et écoute Raphaëlle Stopin, directrice artistique du Centre Photographique, parler un peu longuement du travail de Seba Kurtis. Celui-ci, jeune homme enjoué hyper tatoué, remercie en anglais.
 

11 septembre 2015


Passant par le marché aux livres et à la brocante du vendredi au Clos Saint-Marc, j’y entends ce qu’on entend partout dans les milieux populaires, des choses du genre : « On aura des réfugiés avec des Daesh dedans » ou « C’est plus facile d’arrêter un Français qui travaille qu’un immigré qui fout rien » et n’y trouve aucun livre à mon goût.
Je vais changer d’air à la Halle aux Toiles où la ressourcerie Resistes organise une nouvelle vente d’objets récupérés parmi lesquels des livres. J’en achète pour deux kilos huit, me dit la balance installée près de la caisse. Elle est censée mesurer l’économie d’empreinte carbone que je fais faire à la planète qui n’en peut mais.
Je ne comprends rien à ce calcul. Aucun des livres que j’emporte ne m’aurait intéressé suffisamment pour que je l’achète neuf (et certains sont épuisés). De plus, ils sont arrivés ici en camionnette. Je me garde bien de discuter du sujet avec la responsable.
                                                       *
Ne disons pas du mal de notre époque, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes. (Silence) N’en disons pas de bien non plus. (Silence) N’en parlons pas. (Silence) Il est vrai que la population a augmenté. Samuel Beckett (En attendant Godot)
 

10 septembre 2015


Depuis quelques jours, des usagers quotidiens ou fréquents de la ligne Paris Rouen de la Senecefe font une grève de présentation de leur billet, remplacé par un imprimé « forfait valable sur ligne merdique ». Je ne suis donc pas surpris de l’absence de contrôle ce mercredi dans le sept heures cinquante-neuf.
Celui-ci arrive à l’heure dans la capitale. Je m’y livre à mes occupations favorites. Après Book-Off, je déjeune Chez Céleste (accras de morue, boudin noir, poulet yassa, quart de vin portugais, dix-huit euros et quelques centimes) où je côtoie un homme et une femme de mon âge semblant arriver tout droit du Quartier Latin. Il lui donne un texte à lire pour le prochain numéro de sa revue consacré à l’écologie.
-Bon alors, comment va Claude ? lui demande-t-elle.
-Il est en questionnement. Il fait un travail sur lui-même, lui apprend-il. Toi, ça va toujours aussi bien ?
Je quitte l’endroit sur un « Mais enfin, tout évolue, tout évolue. », entre à côté chez Arts Factory où l’on expose les linogravures de Frédéric Voisin (scènes d’apocalypse et memento mori colorés) puis par le bus Vingt-Neuf vais prendre le soleil au bord du bassin dans le jardin du Palais Royal. J’y lis Jésus-Christ Rastaquouère de Francis Picabia, petit Allia bookoffié où l’on trouve un plagiat par anticipation de Gainsbourg Je fuis le bonheur pour qu’il ne se sauve pas et une suggestion à laquelle je m’associe Vous feriez mieux Messieurs, de peindre en bleu et rouge les falaises de Dieppe, vraiment la nature n’est plus assez moderne !
Modernes, les deux jeunes femmes assises à ma gauche le sont. L’une, jolie blonde, cherche son prochain via Internet et raconte sa dernière pêche à l’autre, jolie brune :
-Quand je l’ai vu, je me suis dit c’est pas possible, c’est pas lui ! Il avait un béret, enfin une sorte de casquette. Il ne me plaisait absolument pas. On a quand même fait la tournée des bars jusqu’à quatre heures du matin et j’ai accepté de prendre un dernier verre chez lui. Je vais aux toilettes et quand je ressors je le trouve en slip. Là, je lui ai dit : tu te trompes totalement.
Au-dessus de nos têtes tourne un hélico. Quand j’ai bien pris le soleil, je vais voir combien il y a de livres pour moi au deuxième Book-Off puis termine l’après-midi Chez Léon.
Outre les lycéen(ne)s du coin et les buveurs du bière du comptoir qui en reprennent jusqu’à être suffisamment saouls pour rentrer chez eux, ce café est fréquenté par des femmes seules qui s’épanchent auprès de la patronne et de sa belle-sœur. Cette dernière s’inquiète auprès d’une cliente quinquagénaire qui semble ne fréquenter ce bar que pour y lire Le Figaro à haute voix des réfugiés qui seraient arrivés ce mercredi dans l’Oise.
-Y en a qui ont dit, on prend que les chrétiens, pourquoi on le dit pas nous ?
Si je dois ne plus mettre les pieds dans les troquets dont la clientèle et les patrons sont désormais lepenisés, je ne vais bientôt plus pouvoir boire un café, me dis-je.
Dans le train du retour, je lis Vrouz, recueil de poésies aux textes inégaux de Valérie Rouzeau (La Table Ronde). Le contrôleur ne passe pas plus qu’à l’aller et lors de l’arrivée ponctuelle à Rouen le chef de bord ne nous gratifie pas d’un aimable au revoir.
Pour le lecteur que je suis, le dernier poème du livre de Valérie Rouzeau remédie à cette négligence :
Avant de descendre assurez-vous
De ne rien t’oublier
Un agréable voyage une bonne journée
Nous vous prions
De bien vouloir nous excuser
Pour la chaîne occasionnée
Votre chef d’abord
Personnel au bout du quai
Etiqueté qui t’es quitté
Abandonné suspect
Bien vouloir nous signaler
Tout objet qui paraîtrait
Nous vous remercions
De votre incompréhension.
                                                        *
Citation du moment (qui va durer) :
Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. (Antonio Gramsci)
 

8 septembre 2015


La photo de la journaliste Nilufer Denir montrant, mort noyé et échoué sur une plage turque, Aylan Kurdi, enfant de trois ans dont la famille fuyait les combats de la guerre civile syrienne, et plus généralement le mauvais sort fait actuellement aux réfugié(e)s dans certains pays d’Europe, ayant suscité de l’émotion, un rassemblement en faveur des réfugiés est organisé à Rouen via le réseau social Effe Bé par le Collectif Pas En Notre Nom ce dimanche à quatorze heures place de l’Hôtel de Ville au cul du cheval de Napoléon.
A mon arrivée, je constate que, selon une technique bien rodée, le Nouveau Parti Capitaliste s’emploie à prendre le contrôle du rassemblement. Ses drapeaux sont concurrencés par ceux de ses frères ennemis de Lutte Ouvrière, en retrait. Entre les deux sont les chasubles jaunes d’Amnesty International et celles et ceux qui ne portent aucune marque distinctive. Se font remarquer en tenue du dimanche (djine pour elle, pas de cravate pour lui) les Socialistes Valérie Fourneyron, ancienne Ministre de Hollande, ancienne Maire de Rouen et toujours Députée, et Nicolas Mayer-Rossignol, Chef de la Région Haute-Normandie jusqu’en décembre. Ils sont venus témoigner de la capacité de leur Parti à tenir double langage, commençant une phrase par ouvrir la porte aux réfugié(e)s et la terminant par la fermer. Cela fait seulement quelques centaines de présent(e)s. Des jeunes gens installent une banderole sur le socle de la statue : « Réfugiés Welcome ». Des télés filment ça, dont la plus connue des chaînes d’info continue.
Il y a heureusement là quelques réfugié(e)s syrien(ne)s. L’une affiche qu’elle demande le RSA « Retour en Syrie sans Assad ». Une autre que les Syriens ne cherchent pas les aides sociales mais un pays où on ne se fait pas massacrer dans la rue.
Un jeune homme annonce qu’on partira en manifestation et qu’à l’arrivée aura lieu une assemblée générale pour décider de la suite. Le Hennepéha décide du moment du départ, se place en tête du cortège que certain(e)s choisissent de ne pas suivre. J’hésite, finis par y aller. L’habituelle crieuse de slogans usés est au mégaphone, recyclant son maigre bagage avec l’actualité. Derrière, celle de Hello fait de même.
Encadrés par ces fâcheux et par un minimum de policiers, nous enfilons la rue du Canuet, descendons celle de la Jeanne et tournons à droite rue du Gros. La place du Vieux est l’endroit de l’assemblée générale dont je me dispense.
                                                             *
Avant le départ, un branlotin de ma connaissance se fait rabrouer par un homme à cheveux blancs pour avoir jeté son mégot sur la pelouse. Dans le monde radieux dont rêvent certains ici, il n’y a pas place pour un tel désordre.
                                                            *
Promesse de Hollande : vingt-quatre mille réfugiés seront accueillis en deux ans. Pour trente-six mille communes. Y en aura pas pour tout le monde.
                                                           *
Chiffre que l’on peut comparer à celui des cinq cent mille républicains espagnols ayant passé la frontière avec la France à la fin des années trente et au million de rapatriés d’Algérie dans les années soixante.
                                                           *
Consternant commentaire que celui d’Arno Klarsfeld publié sous forme de gazouillis à l’orthographe approximative : « personne ne dit que ce n'est pas raisonnable de partir de Turquie avec deux enfants en bas âge sur une mer agitée dans un frêle esquife ».
 

7 septembre 2015


Mont-Saint-Aignan (sur un parquigne universitaire), Villequier (sur l’herbe mouillée au bord de la Seine brumeuse), Amfreville-la-Mivoie (sur la route longeant la Seine), Rouen (dans le jardin de l’Hôtel de Ville), ce sont les quatre vide greniers du ouiquennede où j’arrive avec quelque espoir et dont je repars déçu, ayant dans mon sac seulement quelques livres que je revendrai pour payer mon essence.
Partout, une prolifération de layettes, de chaussures, de vêtements et de jouets qui montre à quel point certain(ne)s travaillent à la reproduction de l’espèce. « Mon fils a commencé à dix-huit ans » claironne une vendeuse de Villequier fière d’annoncer le nombre de ses petits-enfants. Une autre femme à Mont-Saint-Aignan à propos d’une enfant de la famille : « Elle a le haut de sa mère et le bas de sa grand-mère, je parle du visage, hein ! ».
Dans le jardin de l’Hôtel de Ville rouennais, l’un des stands est celui de l’antenne normande de l’association France Dépression. « Il y a du soleil alors ça va » déclare l’un de ceux qui le tiennent. Pas pour tout le monde, un peu plus loin je croise sur branlotine plaintive : « Je voulais venir ici et maintenant que j’y suis, je me fous d’y être », peut-être une future adhérente.
S’agissant de ma santé personnelle, je reste dans l’expectative : point de téléphonage de mon médecin pour me convoquer à son cabinet suite à sa lecture du résultat de ma prise de sang, soit le dépassement de norme n’est pas inquiétant vu mon âge avancé, soit ce docteur est négligent.
                                                             *
Trouvée dans un des livres rapportés une laide carte postale de Palma de Majorque dont je sauve le texte écrit de la main de Marylène :
« Gros baisers et tendres chatteries. Je suis à court d’inspiration, mais pas d’idées, hélas difficilement transmissibles. Nous sommes bien, hôtel agréable, beau temps, mais mistral ou tramontane. Je n’avais pas besoin de cela. Mon grain de folie n’y résistera pas. »
Celui à qui elle fut adressée, avenue Emile Zola à Paris, porte mon prénom et a pour patronyme celui de mon père.
                                                            *
Rangé dans ma bibliothèque le livre de Valérie Mréjen orné de la dédicace de son auteure datée du douze avril deux mille douze :
« pour Béatrice, Forêt noire ou quelques cailloux semés ici et là… bises, Valérie »
 

5 septembre 2015


-J’ai du mal à savoir quand tu parles de l’Ubi si tu t’y sens bien ou non, me disait il y a quelque temps l’ami d’Orléans. La question ne se posera plus, me suis-je dit quand j’ai appris que le lieu artistique mutualisé rouennais n’ouvrirait désormais qu’à seize heures (à titre d’essai pour septembre). Ce n’est pas mon heure. C’est quand les cafés traditionnels ne peuvent me recevoir, occupés qu’ils sont à servir des repas, que j’avais besoin de cet endroit bruissant de vie pour écrire et prendre des notes, m’y sentant souvent bien (pas toujours), y retrouvant trois artistes mutualisés avec qui il faisait bon discuter et plaisanter, y côtoyant pas mal d’autres qui me disaient au moins bonjour et autant qui me considéraient comme un meuble, en moins utile.
J’en suis à me demander où trouver refuge quand un message m’apprend que seul le café sera fermé jusqu’à seize heures et que je peux toujours venir avant, avec mon thermos.
Rasséréné, je me pointe ce vendredi à treize heures quinze sans thermos mais avec mon ordinateur et me heurte à la nouvelle porte complètement close. Fuck !
                                                                    *
On ne me verra pas davantage chez Guidoline à quatorze heures faute d‘Ubi ouvert. Le temple des bricoleurs de vélos urbains est devenu tellement prospère qu’il a dû se diviser en deux structures, l’ancienne toujours associative et une nouvelle commerciale. Des travaux ont été nécessaires et c’est le café qui a morflé.
                                                                   *
Deux femmes frôlant les quarante ans au Son du Cor.
L’une évoque un homme de soixante-quinze ans mort fauché par un scouteur dont la femme sénile et le fils handicapé vont devoir être mis en institution.
L’autre : « Moi aussi, il est arrivé un truc horrible, la mère de Gégé, elle a dû faire piquer son chat.
                                                                  *
Un homme au téléphone rue des Carmes :
-C’est important pour moi, je vais avoir trente ans, je suis à une tournure de ma vie.
 

4 septembre 2015


Dans le train de sept heures cinquante-neuf pour Paris, ce mercredi, les deux gars exaltés (un corpulent, un banal) qui se faisaient face dans le compartiment choisissent peu après le départ de Rouen d’aller discuter et siffloter sur la plateforme, ce qui est une heureuse initiative. Quand le contrôleur arrive, il appert qu’ils sont sans billets.
-Vous ne pouvez pas nous mettre une amende pour deux ? demande l’un.
L’homme en uniforme leur explique que c’est contraire au règlement et leur demande où ils sont montés.
-A Rouen, mentent-ils en chœur.
-Je vous ai vus sur le quai au Havre, leur est-il répondu.
Les deux gars lui racontent qu’ils vont faire les vendanges.
-C’est bête, l’argent que vous allez gagner aux vendanges, vous en perdez déjà une partie dans le train, et vous allez être contrôlés une autre fois dans le Tégévé, leur explique le contrôleur, enfin vous faites ce que vous voulez, je ne suis pas votre mère.
Après cela les deux gars reprennent leur discussion siffloteuse comme si rien ne leur était arrivé.
Je les suis jusqu’au bus Vingt où ils s’installent sans compostage de tickets. Son terminus est Gare de Lyon. Leur Tégévé est dans une heure, ils s’inquiètent d’y être à temps. Place de la République les Suceuses de l’Ouest sont à l’œuvre pompant ardemment, mais comme les deux gars ne voient pas le camion rose nul propos grivois n’est porté aux oreilles des Parisien(ne)s qui voyagent avec nous. « On est dans le quartier Charlie Hebdo », dit l’un à l’autre quand je descends à Bastille.
Après un café au comptoir du Café du Faubourg, je furète chez Book-Off où l’on ne reconnaît pas mon sac à dos. Cet intérimaire m’est utile car la vendange est bonne. Je passe ensuite au marché d’Aligre plus pour l’ambiance que dans l’espoir d’y trouver un bon livre et effectivement non.
A midi, je déjeune en solitaire au Bistro du Commerce là où nous étions deux il y a peu et dont la formule du jour, brick de poivrons au chèvre et parmentier de boudin noir me déçoit un peu puis je prends un café chez les néo barbus du Rivolux, lieu découvert avec Maria lorsqu’elle tentait de se réinstaller à Paris et qui est retournée depuis en province, la greffe n’ayant pas pris. Passe la camionnette des Produits fermiers de Haute Ardèche.
Le soir venu Chez Léon puis dans le train du retour, je lis Sempre Susan, souvenirs sur Sontag de Sigrid Nunez (13e Note), une évocation sans concession de Susan Sontag par celle qui fut ponctuellement sa secrétaire et l’amie de son fils ; Susan Sontag, sa vie new-yorkaise, son caractère difficile, son fils qu’elle empêche de vivre, ses anciens amants, ses anciennes amantes, son aventure avec Joseph Brodsky et son cancer.
                                                               *
Parmi les autres livres rapportés de la capitale, celui de Claude Guillon paru en quatre-vingt-quinze aux Editions La Digitale : 42 bonnes raisons pour les femmes de m’éviter.
 

3 septembre 2015


Souvenir du l’époque où j’écrivais encore des textes à destination de revues littéraires confidentielles, je relis, à l’heure de le mettre en ligne sur Textes en Revues, ce récit intitulé Quatre chansons et un enterrement, narration de la cérémonie religieuse consécutive à la mort de Franck Langolff :
Onze septembre deux mille six, pour qui sonne le glas ? se demandaient les habitués du Son du Cor et bien sûr l’idée leur venait qu’il s’agissait de commémorer le cinquième anniversaire de la destruction des Twin Towers. Trouvaient ça bizarre tout de même et un peu louche. Je me levais les laissant à leurs élucubrations de comptoir et quittais ce mauvais lieu où j’écris en terrasse chaque jour de beau temps.
Je me dirigeais vers la cathédrale, qui à cloches que veux-tu m’appelait aux obsèques de Franck Langolff, le compositeur de moult chansonnettes, dont Joe le taxi.
On attendait le corbillard. Beaucoup de lunettes noires façon chaubise, des proches et des moins proches, des musiciens accomplis et des laissés pour compte devenus vendeur de cédés d’occasion ou animateur de vide greniers, une équipe de la télévision régionale et pas mal de curieux, cela faisait foule sur le parvis surchauffé.
De bons moments, voilà pourquoi j’étais là, la petite Vanessa Paradis et sa rengaine, musique de Franck Langolff, découverte avec Sandra quand l’âge venant j’avais commencé à plaire aux jeunes filles, écoutée ensuite avec Laura, retrouvée avec Mélo, réentendue avec Melina en ce moment au lycée, une chansonnette qui, accessoirement, grâce au texte d’Etienne Roda-Gil, mort lui aussi, m’avait conduit à Xavier Cugat et à la si grande folle Yma Sumac, juste dire merci un lundi après-midi.
Le cortège automobile se garait devant la cathédrale et d’une des voitures sortait cette jolie fille si souvent croisée, cycliste élégante sur son vélo hollandais, spectatrice assidue de la danse à l’Opéra, buveuse de jus de fruits à l’Espiguette. Une inconnue à qui je n’avais jamais parlé mais qui me disait parfois bonjour et que je savais maintenant intimement liée à celui dont le corps était enfermé dans la boîte en bois. D’un joli geste du bras, le regard clair, elle invitait la foule à suivre le cercueil dans la cathédrale.
Le curé disait des sottises comme en disent tous les curés, prétendant que le soleil nous était généreusement offert par le défunt, qu’aurait-il inventé s’il avait plu? Aurait mieux fait de rappeler la chanson pour l’Éthiopie, composée par Franck Langolff et chantée en chœur par nombre d’artistes connus, absents aujourd’hui, à une époque où l’on pouvait encore croire à la sincérité d’un tel geste. Nous lisait un extrait du Livre de Job. Puis nous promettait des chansons pendant le salut au mort, non pas Joe le taxi mais Quand j’rai p’tit chanté par Franck Langolff en personne, Imagine de John Lennon et Blowin’ in te wind de Bob Dylan. Cette dernière passait à la trappe, remplacée par une longue improvisation de l’organiste.
Il était temps de quitter l’agréable fraîcheur de la cathédrale et de se regrouper sur le parvis où quatre croque-morts synchrones chargeaient le mort dans le corbillard tandis que la jolie fille au sourire philosophique saluait ses amis. Puis, vas-y Joe, le convoi se mettait en route sous les applaudissements.
Ce texte a été publié dans la revue Décharge en juin deux mille sept, À cette époque, je l’ai fait lire à « cette jolie fille si souvent croisée » qui en a été étonnée. Bien plus tard, le fils du défunt devenu adulte m’a dit qu’il l’avait lu.
 

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