Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
25 janvier 2017
Me voici à l’Opéra de Rouen ce dimanche après-midi, casé en corbeille entre des femmes âgées de la bourgeoisie bourgeoisante ayant sur la musique un avis définitif et non discutable, le classique oui, le contemporain non. Ma voisine de gauche a envie de retourner à Nohant pour le Festival Chopin et d’en profiter pour visiter une quatrième fois la maison de Georges Sand. La table est mise, on s’attend à la voir entrer dans la salle à manger.
Nous sommes loin de Chopin ce dimanche. Pour commencer, c’est The Unanswered Question de Charles Ives, une œuvre pour laquelle ont été ouvertes les portes d’entrée de la salle et celles des loges. Sur la scène, le trompettiste Franck Paque fait face en solo au tutti de l’Orchestre provenant du foyer. « C’est n’importe quoi. Il joue tout seul », dit ma voisine de droite à l’issue, croyant que la musique du foyer était celle d’un enregistrement. Les musiciens descendant dans la salle lui donne un cruel démenti, ce qui ne la démonte pas : « Ah très bien. C’est original. » La question de savoir pourquoi certain(e)s peuvent voter pour un Trump ou tout autre politicien à opinion variable et contradictoire n’est pas sans réponse.
Suit Soleil rouge (concerto pour trompette), une création de Thierry Pécou inspirée « d’un chant cérémonial des premiers Américains qui est un mélange de tradition amérindienne et de christianisme, et, d’une façon plus générale, des techniques de battements de tambours des Indiens Navajos ». Le trompettiste est le renommé Håkan Hardenberger qui au début de ce Soleil rouge fait un usage inhabituel de son instrument, frappant en rythme sur l’embouchure. L’Orchestre est dirigé par le jeune chef Jamie Phillips, boursier à la Phil Gustavo Dudamel de Los Angeles et chef associé du Hallé Orchestra, déjà apprécié ici en novembre dernier et qui remplace Leo Hussain absent pour une raison inconnue (Ma voisine de gauche : « On l’a déjà vu, ce petit chef-là »).
C’est du très bon Pécou. Mes voisines applaudissent comme tout le monde et s’abstiennent de faire des commentaires. Thierry Pécou, chemise orange, vient saluer entre Jamie Phillips et Håkan Hardenberger.
-Ça ne nous plaît peut-être pas à nous, mais ça plaira à nos petits-enfants, entends-je à l’entracte.
-Oui, et c’est bien pour les musiciens de jouer des choses nouvelles, ils ne peuvent pas faire toujours la même chose.
L’œuvre suivante date de plus d’un siècle. Elle ne prête donc pas à discussion. C’est la Symphonie numéro neuf en mi mineur d’Antonín Dvořák, plus connue sous le nom de Symphonie du Nouveau Monde, pour laquelle le talentueux Jamie Phillips n’a pas besoin de partition. Il confirme qu’il sait tirer de l’Orchestre le meilleur. C’est un grand moment de plaisir qui s’achève par un quatrième mouvement orgasmique. Les applaudissements sont copieux et suscitent plusieurs retours du maestro sur la scène. Un bis de ce dernier mouvement m’agréerait mais c’est trop demander.
*
Ce concert « américain » a été opportunément donné une première fois vendredi dernier à l’heure où l’abominable Trump prêtait serment.
Une double vidéo mise en ligne par le quotidien britannique The Independent en dit plus qu’un long discours. A gauche, on voit Barack Obama le jour de sa première investiture attendant que sa femme Michelle fasse le tour de la voiture avec son cadeau protocolaire puis montant les marches derrière elle vers le couple Bush. A droite, on voit Donald Trump lors de sa propre investiture fonçant vers le couple Obama sans se soucier le moins du monde de sa femme Melania reléguée à l’arrière avec son cadeau protocolaire.
*
Le soir venu, résultat de la Primaire dite de Gauche : Hamon en tête et favori du second tour. Voilà qui ne va pas faire plaisir à Mélenchon, ils sont sur le même créneau. M’étonnerait pas que certains des soutiens de ce dernier aillent voter Valls dimanche prochain. Ça ne fera pas davantage plaisir aux Droitistes qui voient l’espace offert à Macron s’élargir et donc Fillon en danger. De là à ce qu’ils aillent eux aussi voter Valls.
*
Il y a des points que j’apprécie dans le discours de Hamon, notamment sa remise en cause de la dévotion à la croissance et à la « valeur travail ». Je ne compte pas pour autant aller choisir dimanche prochain celui qui finira cinquième du premier tour de la Présidentielle.
Nous sommes loin de Chopin ce dimanche. Pour commencer, c’est The Unanswered Question de Charles Ives, une œuvre pour laquelle ont été ouvertes les portes d’entrée de la salle et celles des loges. Sur la scène, le trompettiste Franck Paque fait face en solo au tutti de l’Orchestre provenant du foyer. « C’est n’importe quoi. Il joue tout seul », dit ma voisine de droite à l’issue, croyant que la musique du foyer était celle d’un enregistrement. Les musiciens descendant dans la salle lui donne un cruel démenti, ce qui ne la démonte pas : « Ah très bien. C’est original. » La question de savoir pourquoi certain(e)s peuvent voter pour un Trump ou tout autre politicien à opinion variable et contradictoire n’est pas sans réponse.
Suit Soleil rouge (concerto pour trompette), une création de Thierry Pécou inspirée « d’un chant cérémonial des premiers Américains qui est un mélange de tradition amérindienne et de christianisme, et, d’une façon plus générale, des techniques de battements de tambours des Indiens Navajos ». Le trompettiste est le renommé Håkan Hardenberger qui au début de ce Soleil rouge fait un usage inhabituel de son instrument, frappant en rythme sur l’embouchure. L’Orchestre est dirigé par le jeune chef Jamie Phillips, boursier à la Phil Gustavo Dudamel de Los Angeles et chef associé du Hallé Orchestra, déjà apprécié ici en novembre dernier et qui remplace Leo Hussain absent pour une raison inconnue (Ma voisine de gauche : « On l’a déjà vu, ce petit chef-là »).
C’est du très bon Pécou. Mes voisines applaudissent comme tout le monde et s’abstiennent de faire des commentaires. Thierry Pécou, chemise orange, vient saluer entre Jamie Phillips et Håkan Hardenberger.
-Ça ne nous plaît peut-être pas à nous, mais ça plaira à nos petits-enfants, entends-je à l’entracte.
-Oui, et c’est bien pour les musiciens de jouer des choses nouvelles, ils ne peuvent pas faire toujours la même chose.
L’œuvre suivante date de plus d’un siècle. Elle ne prête donc pas à discussion. C’est la Symphonie numéro neuf en mi mineur d’Antonín Dvořák, plus connue sous le nom de Symphonie du Nouveau Monde, pour laquelle le talentueux Jamie Phillips n’a pas besoin de partition. Il confirme qu’il sait tirer de l’Orchestre le meilleur. C’est un grand moment de plaisir qui s’achève par un quatrième mouvement orgasmique. Les applaudissements sont copieux et suscitent plusieurs retours du maestro sur la scène. Un bis de ce dernier mouvement m’agréerait mais c’est trop demander.
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Ce concert « américain » a été opportunément donné une première fois vendredi dernier à l’heure où l’abominable Trump prêtait serment.
Une double vidéo mise en ligne par le quotidien britannique The Independent en dit plus qu’un long discours. A gauche, on voit Barack Obama le jour de sa première investiture attendant que sa femme Michelle fasse le tour de la voiture avec son cadeau protocolaire puis montant les marches derrière elle vers le couple Bush. A droite, on voit Donald Trump lors de sa propre investiture fonçant vers le couple Obama sans se soucier le moins du monde de sa femme Melania reléguée à l’arrière avec son cadeau protocolaire.
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Le soir venu, résultat de la Primaire dite de Gauche : Hamon en tête et favori du second tour. Voilà qui ne va pas faire plaisir à Mélenchon, ils sont sur le même créneau. M’étonnerait pas que certains des soutiens de ce dernier aillent voter Valls dimanche prochain. Ça ne fera pas davantage plaisir aux Droitistes qui voient l’espace offert à Macron s’élargir et donc Fillon en danger. De là à ce qu’ils aillent eux aussi voter Valls.
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Il y a des points que j’apprécie dans le discours de Hamon, notamment sa remise en cause de la dévotion à la croissance et à la « valeur travail ». Je ne compte pas pour autant aller choisir dimanche prochain celui qui finira cinquième du premier tour de la Présidentielle.
24 janvier 2017
Si les deux jeunes femmes venues avec moi en Deux Chevaux à la Fabrique des Savoirs d’Elbeuf viennent d’abord pour le bâtiment et les collections permanentes qu’il abrite, je suis là avant tout pour découvrir Roadkill, la première exposition personnelle du disagneur taxidermiste Sylvain Wavrant, natif de Sologne, pour qui l’année deux mille seize fut celle du passage de la création d’accessoires de mode ou de théâtre (notamment pour le metteur en scène Thomas Jolly) à celle d’œuvres à montrer dans les galeries d’art. Avant de pouvoir entrer, il nous faut patienter un quart d’heure sur le trottoir dans la froidure. Le Musée, sis dans une partie de l'ancienne usine drapière Blin & Blin, n’ouvre qu’à quatorze heures.
A l’heure dite, la jeune femme de l’accueil nous ouvre la porte. Elle me délivre un billet gratuit qui donne droit de voir ce pour quoi je suis venu et les salles d’exposition permanente (une expo Hector Malot nécessiterait de débourser quatre euros mais comme je ne suis pas fou de l’écrivain de La Bouille, je m’en dispense).
Les installations de Sylvain Wavrant sont dans le long passage qui mène aux collections permanentes. Comme l’indique le titre de l’exposition, il s’est agi pour lui de créer sur le thème de l’accident de voiture dont sont victimes les animaux qu’il récupère dans les fossés.
C’est une suite d’œuvres à la beauté sombre, en noir et rouge et or, le rouge paillette matérialisant le sang mais donnant aussi un supplément d’âme glamour aux scènes tragiques et figées. Les titres et les descriptifs sont éloquents : Le Glas (corneille naturalisée, essuie-glaces), Partir à point (lapereau naturalisé, soufflet de levier de vitesse, paillettes), Le Manège enchanté (peau de blaireau, roue de voiture, paillettes, perles), Narcisse (pic naturalisé, rétroviseur, perles, strass Swarovski), Premières loges (pare-brise encadré, merle naturalisé), Roadkill (renard naturalisé, coffrage, bitume), Blaireau ! (blaireau naturalisé, pare-choc, broderie, perles et strass Swarovski), Refuge (pigeon naturalisé, ampoule et phare de voiture), Panier garni (blaireau naturalisé, pneu de voiture, paillettes, ballon rouge en forme de cœur), Tentative de survie (renard naturalisé, couverture de survie), Splash (corneille naturalisée, porte de voiture rouge, paillettes). Cette liste me plaît en elle-même par son côté de froid constat pouvant donner naissance à l’imagination. Une femme est là, venue avec cinq moutards d’âge maternel. L’un d’eux, à la vue de ces animaux soudés aux objets qui les ont tués, a une parole de commisération : « Pauvres trucs ».
Sur le mur du fond, en une série de photos signée Fred Margueron, Sylvain Wavrant se met en scène dans le rôle de l’animal pris dans les phares sur une route forestière et pour qui ça finit mal.
Tout cela me plaît beaucoup et je pense qu’il en serait de même si je ne connaissais pas personnellement l’artiste.
Guère intéressé par ce que proposent les expositions permanentes j’en fais quand même le tour, passant par l’archéologie locale, les tristes animaux empaillés et les machines à filature sur lesquelles ont souffert bien des ouvriers, dans des salles aux cloisons épaisses, basses de plafond, peu éclairées, où je me sens oppressé. Je vais m’aérer un petit moment au belvédère du cinquième étage (vue sur le cimetière, l’église et les autres bâtiments industriels reconvertis) puis retrouve mes deux compagnes de voyage.
Le retour à Rouen dans la Deux Chevaux de notre aimable chauffeur est sans histoire. Nul animal ne passe sous les roues de la petite voiture grise, ni ne vient s’écraser sur son pare-brise.
*
Sur un mur de la Fabrique des Savoirs, un tableau à l’érotisme pompier : Sapho et Phaon. Point n’est dit qui l’a peint (ou alors je n’ai pas vu). Il est précisé que c’est un « Envoi de l’Etat » de mil huit cent quatre-vingt-douze.
*
J’aime bien Sylvain, c'est le seul garçon que je connaisse qui me saute au cou quand on se croise dans la rue.
A l’heure dite, la jeune femme de l’accueil nous ouvre la porte. Elle me délivre un billet gratuit qui donne droit de voir ce pour quoi je suis venu et les salles d’exposition permanente (une expo Hector Malot nécessiterait de débourser quatre euros mais comme je ne suis pas fou de l’écrivain de La Bouille, je m’en dispense).
Les installations de Sylvain Wavrant sont dans le long passage qui mène aux collections permanentes. Comme l’indique le titre de l’exposition, il s’est agi pour lui de créer sur le thème de l’accident de voiture dont sont victimes les animaux qu’il récupère dans les fossés.
C’est une suite d’œuvres à la beauté sombre, en noir et rouge et or, le rouge paillette matérialisant le sang mais donnant aussi un supplément d’âme glamour aux scènes tragiques et figées. Les titres et les descriptifs sont éloquents : Le Glas (corneille naturalisée, essuie-glaces), Partir à point (lapereau naturalisé, soufflet de levier de vitesse, paillettes), Le Manège enchanté (peau de blaireau, roue de voiture, paillettes, perles), Narcisse (pic naturalisé, rétroviseur, perles, strass Swarovski), Premières loges (pare-brise encadré, merle naturalisé), Roadkill (renard naturalisé, coffrage, bitume), Blaireau ! (blaireau naturalisé, pare-choc, broderie, perles et strass Swarovski), Refuge (pigeon naturalisé, ampoule et phare de voiture), Panier garni (blaireau naturalisé, pneu de voiture, paillettes, ballon rouge en forme de cœur), Tentative de survie (renard naturalisé, couverture de survie), Splash (corneille naturalisée, porte de voiture rouge, paillettes). Cette liste me plaît en elle-même par son côté de froid constat pouvant donner naissance à l’imagination. Une femme est là, venue avec cinq moutards d’âge maternel. L’un d’eux, à la vue de ces animaux soudés aux objets qui les ont tués, a une parole de commisération : « Pauvres trucs ».
Sur le mur du fond, en une série de photos signée Fred Margueron, Sylvain Wavrant se met en scène dans le rôle de l’animal pris dans les phares sur une route forestière et pour qui ça finit mal.
Tout cela me plaît beaucoup et je pense qu’il en serait de même si je ne connaissais pas personnellement l’artiste.
Guère intéressé par ce que proposent les expositions permanentes j’en fais quand même le tour, passant par l’archéologie locale, les tristes animaux empaillés et les machines à filature sur lesquelles ont souffert bien des ouvriers, dans des salles aux cloisons épaisses, basses de plafond, peu éclairées, où je me sens oppressé. Je vais m’aérer un petit moment au belvédère du cinquième étage (vue sur le cimetière, l’église et les autres bâtiments industriels reconvertis) puis retrouve mes deux compagnes de voyage.
Le retour à Rouen dans la Deux Chevaux de notre aimable chauffeur est sans histoire. Nul animal ne passe sous les roues de la petite voiture grise, ni ne vient s’écraser sur son pare-brise.
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Sur un mur de la Fabrique des Savoirs, un tableau à l’érotisme pompier : Sapho et Phaon. Point n’est dit qui l’a peint (ou alors je n’ai pas vu). Il est précisé que c’est un « Envoi de l’Etat » de mil huit cent quatre-vingt-douze.
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J’aime bien Sylvain, c'est le seul garçon que je connaisse qui me saute au cou quand on se croise dans la rue.
23 janvier 2017
Comment faire pour rejoindre Elbeuf afin d’y voir à la Fabrique des Savoirs la première exposition personnelle de Sylvain Wavrant, me demandé-je, quand soudain tombe dans ma boîte un mail envoyé par la Réunion des Musées de la Métropole. Cette institution propose d’y aller ce ouiquennede gratuitement en Deux Chevaux avec un chauffeur. Je m’inscris illico. Quoi de plus adéquat, me dis-je ensuite, que d’aller en voiture voir une série d’œuvres qui transcendent des animaux victimes de la route (comme on dit).
Trois voitures sont garées parallèlement sur l’esplanade Marcel-Duchamp devant le Musée des Beaux-Arts de Rouen quand j’y arrive à treize heures, quinze minutes avant le départ, en ce samedi glacial : une bleue, une crème, une grise. Je salue leur propriétaire, un jeune quadragénaire barbu qui lance son entreprise de visites touristiques en Deudeuche : Rouen 2CV Tour. « C’est avec moi que vous allez partir, me dit-il, dans la grise ». Les autres voitures, conduites par ses employés, iront à la Corderie Vallois et au Musée Corneille.
Nous sommes trois passagers pour ce premier voyage de l’après-midi. Mes grandes jambes me donnent le droit de m’installer à l’avant. Deux jeunes femmes se partagent la banquette arrière. L’une est enseignante chercheuse en chimie à l’Université et l’autre encore chercheuse d’un emploi dans la culture dix ans après l’obtention de son diplôme. Elles sont plus excitées que moi par l’aventure. Pour elles, comme pour notre chauffeur, cette voiture est un objet de collection tout à fait vintage. Moi je l’ai connue au temps où elle courait les rues, quand elle était avec la Quatre Ailes la voiture de ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent, parmi lesquels beaucoup de jeunes. Si je n’en ai jamais eu (hormis sous sa forme dérivée de Méhari), je m’y suis souvent assis dans les années soixante-dix. Je me souviens d’un trajet dans le Lot avec une fille qui m’avait pris en stop et qui conduisait si dangereusement que j’étais descendu avant d’avoir atteint mon objectif. Je ne me souvenais pas en revanche qu’on était si à l’étroit dans l’habitacle.
Notre chauffeur est des plus prudents. Il nous annonce que nous sommes ces premiers clients. C’est le tout début de son entreprise. Avant, il était directeur financier. Grâce à sa nouvelle activité, il va pouvoir faire ce dont il rêvait, un peu de gestion, un peu de mécanique et surtout rencontrer des gens de toute sorte. Il espère emmener des touristes au sommet des collines à panorama, la côte Sainte-Catherine, la côte de Canteleu.
-L’autre jour avec la voiture, j’ai croisé une ancienne collègue, j’étais son supérieur hiérarchique. Elle m’a regardé. Non, c’est pas lui. Si, c’était moi.
Il nous explique qu’on ne s’improvise pas promeneur de gens en voiture. Il lui a fallu passer un examen d'attestation professionnelle en transport routier léger de personnes.
Contrairement à ce que je craignais, il fait bien chaud dans la Deux Chevaux. C’est grâce à la récupération de la chaleur du pot d’échappement, apprends-je. Sur l’autoroute, nous filons à quatre-vingts avec des pointes à quatre-vingt-dix. Les panneaux lumineux qui demandent aux automobilistes de diminuer leur vitesse de vingt kilomètres heure pour cause de pollution aux particules fines ne nous concernent pas, mais si vous étiez à Paris, dis-je à notre sympathique chauffeur, cette voiture serait interdite de circulation, il ne faudrait pas que ce règlement arrive à Rouen.
-Je sais, me dit-il, ça m’inquiète un peu. Là-bas, on fait des visites avec des Deux Chevaux électriques, ce n’est pas la même chose.
En effet, que serait une Deuche sans son bruit de moteur caractéristique.
Nous arrivons par Orival et sommes devant la Fabrique des Savoirs à deux heures moins le quart. Rendez-vous est pris à quinze heures pour le retour.
Trois voitures sont garées parallèlement sur l’esplanade Marcel-Duchamp devant le Musée des Beaux-Arts de Rouen quand j’y arrive à treize heures, quinze minutes avant le départ, en ce samedi glacial : une bleue, une crème, une grise. Je salue leur propriétaire, un jeune quadragénaire barbu qui lance son entreprise de visites touristiques en Deudeuche : Rouen 2CV Tour. « C’est avec moi que vous allez partir, me dit-il, dans la grise ». Les autres voitures, conduites par ses employés, iront à la Corderie Vallois et au Musée Corneille.
Nous sommes trois passagers pour ce premier voyage de l’après-midi. Mes grandes jambes me donnent le droit de m’installer à l’avant. Deux jeunes femmes se partagent la banquette arrière. L’une est enseignante chercheuse en chimie à l’Université et l’autre encore chercheuse d’un emploi dans la culture dix ans après l’obtention de son diplôme. Elles sont plus excitées que moi par l’aventure. Pour elles, comme pour notre chauffeur, cette voiture est un objet de collection tout à fait vintage. Moi je l’ai connue au temps où elle courait les rues, quand elle était avec la Quatre Ailes la voiture de ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent, parmi lesquels beaucoup de jeunes. Si je n’en ai jamais eu (hormis sous sa forme dérivée de Méhari), je m’y suis souvent assis dans les années soixante-dix. Je me souviens d’un trajet dans le Lot avec une fille qui m’avait pris en stop et qui conduisait si dangereusement que j’étais descendu avant d’avoir atteint mon objectif. Je ne me souvenais pas en revanche qu’on était si à l’étroit dans l’habitacle.
Notre chauffeur est des plus prudents. Il nous annonce que nous sommes ces premiers clients. C’est le tout début de son entreprise. Avant, il était directeur financier. Grâce à sa nouvelle activité, il va pouvoir faire ce dont il rêvait, un peu de gestion, un peu de mécanique et surtout rencontrer des gens de toute sorte. Il espère emmener des touristes au sommet des collines à panorama, la côte Sainte-Catherine, la côte de Canteleu.
-L’autre jour avec la voiture, j’ai croisé une ancienne collègue, j’étais son supérieur hiérarchique. Elle m’a regardé. Non, c’est pas lui. Si, c’était moi.
Il nous explique qu’on ne s’improvise pas promeneur de gens en voiture. Il lui a fallu passer un examen d'attestation professionnelle en transport routier léger de personnes.
Contrairement à ce que je craignais, il fait bien chaud dans la Deux Chevaux. C’est grâce à la récupération de la chaleur du pot d’échappement, apprends-je. Sur l’autoroute, nous filons à quatre-vingts avec des pointes à quatre-vingt-dix. Les panneaux lumineux qui demandent aux automobilistes de diminuer leur vitesse de vingt kilomètres heure pour cause de pollution aux particules fines ne nous concernent pas, mais si vous étiez à Paris, dis-je à notre sympathique chauffeur, cette voiture serait interdite de circulation, il ne faudrait pas que ce règlement arrive à Rouen.
-Je sais, me dit-il, ça m’inquiète un peu. Là-bas, on fait des visites avec des Deux Chevaux électriques, ce n’est pas la même chose.
En effet, que serait une Deuche sans son bruit de moteur caractéristique.
Nous arrivons par Orival et sommes devant la Fabrique des Savoirs à deux heures moins le quart. Rendez-vous est pris à quinze heures pour le retour.
21 janvier 2017
Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
Avec Travolta à notre table, c’est devenu impossible, la foule nous écrasait. Un policier était juste derrière, essayant de nous protéger, et il était soûl. J’ai dit : « Ne regarde pas tout de suite, Bob, mais tu as un gros pistolet et une grosse queue à un centimètre de ton cou. » Et le policier a demandé : « Puis-je faire quelque chose pour vous ? » Bob a ri et dit : « Restez juste là. » (Jeudi cinq juin mil neuf cent quatre-vingt, Houston)
La ligne New York - Miami est la pire, tout le monde est laid, Portoricain, Cubain et Sud-Américain, c’est dégoûtant. (Vendredi cinq septembre mil neuf cent quatre-vingt, New York-Miami)
Au moment où nous partions, elle est venue me dire : « Mon cher, avez-vous rencontré le prince de Thaïlande ? « Et elle a montré du doigt un gamin que nous avions pris pour un serveur. (Mercredi dix septembre mil neuf cent quatre-vingt)
Nelson Lyon est venu avec Michael O’Donoghue, celui qui a écrit Saturday Night Live. C’est un type amusant mais qui n’a pas l’air irlandais. Il a dit qu’à une soirée j’avais pris une photo de lui. Je devais viser quelqu’un derrière. (Mercredi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt)
Sharon m’a emmené dans une autre pièce pour me montrer une photo de son lord anglais en train de pisser, il a une queue comme un cheval. Elle ne sait pas si elle doit l’épouser, mais je lui ai dit qu’elle devrait avec une queue pareille. (Jeudi vingt-cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt)
Après déjeuner, nous avons décidé d’aller voir l’expo Gainsborough –un tas de gens beaux et leurs chiens. Et nous étions tellement près de Giverny que nous avons tous décidé d’y aller. Hubert est venu en blouse blanche et nous en a fait faire le tour. Nous avons passé un moment merveilleux. (Vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, Paris)
Tom et moi avons parlé de Jim Morrison et Tom m’a raconté qu’ils ramassaient parfois trois filles et que Jim s’écroulait, alors il devait les baiser toutes les trois. (Samedi dix-huit avril mil neuf cent quatre-vingt-un)
Ma famille, quand ils essaient de venir me voir, je dis toujours que je suis en voyage. (Mercredi six juillet mil neuf cent quatre-vingt-un)
J’ai dit à Jon qu’il était gros, mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. (Vendredi vingt-huit août mil neuf cent quatre-vingt-un)
Leo Castelli est venu avec sa petite amie, Laura de Copper. Il buvait, ils s’enlaçaient et s’embrassaient. Je n’en reviens pas de ce vieil homme… C’est la fille qui donne de l’argent à Jackie Curtis. Leo a commandé un portrait d’elle. (Vendredi neuf mil neuf cent octobre quatre-vingt-un)
Il y avait un cardinal qui venait de faire une attaque d’hémiplégie, alors une moitié seulement de lui était là… (Vendredi vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-un, Toronto)
*
Je n’aurais pu me trouver par hasard à Giverny le jour où Andy y fut. Le vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, j’étais en classe au Bec-Hellouin. Les vacances de printemps commençaient le lendemain.
Avec Travolta à notre table, c’est devenu impossible, la foule nous écrasait. Un policier était juste derrière, essayant de nous protéger, et il était soûl. J’ai dit : « Ne regarde pas tout de suite, Bob, mais tu as un gros pistolet et une grosse queue à un centimètre de ton cou. » Et le policier a demandé : « Puis-je faire quelque chose pour vous ? » Bob a ri et dit : « Restez juste là. » (Jeudi cinq juin mil neuf cent quatre-vingt, Houston)
La ligne New York - Miami est la pire, tout le monde est laid, Portoricain, Cubain et Sud-Américain, c’est dégoûtant. (Vendredi cinq septembre mil neuf cent quatre-vingt, New York-Miami)
Au moment où nous partions, elle est venue me dire : « Mon cher, avez-vous rencontré le prince de Thaïlande ? « Et elle a montré du doigt un gamin que nous avions pris pour un serveur. (Mercredi dix septembre mil neuf cent quatre-vingt)
Nelson Lyon est venu avec Michael O’Donoghue, celui qui a écrit Saturday Night Live. C’est un type amusant mais qui n’a pas l’air irlandais. Il a dit qu’à une soirée j’avais pris une photo de lui. Je devais viser quelqu’un derrière. (Mercredi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt)
Sharon m’a emmené dans une autre pièce pour me montrer une photo de son lord anglais en train de pisser, il a une queue comme un cheval. Elle ne sait pas si elle doit l’épouser, mais je lui ai dit qu’elle devrait avec une queue pareille. (Jeudi vingt-cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt)
Après déjeuner, nous avons décidé d’aller voir l’expo Gainsborough –un tas de gens beaux et leurs chiens. Et nous étions tellement près de Giverny que nous avons tous décidé d’y aller. Hubert est venu en blouse blanche et nous en a fait faire le tour. Nous avons passé un moment merveilleux. (Vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, Paris)
Tom et moi avons parlé de Jim Morrison et Tom m’a raconté qu’ils ramassaient parfois trois filles et que Jim s’écroulait, alors il devait les baiser toutes les trois. (Samedi dix-huit avril mil neuf cent quatre-vingt-un)
Ma famille, quand ils essaient de venir me voir, je dis toujours que je suis en voyage. (Mercredi six juillet mil neuf cent quatre-vingt-un)
J’ai dit à Jon qu’il était gros, mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. (Vendredi vingt-huit août mil neuf cent quatre-vingt-un)
Leo Castelli est venu avec sa petite amie, Laura de Copper. Il buvait, ils s’enlaçaient et s’embrassaient. Je n’en reviens pas de ce vieil homme… C’est la fille qui donne de l’argent à Jackie Curtis. Leo a commandé un portrait d’elle. (Vendredi neuf mil neuf cent octobre quatre-vingt-un)
Il y avait un cardinal qui venait de faire une attaque d’hémiplégie, alors une moitié seulement de lui était là… (Vendredi vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-un, Toronto)
*
Je n’aurais pu me trouver par hasard à Giverny le jour où Andy y fut. Le vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, j’étais en classe au Bec-Hellouin. Les vacances de printemps commençaient le lendemain.
20 janvier 2017
La technique pour être dans une voiture de seconde avant autrui à l’arrêt des trains venus du Havre est de passer par une voiture de première, il n’en descend que quelques voyageurs. C’est ce que je fais ce mercredi dans la bétaillère de sept heures vingt-huit pour Paris. S’il fait chaud en première, on se pèle en seconde.
-Vous pourriez monter un peu le chauffage ? demande l’un au contrôleur qui passe.
-Il est au maximum, répond celui-ci.
-Y en a pas !
-Bah oui, c’est ça.
Les rares qui avaient ôté leur manteau ont eu tôt fait de le remettre. A l’arrivée les vitres de la voiture sont totalement couvertes de buée, ce qui montre que nous sommes toujours vivants.
Rouen est à l’Ouest, Paris est dans l’Est, ainsi que le rappelle la froidure encore plus dure dans la capitale. Le bus Vingt me réchauffe un peu les fesses mais je dois ensuite affronter le vent glacial qui balaie la place de la Bastille. Le Café du Faubourg m’est une étape revigorante. Chez Book-Off, la chaleur tombe par des bouches au plafond. Je m’y attarde bien que la pêche soit mince. En sortant, je fais quand même un saut au marché d’Aligre. Bien des vendeurs ne sont pas là.
A midi, c’est au Péhemmu chinois, assis près d’un chauffage d’appoint qui fait peu son office, que j’attends celle qui doit déjeuner avec moi, Son travail actuel nous empêche de partager une galette chez elle cette année.
Quand elle arrive, nous optons pour le classique confit de canard pommes rissolées. Elle me parle de sa vie compliquée et pleine d’incertitudes. Comme nous n’avons pas de voisins, la gentille serveuse tourne le chauffage vers nous et le met à fond. Pour prolonger le bon moment, nous ajoutons un dessert, crème brûlée pour elle, moelleux au chocolat pour moi, puis un café.
-Ça caille, me dit le patron du Péhemmu chinois au moment de payer.
Je dis au revoir, place de la Bastille, à celle qui travaille non loin de là et m’engouffre dans le métro pour parcourir une distance qu’en d’autres jours j’aurais faite à pied. Il s’agit d’aller se réfugier au Centre Pompidou. Beaucoup ont eu la même idée. Jamais je n’ai vu une telle file d’attente devant le vestiaire.
A l’étage de l’Art Moderne, je musarde dans des salles temporaires consacrées à CoBrA, à Fluxus, aux Lettristes et à l’Internationale Situationniste (dans laquelle pérore Debord). Mai Soixante-Huit a droit à un couloir. J’y découvre un film d’époque de Jean-Pierre Prévot. Un peu plus loin, je salue deux Chaissac puis les Ten Lizes d’Andy.
Mon train de retour est celui de dix-sept heures vingt-cinq. Il est chauffé et j’y ai place réservée.
*
Près de Beaubourg, une fille à la face joyeuse se précipitant vers moi :
-Monsieur, je peux vous prendre deux minutes de votre temps ?
-Il n’en est pas question.
Encore une de ces associations qui vivent grâce à la misère du monde.
*
Depuis un certain temps, pour cause de désorganisation permanente et d’économie de personnel, les places réservées dans les trains ne sont plus matérialisées par un petit papier.
Il existe toutefois une possibilité (discriminatoire) de connaître les places libres. Avec son smartphone. Qui n’en a pas doit s’attendre à se faire jeter.
Cependant, pour qui s’est assis à une place signalée libre par l’application de la Senecefe, rien n’est gagné. Il peut encore être délogé par un voyageur qui aura acheté un billet avec réservation après qu’il se fut assis.
Il y a donc une morale dans cette histoire.
Et deux conclusions :
Une : l’application de la Senefece ne sert à rien.
Deux : il est prudent d’avoir une réservation.
-Vous pourriez monter un peu le chauffage ? demande l’un au contrôleur qui passe.
-Il est au maximum, répond celui-ci.
-Y en a pas !
-Bah oui, c’est ça.
Les rares qui avaient ôté leur manteau ont eu tôt fait de le remettre. A l’arrivée les vitres de la voiture sont totalement couvertes de buée, ce qui montre que nous sommes toujours vivants.
Rouen est à l’Ouest, Paris est dans l’Est, ainsi que le rappelle la froidure encore plus dure dans la capitale. Le bus Vingt me réchauffe un peu les fesses mais je dois ensuite affronter le vent glacial qui balaie la place de la Bastille. Le Café du Faubourg m’est une étape revigorante. Chez Book-Off, la chaleur tombe par des bouches au plafond. Je m’y attarde bien que la pêche soit mince. En sortant, je fais quand même un saut au marché d’Aligre. Bien des vendeurs ne sont pas là.
A midi, c’est au Péhemmu chinois, assis près d’un chauffage d’appoint qui fait peu son office, que j’attends celle qui doit déjeuner avec moi, Son travail actuel nous empêche de partager une galette chez elle cette année.
Quand elle arrive, nous optons pour le classique confit de canard pommes rissolées. Elle me parle de sa vie compliquée et pleine d’incertitudes. Comme nous n’avons pas de voisins, la gentille serveuse tourne le chauffage vers nous et le met à fond. Pour prolonger le bon moment, nous ajoutons un dessert, crème brûlée pour elle, moelleux au chocolat pour moi, puis un café.
-Ça caille, me dit le patron du Péhemmu chinois au moment de payer.
Je dis au revoir, place de la Bastille, à celle qui travaille non loin de là et m’engouffre dans le métro pour parcourir une distance qu’en d’autres jours j’aurais faite à pied. Il s’agit d’aller se réfugier au Centre Pompidou. Beaucoup ont eu la même idée. Jamais je n’ai vu une telle file d’attente devant le vestiaire.
A l’étage de l’Art Moderne, je musarde dans des salles temporaires consacrées à CoBrA, à Fluxus, aux Lettristes et à l’Internationale Situationniste (dans laquelle pérore Debord). Mai Soixante-Huit a droit à un couloir. J’y découvre un film d’époque de Jean-Pierre Prévot. Un peu plus loin, je salue deux Chaissac puis les Ten Lizes d’Andy.
Mon train de retour est celui de dix-sept heures vingt-cinq. Il est chauffé et j’y ai place réservée.
*
Près de Beaubourg, une fille à la face joyeuse se précipitant vers moi :
-Monsieur, je peux vous prendre deux minutes de votre temps ?
-Il n’en est pas question.
Encore une de ces associations qui vivent grâce à la misère du monde.
*
Depuis un certain temps, pour cause de désorganisation permanente et d’économie de personnel, les places réservées dans les trains ne sont plus matérialisées par un petit papier.
Il existe toutefois une possibilité (discriminatoire) de connaître les places libres. Avec son smartphone. Qui n’en a pas doit s’attendre à se faire jeter.
Cependant, pour qui s’est assis à une place signalée libre par l’application de la Senecefe, rien n’est gagné. Il peut encore être délogé par un voyageur qui aura acheté un billet avec réservation après qu’il se fut assis.
Il y a donc une morale dans cette histoire.
Et deux conclusions :
Une : l’application de la Senefece ne sert à rien.
Deux : il est prudent d’avoir une réservation.
19 janvier 2017
Il faut braver le froid ce mardi soir pour rejoindre l’Opéra de Rouen où la chorégraphe Josette Baïz propose Spectres par la Compagnie Grenade et le Quatuor Béla. En attendant l’ouverture des portes de la salle, on peut constater que certain(e)s ont fait les soldes (comme on dit). La vêture va du manteau de fourrure au blouson Harley-Davidson.
Un sexagénaire meuble l’attente en allant voir de près les peintures érotiques d’Alex Varenne. « Tout cela me laisse totalement indifférent », déclare-t-il à sa femme au retour. Ce qui peut se traduire par : « Pas le moindre petit début d’érection ».
J’ai place en corbeille un peu décentrée côté pair, d’où j’observe l’homme au chapeau arriver un peu tard aux chaises non numérotées. Il tournicote en une chorégraphie hésitante avant d’opter pour l’une d’où l’on voit quand même. Une autre habituée de ces chaises a reculé de nombreuses cases, étant munie de béquilles suite à un accident de sport d’hiver ou de trottoir rouennais. La voici assise en loge, où sont casés les handicapés. Un Conseiller Régional socialiste montre à sa fille comment on déplie un strapontin. Elle n’aura pas à s’y asseoir. Il bénéficie des excellents fauteuils réservés aux invités de la maison.
Spectres dure une heure. La chorégraphie de Josette Baïz, est inspirée des textes fantastiques de James, Maupassant, Hugo, Poe et Wilde. Les trois filles et les trois garçons de la Compagnie Grenade sont vêtus de blanc et évoluent sans temps faible. Les violonistes, l’altiste et le violoncelliste du Quatuor Béla sont vêtus de noir et jouent des extraits d’œuvres de Britten, Kurtág, Oswald, Crumb et Schnittke de manière dynamique (il leur arrive même de danser et très bien). Un gong, des verres musicaux et un métronome sont de la partie, ainsi que de grandes ombres projetées. Je suis complètement content à la fin et trouve que les applaudissements auraient pu durer plus longtemps mais il semble que beaucoup soient pressés de rentrer à la maison. C’est qu’il ne fait pas chaud dehors.
Un sexagénaire meuble l’attente en allant voir de près les peintures érotiques d’Alex Varenne. « Tout cela me laisse totalement indifférent », déclare-t-il à sa femme au retour. Ce qui peut se traduire par : « Pas le moindre petit début d’érection ».
J’ai place en corbeille un peu décentrée côté pair, d’où j’observe l’homme au chapeau arriver un peu tard aux chaises non numérotées. Il tournicote en une chorégraphie hésitante avant d’opter pour l’une d’où l’on voit quand même. Une autre habituée de ces chaises a reculé de nombreuses cases, étant munie de béquilles suite à un accident de sport d’hiver ou de trottoir rouennais. La voici assise en loge, où sont casés les handicapés. Un Conseiller Régional socialiste montre à sa fille comment on déplie un strapontin. Elle n’aura pas à s’y asseoir. Il bénéficie des excellents fauteuils réservés aux invités de la maison.
Spectres dure une heure. La chorégraphie de Josette Baïz, est inspirée des textes fantastiques de James, Maupassant, Hugo, Poe et Wilde. Les trois filles et les trois garçons de la Compagnie Grenade sont vêtus de blanc et évoluent sans temps faible. Les violonistes, l’altiste et le violoncelliste du Quatuor Béla sont vêtus de noir et jouent des extraits d’œuvres de Britten, Kurtág, Oswald, Crumb et Schnittke de manière dynamique (il leur arrive même de danser et très bien). Un gong, des verres musicaux et un métronome sont de la partie, ainsi que de grandes ombres projetées. Je suis complètement content à la fin et trouve que les applaudissements auraient pu durer plus longtemps mais il semble que beaucoup soient pressés de rentrer à la maison. C’est qu’il ne fait pas chaud dehors.
18 janvier 2017
Les gens célèbres, il n’en manquait pas dans les parages d’Andy Warhol. On a même l’impression qu’ils y étaient tous. Certains sont inconnus de moi. La lecture de son Journal m’a obligé plusieurs fois à consulter Ouiquipédia. Ainsi ai-je appris qui était Loulou de la Falaise. D’abord mannequin, elle fut créatrice de bijoux pour Yves Saint-Laurent et épousa Thadée Klossowski de Rola, le fils de Balthus, mais ce qui m’a le plus intéressé à son sujet, c’est qu’elle est morte à soixante-quatre ans, le cinq novembre deux mille onze, à l’hôpital de Gisors dans l’Eure.
Des revers de fortune l’avaient obligée à vivre dans sa maison du Vexin. Un cancer foudroyant la conduisit à l’hôpital de Gisors, avec les pauvres, seule. Dans un article de Paris Match, en novembre deux mille onze, Catherine Schwaab raconte ça ainsi : « Vaillante et toujours chic, elle est obligée de quitter Paris et son superbe atelier d’artiste, dans le XIVe, et se réfugie dans sa maison en Normandie. Certains assurent que c’est ce qui l’a rendue malade. Cancer du foie, du pancréas, fulgurant, murmure-t-on. Elle n’a pas affronté de chimio. Trop tard. »
*
Voici le Grand Saint-Marc, café rouennais où je lisais l’après-midi, en vacances pour une semaine, ce qui va me priver d’entendre le serveur dire aux dames de la clientèle : « Meilleurs vœux, bonne année, une longue et vigoureuse. »
*
C’est un café populaire. On y entend des propos de ce genre :
« Maintenant, y en a plein qui sont pas vaccinés. Ils courent sur Internet. Ils lisent ceci ou cela, et ils veulent pas. Pasteur et le docteur Schweitzer, y doivent se retourner dans leur tombe »
« Le cerveau, c’est un muscle, il faut l’entraîner, lire le journal ou d’autres conneries. »
« On est allé au restaurant gastronomique. A quatre : cent quatre-vingt-douze euros. J’ai gardé le ticket. »
*
Y lire les Poèmes bleus de Georges Perros demande un maximum de concentration.
Des revers de fortune l’avaient obligée à vivre dans sa maison du Vexin. Un cancer foudroyant la conduisit à l’hôpital de Gisors, avec les pauvres, seule. Dans un article de Paris Match, en novembre deux mille onze, Catherine Schwaab raconte ça ainsi : « Vaillante et toujours chic, elle est obligée de quitter Paris et son superbe atelier d’artiste, dans le XIVe, et se réfugie dans sa maison en Normandie. Certains assurent que c’est ce qui l’a rendue malade. Cancer du foie, du pancréas, fulgurant, murmure-t-on. Elle n’a pas affronté de chimio. Trop tard. »
*
Voici le Grand Saint-Marc, café rouennais où je lisais l’après-midi, en vacances pour une semaine, ce qui va me priver d’entendre le serveur dire aux dames de la clientèle : « Meilleurs vœux, bonne année, une longue et vigoureuse. »
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C’est un café populaire. On y entend des propos de ce genre :
« Maintenant, y en a plein qui sont pas vaccinés. Ils courent sur Internet. Ils lisent ceci ou cela, et ils veulent pas. Pasteur et le docteur Schweitzer, y doivent se retourner dans leur tombe »
« Le cerveau, c’est un muscle, il faut l’entraîner, lire le journal ou d’autres conneries. »
« On est allé au restaurant gastronomique. A quatre : cent quatre-vingt-douze euros. J’ai gardé le ticket. »
*
Y lire les Poèmes bleus de Georges Perros demande un maximum de concentration.
17 janvier 2017
Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
La femme de Detroit a appelé pour dire que le portrait de Henry Ford était reporté à plus tard, dans le courant du mois. Mon Dieu, Detroit ! Peut-être que le quartier où habite Henry Ford est fréquentable. (Jeudi six juillet mil neuf cent soixante-dix-huit)
Lou nous a invités chez lui.
C’est sur Christopher Street, entre la 6e et la 7e, en gros là où était The Voice, au-dessus d’une boutique de bagels. Quand nous sommes entrés, les gamins ont chuchoté : « C’est Lou Reed. » Il leur a dit : « Allez mourir ! » C’est pas génial ? (Jeudi vingt juillet mil neuf cent soixante-dix-huit)
Quand je suis arrivé au bureau Brigid était là, assise à la machine à écrire, faisant vraiment son âge, c’est-à-dire quarante ans demain. (Mardi cinq septembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Après nous sommes allés chez Polly Bergen, à Holmby Hills. (…) Elle a un télescope pour regarder les étoiles mais elle s’en sert pour regarder les maisons des stars. (Samedi vingt trois septembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Oh, j’oubliais le truc le plus bizarre… Oh, la, la, c’était ridicule ! Un vieil homme s’est précipité sur moi pour m’embrasser sur les deux joues et sur la bouche. C’était dégoûtant. Et c’était Leonard Bernstein ! (Lundi douze mars mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Paulette est venue, ainsi que Keith Richard et Ron Wood. C’était la première fois que je les voyais en plein jour, ils font vieux et en mauvais état. Leurs fiancées ont l’air jeunes et fraîches. (Samedi vingt-quatre mars mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Paloma Picasso était avec son mari et son amant. Ou son amant à lui. Ou leur amant. Je ne sais pas comment ces deux-là marchent. (Jeudi cinq avril mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Sabrina Guiness était au dîner, elle est beaucoup sortie avec le prince Charles, nous pensons qu’elle l’a baisé. (Vendredi vingt juillet mil neuf cent soixante-dix-neuf, Londres)
C’est trop pénible d’avoir les gens célèbres au bureau tous en même temps parce que personne n’arrive à comprendre pourquoi les autres sont là ! (Mardi trente octobre soixante-dix-neuf)
Nous devions faire une télé dans la rue, dans les taudis de Naples, Suzie a caché ses bijoux. Nous avons fait un tour, c’était super de voir ces vieux vêtements qui sèchent dans la rue d’une fenêtre à l’autre. (Lundi trente et un mars mil neuf cent quatre-vingt, Naples)
La femme de Detroit a appelé pour dire que le portrait de Henry Ford était reporté à plus tard, dans le courant du mois. Mon Dieu, Detroit ! Peut-être que le quartier où habite Henry Ford est fréquentable. (Jeudi six juillet mil neuf cent soixante-dix-huit)
Lou nous a invités chez lui.
C’est sur Christopher Street, entre la 6e et la 7e, en gros là où était The Voice, au-dessus d’une boutique de bagels. Quand nous sommes entrés, les gamins ont chuchoté : « C’est Lou Reed. » Il leur a dit : « Allez mourir ! » C’est pas génial ? (Jeudi vingt juillet mil neuf cent soixante-dix-huit)
Quand je suis arrivé au bureau Brigid était là, assise à la machine à écrire, faisant vraiment son âge, c’est-à-dire quarante ans demain. (Mardi cinq septembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Après nous sommes allés chez Polly Bergen, à Holmby Hills. (…) Elle a un télescope pour regarder les étoiles mais elle s’en sert pour regarder les maisons des stars. (Samedi vingt trois septembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Oh, j’oubliais le truc le plus bizarre… Oh, la, la, c’était ridicule ! Un vieil homme s’est précipité sur moi pour m’embrasser sur les deux joues et sur la bouche. C’était dégoûtant. Et c’était Leonard Bernstein ! (Lundi douze mars mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Paulette est venue, ainsi que Keith Richard et Ron Wood. C’était la première fois que je les voyais en plein jour, ils font vieux et en mauvais état. Leurs fiancées ont l’air jeunes et fraîches. (Samedi vingt-quatre mars mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Paloma Picasso était avec son mari et son amant. Ou son amant à lui. Ou leur amant. Je ne sais pas comment ces deux-là marchent. (Jeudi cinq avril mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Sabrina Guiness était au dîner, elle est beaucoup sortie avec le prince Charles, nous pensons qu’elle l’a baisé. (Vendredi vingt juillet mil neuf cent soixante-dix-neuf, Londres)
C’est trop pénible d’avoir les gens célèbres au bureau tous en même temps parce que personne n’arrive à comprendre pourquoi les autres sont là ! (Mardi trente octobre soixante-dix-neuf)
Nous devions faire une télé dans la rue, dans les taudis de Naples, Suzie a caché ses bijoux. Nous avons fait un tour, c’était super de voir ces vieux vêtements qui sèchent dans la rue d’une fenêtre à l’autre. (Lundi trente et un mars mil neuf cent quatre-vingt, Naples)
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