Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
7 juillet 2017
Je suis encore une fois à la gare de Rouen ce mercredi matin. Parmi ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien, comme dit Macron. Le train de sept heures cinquante-neuf pour Paris est à l’heure et confortable (de l’autre côté du couloir de la voiture quinze un trentenaire barbu lit un ouvrage de la Bibliothèque Verte que je n’arrive pas à identifier). Celui du retour, le dix-sept heures cinquante est une bétaillère surchauffée dans laquelle il n’est pas possible de lire. Elle ne démarre qu’à dix-huit heures et, après des ralentissements et des arrêts inopinés, arrive à Rouen avec plus de vingt minutes de retard. Entre les deux, je vaque à mes habituelles occupations.
*
Emmanuel Macron et Edouard Philippe, le visionnaire et le marchand de lunettes (sans reste à charge), celui qui voit au-delà de l’horizon et celui qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
*
Il y a ceux qui ont rien, ceux qui ont peu, ceux qui ont assez, ceux qui ont beaucoup, ceux qui ont trop.
*
Faut-il croire que tous ceux qui voyagent en première classe ont réussi. Ce qui est sûr c’est qu’en seconde classe il n’y a pas que ceux qui ne sont rien (comme dit l’autre). Le jeune étranger devant moi quand se présentent les contrôleurs fait semblant de ne pas comprendre le français ni l’anglais tout en disant être monté à Rouen et non pas au Havre (je sais qu’il n’en est rien). Cet homme qui a peu, n’a pas le droit de voyager gratuitement contrairement à la Sénatrice ou au Député qui ont réussi et ont plus qu’assez.
*
Une main tenant un téléphone à l’intérieur de la rame du métro, le reste à l’extérieur. Il faut faire quelque chose. Lui et moi tirons sur la porte. La fille va s’asseoir en se frottant le poignet.
*
L’aveugle au comptoir de Café du Faubourg : « Payez-vous s’il vous plaît ! »
*
Que de monde au Palais de Pékin, des familles, des collègues, des couples, des trios et des duos. Une jeune fille a invité sa grand-mère.
-Tu veux une bière ? lui demande-t-elle.
Mère-grand préfère l’eau de la carafe.
-Tu fais quoi le ouiquennede, tu restes à l’appart ?
Ben oui. Elle va se resservir une fois de trop.
-Tu ne vas plus savoir bouger, c’t’aprem, lui dit sa petite-fille, en qui je reconnais une Belge.
*
J’ai choisi une table proche du ventilateur. « Trente à Paris, c’est trop », me dit la restauratrice. Je l’approuve.
*
Tous les couples d’homosexuels ont une vieille copine avec qui ils vont au restaurant (à moins que ce soit la mère de l’un d’eux).
*
Des branlotines chez Book-Off.
L’une : « Pour un million d’euros, tu pourrais tuer quelqu’un ? »
Une autre : « Tu veux dire l’une d’entre nous ? »
*
Parmi les livres à un euro rapportés de la capitale : Lettres d’amour de Robert et Clara Schumann (Buchet/Chastel) et Aimer David d’Alain Jouffroy (Terrain Vague/Losfeld), ce dernier avec un envoi de l’auteur à Denise Cabelli « merci et de grand cœur ». Et puis, à cinq euros : D’un moi à l’autre (Une traversée du siècle) de Massin (Albin Michel).
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Emmanuel Macron et Edouard Philippe, le visionnaire et le marchand de lunettes (sans reste à charge), celui qui voit au-delà de l’horizon et celui qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
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Il y a ceux qui ont rien, ceux qui ont peu, ceux qui ont assez, ceux qui ont beaucoup, ceux qui ont trop.
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Faut-il croire que tous ceux qui voyagent en première classe ont réussi. Ce qui est sûr c’est qu’en seconde classe il n’y a pas que ceux qui ne sont rien (comme dit l’autre). Le jeune étranger devant moi quand se présentent les contrôleurs fait semblant de ne pas comprendre le français ni l’anglais tout en disant être monté à Rouen et non pas au Havre (je sais qu’il n’en est rien). Cet homme qui a peu, n’a pas le droit de voyager gratuitement contrairement à la Sénatrice ou au Député qui ont réussi et ont plus qu’assez.
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Une main tenant un téléphone à l’intérieur de la rame du métro, le reste à l’extérieur. Il faut faire quelque chose. Lui et moi tirons sur la porte. La fille va s’asseoir en se frottant le poignet.
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L’aveugle au comptoir de Café du Faubourg : « Payez-vous s’il vous plaît ! »
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Que de monde au Palais de Pékin, des familles, des collègues, des couples, des trios et des duos. Une jeune fille a invité sa grand-mère.
-Tu veux une bière ? lui demande-t-elle.
Mère-grand préfère l’eau de la carafe.
-Tu fais quoi le ouiquennede, tu restes à l’appart ?
Ben oui. Elle va se resservir une fois de trop.
-Tu ne vas plus savoir bouger, c’t’aprem, lui dit sa petite-fille, en qui je reconnais une Belge.
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J’ai choisi une table proche du ventilateur. « Trente à Paris, c’est trop », me dit la restauratrice. Je l’approuve.
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Tous les couples d’homosexuels ont une vieille copine avec qui ils vont au restaurant (à moins que ce soit la mère de l’un d’eux).
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Des branlotines chez Book-Off.
L’une : « Pour un million d’euros, tu pourrais tuer quelqu’un ? »
Une autre : « Tu veux dire l’une d’entre nous ? »
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Parmi les livres à un euro rapportés de la capitale : Lettres d’amour de Robert et Clara Schumann (Buchet/Chastel) et Aimer David d’Alain Jouffroy (Terrain Vague/Losfeld), ce dernier avec un envoi de l’auteur à Denise Cabelli « merci et de grand cœur ». Et puis, à cinq euros : D’un moi à l’autre (Une traversée du siècle) de Massin (Albin Michel).
6 juillet 2017
Suite des notes prises lors de ma relecture de la Correspondance de François Truffaut (Le Livre de Poche) :
Au fond je suis très primaire, très inculte (je n’en suis pas fier) ; j’ai seulement la chance d’avoir un peu le sens du cinéma et d’aimer ça. (A Jean Mambrino, un samedi de mil neuf cent cinquante-cinq)
J’ai passé, avec Madeleine, un dimanche pittoresque chez l’éditeur Buchet au Vésinet avec partie de pétanque obligatoire après déjeuner ; il y avait Nadeau, Erval, Pierre Gascar, O’Brady, Cousseau et je ne sais qui d’autre ; c’était combinard, insidieux, hypocrite, baroque et mortel… (A Marcel Moussy, mercredi vingt-quatre septembre mil neuf cent cinquante-huit)
La chef monteuse de mon film, Cécile Decugis, 27 ans, a été condamnée à cinq ans de prison ferme pour avoir loué à son nom un appartement qui servit de rendez-vous à des gens du F.L.N. (A Helen Scott, mardi vingt-neuf mars mil neuf cent soixante)
Je suis las, démoralisé, je doute de plus en plus de l’intérêt qu’il y a à faire des films. (Idem)
Il se fait tard, chère Helen, et mes doigts sont engourdis de taper ; je devrais dire mon doigt, car je tape qu’avec un seul, mais plus fort donc, et plus vite selon cette loi bien connue de la compensation qui fait, paraît-il, que les manchots baisent mieux que les non-manchots… (Idem)
Dans le cas d’A bout de souffle, il s’agissait d’une participation effective puisque j’avais écrit ce scénario depuis quatre ans et que j’avais été plusieurs fois sur le point de le réaliser moi-même. (A Georges de Beauregard, le quatorze mai mil neuf cent soixante)
Le Voyage en ballon de Lamorisse est très ennuyeux et très bête, même pour les gosses. Il fait un four à Paris et c’est justice eu égard au cynisme de Lamorisse. (A Helen Scott, le vingt-six septembre mil neuf cent soixante)
Il y a quelques années j’étais journaliste de cinéma, lorsqu’à la fin 1954 je suis allé, avec mon ami Claude Chabrol, vous interviewer au studio Saint-Maurice où vous dirigiez la postsynchronisation de To Catch a Thief. Vous nous avez demandé d’aller vous attendre au bar du studio, et c’est alors que, sous l’émotion d’avoir vu quinze fois de suite une « boucle » montrant dans un canot Brigitte Auber et Cary Grant, nous sommes tombés, Chabrol et moi, dans le bassin gelé de la cour du studio. (A Alfred Hitchcock, le deux juin mil neuf cent soixante-deux)
De même que le court métrage sur Balthus n’est pour moi qu’un prétexte à regarder tranquillement et longuement ses toiles sans perdre mon temps de cinéaste, ce bouquin sur Hitchcock n’est qu’un prétexte à m’instruire. (A Helen Scott, le mercredi vingt juin mil neuf cent soixante-deux)
Ce mépris de Hitch pour les comédiens et, malgré lui, pour les personnages est son seul handicap actuellement et, chose curieuse, c’est ce qui arrive aussi à Renoir, à Rossellini, à Hawks. Chacun réagit à sa manière pour dissimuler cela, mais c’est évident chez tous, dès qu’ils dépassent 55 ans. (A Helen Scott, avril mil neuf cent soixante-trois)
Lecture faite, ma conviction était que seul un charcutier accepterait de mettre en scène le salon Verdurin et j’ai appris que, sans vous être inquiétée outre mesure de mon silence, vous aviez justement fait appel à un charcutier, René Clément, lequel donnant une nouvelle preuve de la vulgarité effrontée qui est la sienne, a sauté sur l’occasion aussi sec. (A Nicole Stéphane, le trente et un aout mil neuf cent soixante-quatre)
Je n’apprécie pas chez Brassens la division du monde en deux : les pacifistes et les bellicistes, les intelligents et les idiots, les poètes et les bourgeois, les amoureux et les flics et, pour parler du style, le sien est tellement appliqué et laborieux qu’on devine les rimes un vers à l’avance.
Ma préférence va à Charles Trenet, Boby Lapointe et Bassiak. Ce sont les trois seuls auteurs-chanteurs que j’admire. (A un admirateur de Georges Brassens, le trente et un mai mil neuf cent soixante-cinq, Bassiak=Serge Rezvani)
Au fond je suis très primaire, très inculte (je n’en suis pas fier) ; j’ai seulement la chance d’avoir un peu le sens du cinéma et d’aimer ça. (A Jean Mambrino, un samedi de mil neuf cent cinquante-cinq)
J’ai passé, avec Madeleine, un dimanche pittoresque chez l’éditeur Buchet au Vésinet avec partie de pétanque obligatoire après déjeuner ; il y avait Nadeau, Erval, Pierre Gascar, O’Brady, Cousseau et je ne sais qui d’autre ; c’était combinard, insidieux, hypocrite, baroque et mortel… (A Marcel Moussy, mercredi vingt-quatre septembre mil neuf cent cinquante-huit)
La chef monteuse de mon film, Cécile Decugis, 27 ans, a été condamnée à cinq ans de prison ferme pour avoir loué à son nom un appartement qui servit de rendez-vous à des gens du F.L.N. (A Helen Scott, mardi vingt-neuf mars mil neuf cent soixante)
Je suis las, démoralisé, je doute de plus en plus de l’intérêt qu’il y a à faire des films. (Idem)
Il se fait tard, chère Helen, et mes doigts sont engourdis de taper ; je devrais dire mon doigt, car je tape qu’avec un seul, mais plus fort donc, et plus vite selon cette loi bien connue de la compensation qui fait, paraît-il, que les manchots baisent mieux que les non-manchots… (Idem)
Dans le cas d’A bout de souffle, il s’agissait d’une participation effective puisque j’avais écrit ce scénario depuis quatre ans et que j’avais été plusieurs fois sur le point de le réaliser moi-même. (A Georges de Beauregard, le quatorze mai mil neuf cent soixante)
Le Voyage en ballon de Lamorisse est très ennuyeux et très bête, même pour les gosses. Il fait un four à Paris et c’est justice eu égard au cynisme de Lamorisse. (A Helen Scott, le vingt-six septembre mil neuf cent soixante)
Il y a quelques années j’étais journaliste de cinéma, lorsqu’à la fin 1954 je suis allé, avec mon ami Claude Chabrol, vous interviewer au studio Saint-Maurice où vous dirigiez la postsynchronisation de To Catch a Thief. Vous nous avez demandé d’aller vous attendre au bar du studio, et c’est alors que, sous l’émotion d’avoir vu quinze fois de suite une « boucle » montrant dans un canot Brigitte Auber et Cary Grant, nous sommes tombés, Chabrol et moi, dans le bassin gelé de la cour du studio. (A Alfred Hitchcock, le deux juin mil neuf cent soixante-deux)
De même que le court métrage sur Balthus n’est pour moi qu’un prétexte à regarder tranquillement et longuement ses toiles sans perdre mon temps de cinéaste, ce bouquin sur Hitchcock n’est qu’un prétexte à m’instruire. (A Helen Scott, le mercredi vingt juin mil neuf cent soixante-deux)
Ce mépris de Hitch pour les comédiens et, malgré lui, pour les personnages est son seul handicap actuellement et, chose curieuse, c’est ce qui arrive aussi à Renoir, à Rossellini, à Hawks. Chacun réagit à sa manière pour dissimuler cela, mais c’est évident chez tous, dès qu’ils dépassent 55 ans. (A Helen Scott, avril mil neuf cent soixante-trois)
Lecture faite, ma conviction était que seul un charcutier accepterait de mettre en scène le salon Verdurin et j’ai appris que, sans vous être inquiétée outre mesure de mon silence, vous aviez justement fait appel à un charcutier, René Clément, lequel donnant une nouvelle preuve de la vulgarité effrontée qui est la sienne, a sauté sur l’occasion aussi sec. (A Nicole Stéphane, le trente et un aout mil neuf cent soixante-quatre)
Je n’apprécie pas chez Brassens la division du monde en deux : les pacifistes et les bellicistes, les intelligents et les idiots, les poètes et les bourgeois, les amoureux et les flics et, pour parler du style, le sien est tellement appliqué et laborieux qu’on devine les rimes un vers à l’avance.
Ma préférence va à Charles Trenet, Boby Lapointe et Bassiak. Ce sont les trois seuls auteurs-chanteurs que j’admire. (A un admirateur de Georges Brassens, le trente et un mai mil neuf cent soixante-cinq, Bassiak=Serge Rezvani)
5 juillet 2017
Relue pendant mon escapade de mai en Loire-Atlantique dans l’édition du Livre de Poche parue en mil huit cent quatre-vingt-huit, la Correspondance de François Truffaut bénéficie de deux préfaces, l’une de Jean-Luc Godard, l’autre de Gilles Jacob qui en a supervisé la parution :
Pourquoi me suis-je querellé avec François ? s’interroge le premier. Rien à voir avec Genet ou Fassbinder. Autre chose. Heureusement demeurée sans nom. Idiote. Demeurée.
François est peut-être mort. Je suis peut-être vivant. Il n’y a pas de différence, n’est-ce pas.
Certains amis – et des plus proches – ont jeté les lettres de Truffaut. D’autres les ont égarées. explique le second. L’exemple le plus attristant est certainement celui d’André Bazin qui ne gardait pas les lettres. D’autres, dont nous respectons la volonté, ne souhaitent pas voir publiées des lettres jugées par eux trop personnelles.
Une note de l’éditeur indique : « En accord avec la famille de François Truffaut, nous avons enlevé de rares passages qui concernent l’univers intime de l’auteur et de son entourage. » De plus, Gilles Jacob précise que la correspondance amoureuse est exclue. Tout cela est bien dommage.
Dans ce qu’il est permis de lire, j’ai noté ceci :
Je suis allé au procès de Michel Mourre ; Ariane Pathé était là, toutes aigrettes dehors ; le jugement est remis à quinzaine, mais l’acquittement ne fait aucun doute. (A Robert Lachenay, juin mil neuf cent cinquante, Michel Mourre âgé de vingt et un ans ancien novice chassé d’un couvent dominicain monta en chaire à Notre-Dame-de-Paris en plein dimanche de Pâques pour y clamer « Dieu est mort. »)
Il y a à peu près un an, elle (Jacqueline) se trouvait sur une plate-forme d’autobus lorsqu’un monsieur lui passait lentement le bras autour de la taille, tout en lui faisant vigoureusement « du pied ». Elle le remet discrètement « en place » et, trois jours après, elle va voir son amie Janine (celle que tu connais). Janine lui présente son père : « Je te présente papa ! », lequel papa ne faisait qu’un avec le monsieur de l’autobus. (A Robert Lachenay, jeudi quinze juin mil neuf cent cinquante, treize heures)
… il s’en est fallu de peu que je ne sois pas en état de répondre à ta lettre, car j’ai essayé de me suicider et j’ai 25 coups de rasoir dans le bras droit, c’était donc très sérieux. (A Robert Lachenay, vingt et un juillet mil neuf cent cinquante)
Je vais sans doute être reformé bientôt comme irresponsable et comportement inconscient. (A Robert Lachenay le cinq novembre mil neuf cent cinquante et un, Truffaut s’est engagé après une déception sentimentale et la honte d’avoir vendu à son insu les livres dudit Lachenay puis il a déserté et est embastillé)
Pourquoi me suis-je querellé avec François ? s’interroge le premier. Rien à voir avec Genet ou Fassbinder. Autre chose. Heureusement demeurée sans nom. Idiote. Demeurée.
François est peut-être mort. Je suis peut-être vivant. Il n’y a pas de différence, n’est-ce pas.
Certains amis – et des plus proches – ont jeté les lettres de Truffaut. D’autres les ont égarées. explique le second. L’exemple le plus attristant est certainement celui d’André Bazin qui ne gardait pas les lettres. D’autres, dont nous respectons la volonté, ne souhaitent pas voir publiées des lettres jugées par eux trop personnelles.
Une note de l’éditeur indique : « En accord avec la famille de François Truffaut, nous avons enlevé de rares passages qui concernent l’univers intime de l’auteur et de son entourage. » De plus, Gilles Jacob précise que la correspondance amoureuse est exclue. Tout cela est bien dommage.
Dans ce qu’il est permis de lire, j’ai noté ceci :
Je suis allé au procès de Michel Mourre ; Ariane Pathé était là, toutes aigrettes dehors ; le jugement est remis à quinzaine, mais l’acquittement ne fait aucun doute. (A Robert Lachenay, juin mil neuf cent cinquante, Michel Mourre âgé de vingt et un ans ancien novice chassé d’un couvent dominicain monta en chaire à Notre-Dame-de-Paris en plein dimanche de Pâques pour y clamer « Dieu est mort. »)
Il y a à peu près un an, elle (Jacqueline) se trouvait sur une plate-forme d’autobus lorsqu’un monsieur lui passait lentement le bras autour de la taille, tout en lui faisant vigoureusement « du pied ». Elle le remet discrètement « en place » et, trois jours après, elle va voir son amie Janine (celle que tu connais). Janine lui présente son père : « Je te présente papa ! », lequel papa ne faisait qu’un avec le monsieur de l’autobus. (A Robert Lachenay, jeudi quinze juin mil neuf cent cinquante, treize heures)
… il s’en est fallu de peu que je ne sois pas en état de répondre à ta lettre, car j’ai essayé de me suicider et j’ai 25 coups de rasoir dans le bras droit, c’était donc très sérieux. (A Robert Lachenay, vingt et un juillet mil neuf cent cinquante)
Je vais sans doute être reformé bientôt comme irresponsable et comportement inconscient. (A Robert Lachenay le cinq novembre mil neuf cent cinquante et un, Truffaut s’est engagé après une déception sentimentale et la honte d’avoir vendu à son insu les livres dudit Lachenay puis il a déserté et est embastillé)
4 juillet 2017
Sitôt après la pluie, ce samedi midi, je rejoins le Mont Riboudet par un bus Teor et y prends l’un des rares Vingt-Six dont le terminus est la salle des fêtes de Saint-Pierre-de-Varengeville près de laquelle s’est installé pour le ouiquennede le cirque Hart.
Nulle vie dans ce village, je dois me débrouiller seul pour trouver le Centre d’Art Contemporain de la Matmut où je viens pour la première fois, attiré là par l’exposition Connivences consacrée à Henri Cueco, mort récemment, dont je ne connais que le Mur aux chiens de Val-de-Reuil pour être passé devant quotidiennement pendant des années et la voix pour l’avoir entendue pendant des années dans Les Papous dans la tête de France Culture.
Le Centre d’Art Contemporain de la Matmut est dans un château très Moulinsart entouré d’un vaste parc où a été construit un discret bâtiment blanc près duquel se trouve l’entrée. Un homme y veille qui me dit d’aller directement au château. La porte franchie, une jeune fille me tend une feuille plastifiée reprenant des articles consacrés à Henri Cueco.
Je suis seul pour visiter ses relectures de Rembrandt, De Champaigne, Poussin, Ingres et Cézanne, lesquelles sont installées au rez-de-chaussée et dans un beau sous-sol voûté en brique rouge. Cette démarche picturale, faite de fragmentation et de reconstruction, m’intéresse peu. Je préfère les quelques tableaux de séries : rosiers, ronces, églantiers, bogues de châtaigne, pommes de terre, babioles. Une vaste écran partagé en quatre montre en gros plan le visage de Cueco, couronne de cheveux blancs et lunettes rondes. Il donne son alphabet personnel. Je l’écoute expliquer R comme raisonnable, S comme série et T comme toile puis descends dans la crypte où est montré de façon permanente le panthéon personnel du sculpteur local Philippe Garel, une dizaine de têtes de maîtres anciens et modernes.
Remonté, je rends la feuille plastifiée à la jeune fille de l’accueil.
-Quel est votre code postal ? me demande-t-elle.
Je suis tout aussi seul dans le parc parsemé de sculptures monumentales. J’en fais le tour, explorant le jardin labyrinthique et le jardin japonais, puis je retourne au centre du village, toujours aussi mort. Sauf au Péhemmu, mais sa clientèle me dissuade d’y entrer. Je préfère prendre un café (un euro) à La Petite Fringale où un couple termine de déjeuner. A peine sont-ils partis que la patronne me met dehors :
-Je suis désolée, monsieur, mais on est obligé de fermer, j’aurais dû vous le dire en arrivant.
Heureusement, l’heure du bus de retour approche, qu’attendent aussi les jolies filles du village, désireuses de rejoindre l’animation rouennaise.
A l’arrivée, je descends du Teor bondé à Théâtre des Arts et termine à pied. Rue aux Ours, une jeune fille se précipite sur un quinquagénaire, Elle le bouscule. « Eh dis donc toi salope », lui dit-il. « Voleur », lui répond-elle en tirant de son sac ce qui doit être un drap ou un rideau. « T’allais m’arracher ma chaîne », crie-t-il tandis que, tournant le coin, cette intrépide vendeuse entre au magasin Eurodif.
*
La conductrice du bus Vingt-Six à un voyageur qui lui demande si elle va bien à Rouen : « Oui oui, j’ai oublié de changer la girouette ». Ainsi donc s’appelle l’affichage lumineux des bus, des cars et autres véhicules de transport en commun.
Nulle vie dans ce village, je dois me débrouiller seul pour trouver le Centre d’Art Contemporain de la Matmut où je viens pour la première fois, attiré là par l’exposition Connivences consacrée à Henri Cueco, mort récemment, dont je ne connais que le Mur aux chiens de Val-de-Reuil pour être passé devant quotidiennement pendant des années et la voix pour l’avoir entendue pendant des années dans Les Papous dans la tête de France Culture.
Le Centre d’Art Contemporain de la Matmut est dans un château très Moulinsart entouré d’un vaste parc où a été construit un discret bâtiment blanc près duquel se trouve l’entrée. Un homme y veille qui me dit d’aller directement au château. La porte franchie, une jeune fille me tend une feuille plastifiée reprenant des articles consacrés à Henri Cueco.
Je suis seul pour visiter ses relectures de Rembrandt, De Champaigne, Poussin, Ingres et Cézanne, lesquelles sont installées au rez-de-chaussée et dans un beau sous-sol voûté en brique rouge. Cette démarche picturale, faite de fragmentation et de reconstruction, m’intéresse peu. Je préfère les quelques tableaux de séries : rosiers, ronces, églantiers, bogues de châtaigne, pommes de terre, babioles. Une vaste écran partagé en quatre montre en gros plan le visage de Cueco, couronne de cheveux blancs et lunettes rondes. Il donne son alphabet personnel. Je l’écoute expliquer R comme raisonnable, S comme série et T comme toile puis descends dans la crypte où est montré de façon permanente le panthéon personnel du sculpteur local Philippe Garel, une dizaine de têtes de maîtres anciens et modernes.
Remonté, je rends la feuille plastifiée à la jeune fille de l’accueil.
-Quel est votre code postal ? me demande-t-elle.
Je suis tout aussi seul dans le parc parsemé de sculptures monumentales. J’en fais le tour, explorant le jardin labyrinthique et le jardin japonais, puis je retourne au centre du village, toujours aussi mort. Sauf au Péhemmu, mais sa clientèle me dissuade d’y entrer. Je préfère prendre un café (un euro) à La Petite Fringale où un couple termine de déjeuner. A peine sont-ils partis que la patronne me met dehors :
-Je suis désolée, monsieur, mais on est obligé de fermer, j’aurais dû vous le dire en arrivant.
Heureusement, l’heure du bus de retour approche, qu’attendent aussi les jolies filles du village, désireuses de rejoindre l’animation rouennaise.
A l’arrivée, je descends du Teor bondé à Théâtre des Arts et termine à pied. Rue aux Ours, une jeune fille se précipite sur un quinquagénaire, Elle le bouscule. « Eh dis donc toi salope », lui dit-il. « Voleur », lui répond-elle en tirant de son sac ce qui doit être un drap ou un rideau. « T’allais m’arracher ma chaîne », crie-t-il tandis que, tournant le coin, cette intrépide vendeuse entre au magasin Eurodif.
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La conductrice du bus Vingt-Six à un voyageur qui lui demande si elle va bien à Rouen : « Oui oui, j’ai oublié de changer la girouette ». Ainsi donc s’appelle l’affichage lumineux des bus, des cars et autres véhicules de transport en commun.
3 juillet 2017
En chemin ce vendredi soir pour le Théâtre des Deux Rives, où se donnent les travaux de fin d’année de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Rouen, je dois m’abriter sous un auvent de la rue de la République pour laisser passer l’orage. Les trombes d’eau terminées, je veille à ne pas me faire trop éclabousser et arrive, mouillé mais pas trempé, suffisamment tôt pour être le premier à entrer dans la salle.
Je n’en connais qu’un siège, le mien, situé à mi-rangée du cinquième rang près d’un escalier qui s’arrête là, et m’y dirige hardiment. Las, il est marqué réservé, comme ses voisins ; l’un des membres du jury y posera ses fesses.
Je me rabats sur le siège central de la rangée précédente qui a l’avantage d’être devant la dernière marche de l’escalier. Ne pas avoir de voisin derrière soi, c’est déjà ça. A ma gauche est une fille venue avec deux autres, à ma droite personne.
Jean Genet est au programme avec un montage comprenant Le Condamné à mort et des scènes tirées du Balcon, des Paravents et de Haute Surveillance, deux heures pour la première partie, une heure vingt pour la seconde.
Sur le plateau, cinq lits superposés métalliques et un tableau noir pivotant comme on en trouve encore dans les écoles figurent l’univers carcéral dans lequel sont enfermé(e)s les quinze apprenti(e)s comédien(ne)s. Côté jardin est assis un pianiste.
La voix de Jean Genet se fait entendre, évoquant sa vie, tandis qu’entrent en scène les interprètes. Ce n’est pas un auteur vers lequel me porte mes goûts littéraires mais je suis vite séduit par le jeu des apprentis et la mise en scène tonique des tableaux extraits des œuvres du radical auteur, lesquels sont entrecoupés de moments chantés accompagnés au piano. Concentré sur ce que je vois et entends, je suis surpris par une masse qui se laisse choir derrière moi. Ce retardataire assis dans les marches est l’un des membres du jury. Il a de plus la manie de tousser pendant les moments musicaux.
Après l’entracte, ce rustre trouve place sur l’un des sièges réservés. Il tousse donc d’un peu plus loin et ne peut totalement troubler mon écoute de la belle interprétation de la chanson Le Condamné à mort dont la musique est d’Hélène Martin. Les quinze apprenti(e)s ont bien des talents, notamment celui de savoir chanter. Elles et eux ont pour nom Nabil Abdelkader-Berrehil, Clémence Ardoin, Hugo Bindel, Jordan Cado, Inès Chouquet, Vladimir Delaye, Destin Destinée, Andréas Goupil, Lorraine Kerlo Aurégan, Charles Levasseur, Charles Michel, Émilie Momplay, Héléna Nondier, Adèle Rawinski et Kim Verschueren. Il est à espérer que le spectacle professionnel ait une place pour chacun(e), et pour le pianiste compositeur et arrangeur Victor Pognon par ailleurs remarquable chanteur.
Pour l’instant, toutes et tous sont applaudis debout et pour une fois Maurice Attias, leur professeur, les rejoint sur scène. Il en profite pour remercier chaleureusement David Bobée, Directeur du Centre Dramatique National Normandie-Rouen, d’avoir mis les moyens de sa structure au service des débutants de l’année.
Point d’orage quand je redescends la rue Louis-Ricard mais à l’arrivée c’est l’obscurité totale. L’éclairage public ne fonctionne pas dans le quartier Saint-Romain. Mettre ses clés dans les serrures correspondantes quand on n’a pas de téléphone pour faire lampe de poche nécessite de la persévérance et un peu de chance.
*
Une botte de paille à demi répandue abandonnée à l’entrée de la ruelle me donne à penser que l’absence d’éclairage public est due au passage de l’équipe de tournage de la série Parnasse qui évoquera la vie de l’éditeur Poulet-Malassis.
La semaine dernière celle-ci était sous mes fenêtres.
-Tu vas pouvoir monter là-haut, entendis-je l’un dire à un autre.
Ouvrant ma fenêtre, je signalais à ces messieurs qu’avant d’envisager l’escalade, il aurait été bon de m’en avertir.
Avoir une caméra dans les mains, même pour filmer une série diffusée sur le ouaibe, semble vous donner tous les droits. J’ai déjà eu affaire à des sans-gêne de cette sorte avec la télévision privée française pour Les Misérables et la télévision publique anglaise pour Madame Bovary.
Je n’en connais qu’un siège, le mien, situé à mi-rangée du cinquième rang près d’un escalier qui s’arrête là, et m’y dirige hardiment. Las, il est marqué réservé, comme ses voisins ; l’un des membres du jury y posera ses fesses.
Je me rabats sur le siège central de la rangée précédente qui a l’avantage d’être devant la dernière marche de l’escalier. Ne pas avoir de voisin derrière soi, c’est déjà ça. A ma gauche est une fille venue avec deux autres, à ma droite personne.
Jean Genet est au programme avec un montage comprenant Le Condamné à mort et des scènes tirées du Balcon, des Paravents et de Haute Surveillance, deux heures pour la première partie, une heure vingt pour la seconde.
Sur le plateau, cinq lits superposés métalliques et un tableau noir pivotant comme on en trouve encore dans les écoles figurent l’univers carcéral dans lequel sont enfermé(e)s les quinze apprenti(e)s comédien(ne)s. Côté jardin est assis un pianiste.
La voix de Jean Genet se fait entendre, évoquant sa vie, tandis qu’entrent en scène les interprètes. Ce n’est pas un auteur vers lequel me porte mes goûts littéraires mais je suis vite séduit par le jeu des apprentis et la mise en scène tonique des tableaux extraits des œuvres du radical auteur, lesquels sont entrecoupés de moments chantés accompagnés au piano. Concentré sur ce que je vois et entends, je suis surpris par une masse qui se laisse choir derrière moi. Ce retardataire assis dans les marches est l’un des membres du jury. Il a de plus la manie de tousser pendant les moments musicaux.
Après l’entracte, ce rustre trouve place sur l’un des sièges réservés. Il tousse donc d’un peu plus loin et ne peut totalement troubler mon écoute de la belle interprétation de la chanson Le Condamné à mort dont la musique est d’Hélène Martin. Les quinze apprenti(e)s ont bien des talents, notamment celui de savoir chanter. Elles et eux ont pour nom Nabil Abdelkader-Berrehil, Clémence Ardoin, Hugo Bindel, Jordan Cado, Inès Chouquet, Vladimir Delaye, Destin Destinée, Andréas Goupil, Lorraine Kerlo Aurégan, Charles Levasseur, Charles Michel, Émilie Momplay, Héléna Nondier, Adèle Rawinski et Kim Verschueren. Il est à espérer que le spectacle professionnel ait une place pour chacun(e), et pour le pianiste compositeur et arrangeur Victor Pognon par ailleurs remarquable chanteur.
Pour l’instant, toutes et tous sont applaudis debout et pour une fois Maurice Attias, leur professeur, les rejoint sur scène. Il en profite pour remercier chaleureusement David Bobée, Directeur du Centre Dramatique National Normandie-Rouen, d’avoir mis les moyens de sa structure au service des débutants de l’année.
Point d’orage quand je redescends la rue Louis-Ricard mais à l’arrivée c’est l’obscurité totale. L’éclairage public ne fonctionne pas dans le quartier Saint-Romain. Mettre ses clés dans les serrures correspondantes quand on n’a pas de téléphone pour faire lampe de poche nécessite de la persévérance et un peu de chance.
*
Une botte de paille à demi répandue abandonnée à l’entrée de la ruelle me donne à penser que l’absence d’éclairage public est due au passage de l’équipe de tournage de la série Parnasse qui évoquera la vie de l’éditeur Poulet-Malassis.
La semaine dernière celle-ci était sous mes fenêtres.
-Tu vas pouvoir monter là-haut, entendis-je l’un dire à un autre.
Ouvrant ma fenêtre, je signalais à ces messieurs qu’avant d’envisager l’escalade, il aurait été bon de m’en avertir.
Avoir une caméra dans les mains, même pour filmer une série diffusée sur le ouaibe, semble vous donner tous les droits. J’ai déjà eu affaire à des sans-gêne de cette sorte avec la télévision privée française pour Les Misérables et la télévision publique anglaise pour Madame Bovary.
30 juin 2017
Quelques gouttes m’obligent au parapluie ce jeudi soir pour me rendre du côté de la Croix de Pierre, précisément au six bis de la rue Edouard-Adam au lieu-dit La Plateforme. Guillaume Painchault, ancien du Point Limite, y convie à la signature par la jeune Charlotte Romer du photozine Vanishing point qu’il vient de créer, « édité à cinquante exemplaires numérotés sur papier Multidesign Naturel à Rouen ». Elle est l’invitée du premier numéro et quand j’arrive se tient devant la porte une bière à la main.
Sophie Crouvezier, propriétaire de l’endroit, vient me dire qu’elle m’a déjà vu quelque part et m’explique ce qu’elle veut en faire : un espace de rencontre entre les arts sonores et les arts visuels, un lieu d'apprentissage et de création autour de la gravure et de la photographie, tout cela dans un esprit citoyen. Dès que j’entends ce mot, mes oreilles se ferment.
Les photos en couleur de Charlotte Romer sont prises lors de soirées parisiennes bien arrosées quand elle-même est bourrée (dit-elle). Elles montrent une jeunesse un peu déglinguée comme il est parfois d’usage à cette période de la vie, des dérives à la Larry Clark dans une esthétique à la Nan Goldin.
-Elle ne les connaît peut-être pas, me dit Guillaume Painchault.
Je ne lui pose pas la question. Je paie les sept euros demandés pour ce premier numéro et elle me le signe après l’avoir numéroté d’un trois, bien que je sois le deuxième acheteur. Comme Verlaine, je préfère l’impair.
Il faudrait adhérer à La Plateforme avant de pouvoir prendre un verre aussi c’est la gorge sèche que je rentre, passant devant Le Son du Cor qui ce soir est entre les mains des écolos locaux pour une Green Teuf Climat, une action citoyenne et festive particulièrement éthique.
« Climat agissons dès maintenant, nos enfants nous remercieront », est-il affiché face au café. Comme si le désastre ne se conjuguait pas au présent. Cela fait au moins quarante ans que le problème est posé. Les enfants ont eu le temps de grandir. Le futur, c’est maintenant.
*
La Plateforme est un « espace éthique ESS », lis-je sur sa page Effe Bé. Va savoir ce que ça veut dire.
*
Rue Eau de Robec, pas loin du Son du Cor, on trouve depuis quelques mois une boutique de fruits et légumes nommée Le Marché du Robec « agriculture bio et raisonnée » « produits locaux et de saison en circuit court ». Il y a encore deux ou trois ans, presque en face, se tenait une boucherie.
*
En quatrième de couverture du numéro un de Vanishing point :
« Des personnalités, des noctambules, traversant la vie pataugeant après leurs rêves. Je parle d’amour, de musique. La crasse, la transpi et l’alcool. Loin des excès de pose ou de raffinement, dans l’ordinaire, le laid ou le vulgaire, les émotions et la grâce sous-jacente qui donnent ce relief particulier au quotidien.
A travers mes photos je célèbre la mélancolie sourde de ma génération.
A travers mes errances, et les leurs.
A travers nos excès.
Je m’appelle Charlotte Romer, j’ai 21 ans.
Nous voici. »
Comme un antidote aux préoccupations citoyennes et éthiques du lieu qui l’accueille ce jeudi et où ses photos seront exposées en septembre prochain.
Sophie Crouvezier, propriétaire de l’endroit, vient me dire qu’elle m’a déjà vu quelque part et m’explique ce qu’elle veut en faire : un espace de rencontre entre les arts sonores et les arts visuels, un lieu d'apprentissage et de création autour de la gravure et de la photographie, tout cela dans un esprit citoyen. Dès que j’entends ce mot, mes oreilles se ferment.
Les photos en couleur de Charlotte Romer sont prises lors de soirées parisiennes bien arrosées quand elle-même est bourrée (dit-elle). Elles montrent une jeunesse un peu déglinguée comme il est parfois d’usage à cette période de la vie, des dérives à la Larry Clark dans une esthétique à la Nan Goldin.
-Elle ne les connaît peut-être pas, me dit Guillaume Painchault.
Je ne lui pose pas la question. Je paie les sept euros demandés pour ce premier numéro et elle me le signe après l’avoir numéroté d’un trois, bien que je sois le deuxième acheteur. Comme Verlaine, je préfère l’impair.
Il faudrait adhérer à La Plateforme avant de pouvoir prendre un verre aussi c’est la gorge sèche que je rentre, passant devant Le Son du Cor qui ce soir est entre les mains des écolos locaux pour une Green Teuf Climat, une action citoyenne et festive particulièrement éthique.
« Climat agissons dès maintenant, nos enfants nous remercieront », est-il affiché face au café. Comme si le désastre ne se conjuguait pas au présent. Cela fait au moins quarante ans que le problème est posé. Les enfants ont eu le temps de grandir. Le futur, c’est maintenant.
*
La Plateforme est un « espace éthique ESS », lis-je sur sa page Effe Bé. Va savoir ce que ça veut dire.
*
Rue Eau de Robec, pas loin du Son du Cor, on trouve depuis quelques mois une boutique de fruits et légumes nommée Le Marché du Robec « agriculture bio et raisonnée » « produits locaux et de saison en circuit court ». Il y a encore deux ou trois ans, presque en face, se tenait une boucherie.
*
En quatrième de couverture du numéro un de Vanishing point :
« Des personnalités, des noctambules, traversant la vie pataugeant après leurs rêves. Je parle d’amour, de musique. La crasse, la transpi et l’alcool. Loin des excès de pose ou de raffinement, dans l’ordinaire, le laid ou le vulgaire, les émotions et la grâce sous-jacente qui donnent ce relief particulier au quotidien.
A travers mes photos je célèbre la mélancolie sourde de ma génération.
A travers mes errances, et les leurs.
A travers nos excès.
Je m’appelle Charlotte Romer, j’ai 21 ans.
Nous voici. »
Comme un antidote aux préoccupations citoyennes et éthiques du lieu qui l’accueille ce jeudi et où ses photos seront exposées en septembre prochain.
29 juin 2017
Point de sept heures cinquante-neuf pour Paris en gare de Rouen ce mercredi matin, un bagage suspect en gare du Havre en a empêché le départ, plus qu’à se rabattre sur l’omnibus de huit heures douze. Dès Val-de-Reuil, les entrants voyagent debout et après l’arrêt à Mantes, c’est aussi serré que dans un métro parisien en heure de pointe.
A l’arrivée, j’entends que le métro Huit dysfonctionne en raison d’un problème de signalisation, « Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée ». Du coup, je passe d’abord par le Book-Off de Quatre-Septembre où j’entre peu après dix heures. On n’y solde pas. J’en repars peu chargé.
La ligne Huit ne va pas mieux. Elle m’emmène quand même à Ledru-Rollin d’où à pied je rejoins le marché d’Aligre. Certains marchands ne sont pas là. Les deux qui vendent toujours des livres n’ont rien de pimpant à proposer.
A presque midi, je m’installe au Rallye, le Péhemmu chinois dont j’apprécie toujours autant le confit de canard pommes sautées. En le dégustant, j’observe celles et ceux qui n’ont pas grand-chose à perdre et le perdent avec constance.
Après le café, j’entre au Book-Off voisin qui ne solde pas davantage. J’y trouve un peu plus dans les livres à un euro, dont Le fantôme de Chopin de Thierry Martin-Scherrer publié par Lettres Vives, un exemplaire bénéficiant d’un envoi de l’auteur à Michel Braudeau : « Ecouter est le verbe évangélique par excellence » Barthes. En témoignage de chaleureuse estime. »
Sorti de là, je vais chez Emmaüs, rue de Charonne. La chaleur de la semaine précédente y est toujours présente, ce qui n’incite pas à rester longtemps. C’est pourtant ce que je fais pour cause d’averse orageuse à l’extérieur, discutant avec l’un des vendeurs qui aimerait me vendre un service à thé.
-A part les livres, lui dis-je, je n’ai besoin de rien. Ah si, un casse-noix.
Justement, il en a un dans la réserve. Il l’a mis de côté pour empêcher qu’il soit volé. Le caissier me le propose à un euro cinquante. Je vais pouvoir jeter celui, complètement rouillé, dont j’usais pour ouvrir les pistaches récalcitrantes.
La drache calmée, je vais à pied du côté du Père Lachaise et trouve quelques autres livres dans une caverne surchauffée dont je ressors en sueur. Par la ligne Trois, je retourne à Saint-Lazare. En chemin montent dans la rame six trentenaires, hommes et femmes, dont l’une chante La Bohème d’Aznavour.
-Je ne vais pas faire la manche messieurs dames, vos tickets s’il vous plaît.
C’est la première fois que j’assiste à un contrôle à l’intérieur d’une rame du métro parisien. Tout le monde est en règle.
Le dix-huit heures vingt-cinq est supprimé « pour cause de maintien en maintenance ». C’est ainsi tous les jours depuis au moins une semaine et ce le sera jusqu’au prochain changement d’horaire. Je dois donc prendre le précédent, celui de dix-sept heures cinquante. Il est mis à quai avec dix minutes de retard. Y monte Christophe Bouillon, Député, Socialiste, venant de l’Assemblée Nationale. Nous ne sommes pas dans la même voiture, pour la raison qu’il voyage en première, gratuitement.
*
Je sais pourquoi Christophe Bouillon n’a pas eu de candidat La République En Marche face à lui et a donc pu être facilement réélu. La commission d’investiture d’En Marche s’est mélangé les pinceaux dans les numéros de circonscriptions de Seine-Maritime. C’est Guillaume Bachelay, Socialiste, ancien numéro deux du Parti, qui aurait dû avoir ce privilège, obtenu d’Emmanuel Macron lui-même suite à une intervention de Laurent Fabius. Le Canard Enchaîné raconte cela ce mercredi.
*
Un train qui ne circule pas est un train qui arrive à l’heure. Primordial pour les statistiques en ce mois de juin pendant lequel ils sont majoritairement en retard (et pas qu’un peu) sur la ligne Paris Rouen Le Havre.
*
Lettres Vives est l’un des rares éditeurs publiant encore des livres dont il faut couper les pages. Ainsi en est-il pour Le fantôme de Chopin de Thierry Martin-Scherrer.
Michel Braudeau a égaré son coupe-papier, à moins qu’il ne soit complètement rouillé.
A l’arrivée, j’entends que le métro Huit dysfonctionne en raison d’un problème de signalisation, « Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée ». Du coup, je passe d’abord par le Book-Off de Quatre-Septembre où j’entre peu après dix heures. On n’y solde pas. J’en repars peu chargé.
La ligne Huit ne va pas mieux. Elle m’emmène quand même à Ledru-Rollin d’où à pied je rejoins le marché d’Aligre. Certains marchands ne sont pas là. Les deux qui vendent toujours des livres n’ont rien de pimpant à proposer.
A presque midi, je m’installe au Rallye, le Péhemmu chinois dont j’apprécie toujours autant le confit de canard pommes sautées. En le dégustant, j’observe celles et ceux qui n’ont pas grand-chose à perdre et le perdent avec constance.
Après le café, j’entre au Book-Off voisin qui ne solde pas davantage. J’y trouve un peu plus dans les livres à un euro, dont Le fantôme de Chopin de Thierry Martin-Scherrer publié par Lettres Vives, un exemplaire bénéficiant d’un envoi de l’auteur à Michel Braudeau : « Ecouter est le verbe évangélique par excellence » Barthes. En témoignage de chaleureuse estime. »
Sorti de là, je vais chez Emmaüs, rue de Charonne. La chaleur de la semaine précédente y est toujours présente, ce qui n’incite pas à rester longtemps. C’est pourtant ce que je fais pour cause d’averse orageuse à l’extérieur, discutant avec l’un des vendeurs qui aimerait me vendre un service à thé.
-A part les livres, lui dis-je, je n’ai besoin de rien. Ah si, un casse-noix.
Justement, il en a un dans la réserve. Il l’a mis de côté pour empêcher qu’il soit volé. Le caissier me le propose à un euro cinquante. Je vais pouvoir jeter celui, complètement rouillé, dont j’usais pour ouvrir les pistaches récalcitrantes.
La drache calmée, je vais à pied du côté du Père Lachaise et trouve quelques autres livres dans une caverne surchauffée dont je ressors en sueur. Par la ligne Trois, je retourne à Saint-Lazare. En chemin montent dans la rame six trentenaires, hommes et femmes, dont l’une chante La Bohème d’Aznavour.
-Je ne vais pas faire la manche messieurs dames, vos tickets s’il vous plaît.
C’est la première fois que j’assiste à un contrôle à l’intérieur d’une rame du métro parisien. Tout le monde est en règle.
Le dix-huit heures vingt-cinq est supprimé « pour cause de maintien en maintenance ». C’est ainsi tous les jours depuis au moins une semaine et ce le sera jusqu’au prochain changement d’horaire. Je dois donc prendre le précédent, celui de dix-sept heures cinquante. Il est mis à quai avec dix minutes de retard. Y monte Christophe Bouillon, Député, Socialiste, venant de l’Assemblée Nationale. Nous ne sommes pas dans la même voiture, pour la raison qu’il voyage en première, gratuitement.
*
Je sais pourquoi Christophe Bouillon n’a pas eu de candidat La République En Marche face à lui et a donc pu être facilement réélu. La commission d’investiture d’En Marche s’est mélangé les pinceaux dans les numéros de circonscriptions de Seine-Maritime. C’est Guillaume Bachelay, Socialiste, ancien numéro deux du Parti, qui aurait dû avoir ce privilège, obtenu d’Emmanuel Macron lui-même suite à une intervention de Laurent Fabius. Le Canard Enchaîné raconte cela ce mercredi.
*
Un train qui ne circule pas est un train qui arrive à l’heure. Primordial pour les statistiques en ce mois de juin pendant lequel ils sont majoritairement en retard (et pas qu’un peu) sur la ligne Paris Rouen Le Havre.
*
Lettres Vives est l’un des rares éditeurs publiant encore des livres dont il faut couper les pages. Ainsi en est-il pour Le fantôme de Chopin de Thierry Martin-Scherrer.
Michel Braudeau a égaré son coupe-papier, à moins qu’il ne soit complètement rouillé.
27 juin 2017
Huit minutes d’attente pour le métro Cinq dont le terminus est la place d’Italie. Le dimanche à Paris, c’est presque la province. J’y côtoie trois garçons exténués dont l’un caresse l’épaule d’un autre. Le retour des festivités d’après la Marche des Fiertés (autrefois Gay Pride) est difficile. Ils descendent à Gare d’Austerlitz. A la station Place d’Italie, pour choisir la bonne sortie, je n’ai qu’à suivre les hommes seuls porteurs d’un sac à dos.
Il est sept heures et demie. C’est la première fois que je mets le pied au vide grenier de la Butte aux Cailles avant que tous les exposants soient installés. Comme on est civilisé dans le quartier, cela se passe avec courtoisie. Nul ne s’énerve dans les rues étroites et labyrinthiques où je sais désormais me repérer. Dès le troisième stand je trouve de quoi m’arrêter : Contes immoraux du XVIIIe siècle (Bouquins/Laffont) et Proust et ses amis (Les Cahiers de la Nrf/Gallimard). La vendeuse me demande quatre euros pour les deux. Je paie sans discuter. Un peu plus loin sont les Amis de la Commune de Paris qui proposent une tablée de livres à cinquante centimes. Aurais-je été à Rouen que je me serais chargé de quelques-uns mais là je préfère me réserver pour mieux car tout cela est lourd.
Ce mieux, je l’espère chez un grand barbu maigre à longs cheveux grisonnants dont la veste est encore plus déchirée que la mienne. Il est là chaque année et a tout du bouquiniste, du moins pourrait-il l’être. Quand je m’approche, il m’accueille d’un « La boutique n’est pas encore ouverte ! », qui me rappelle ce que m’a dit l’un d’eux autrefois à Rouen : « Les bouquinistes sont tous des caractériels ».
Je poursuis mon chemin et trouve à me plaire au stand d’une charmante vendeuse. Pour cinq euros, elle me cède Souvenirs désordonnés de José Corti (Librairie José Corti), Pour Louis de Funès précédé de Lettre aux acteurs de Valère Novarina (Actes Sud), Sens unique de Walter Benjamin (Petite Bibliothèque Payot) et Eloge de la philosophie antique de Pierre Hadot (Allia), ce dernier avec un envoi de l’auteur à Michel Grodent.
Côté acheteurs et acheteuses, il y a du monde dans les rues étroites sans que cela soit une gêne.
Je repasse par chez le bouquiniste revêche, et constatant qu’il a presque terminé d’installer tous ses livres soigneusement sur la tranche, j’attends le feu vert à proximité. Il envoie bouillir un dernier impatient puis soudain devenu aimable se met à crier « Un euro le livre, un euro ». L’an dernier, je lui en ai acheté pas mal mais cette année je n’en acquiers que deux : la Correspondance entre Mishima et Kawabata (Albin Michel) et le Dictionnaire des œuvres érotiques préfacé par Pascal Pia (Bouquins/Laffont).
Mon sac déjà lourd, je m’offre un café verre d’eau à la terrasse de l’Auberge de la Butte face à L’Oisive Thé que j’imagine tenu par une ancienne coiffeuse. J’observe les chalands qui passent, dont certains mériteraient la photo. C’est ainsi que j’aperçois l’un dont je pensais bien qu’il serait ici. Je le hèle deux fois avant qu’il me repère.
-Ce n’est pas le prénom par lequel je m’attends le plus à être appelé, me dit-il
C’est vrai qu’il en a un autre, celui de sa naissance. Il n’a pas le temps de prendre quelque chose mais nous échangeons un peu sur nos écritures respectives et les vide greniers parisiens avant qu’il poursuive son chemin. « A bientôt », me dit-il. C’est une façon de parler (comme on dit).
Je refais le circuit, trouve quelques autres livres à mettre dans un deuxième sac puis à midi m’installe pour déjeuner à la terrasse de Chez Mamane (Au Passage des Artistes) qui propose un couscous royal pour treize euros cinquante. Le patron est de bonne humeur, le couscous copieux et bon malgré le bœuf trop cuit de la brochette. Le quart de vin est à six euros, il les vaut. Sur le trottoir d’en face s’installent tardivement deux jeunes Africaines qui passent un boubou afin que les objets qu’elles vendent aient l’air plus traditionnels.
A l’issue du repas, je renonce à parcourir une dernière fois toutes les rues de la Butte aux Cailles, désormais encombrées, mais n’en trouve pas moins un ultime livre à mon goût : Lettres croisées de Paul Cézanne et Emile Zola (Gallimard). Sa propriétaire m’en demande cinq euros puis me le laisse à trois.
Un autre vide grenier se tient dans le treizième arrondissement, place de Rungis. Je le rejoins pédestrement avec mes sacs à bout de bras. L’ambiance y est fort différente. La marchandise est autour de la place et dans des rues avoisinantes, en plein soleil. Les vendeuses et vendeurs semblent fatigués. Les acheteurs et acheteuses sont rares. Dans cette chaleur décourageante, je me penche sur des cartons de livres le plus souvent sans intérêt. J’achète quand même un dernier livre pour cinquante centimes à deux nymphettes surveillées de loin par leur mère : Lettres de voyage de Pierre Teilhard de Chardin (Les Cahiers Rouges/Grasset).
A dix-sept heures dix-neuf démarre mon train de retour sans qu’aucun message n’en ait averti. Les arrêts ne sont pas davantage indiqués. Il semblerait que le dimanche, on puisse circuler sans personnel à bord. Du moins arrivons-nous à l’heure en gare de Rouen.
Il est sept heures et demie. C’est la première fois que je mets le pied au vide grenier de la Butte aux Cailles avant que tous les exposants soient installés. Comme on est civilisé dans le quartier, cela se passe avec courtoisie. Nul ne s’énerve dans les rues étroites et labyrinthiques où je sais désormais me repérer. Dès le troisième stand je trouve de quoi m’arrêter : Contes immoraux du XVIIIe siècle (Bouquins/Laffont) et Proust et ses amis (Les Cahiers de la Nrf/Gallimard). La vendeuse me demande quatre euros pour les deux. Je paie sans discuter. Un peu plus loin sont les Amis de la Commune de Paris qui proposent une tablée de livres à cinquante centimes. Aurais-je été à Rouen que je me serais chargé de quelques-uns mais là je préfère me réserver pour mieux car tout cela est lourd.
Ce mieux, je l’espère chez un grand barbu maigre à longs cheveux grisonnants dont la veste est encore plus déchirée que la mienne. Il est là chaque année et a tout du bouquiniste, du moins pourrait-il l’être. Quand je m’approche, il m’accueille d’un « La boutique n’est pas encore ouverte ! », qui me rappelle ce que m’a dit l’un d’eux autrefois à Rouen : « Les bouquinistes sont tous des caractériels ».
Je poursuis mon chemin et trouve à me plaire au stand d’une charmante vendeuse. Pour cinq euros, elle me cède Souvenirs désordonnés de José Corti (Librairie José Corti), Pour Louis de Funès précédé de Lettre aux acteurs de Valère Novarina (Actes Sud), Sens unique de Walter Benjamin (Petite Bibliothèque Payot) et Eloge de la philosophie antique de Pierre Hadot (Allia), ce dernier avec un envoi de l’auteur à Michel Grodent.
Côté acheteurs et acheteuses, il y a du monde dans les rues étroites sans que cela soit une gêne.
Je repasse par chez le bouquiniste revêche, et constatant qu’il a presque terminé d’installer tous ses livres soigneusement sur la tranche, j’attends le feu vert à proximité. Il envoie bouillir un dernier impatient puis soudain devenu aimable se met à crier « Un euro le livre, un euro ». L’an dernier, je lui en ai acheté pas mal mais cette année je n’en acquiers que deux : la Correspondance entre Mishima et Kawabata (Albin Michel) et le Dictionnaire des œuvres érotiques préfacé par Pascal Pia (Bouquins/Laffont).
Mon sac déjà lourd, je m’offre un café verre d’eau à la terrasse de l’Auberge de la Butte face à L’Oisive Thé que j’imagine tenu par une ancienne coiffeuse. J’observe les chalands qui passent, dont certains mériteraient la photo. C’est ainsi que j’aperçois l’un dont je pensais bien qu’il serait ici. Je le hèle deux fois avant qu’il me repère.
-Ce n’est pas le prénom par lequel je m’attends le plus à être appelé, me dit-il
C’est vrai qu’il en a un autre, celui de sa naissance. Il n’a pas le temps de prendre quelque chose mais nous échangeons un peu sur nos écritures respectives et les vide greniers parisiens avant qu’il poursuive son chemin. « A bientôt », me dit-il. C’est une façon de parler (comme on dit).
Je refais le circuit, trouve quelques autres livres à mettre dans un deuxième sac puis à midi m’installe pour déjeuner à la terrasse de Chez Mamane (Au Passage des Artistes) qui propose un couscous royal pour treize euros cinquante. Le patron est de bonne humeur, le couscous copieux et bon malgré le bœuf trop cuit de la brochette. Le quart de vin est à six euros, il les vaut. Sur le trottoir d’en face s’installent tardivement deux jeunes Africaines qui passent un boubou afin que les objets qu’elles vendent aient l’air plus traditionnels.
A l’issue du repas, je renonce à parcourir une dernière fois toutes les rues de la Butte aux Cailles, désormais encombrées, mais n’en trouve pas moins un ultime livre à mon goût : Lettres croisées de Paul Cézanne et Emile Zola (Gallimard). Sa propriétaire m’en demande cinq euros puis me le laisse à trois.
Un autre vide grenier se tient dans le treizième arrondissement, place de Rungis. Je le rejoins pédestrement avec mes sacs à bout de bras. L’ambiance y est fort différente. La marchandise est autour de la place et dans des rues avoisinantes, en plein soleil. Les vendeuses et vendeurs semblent fatigués. Les acheteurs et acheteuses sont rares. Dans cette chaleur décourageante, je me penche sur des cartons de livres le plus souvent sans intérêt. J’achète quand même un dernier livre pour cinquante centimes à deux nymphettes surveillées de loin par leur mère : Lettres de voyage de Pierre Teilhard de Chardin (Les Cahiers Rouges/Grasset).
A dix-sept heures dix-neuf démarre mon train de retour sans qu’aucun message n’en ait averti. Les arrêts ne sont pas davantage indiqués. Il semblerait que le dimanche, on puisse circuler sans personnel à bord. Du moins arrivons-nous à l’heure en gare de Rouen.
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