Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 avril 2016


Bidart, petite ville de bord d’océan entre Saint-Jean-de-Luz et Biarritz dont le nom ne me disait plus rien et pourtant, après qu’un car Huit Cent Seize m’y a déposé ce jeudi matin, je reconnais cette magnifique place entourée de l’église, du cimetière, de la Poste, d’un fronton, de la Mairie et de deux hôtels restaurants à vastes terrasses. J’ai séjourné dans l’un de ces hôtels, l’Elissaldia, pendant quelques jours, il y a quatorze ans, en ce début d’été où il ne cessait de pleuvoir. J’attendais le soleil pour planter ma tente dans le coin. Je me souviens que le patron n’était pas satisfait de l’heure matutinale à laquelle je prenais mon petit-déjeuner. Ça le gênait pour regarder la feria de Pampelune à la télé espagnole.
A l’heure où j’arrive à Bidart (Bidarte), la place est déserte. J’en profite pour faire des photos puis je passe à l’Office de Tourisme qui lui est ouvert depuis neuf heures et y demande un plan de la commune. Sur le conseil du jeune homme, je vais au bout d’une petite rue voir la chapelle de la Madeleine qui domine l’océan. Au loin, c’est la fin des Pyrénées. Je me balade un peu sur le chemin côtier y croisant successivement deux hommes jeunes seuls qui semblent attendre quelque chose. Je trouve ça Bidart.
De retour sur la place, je prends un café à la terrasse de l’Hôtel du Fronton. Le plaisir en est gâché par les gars de la commune. Ces municipaux à tenue fluorescente étanche se mettent à passer le carcheur sur les marches de la Mairie. Cela dure effroyablement longtemps. Quand ils s’en vont enfin, je sors Mugnier mais cinq minutes plus tard ils réapparaissent avec leur balayeuse remplie d’eau et repelote (basque).
-Ils le font exprès ? dis-je à la patronne du Fronton.
-Allez lui demander, mais je vous préviens, il est pas commode, me répond-elle en désignant celui qui semble être le chef vu qu’il est vieux et ne fais pas grand-chose.
Au bout d’un long moment, n’en pouvant plus de ce vacarme, le patron de l’Elissaldia perd son calme et va l’engueuler mais c’est sans effet.
Je capitule et entre dans l’église à trois galeries dont les deux premières sont accessibles puis choisis pour déjeuner le seul restaurant un peu excentré, celui de la Palmeraie. En terrasse sous un énorme palmier, malgré l’averse qui menace, je déjeune de beignets de calamar et d’un excellent sauté de canard au miel accompagné d’un écrasé de pommes de terre à l’ail. Avec un quart de vin rouge et un café de Colombie cela fait dix-neuf euros cinquante.
Après le repas, je fais une nouvelle balade en bord de mer. L’averse se déclenche à mon retour sur la place, gâchant le repas de ceux qui mangent tard. Il est temps de reprendre un Huit Cent Seize.
                                                                *
Les gars de la ville, la plaie de Bidart : deux jeunes à tête contemporaine et le vieux à casquette qui pousse mollement le balai. S’ils sont payés au bruit qu’ils font, leur salaire doit être mirobolant.
                                                                *
Etre une fille de quatorze quinze ans et passer la nuit dans le lit au-dessus de celui de ses parents dans une chambre de l’Ibis Budget de Ciboure avec douche qui donne directement sur la chambre et lavabo dans cette chambre.
 
 

21 avril 2016


C’est encore un Huit Cent Seize que je prends ce mercredi matin sous la pluie pour aller à Bayonne (Baiona) et cette fois le chauffeur est serviable, expliquant à une voyageuse comment s’y retrouver dans les horaires. Au passage sous la bretelle d’autoroute de Biarritz La Négresse, j’aperçois la petite voiture au pare-soleil sous le pare-brise, puis nous nous arrêtons à l’aéroport, ensuite c’est Anglet, enfin le but est atteint, terminus dans le centre de la ville, place des Basques.
Il pleut toujours à la descente du car. Plutôt que visiter, je m’installe Chez Pantxo, en bordure de la Nive, à l’angle des Halles imitation Baltard, pour y boire un café que je fais durer, Quand cela devient possible, je sors et passe le pont pour atteindre le Petit Bayonne que je retrouve tel qu’il était il y a douze ans. La navette électrique gratuite est, elle aussi, toujours là, un minibus orange que peu de monde utilise. J’y grimpe devant le Conseil Départemental et fait tout le circuit qui passe par un tas d’endroits inaccessibles en voiture dont les allées du Jardin Public.
Je revois ensuite tout cela à pied, faisant ici ou là des photos des belles façades, certaines non restaurées, qui sont la marque de la ville. Rue des Cordeliers, je discute avec l’une des responsables d’une association basque qui organise une Manif de Riches le premier mai pour soutenir la politique du gouvernement Hollande Valls Macron. En cette même rue, je trouve le restaurant où j’ai envie d’entrer à midi : Le P’tit St Pierre dont la salle, partiellement voûtée et pleine de recoins, est parfaite pour le temps gris du jour. On y propose un menu à douze euros, vin et café compris,. Un jeune homme s’occupe du service et une voix féminine se fait parfois entendre en cuisine. J’y suis un moment le seul client mais heureusement pour la maison arrivent un couple à enfant rehaussé qui est installé loin de moi et quatre étudiantes plus près.
-Tu vas voir le monsieur, il va se fâcher.
Le père du rehaussé ne parle pas de lui à la troisième personne, mais du serveur (une forme de démission couramment masculine).
J’ai choisi une tarte océane (c’est-à-dire contenant des moules et une sauce de poisson), un confit de canard a la purée de carottes et enfin du fromage de brebis. Comme dans les auberges espagnoles, j’ai sur la table une bouteille de vin rouge pour moi tout seul. Les quatre filles à côté en ont une de vin blanc et une de vin rouge dont elles usent plus modérément que moi. Un couple de retraités entré ensuite a choisi la bouteille de rosé. Ce sont des vins de Navarre, nous précise celui qui fait le service.
Mes voisines ne sont pas qu’étudiantes, elles sont aussi stagiaires. L’une réussit même à être stagiaire et à avoir une stagiaire. Elles évoquent leurs copines, celles qui sont stagiaires comme elles, celles qui sont au chômage, celles qui sont enceintes. Elles passent ensuite aux histoires de cœur :
-Je sais avec qui elle sort Estelle, avec celui qui sortait avec Pocahontas avant.
Comme j’en suis au café, je n’en apprendrai pas davantage. Dehors il pleut à nouveau, de quoi me faire rentrer au plus vite à Saint-Jean-de-Luz. A l’abri dans le Vauban, j’y poursuis ma lecture du Journal de l’abbé Mugnier avec en tête ce qui m’obsède depuis que je me suis fait dévorer par les punaises de lit de l’Ibis Budget de Ciboure : de quelle façon procéder pour ne pas en rapporter chez moi, sous forme d’œufs notamment.
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Dans une rue du Petit Bayonne, là où était installé le Consulat du Portugal, une plaque « en hommage au Consul Aristides De Sousa Mendes ambassadeur de la paix et Juste parmi les nations qui a sauvé 30 000 vies pendant la 2e Guerre mondiale à Bordeaux Bayonne Hendaye ».  
Je ne sais pas qui a fait poser cette plaque qui ne précise pas de quelles vies il s’agit.
 

20 avril 2016


Il fait soleil ce mardi matin lorsque le car Huit Cent Seize m’emmène à son terminus Hendaye Plage. A l’entrée dans cette ville nous ne sommes que trois passagers. Deux se lèvent avant la gare pour y descendre. La conductrice ne marque pas l’arrêt. L’un proteste vivement. Elle stoppe un peu plus loin.
-Comment voulez-vous que je sache si vous n’appuyez pas sur le bouton.
Il est évident qu’elle les avait vus et en a fait exprès. Les conducteurs et conductrices de ce car ne sont pas aimables avec la clientèle. Celle-ci est la pire. J’appuie sur le bouton rouge pour lui indiquer qu’elle doit s’arrêter au terminus.
Je quitte au plus vite Hendaye par la Marie-Louise qui traverse la Bidassoa pour un euro quatre-vingts. Nous sommes quatre passagers. Le capitaine du petit bateau est de bonne humeur pour commencer son service. Il nous débarque en Espagne à Hondarribia, ville que j’ai déjà visitée il y a douze ans et qui pourrait s’appeler « Mieux ici qu’en face ».
Fontarabie (comme on dit en français) me plaît à nouveau. J’en suis la promenade de bord de l’eau côté bateaux de pêche (il en reste peu) puis monte dans la vieille ville dominée par l'église Notre-Dame-de-l'Assomption et le château de Charles Quint, celui-ci étant devenu un hôtel de luxe. C’est l’heure de la recréation pour les écoliers espagnols. Si l’on aperçoit un moutard dans la rue, c’est qu’il est français. Cela me permet d’éviter de loin mes compatriotes. Ce n’est pas toujours possible et alors il me faut entendre des choses comme : « Maman, tes varices, c’est à cause de l’accouchement ? ».
Je redescends vers le quartier des pêcheurs. En retrait de la mer, il est composé de petites rues bordées de maisons typiquement colorées où sèchent le linge. L’une expose six culottes blanches. C’est aussi le quartier des restaurants plus ou moins authentiques. Celui que je choisis est la Taberna Jatetxea « Hondar » dont le menu du jour est à quatorze euros tout compris même la taxe.
Au comptoir se trouvent des hommes du lieu. Ils boivent un verre de vin en grignotant des pintxos. Aux grandes tables en bois sont installés d’autres hommes dont certains à béret. Ils se contentent de boire en menant une conversation animée. Deux couples déjeunent tout comme moi. D’autres hommes encore prennent un verre de vin aux quelques tables de la terrasse et sont servis par une petite fenêtre qui s’ouvre en bout de comptoir. Je suis le seul Français, c’est rassurant. Qu’on y parle français aussi. Je sais donc ce que je vais manger : des haricots blancs avec une saucisse, des anchois d’Hondarribia façon traditionnelle, une pâtisserie locale à la crème, le tout avec une bouteille de vin blanc.
Le ciel est couvert quand je ressors. Quand la Marie-Louise arrive à quatorze heures quinze, elle est bondée. Le capitaine a maintenant un adjoint qui aide les familles à descendre. Nous ne sommes que des Français à faire la traversée vers Hendaye, ce qui n’est pas étonnant.
Un Huit Cent Seize à chauffeur peu aimable me reconduit à Saint-Jean-de-Luz.
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La compagnie Transports-Soixante-Quatre bénéficie d’une délégation de service public pour la ligne Huit Cent Seize. Elle travaille pour le Conseil Départemental.
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En fin d’après-midi, je passe à la réception de l’hôtel Ibis Budget de Ciboure afin de régler la fin de mon séjour. L’employé m’annonce que l’on m’offre les petits déjeuners à venir.
C’est ce qu’on appelle dans ce milieu un geste commercial. Minimal.
 

19 avril 2016


C’est un Huit Cent Seize qui me conduit ce lundi matin à Biarritz (Miarritze), précisément à Biarritz La Négresse, quartier où se trouve la gare, à trois kilomètres du bord de mer. La compagnie Transports-Soixante-Quatre n’a plus le droit de desservir le centre de la ville depuis quatre ans. « C’est politique. », m’a déclaré la guichetière comme si c’était une explication suffisante.
Cet arrêt, La Négresse, n’est même pas devant la gare mais sous une bretelle d’autoroute. Je trouve à proximité le bus Huit qui, moyennant un euro et une longue patience, m’emmène jusqu’à l’Hôtel de Ville. Son aimable conductrice m’indique de quel côté trouver la plage, déjà vue il y a douze ans.
Il fait gris. Je parcours la promenade du bord de mer entre le phare et le rocher bétonné de la Vierge, passant par le Grand Hôtel, le Casino, le vieux petit port et ses gargotes à touristes, tout ce que l’on trouve dans ce genre de ville où se côtoient de riches indigènes et des pauvres exogènes. Deux filles habillées pour l’été se font chouter par des garçons photographes. Un municipal utilise une bruyante souffleuse à feuilles pour envoyer le sable hors de la promenade. Le cousin de Sisyphe sur son tractopelle jaune en remonte des tonnes. L’église orthodoxe est fermée : il y a douze ans, je ne pus davantage y entrer car c’était un dimanche et s’y tenait une cérémonie fort fervente.
Pour déjeuner je comptais sur Chez de Bonnechose, avenue de Verdun, la maison tenue par Monsieur le Comte Hubert de Bonnechose et par Madame la Comtesse, qui y faisaient menu à onze euros en deux mille quatre. Hélas, cette véritable noblesse a rendu son tablier. Leur restaurant est remplacé par une modernité républicaine à prix peu démocratique, qui plus est fermée le lundi.
Je me rabats sur le bar brasserie pizzeria Arroka dont la terrasse offre une vue sur la mer à côté du Casino où j’aurais pu gagner jusqu’à un million d’euros si j’y étais entré. Pour treize euros cinquante, j’ai droit à la pizza Pronto avec ses trois olives, à une terrine banane chocolat, à un quart de vin rouge et à un café. En suppléments gratuits, je peux regarder le Biarrot et la Biarrote descendre à la plage ou en remonter et écouter la conversation de deux filles futiles, mes voisines. Elles parlent de la vie sentimentale de la pipeule Nabila (« C’est vrai que la célébrité, ça doit être tellement chiant. ») puis des séries qu’elles regardent en ce moment. L’une adore celle qui raconte la vie d’un homme qui a un cancer.
Le soleil est maintenant rayonnant, je pourrais refaire avec un ciel bleu les photos que j’ai faites avec un ciel gris, mais je préfère quitter Biarritz, ville pentue. Je retrouve donc le Huit. Conduit cette fois par un jeune homme à catogan, il me ramène près de la bretelle d’autoroute où je n’ai que vingt minutes à attendre le prochain Huit Cent Seize.
Peu avant l’heure indiquée du passage de ce car, une petite voiture se gare sous la bretelle. En sort une jeune fille à bagages et élégant manteau marron qui installe un pare-soleil sous son pare-brise puis me rejoint sous l’abri. Assise sur le banc, elle fouille à la fois dans son sac et dans son téléphone.
-Vous êtes stressée, lui fais-je remarquer.
-Oui, me dit-elle avec un sourire.
Elle m’explique qu’elle rejoint son ami à Madrid et pour cela elle doit prendre ce car  jusqu’à la gare d’Hendaye, puis le Topo jusqu’à la gare d’Irun, enfin le train pour Madrid. Pourquoi ne pas s’être rapprochée davantage de la frontière avec la voiture ? Elle ne connaît pas assez Hendaye et préfère donc la laisser ici bien garée dans un endroit gratuit.
Nous devisons ainsi jusqu’à ce qu'arrive avec un peu de retard notre car. Il me dépose à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz. Nous nous disons au revoir à travers la vitre. Il y a un garçon à Madrid qui a bien de la chance.
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« Biarritz, lieu bien connu des lecteurs de Nabokov. En effet il a finement décrit cette station balnéaire où les Russes Blancs venaient séjourner avant 1917, et notamment la Grande Plage où, en 1909, il « se trouva, un jour, en train de creuser, côte à côte avec une petite fille française nommée Colette », son « premier amour ». Biarritz fut donc un lieu où l’écrivain a fait l’une de ses premières expériences sensorielles et émotionnelles intenses, et aussi une source de perceptions sensibles d’une grande richesse : rochers grimaçants, papillons colorés, son de la langue basque, brise qui sale les lèvres, pieds dans le « sable farineux », vagues turbulentes, odeur de pin de la cabine de bain, et goût de « la glace à la pistache d’un vert divin » en un tourbillon sensoriel qui sature la nouvelle « Premier Amour » (également le chapitre VII d’Autres Rivages). » (Extrait du texte de présentation de « Les sens font-ils sens ? » : les cinq sens dans l’œuvre de Nabokov, colloque international organisé par la Société Française Vladimir Nabokov à Biarritz du vingt-huit avril au premier mai deux mille seize.)
 

18 avril 2016


Le Basque bondissant de dix heures ne transporte ce dimanche qu’un jeune trio qui veut « faire la Rhune » et moi-même qui vise à déjeuner à la Venta Antton sise à la frontière entre la France et l’Espagne, ouverte seulement le ouiquennede hors saison. Pour ce faire, resté seul avec le chauffeur, je descends au terminus : Grottes de Sare.
Ignorant cette curiosité naturelle, je prends pédestrement, derrière le parquigne, la petite route qui grimpe raide dans la montagne et suis les panneaux marqués Benta Antonen.  J’y arrive vers onze heures, avise le patron et lui retiens une table pour midi. En attendant, je poursuis le chemin. Il conduit vers le centre de Zugarramurdi situé à trois kilomètres. Ce village espagnol possède aussi des grottes. Je m’arrête avant de les atteindre, m’assois sur un banc face aux sommets et lis un peu Mugnier.
Cinq minutes avant midi, je suis de retour devant la maison isolée sur le mur de laquelle pousse une glycine fleurie. De l’autre côté, sur une vaste terrasse, de solides et grandes tables en pierre attendent les clients. Sur la plus haute, une seule assiette, c’est ma place. Le soleil du matin a disparu, le vent est friquet, des nuages menacent de pluie, on me demande si je préfère être dedans mais ici l’intérêt, c’est de manger dehors face à la montagne, dominant la vallée, apercevant au loin le village de Sare. Ce que font aussi d’autres qui arrivent tous en voiture. Je bois une sangria en attendant que le service démarre.
-Vous connaissez la maison ? me demande la serveuse.
-Oui, je suis déjà venu il y a douze ans.
-Ça n’a pas changé, me dit-elle.
C’est vrai. En entrée c’est une assiette chorizo jambon asperges, puis ce sera une omelette. J’opte pour celle aux cèpes.
Un retraité aveyronnais demande au patron si on est en Espagne ou en France.
-En Espagne, lui dit-il, vous avez franchi la frontière en passant le ruisseau.
Il y a douze ans, un quidam avait posé la même question et un jeune serveur, c’était l’été, lui avait répondu :
-Vous êtes au Pays Basque.
-Oui ça je sais, mais on est en Espagne ou en France ?
-Monsieur, ici vous êtes au Pays Basque.
Ce quidam comprit qu’il n’avait pas intérêt à poser une troisième fois la question.
Aujourd’hui c’est différent et c’est vrai qu’on est en Espagne, cette venta (benta) est officiellement située dans la commune de Zugarramurdi.
Un couple de filles a droit à une petite table en bois. Celle qui est féminine prend les deux sangrias, les pose sur une grande table en pierre et les photographie avec en arrière-plan sa copine masculine expliquant au téléphone à je ne sais qui comment c’est bien d’être ici.
Quatre étudiant(e)s s’installent à la table voisine : une Espagnole, un Espagnol, une Française et une Anglaise. Cette dernière est bien compliquée au moment de choisir son menu, mais elle prend une sangria. Le thé, c’est pour la Française. Je commande un deuxième pichet de vin rouge Don Hugo. En dessert, c’est une bonne part de gâteau basque. Ici la nourriture n’a rien d’exceptionnel, c’est le lieu qui l’est. Au-dessus de nos têtes tournent parfois des vautours.
Quand elle m’apporte l’addition (vingt et un euros, soixante-dix centimes pour ce qui est du café), la serveuse m’annonce que la sangria m’est offerte par le patron.
-C’est gentil, vous le remercierez de ma part, je reviendrai dans douze ans.
Je trouve un joli chemin empierré pour rejoindre les grottes de Sare. Il me permet de photographier la venta Antton d’en contrebas. Arrivé au bout, je lis Mugnier en attendant mon Basque bondissant. Nul n’en descend. Je suis à nouveau seul avec le chauffeur jusqu’à la Rhune où monte un couple de retraités.
Rentré vers seize heures à l’hôtel, j’y trouve ma chambre non faite. Au moins semble-t-elle indemne de punaises de lit, mais qu’en est-il de mes bagages, notamment de ma valise. Ces sales bestioles pondent des œufs qui éclosent trois semaines plus tard. En avoir à la maison serait une plaie totale.
                                                              *
Autrefois, une venta était une maison de contrebandiers. Construite sur la frontière, la marchandise y entrait française par la cuisine et ressortait espagnole par la salle sans droits à payer, et réciproquement.
                                                              *
Après Zugarramurdi, c’est Urdax (Urdazubi), beau village basque espagnol où j’ai déjeuné en solitaire au moins deux fois il y a douze ans au bar restaurant Indianoa-Baita tenu par un homme d’un certain âge. Installé le long d’un bief à une petite table, j’avais droit à une bouteille de vin posée dessus. Il me fallait m’allonger un bon moment sur un banc avant de pouvoir reprendre la voiture. « Le patron a envie de prendre sa retraite. Ne nous en voulez pas si, un jour, la porte est fermée. » écrivait le Routard en deux mille quatre.  
                                                              *
-Est-ce que c’est vous le car pour la manif de Bilbao ?
Question posée par deux femmes au Basque bondissant ce matin. Ce dimanche se tenait là-bas une manifestation féministe internationale. J’en ai photographié l’affiche à Saint-Sébastien, rue Juan de Bilbao.
                                                              *
Où que l’on soit le dimanche dans ce qu’on appelle la nature : un foutu conducteur de couade.
 

17 avril 2016


Ce samedi prévu pour être une journée de pause fait bien de l’être. En effet, je suis victime à l’Hôtel Ibis Budget de Ciboure de ce à quoi je ne pensais pas : des punaises de lit (ou puces de lit). Il paraît qu’on en trouve dans les meilleurs hôtels et les plus propres.

Au matin, je signale ce gros désagrément à l’un des responsables. Il semble étonné mais pas plus que ça. D’ailleurs, il y a une procédure à suivre dans pareil cas : changer le client de chambre et envoyer tous ses vêtements à la laverie.

Je perds la chambre Cinq Cent Sept avec vue sur le port, la plus grande et la mieux située, pour me retrouver dans la Deux Cent Une, petite, proche de l’ascenseur et donnant côté rue sur un immeuble de six étages de style néo basque. Mes vêtements, sauf ceux que je porte qui subiront le même sort ultérieurement, partent à la laverie, retour prévu dans la journée.

Je vais faire le tour de port, bois un café au Vauban puis déjeune à Saint-Jean (comme on dit) d’une salade au jambon de Serrano à la pizzeria Dolce Vita tenu par un couple discret, lui en cuisine, elle en salle (treize euros avec un quart de vin blanc et café). Ensuite il se met à pleuvoir et je rentre dans ma petite chambre en espérant des temps meilleurs.

Cela pourrait être pire : j’aurais pu me casser une clavicule. Et heureusement, je ne fais pas partager à quelqu’une cet épisode assez peu glamour.

*

Un quinquagénaire à un autre au Vauban :

-Je vais l’enlever. C’est dangereux. Parfois tu peux être amené à l’ouvrir, comme ça, avec n’importe qui et c’est dangereux.

Il ne parle pas d’un quelconque bricolage dont il serait l’auteur, mais d’une photo pornographique à l’accueil de son téléphone.

-Avec toi je m’en branle, je peux te la montrer, tiens regarde. Allez, je vais l’enlever tout de suite. C’est dommage. Elle a été bien gentille de bien vouloir être prise comme ça. »

*

Proverbe basque : « Au bout de trois jours, le poisson et l’hôte sentant mauvais, sont à jeter dehors. » (à propos notamment des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle passant par Saint-Jean-de-Luz)

*

Le Comité de Vigilance ayant été choqué de me voir écrire « l’autocar de la compagnie Transports-64 », je lui ai présenté mes plates excuses. Il s’agissait de « l’autocar de la compagnie Transports-Soixante-Quatre ». Correction a été faite.

Je l’avais fait parce que c’est une raison sociale, mais c’est une mauvaise raison, dont par le passé je n’ai pas tenu compte.


16 avril 2016


Ce vendredi, à l’abri d’une petite pluie, j’attends à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz qu’arrive le Huit Cent Seize, l’autocar de la compagnie Transports-Soixante-Quatre qui fait la liaison Bayonne Hendaye. A huit heures huit, j’achète à sa conductrice un billet jumelé avec le Topo qui fait la liaison Hendaye Saint-Sébastien (San Sebastián ou Donostia), cinq euros pour le tout, aller et retour, dix kilomètres en France, vingt kilomètres en Espagne.
Ce Topo part de la gare d’Hendaye toutes les demi-heures, à trois et à trente-trois. C’est, je le découvre, un véritable métro, moderne, d’un joli gris, où l’on peut mettre son vélo. Son nom signifie la taupe, mais heureusement il ne la fait pas tout le temps. Où donc dois-je descendre ? Je ne le sais pas. Plus il s’emplit de voyageurs, plus je me le demande. Je montre mon plan de la ville aux deux dames espagnoles qui sont mes voisines. Elles ne me comprennent pas. Heureusement, un autre voyageur vient à mon secours. C’est un Français expatrié (comme on dit).
-Là où je descendrai, vous descendrez, me dit-il
Il m’explique que je devrai aller par la rue Easo. Au bout sera la plage, à droite le port et la vieille ville. Tout cela n’est pas loin, c’est une petite ville.
Lorsque nous descendons, il me demande d’où je suis.
-Ah Rouen ! J’en ai de bons souvenirs. Quand j’habitais à Paris, j’y avais une fiancée. Je prenais le train chaque week-end pour aller la retrouver.
Je remercie ce compatriote, lui souhaite une bonne journée et fait comme il a dit. Je suis déjà venu ici, il y a plus de dix ans, en voiture, et me souviens du port où se tenait un rassemblement de nationalistes énervés, l’une des leurs venait de se suicider dans une prison française. Je reconnais aussi les rues de la vieille ville, assez semblables à celles de Bilbao, retrouve les églises et la place de la Constitution aux fenêtres numérotées jusqu’à cent quarante-sept. Une vieille femme est à la sienne où est accrochée une cage à oiseau. Celui-ci chante à tue-tête, un peu plus tard quand je repasse par là.
Les cafetiers et restaurateurs terminent d’installer leurs terrasses sur cette place hautement touristique. Ce n’est pas chez l’un d’eux que je déjeune mais dans la petite rue Juan de Bilbao où se concentrent les tenants de l’indépendance du Pays Basque, chez Suhazi. La salle de restaurant est à l’étage. Ses nombreuses fenêtres sont à carreaux de verres dépolis. Un homme y mange avec son journal. Deux femmes s’installent tout au fond pour se dire des secrets. J’ai déjà mangé ici autrefois sur le conseil du Routard. Cette fois je suis déçu : une crêpe à la sauce blanche, du porc pané à la sauce blanche, une mousse de citron, rien de bon. La cuisinière fait aussi le service. Je paie treize euros trente, vin et café inclus, laisse un euro soixante-dix pour le service.
Dans l’après-midi, lassé de cette ville qui m’avait pourtant fait de l’effet la première fois,  je retrouve le point de départ des métros et monte dans celui pour Hendaia.
                                                                       *
Donastia est, cette année deux mille seize, la Capitale Européenne de la Culture. Cela ne se voit pas.
                                                                       *
Dans le Huit Cent Seize, pour annoncer les arrêts, la voix féminine que l’on entend est la même que celle des transports en commun rouennais. C’est un phénomène paranormal.
 

15 avril 2016


Saint-Pée-sur-Nivelle (Sempere) est bien mal desservie par le Basque bondissant, une seule occasion d’y aller par jour en fin de matinée avec retour en tout début d’après-midi, inutile de songer à y déjeuner.

J’y vais néanmoins ce jeudi avec un chauffeur qui n’est pas sur sa ligne habituelle et va donc prudemment, un Basque mollissant. Après être passé au hameau d’Ibarrun par l’un des plus laids ronds-points de France (une sculpture représentant une immense chistera en est la décoration, que j’ai prise de loin pour un épi de maïs tordu), il me dépose au centre du village derrière le trinquet.

Je fais quelques photos des plus belles maisons du village et de son église fortifiée puis je retourne attendre le car. A deux heures moins le quart, je suis de retour à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz. Je n’ai encore déjeuné si tard. On m’accepte au restaurant proche nommé Txantxangorri, maison basque à grande salle dont les poutres sont peintes en blanc. Des gens du pays y finissent leur repas. Le menu est à treize euros : tarte tatin de carottes, brochette de bœuf avec frites, panna cotta à la poire. Cela ne vaut pas la cuisine espagnole d’hier mais c’est correct. Avec un quart de vin rouge, cela fait seize euros.

Le café, je vais le boire avec l’abbé Mugnier en terrasse au Café de la Marine, où se font sentir de brusques coups de vent. Il fait lourd. Le spectacle d’un orage depuis la fenêtre de ma chambre de l’Ibis Budget me siérait.

*

Au bout du pont, côté Saint-Jean-de-Luz, entre voie routière et voie ferrée, avec autorisation de quarante-huit heures, s’agglutinent les campigne-cars les uns contre les autres, dont les propriétaires n’ont vue sur rien d’autre que l’écran de télévision.

*

Où se cache donc le poisson ? Neuf jours que je fais à pied le tour du port de Ciboure/ Saint-Jean-de-Luz d’où sortent et reviennent les bateaux de pêche et je n’en ai pas vu un seul sur le quai. Tout doit se passer du côté des hangars de la Coopérative Maritime.

*

On discute au Vauban des problèmes du rugby local. Ciboure manque de joueurs et en demande à Saint-Jean-de-Luz. « On va quand même pas obliger des joueurs de Saint-Jean à aller jouer à Ciboure ! »


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