Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 mai 2017


Rien qu’à voir la tête de la patronne de l’Hôtel de Bretagne quand je débarque avec ma valise ce vendredi matin, je sais qu’il y a un problème. Effectivement, elle ne m’attendait que demain. Elle prétend que je me suis trompé dans ma date d’arrivée lors de la réservation. Toutes les chambres sont prises et en plus l’ordinateur est bloqué. Je suis certain de moi, l’erreur vient d’elle. Je la lui reproche. Vous vous rendez compte que je ne vais rien pouvoir trouver d’autre à Saint-Nazaire et que je vais devoir rentrer chez moi dès aujourd’hui alors que j’ai déjà un billet de train non modifiable pour mardi prochain. Les clients en salle de petit-déjeuner tendent l’oreille. Elle m’accuse de l’agresser. Je lui dis que je vais rester jusqu’à ce qu’elle ait trouvé une solution. Elle va chercher son mari, qui d’un clic débloque l’ordinateur. Il constate que ma réservation n’est pas seulement décalée d’un jour pour l’arrivée mais aussi pour le départ. C’est évidemment sa femme qui s’est trompée en saisissant les dates. Il ne le dit pas, mais je vois bien qu’il le pense. Il trouve la solution : me mettre pour cette nuit dans une chambre réservée par quelqu’un d’autre.
Cette chambre est à cinquante-neuf euros. Je lui demande s’il peut faire un geste (comme on dit dans le métier). Il refuse, car il n’a fait que déplacer le problème. Il va devoir annoncer ce soir à un autre qui aurait payé ce prix que la chambre n’est pas libre. Je demande à régler tout de suite et à avoir la facture afin de partir l’esprit tranquille.
A dix heures, je monte dans le minibus pour Paimboeuf, commune du bord de la Loire qui eut son heure de prospérité comme avant-port de Nantes jusqu’à ce que la Loire soit désenvasée. Je descends devant la Mairie, sise au milieu de petites maisons colorées construites parallèlement au fleuve. Celui-ci est large et paisible. J’en remonte le cours par le chemin qui le longe jusqu’au Jardin étoilé de l’artiste japonais Kinya Maruyama, une évocation, par de grandes structures en bois dans lesquelles on peut grimper, de la Fête de Tanabata (histoire d’amour entre deux étoiles), des quatre divinités du taoïsme et du conte Train de nuit dans la voie lactée de Kenji Miyazawa. Ce jardin est lamentablement contigu à un parquigne de campigne-cars.
Pour déjeuner, il faut aller à l’autre bout de Paimbœuf. Je reviens sur mes pas à l’ombre, par la rue intérieure. L’Estuaire est un restaurant-bibliothèque situé à l’entrée du parc de la ville. On peut y emprunter des livres et surtout y manger sous des pins aussi odorants que ceux du sud. Dans le menu à dix-sept euros, je choisis les poivrons marinés, la zarzuela et la « tuerie au chocolat », avec un demi-pichet de sauvignon. Des cyclistes en maillot et à lunettes de soleil occupent une table de sept. Pour le reste, ce sont des duos, couples ou non. Près de moi sont deux collègues de travail (Elle : « La Pologne, c’est en Europe ? » Lui : « Oui, mais y a un bout de Russie dedans »).
Après le café, je poursuis ma lecture des lettres de Truffaut au bord de la Loire sous un pin. Il y fait bon grâce à un petit vent coulis. En face, c’est la raffinerie de Donge, je ne serais pas contre une petite explosion pour pimenter mon après-midi, mais on ne peut pas tout avoir.
                                                                *
Je suis le seul des convives du restaurant L’Estuaire à savoir ce qu’est une zarzuela. Souvenir d’un repas en terrasse au bord de la mer à Collioure avec l’une qui me tenait la main. Souvenir aussi de la nymphette aux seins nus sur la plage.
 

26 mai 2017


Ce Jeudi de l’Ascension avant-dernier petit-déjeuner, toujours le même mais bon et copieux, sur le balcon, tout en haut de la tour de dix étages d’où l’on voit la pointe Saint-Gildas et parfois, selon la lumière, l’île de Noirmoutier. Mon hôte m’explique pourquoi il a été méfiant quand je l’ai contacté. C’est parce que je l’ai fait directement, sans passer par un site de réservation. Il a trouvé ça louche.
En ce jour férié, je ne me risque pas à attendre longuement un transport en commun, c’est à pied, par le bord de mer, que je rejoins le port de Saint-Nazaire et précisément l’endroit appelé le Petit Maroc où se tient un vide grenier, moitié sous la halle, moitié à côté. Grâce au ciel (bleu), je n’y trouve aucun livre susceptible d’alourdir ma valise au retour.
J’entreprends ensuite de voir du port ce que je n’ai pas encore vu. Il est quasiment désert en ce jour chômé. Pas par tous car certaines usines sont bruyantes. Beaucoup de grilles qui devraient être fermées ne le sont pas, ce qui me permet d’entrer pour faire des photos là où c’est interdit à toute personne étrangère au service, et même dans un endroit sous régime Vigipirate avec surveillance vidéo. Nul vigile ne me tombe dessus et j’y trouve, arrivés là avec leur voiture, des pêcheurs à la ligne. Que de beaux portiques, de grues élégantes (l’une est originaire du Havre) et de bateaux qui font rêver (l’un nommé Michel). Une sorte de plateforme sur roues dont j’ignore l’usage est siglée Chacqueneau mais hélas Elli n’est pas dans les parages. Je vois passer quelques cyclistes. Un homme fait le chemin dans l’autre sens. Il me confirme que je peux revenir par l’autre côté, où je le croise à nouveau, longtemps après, quand j’en ai presque fini. Une femme touriste accompagnée de son mari me demande avec un accent belge si on peut « aller chez les gros bateaux ». Je lui réponds par l’affirmative. Un panneau m’indiquant la gare, je tourne à droite et arrive à un restaurant miraculeusement ouvert : Le Dolmen, boulevard de la Libération. Combien ai-je fait de kilomètres ? Beaucoup, et je suis encore loin de tout.
Je commande à la patronne du Dolmen un diabolo menthe à boire à l’une des deux tables de trottoir. Un grand ou un petit ? me demande celle que les habitués au bar appellent Marie-Jo. Un grand. Il ne me coûte qu’un euro soixante. En semaine, cette gentille dame qui boîte bas propose un menu à dix euros. Ce jour, il est à quatorze. Je trouve place en salle, laquelle est décorée de portraits de Johnny. Malgré la chaleur, je choisis la douzaine d’escargots et le magret de canard sauce poivre avec frites maison car j’ai besoin de reprendre des forces. Une chopine de merlot, une carafe d’eau, et me voilà paré. Le magret est bon et vraiment copieux. Quatre habitués du repas du dimanche et des jours fériés sont arrivés : un couple, une femme seule, un homme seul.
-Merci maman, dit ce dernier à Marie-Jo lorsqu’elle le sert.
-Le gars est plus vieux que sa mère, commente la femme en couple.
-C’est le progrès, conclut son mari.
Le menu inclut le plateau de fromage avec salade. Pour finir, je commande une pêche melba suivie d’un café. La conversation des habitué(e)s semble avoir été écrite par Madame Michu :
-On est six frères et sœurs et on se voit jamais, qu’aux enterrements.
-C’est souvent comme ça, malheureusement.
Je remercie la gentille et courageuse dame qui va être opérée de la hanche et lui paie vingt euros quatre-vingts. Elle m’indique comment rejoindre le front de mer au plus court. Cela fait quand même un kilomètre.
Là, je me mets à l’ombre sur un banc pour longtemps, à lire la Correspondance de Truffaut.
                                                                          *
Au vide grenier de Saint Nazaire, plusieurs stands ne vendent que le « hand spinner », une sorte de toupie à trois hélices. Ce jeu est à la mode (comme on disait autrefois).
-Pendant qu’il joue à ça, il est pas devant la console, se réjouit une mère.
                                                                          *
Rien à reprocher à mon hôte qui comme je restais longtemps m’a fait un prix, cinquante euros la nuit au lieu de cinquante-cinq (petit-déjeuner inclus), hormis ses ronflements, qu’il ignore, et sa propension à écouter la télé plus fort que nécessaire. Il a fait des efforts, parfois. Allant même, un soir, jusqu’à mettre des écouteurs. Oui, mais il regardait un film comique et s’esclaffait régulièrement.
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Du temps que je regardais des films à la télévision, jamais je ne riais ainsi. Il faut sans doute être extraverti.
 

25 mai 2017


Holidays, oh holidays, chante Michel Polnareff dans le minibus de neuf heures quinze que je prends encore ce mercredi, cette fois pour atteindre son terminus : Préfailles, l’endroit le plus à l’ouest du Pays de Retz. Avec les détours, cela fait une trotte d’une bonne quarantaine de kilomètres. Un jeune couple en tenue de plage l’occupe à lire le Recueil des Prières Miraculeuses dont des passages sont surlignés en jaune fluo. C’est elle qui tourne les pages, lui suit.
Après avoir passé Pornic, je suis seul avec le chauffeur. Je descends à l’ancienne gare de Préfailles, transformée en garderie pour enfançons.
Une autochtone à clavicule cassée m’indique de quel côté trouver la mer. Je passe devant les commerces du bourg et prends le chemin de la corniche qui mène à la pointe Saint-Gildas. Cette marche facile de deux kilomètres me donne à voir au loin l’île de Noirmoutier.
Il fait chaud et pas un poil d’ombre, j’arrive un peu cuit au bout de cette pointe pas bien pointue. On y trouve un sémaphore, une table d’orientation, un port de plaisance et une jetée dont l’extrémité est accaparée par des pêcheurs qui ne se foulent pas. Ils lancent un petit filet rond attaché à une corde et le remontent avec rien dedans. Comme il est presque midi, je vois arriver les glacières. Cette réunion masculine est l’occasion de boire un petit coup. En face, au loin, de l’autre côté de l’estuaire, c’est Saint-Nazaire. Je devine l’immeuble de dix étages où je vais encore passer deux nuits.
Les quelques restaurants du bout de la pointe ne sont pas sensationnels. Je choisis le Saint Gildas. La patronne m’explique que c’est le premier jour de travail du petit jeune homme qui l’accompagne et qu’elle va lui montrer comment prendre une commande en se servant de moi comme cobaye. Je souhaite bon courage à ce néophyte. Cela ralentit un service déjà peu nerveux car le patron patronne au bar et une petite jeune fille n’est là, semble-t-il, que pour plier des serviettes en papier. Vue sur le port certes, mais longue attente de plats sans attrait : une marinette de sardines sur salade verte et une brochette de volaille frites maison. Avec le demi-pichet de cidre sec, cela me coûte dix-huit euros.
Je ne traîne pas sur la pointe car des nuages peuvent faire penser à un futur orage. Longeant la mer dans l’autre sens et dans un air lourd, je n’y croise pas grand-monde. A l’arrivée dans le bourg, je m’assois en terrasse pour un café verre d’eau au restaurant L’Entre-Potes. A Préfailles on cultive le jeu de mots navrant, un autre restaurant se nomme Le Cata Marrant et le salon de coiffure Vent Contr’Hair.
Mon minibus de retour est celui de quinze heures vingt-cinq. Il file sur la deux fois deux voies puis perd son temps dans un détour et recommence l’opération autant de fois qu’il est nécessaire avant d’atteindre le pont de Saint-Nazaire où la circulation est dense. Bientôt commence celui de l’Ascension. L’affluence est attendue sur toute la Côte de Jade et ailleurs. C’est un avant-goût de ce que les commerçants appellent la saison. Je me demande comment va s’en sortir le petit jeune homme du Saint Gildas qui ne sait même pas ouvrir une bouteille de cidre.
Ce ralentissement à l’entrée de Saint-Nazaire met dans tous ses états une jeune baroudeuse trop vêtue qui veut assister au départ d’un bateau à énormes sphères jaunes qui doivent contenir du gaz, lequel est déjà entouré des remorqueurs, comme elle le fait remarquer à son compagnon du même style en plus discret. Sitôt le pont passé, elle saute du minibus pour attraper une correspondance pour le phare, lui suit.
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Éric Tabarly vécut à Préfailles, une avenue qui va vers la mer porte son nom. Irène Jacob vient s’y reposer dans une maison de famille. On y a vu aussi Paul Ricœur (je ne sais si Emmanuel Macron l’accompagnait).
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Sur la promenade vers la pointe Saint-Gildas, une jeune nounou (comme on dit) à l’un de ses amis à propos de la moutarde dont elle a la garde, présentement assise en poussette : « Elle a le caractère de merde de sa mère et le côté je veux tout faire quand j’en ai envie de son père. »
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Une branlotine au téléphone ce mercredi matin dans le bus U Trois qui me mène à la gare : « T’as pas le résultat de l’exercice numéro deux ? Anna l’a mis sur Snap mais je comprends rien. Tu l’as pas fait ? Bon tant pis, je le ferai pendant le cours de maths et je finirai à la récré. Ma mère, elle m’a dit qu’elle me changerait de collège si je me ressaisissais pas. » Elle descend à Saint-Louis.
« En référence au Projet Mennaisien et à notre projet d’établissement, le Lycée Collège Saint-Louis est donc pour les élèves « un lieu où ils peuvent s’instruire et développer le meilleur d’eux-mêmes ». (Le Directeur)
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Vivre à Sainte-Marie-la-Mer, impasse de la Douterie.
 

24 mai 2017


Il est neuf heures et quart, ce mardi quand je monte dans le minibus pour Pornic par Saint-Brévin-les-Pins et Saint-Michel-Chef-Chef en compagnie de quelques autres. Le trajet suit le bord de mer à Saint-Michel-Chef-Chef qui pourrait aussi bien s’appeler Longue-Longue-Plage. «Femme conducteur d'autobus/Forte des halles, vendeuse aux puces/Qu'on a envie d'appeler Georges/Mais qu'on aime bien sans soutien-gorge.», chante Michel Sardou dans notre autobus conduit par une femme qui aime Radio Nostalgie.
Arrivé à dix heures à Pornic, je descends devant la Gare. A côté, c’est l’Office du Tourisme où j’entre illico pour me procurer un plan de la ville et surtout que l’on me rappelle l’adresse de Ker Miaou, la maison où Paul Léautaud venait en vacances chez son amante Madame Cayssac (qu’il surnommait le Fléau) et son mari défaillant (qu’il surnommait le Bailli).
Suivant les instructions, je grimpe la très pentue rue de la Source imaginant Léautaud faisant le même trajet encombré de ses bagages et des paniers de chats de sa maîtresse. La rue redescend ensuite vers la mer. Je tourne à droite, rue Jean-Courot. Au numéro quarante et un, à l’angle de la rue Rapine, Ker Miaou est écrit sur la barrière blanche. Je suis déjà venu ici avec celle qui me tenait la main, ne songeant pas alors que j’y reviendrais seul. Je fais une série de photos de la maison aux volets fermés et du jardin où rode un chat blanc un peu hirsute, très léautesque
La rue de la Source aboutit à la mer. A son extrémité se trouve l’Alliance Pornic qui fait hôtel, restaurant bio, thalasso et spa (Léautaud en thalasso, on n’y pense même pas). C’est là que débute le chemin qui permet de revenir vers le centre de Pornic par la corniche. Je ne m’en prive pas, admirant les côtes rocheuses parsemées de pêcheries, ces cabanes sur pilotis à filet carré suspendu, que je ne vois jamais être utilisées.
Lénine a passé un mois par ici avec femme et belle-mère en mil neuf cent dix, villa Les Roses, rue Mondésir, je n’ai pas la moindre envie de voir ça.
La ville est belle dans le soleil déjà chaud. Arrivé au vieux port, je passe de l’autre côté, où sont la plupart des restaurants et des commerces à touristes. A l’ombre d’un parasol chez Cœur et Crème, je commande un café.
-Voici, monsieur, deux euros, s’il vous plaît.
Le Guide du Routard deux mille douze, dans sa rubrique « Où manger », recommande le restaurant L’Estaminet, rue du Maréchal-Foch. Sur la porte, une affichette m’apprend que j’arrive trop tard : « Suite aux problèmes de santé de François, nous sommes contraints de cesser nos activités. »
Je me rabats sur le Café Restaurant du Port situé à l’extrémité de celui-ci avec vue jusqu’au château. L’endroit est plus classe que ne le donne à supposer son nom. Le verre de sauvignon que l’on m’y apporte ne fait pas forcément les douze centilitres annoncés. Les Saint-Jacques en salade n’ont rien à voir avec celles de Dieppe. Le filet de merlu baigne dans une sauce blanche. Il est accompagné d’une boule de riz toute sèche. Le pain est médiocre. Le serveur pourtant sous-employé (nous sommes deux dans la salle et deux autres mangent au soleil dehors) m’oblige à lui rappeler que j’attends une carafe d’eau. Le dessert est un sabayon aux fraises. J’évite le café. Ma carte bancaire est débitée de dix-huit euros quatre-vingt.
Je vais voir les rues et les maisons de la ville haute où se tient l’église Saint-Gilles et trouve, place du Marchix, la terrasse pour me plaire, celle du Balto dont le café est à un quarante. J’y lis les missives de Truffaut, refais un tour sur le port, puis reviens au Balto pour un diabolo menthe à deux cinquante avant de faire la route dans l’autre sens.
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Pornic qui offrait jusqu’à la fin de la guerre, et deux ou trois ans encore ensuite, un endroit à peu près tranquille, est envahi maintenant et de plus en plus par plein de maisons nouvelles. Ker Miaou est entouré maintenant de toutes parts de voisins, une raison de plus pour ne pas m’attirer. Où aller, pour fuir tout ce bruit, tout est envahissement, tous ces baragoins, toute cette montée de vulgarité. (Paul Léautaud, Journal littéraire, vendredi sept juin mil neuf cent vingt-neuf)
 

23 mai 2017


Ce lundi matin j’attends face à la gare de Saint-Nazaire qu’il soit l’heure de l’autocar pour Guérande au Péhemmu Couleur Café. Sa perruche jaune pâle, son café à un euro affiché en gros sur les vitres, sa patronne et sa clientèle pittoresques, en font un endroit indiqué pour lire quelques lettres de Truffaut.
A dix heures cinq, je monte dans le car en compagnie de jeunes hommes qui font tous la tronche, des apprentis qui vont je ne sais où. Nous filons par une sorte d’autoroute, frôlons La Baule, traversons une de ces immondes zones commerciales qui jouxtent les villes, mais ne voyons pas les marais salants qui font la renommée de la cité médiévale.
Je descends près de la Médiathèque Samuel-Beckett et entre par la première porte aperçue dans la vieille ville cernée de remparts. Je constate alors que je l’ai échappé belle (comme on dit). Ce ouiquennede, c’était la Fête Médiévale.
Cela sent encore le cheval. Je croise quelques médiévaux attardés, des filles qui marchent pieds nus, des garçons aux cheveux longs pas lavés. Les employés municipaux rangent et nettoient. La pancarte « Enfants perdus » est encore en place. Près de la Collégiale Saint-Aubin et dans la rue principale s’agglutinent des groupes de touristes derrière un guide, certains sont venus de Dieppe, mais dès que je prends une rue adjacente, j’y suis seul.
Les commerçants s’interrogent mutuellement :
-Alors, ça a été ?
-Mieux dimanche que samedi.
C’est une façon d’évoquer le tiroir-caisse sans le nommer.
Je passe rue de la Juiverie où une plaque invite les passants à se souvenir : «En ce lieu a vécu au Moyen-Age une communauté juive qui a contribué à l’essor et au rayonnement de Guérande». Une note explicative précise qu’«En 1240, par l’ordonnance de Ploërmel, le duc Jean 1er le Roux bannit les Juifs de Bretagne».
Il fait vite chaud dans ces rues pavées. Je m’offre un café à l’ombre en terrasse et à un euro trente au Café de la Mairie. Près de là est un restaurant recommandé par Le Guide du Routard : La Potence, mais celle-ci ne fonctionne pas le lundi  Faute de mieux, j’opte à déjeuner pour le Café Restaurant du Centre qui a au moins l’avantage d’avoir une belle terrasse face à la Collégiale et de vastes et solides parasols qui permettent de manger à l’ombre. C’est assez vite complet.
Sur le menu, une photo montre les serveuses en minijupe, une tenue qui n’est pas celle de ce lundi et n’était pas non plus celle de ce ouiquennede car le chef serveur demande à l’une pourquoi elle n’a pas remis sa robe du Moyen-Age. Pour seize euros quatre-vingt-dix, j’ai droit à un duo de terrine aux salicornes des marais et bloc de foie gras (un voisinage assez étrange) et à un véritable jarret braisé au cidre (aussi énorme que sec). J’accompagne cela du demi-pichet de cidre brut à six euros cinquante.
Quittant la table alourdi, je choisis de fuir la chaleur de Guérande en regagnant au plus vite le bord de mer à Saint-Nazaire. Le car du retour est climatisé.
Face à l’immensité bleue, sur un banc, à l’ombre d’un arbre, je me replonge dans la Correspondance de François Truffaut jusqu’à ce qu’un oiseau lâche une chiure juste à ma droite. Que je sois en train de lire des lettres évoquant The Birds d’Hitchcock me donne à réfléchir. J’abandonne la place.
                                                                  *
Pas moyen d’entrer dans un Office du Tourisme sans y trouver tous les guichets accaparés pas des couples de retraités qui veulent qu’on leur explique tout en détail. Derrière je piaffe, ne voulant qu’un plan de la localité.
                                                                  *
« Puis-je savoir votre code postal ? » est la question à laquelle il me faut répondre avant de repartir avec ce plan qui parfois me sert.
 

22 mai 2017


Ce bon vieux train en provenance d’Orléans n’a que cinq minutes de retard ce dimanche matin quand il s’arrête à la gare de Saint-Nazaire. En y grimpant, je ne serais pas plus étonné que ça d’y découvrir une famille orléanaise de ma connaissance en tenue de plage venue passer la journée à la mer, mais non, c’est un adolescent boudeur et ses grands-parents qui occupent le carré central de la voiture dont je descends au premier arrêt : Pornichet.
Ici, il y a peu de temps était en vacances, avec ses trois enfants, l’une qui m’a tenu la main.
A la sortie de la gare, j’aperçois une terrasse attirante, celle du café La Terrasse « depuis mil neuf cent quatre ». Je me propose d’y revenir après être allé voir le front de mer. Il me déçoit totalement, ce n’est que la prolongation de La Baule. Comment est-il possible que j’aie oublié ça ? Le nom du lieu doit y être pour quelque chose, qui fait rêver à un port niché. Le port de plaisance se tient à l’avant de la plage avec arrogance. Près de lui est un port d’échouage. Il n’y a pas que des bateaux qui viennent s’échouer à Pornichet.
Heureusement, la ville possède de jolies rues intérieures dont l’une me permet de revenir à La Terrasse. La serveuse est désagréable, du genre à me demander au bout d’un quart d’heure si je veux autre chose.
Dans le petit bout de rue semi piétonnière proche, je trouve à déjeuner en terrasse au Bourlingueur dont le menu dominical est à quinze euros quatre-vingt-dix : carpaccio de bœuf à l’italienne, filet de lieu noir en croûte d’épices avec brochette de petits légumes, tarte Tatin. J’accompagne cela de sauvignon et mange seul, considérant celles et ceux qui sortent de la boulangerie voisine avec le pain et le gâteau du dimanche. Lorsque je bois le café s’installe un couple à deux moutards que je n’ai donc pas à supporter longtemps, le père au plus excité des deux : « Tu te calmes, les frites vont arriver, tu te calmes. »
J’ai le projet de rejoindre Saint-Marc-sur-Mer à pied. Il suffit de suivre la côte sur quatre ou cinq kilomètres. Assez vite, les moches immeubles sont remplacés par des villas plus ou moins regardables. Je passe devant la chapelle Sainte-Anne. Elle est miraculeusement ouverte. J’y entre. Au fond se tient un couple en prière. Une promenade en bois longe la plage pendant un certain temps. J’arrive à la Pointe du Bé où Julien Gracq venait en vacances dans une petite maison. S’y trouve le rococo Château des Tourelles devenu Centre de Thalassothérapie. Gracq en thalasso ? L’hypothèse est distrayante. A l’entrée de cet établissement  un panneau annonce une « Opération taille de guêpe » « Résultat silhouette garanti ». À un moment, plus de chemin, il faut passer par la plage. Marcher dans le sable au milieu des corps allongés a tôt fait de m’épuiser. Je récupère sur un banc dès que j’ai regagné la terre ferme. Quand je repars, je surplombe la petite plage naturiste de Chemoulin, coincée entre des rochers qui gênent la vue. Je fais une nouvelle pause près d’un radar militaire. Il fait beau et chaud. En ayant assez de monter et descendre, je termine par la route. Monsieur Hulot est là qui m’attendait.
L’idée m’est venue en chemin de continuer à pied par la côte jusqu’à mon gîte, je sais maintenant que j’en suis incapable. J’ai du mal à trouver par où passe le seul bus qui circule le dimanche à Saint-Nazaire en faisant une boucle dans la ville mais ai la chance de le voir arriver vite (c’est heureux car il ne passe que toutes les heures).
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Bourgeois du bord de mer avec leurs pantalons couleur saumon (comme les pages Economie du Figaro).
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Une femme sur la plage à ses enfants (une fille et un garçon entre huit et dix ans) : « Les hommes, ça te dit : J’te quitte, et ça s’en va. ». Le garçon proteste. « Ton père, c’est ce qu’il a fait. On s’est disputé, il m’a dit : J’te quitte, et il est parti. »
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Au matin, avant Pornichet, visite éclair du petit vide grenier installé au pied de l’immeuble dans la cour de l’Ecole Maternelle Jean-Zay. On y vend essentiellement des vêtements d'enfant et des jouets, comme on pouvait s'y attendre. C’est la première fois que je remets les pieds dans la cour d’une école maternelle depuis que j’ai quitté le métier.
                                                     *
A Saint-Nazaire, avec le bus, passé par le Collège Anita-Conti, le Centre Boris-Vian où se niche le Conservatoire à Rayonnement Départemental (Musique) et la place des Quatzhorloges.
 

21 mai 2017


Un arc en ciel à l’heure du petit-déjeuner témoigne de la dernière averse de la nuit ce samedi.
Avec le bus U Un, je vais à la gare de Saint-Nazaire où j’attends le train pour Le Croisic (sur la Côte d’Amour). Celui-ci vient d’Orléans et se pointe avec dix minutes de retard. Ce n’est pas si mal car il est hors d’âge. Quand il redémarre, il pousse de gros soupirs, tant semble douloureuse l’opération.
Le Croisic est son terminus. On ne peut aller plus loin. La presqu’ile s’y oppose. Le premier port de crevette rose de France est avant tout un lieu touristique avec les inconvénients qui en découlent : parquignes, familles, moules frites, marinières.
Je préfère me balader dans les rues intérieures qui pour certaines ont un bel aspect breton et lorsqu’il s’agit de déjeuner choisis Le Lénigo sur le quai du même nom, face à la criée. L’établissement est conseillé par Michelin, Gault & Millau et le Routard. Ce dernier signale que Marie-Claude (en cuisine) et Ronald (à l’accueil et au service) se sont rencontrés aux Beaux-Arts. C’était il y a plus de trente ans.
Trois employés, dont un apprenti n’ayant que le droit de desservir, les assistent. Nous ne sommes que sept à table, trois couples d’âge certain me tiennent compagnie de loin, dont l’un particulièrement pénible (renvoyant le vin, demandant à voir une huître avant d’en commander, etc.).
Un « menu terroir » est proposé pour dix-neuf euros. Je suis le seul à le choisir. Des amuse-bouche le précèdent que je déguste avec un verre de chardonnay à quatre euros quatre-vingts centimes. Viennent ensuite une galette croustillante de moules au curry puis un pavé de merlu du Croisic avec un écrasé de pommes de terre, beurre de salicornes, qui appellent un second verre de chardonnay. Seule déception : le « gâteau breton de ma grand-mère Anna » n’est pas disponible. Il est remplacé par un petit sablé breton aux fraises. Je n’ose m’enquérir de la santé de cette grand-mère plus que centenaire. Sucre-t-elle les fraises ?
Au moment où je quitte cet excellent restaurant, chez les râleurs on se plaint : « Des langoustines comme ça, ça ne vaut rien » « Y a rien dedans, c’est pas compliqué », mais on ne le dit pas à Ronald.
Je prends le café en terrasse au Skipper à l’autre bout des quais puis vais lire au Mont Esprit, un jardin public à promontoire hélicoïdal.
Le train d’Orléans est encore là quand je retourne à la gare du Croisic. L’InterLoire est son nom. Une équipe de ménage le nettoie à fond, une femme étant chargée de faire les vitres à la raclette. Un simple Téheuherre dont le terminus est Nantes me ramènera à Saint-Naz avec arrêts à Batz-sur-Mer, Le Pouliguen, La Baule-Escoublac, La Baule-Les Pins et Pornichet.
Tout va bien jusqu’à cette dernière escale. Là, le train ne repart pas. Le chef de bord annonce qu’une intervention policière est en cours. Cela suscite bien des conjonctures chez les ancien(ne)s qui voyagent avec moi, dont un couple anglais lisant le Daily Mail. « Qu’est-ce qui peut bien se passer ? » On ne le saura pas. Après un quart d’heure d’immobilisation, le train redémarre et passe devant l’un des bistrots de Pornichet nommé Le Scénario.
                                                          *
Musset, Ingres, Balzac et Heredia furent des habitués du Croisic lorsque la vie y était plus palpitante qu’aujourd’hui.
 

20 mai 2017


Mon hôte ne va-t-il pas me faire la tête ce matin au petit-déjeuner ? C’est la question que je me pose au réveil, pour l’avoir recadré la veille au soir à propos de sa télé bruyante (un écran plat d’un mètre sur deux). Pas du tout, il est aussi jovial ce vendredi que les autres jours.
Cette nuit, l’orage a donné quelques éclairs et coups de tonnerre. D’autres sont possibles, mais il fait beau quand, en bas de la tour, je grimpe dans le bus U Un dont le terminus est la gare de Saint-Naz.
Au quai Six, j’attends l’autocar qui va à Saint-Brévin-les-Pins de l’autre côté de l’estuaire de la Loire. Il s’agit en fait d’un minibus. Je paie quatre euros quatre-vingts aller et retour à sa conductrice. Nous sommes une dizaine dont une gendarme en congé de maternité avec laquelle discute celle qui entreprend la traversée du fleuve par l’élégant pont sinueux à haubans, trois mille cinq cent cinquante-six mètres de long, soixante et un mètres de haut, cinq virgule six pour cent de pente, le meilleure vue que l’on puisse avoir sur les chantiers navals et ses deux paquebots en construction.
Saint-Brévin effectivement ne manque pas de pins mais on y trouve aussi des palmiers, un Espace Boby Lapointe dévolu à l’expression de la jeunesse locale et une église très bretonne à tour carrée nommée Saint-Nicolas. Je prends le chemin côtier, une balade sans effort (c’est tout plat) qu’ont dû faire Serge Prokofiev, René-Guy Cadou et Laurent Voulzy, vacanciers ici autrefois.
De l’autre côté de l’estuaire je vois tout Saint-Nazaire dont la tour en haut de laquelle je gîte. Au bout de deux kilomètres et demi, j’arrive au port de Mindin, pas loin du bout du pont. Quelques petits bateaux y sont amarrés. Il n’y a plus qu’à rebrousser.
Cela fait, je prends un café à la seule brasserie donnant sur la plage, Le Rio. Un euro soixante m’indique le ticket. L’eau, c’est dans un gobelet en plastique. On y fait à déjeuner avec buffets d’entrées et de desserts mais le lieu et l’esprit du lieu ne me plaisent guère. Dans la rue principale, perpendiculaire à la mer, ne se trouvent que des restaurants à crêpes, à pizzas, à burgers ou à tapas. C’est l’Office de Tourisme qui me sauve en m’indiquant Le S, restaurant de l’hôtel Le Petit Trianon, avenue Mindin, que je n’aurais jamais trouvé seul. « Nous y mangeons parfois », me disent les deux femmes qui me renseignent.
C’est un bel endroit peu fréquenté à l’ambiance feutrée qui propose un « menu ardoise » à quatorze euros composé de plats confectionnés « avec des produits frais et de saison ». Je choisis le camembert croustillant, l’émincé de volaille crème champignon accompagné de tagliatelles et petite ratatouille et la pêche melba. Cela mérite un demi-pichet de vin rouge de Gascogne. Celui-ci s’avère fort bon, tout comme la cuisine. A l’issue, je complimente la serveuse et la patronne, Avec le café, cela fait vingt et un euros vingt centimes, moins que la veille pour le repas décevant de Saint-Marc-sur-Mer.
Je retourne faire un peu de marche en bord de mer puis, un gros nuage bien noir approchant, je décide de retraverser la Loire. A l’arrivée, il a disparu. Au centre-ville, je pars à la recherche de l’hôtel nazairien qui m’accueillera pour la fin de mon séjour, la chambre d’hôtes d’altitude étant prise par autrui après le jeudi de l’Ascension.
Ce n’est pas simple. Certains hôtels sont définitivement fermés (Le Touraine, Le Dauphin). D’autres sont complets (Les Goélands, La Belle Etoile). Je dois encore une fois mon salut à l’Hôtel de Bretagne dont j’obtiens la dernière chambre disponible, celle dont les toilettes sont sur le palier.
Tranquillisé, je peux aller lire quelques lettres de François Truffaut sur un banc du front de mer.
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Sur un blockhaus de Saint-Brévin-les-Pins : « Breton toujours, Français jamais » (On est chez nous, version autonomiste).
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Deux autres tours identiques jouxtent celle où je rentre. Trois fois dix étages et pas un enfant. Que des retraités, m’explique mon hôte qui l’est aussi. Après vingt heures, on n’entend plus le bruit de l’ascenseur.
 

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