Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
17 août 2017
S’il est une catégorie de citoyens qui ne quittent pas Paris au mois d’août, c’est celle des givrés. J’en croise un certain nombre sitôt mis le pied dans la capitale ce mercredi. L’un d’eux arrive avec son sac de livres devant chez Book-Off encore fermé et vient droit sur moi.
-Le magasin, y va bien ouvert ? Parce que mardi, c’était fermé.
-C’était le Quinze Août, lui dis-je.
-Et là, ça va bien ouvert ?
Je l’envoie ennuyer quelqu’un d’autre.
Quand le magasin est ouvert, j’admire le stoïcisme de l’employée qui a affaire à lui et à qui il donne des « Mademoiselle » long comme le bras (comme on dit).
Il n’est pas le seul à vendre. La file des porteurs de gros sacs occupe toute la rangée des beaux livres à deux euros, devenue inaccessible. La plupart, dont le givré, ont plus de soixante ans et manquent visiblement d’argent.
A midi, je déjeune de mon confit de canard pommes rissolées préféré au Rallye, le Péhemmu chinois. La clientèle du bar n’a pas non plus quitté Paris. Elle préfère jeter son argent dans les caisses de l’Etat et de la Française des Jeux. Près de moi mangent un sexagénaire et sa petite-fille devenue adulte. Elle et lui essaient de combler le fossé sans y parvenir. Chacun de leurs sujets de conversation avorte. Il finit par lui parler de ce qu’il a regardé à la télé tandis qu’elle regarde son smartphone.
Quel que soit le jour, à Paris il fait lourd. Je le constate encore une fois, allant pédestrement de la rue du Faubourg-Saint-Antoine à la rue de Fourcy. Après avoir montré mes livres au vigile posté à l’entrée de la Maison Européenne de la Photographie, je paie cinq euros, tarif consenti à la vieillesse, afin de visiter Mémoire et Lumière, photographie japonaise, 1950-2000.
Cette exposition occupe l’ensemble des trois étages de la Mep. Aucune unité, on passe d’un univers à un autre, d’un photographe au suivant. Je ne note aucun nom car aucun de ces artistes japonais ne me retient vraiment, hormis celui que je connaissais déjà beaucoup, Araki, dont je revois ici le Voyage sentimental et le Voyage d’hiver.
Il y a quand même pour m’intéresser les images d’objets vitrifiés par les explosions atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que celles de survivants qui racontent.
*
Plus d’entrée gratuite le mercredi après dix-sept heures à la Mep, Ceci pour éviter la constitution d’une file d’attente à l’extérieur du bâtiment. Une conséquence des attentats islamistes.
*
Une habituée du Royal Bourse Opéra, où je bois un café avant d’explorer le second Book-Off :
-Je ne le juge pas, c’est quelqu’un avec qui je vis, hélas, depuis trente ans.
-Le magasin, y va bien ouvert ? Parce que mardi, c’était fermé.
-C’était le Quinze Août, lui dis-je.
-Et là, ça va bien ouvert ?
Je l’envoie ennuyer quelqu’un d’autre.
Quand le magasin est ouvert, j’admire le stoïcisme de l’employée qui a affaire à lui et à qui il donne des « Mademoiselle » long comme le bras (comme on dit).
Il n’est pas le seul à vendre. La file des porteurs de gros sacs occupe toute la rangée des beaux livres à deux euros, devenue inaccessible. La plupart, dont le givré, ont plus de soixante ans et manquent visiblement d’argent.
A midi, je déjeune de mon confit de canard pommes rissolées préféré au Rallye, le Péhemmu chinois. La clientèle du bar n’a pas non plus quitté Paris. Elle préfère jeter son argent dans les caisses de l’Etat et de la Française des Jeux. Près de moi mangent un sexagénaire et sa petite-fille devenue adulte. Elle et lui essaient de combler le fossé sans y parvenir. Chacun de leurs sujets de conversation avorte. Il finit par lui parler de ce qu’il a regardé à la télé tandis qu’elle regarde son smartphone.
Quel que soit le jour, à Paris il fait lourd. Je le constate encore une fois, allant pédestrement de la rue du Faubourg-Saint-Antoine à la rue de Fourcy. Après avoir montré mes livres au vigile posté à l’entrée de la Maison Européenne de la Photographie, je paie cinq euros, tarif consenti à la vieillesse, afin de visiter Mémoire et Lumière, photographie japonaise, 1950-2000.
Cette exposition occupe l’ensemble des trois étages de la Mep. Aucune unité, on passe d’un univers à un autre, d’un photographe au suivant. Je ne note aucun nom car aucun de ces artistes japonais ne me retient vraiment, hormis celui que je connaissais déjà beaucoup, Araki, dont je revois ici le Voyage sentimental et le Voyage d’hiver.
Il y a quand même pour m’intéresser les images d’objets vitrifiés par les explosions atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que celles de survivants qui racontent.
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Plus d’entrée gratuite le mercredi après dix-sept heures à la Mep, Ceci pour éviter la constitution d’une file d’attente à l’extérieur du bâtiment. Une conséquence des attentats islamistes.
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Une habituée du Royal Bourse Opéra, où je bois un café avant d’explorer le second Book-Off :
-Je ne le juge pas, c’est quelqu’un avec qui je vis, hélas, depuis trente ans.
16 août 2017
Petit livre de couleur bleue, trouvé chez Book-Off à un euro, L’Ironie du sort de Daniel da Silva, écrivain dont j’ignorais l’existence vivant à Marseille, est l’un de mes grands plaisirs de lecture de l’été deux mille dix-sept. Comme extrait, celui qui m’a fait découvrir la trombe de Montville :
Le Grand Incendie de Chicago est alors dans toutes les mémoires, notamment à Chicago même ; ce n’est pas le cas partout, loin de là ; par exemple à Montville, près de Rouen, les plus âgés des Hauts-Normands se rappellent plutôt que trente-quatre ans plus tôt, à midi trente-cinq, le 19 août 1845 (à dix jours près un siècle avant Nagasaki, qui fut détruite à onze heures deux), une trombe ou tornade, on disait couramment une trombe, la trombe de Montville, presque avec la fierté qu’on a dans les provinces pour une spécialité, une trombe rougeâtre veinée d’éclairs et puant le soufre (l’odeur persista quelques jours) avait zigzagué à travers une forêt, dans un terrible arrachement d’arbres qui avaient pirouetté parfois jusqu’à trente kilomètres de là, pour s’abattre sur une filature de coton, pulvériser trois ateliers et tuer du même coup deux centaines d’ouvriers (et d’ouvrières), attirée par aimantation par le fer des machines, précisait-on scientifiquement ; se racontent-ils encore, ce soir-là, à la veillée, les pieds sur les chenets, y a-t-il quelqu’un pour se remémorer l’histoire édifiante de M. Neveu, propriétaire d’une de ses fabriques vaporisées, lequel saturé de dévotion filiale avait formé une sorte de voûte vivante au-dessus de Mme Neveu recroquevillée et était resté trois heures dans cette position, des débris formidables pesant sur le dos héroïque, avant de déclarer une fois désencastré et remis de sa tétanie : Je suis ruiné mais je ne m’en plains pas, j’ai eu le bonheur de sauver ma mère !? Le jeune Flaubert, vingt-cinq printemps, un an après la tragédie, pouvait écrire à Louise Colet : J’en ai entendu causer, discuter et baver tout un hiver, j’en suis saoul, mais à Montville ou dans les environs en fait-on encore des choux gras, en 1879, de cette trombe-là, craint-on encore tant que ça son retour lorsque sonne l’heure de son anniversaire ? Alors qu’à Chicago c’est certain ; on s’en souvient, de l’incendie de Chicago, deux cent vingt millions de dollars de perte, ne serait-ce que Stevenson affalé sur une banquette etc etc.
L’ironie du sort, publié aux Editions de l’Arbre Vengeur en deux mille quatorze, est une fiction distanciée et ironique bâtie avec le réel en un enchaînement ininterrompu de coïncidences ou de correspondances entre des faits, des dates et des personnages : acteurs, artistes, assassins, écrivains et autres. C’est un livre que je ne vais pas revendre. Je pourrais avoir envie de le relire.
*
Mathieu Lindon a évoqué L’Ironie du sort dans sa chronique de Libération le dix-neuf février deux mille quatorze :
« Le texte commence sur un fait divers de 1924 qui a justement inspiré Alfred Hitchcock pour la Corde, ce huis clos qui est «à la fois exercice de virtuosité et métaphore de la causalité», comme le roman lui-même. Par le fait de coïncidences de lieux, de dates ou de rencontres, des flopées de personnages célèbres interviennent alors, Erik Satie et Maurice Maeterlinck, Pierre Boulez et Maurice Pialat, «Mishima Yukio et Deleuze Gilles», Philip K. Dick et Al Capone, Benjamin Constant et John Cage, Léon Bloy et Morton Feldman, Julio Cortázar et Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de Villiers de l’Isle-Adam, sans oublier Robert Louis Stevenson ni Edouard Molinaro qui adapte au cinéma en 1974 «l’Ironie du sort, un roman à options multiples paru en 1961 sous la signature d’un certain Paul Guimard (plus connu pour avoir écrit les Choses de la vie) et qui repose sur le fameux grain de sable qui fait basculer les destins, le cheveu à quoi tout tient». »
*
La trombe de Montville, l’une des deux seules tornades françaises de force cinq (vents estimés supérieurs à trois cent vingt kilomètres heure), est largement évoquée sur le site de Keraunos, l’Observatoire français des tornades et orages violents.
Celui-ci indique « des milliers d'arbres de toutes sortes et de toutes tailles déracinés, arrachés, dépouillés ; un arbre gigantesque emmené dans les airs à plus de 40 mètres de hauteur et emporté très loin ; maisons écroulées ou détruites ; trois filatures, solidement bâties, anéanties ; débris de toute sorte retrouvés à 30 kilomètres de Montville » et donne pour bilan humain : soixante-quinze morts.
Les deux cents recensés par Didier da Silva sont-ils à mettre sur le compte de l’exagération marseillaise ?
*
Des Hauts-Normands au dix-neuvième siècle, Didier da Silva y va fort.
Le Grand Incendie de Chicago est alors dans toutes les mémoires, notamment à Chicago même ; ce n’est pas le cas partout, loin de là ; par exemple à Montville, près de Rouen, les plus âgés des Hauts-Normands se rappellent plutôt que trente-quatre ans plus tôt, à midi trente-cinq, le 19 août 1845 (à dix jours près un siècle avant Nagasaki, qui fut détruite à onze heures deux), une trombe ou tornade, on disait couramment une trombe, la trombe de Montville, presque avec la fierté qu’on a dans les provinces pour une spécialité, une trombe rougeâtre veinée d’éclairs et puant le soufre (l’odeur persista quelques jours) avait zigzagué à travers une forêt, dans un terrible arrachement d’arbres qui avaient pirouetté parfois jusqu’à trente kilomètres de là, pour s’abattre sur une filature de coton, pulvériser trois ateliers et tuer du même coup deux centaines d’ouvriers (et d’ouvrières), attirée par aimantation par le fer des machines, précisait-on scientifiquement ; se racontent-ils encore, ce soir-là, à la veillée, les pieds sur les chenets, y a-t-il quelqu’un pour se remémorer l’histoire édifiante de M. Neveu, propriétaire d’une de ses fabriques vaporisées, lequel saturé de dévotion filiale avait formé une sorte de voûte vivante au-dessus de Mme Neveu recroquevillée et était resté trois heures dans cette position, des débris formidables pesant sur le dos héroïque, avant de déclarer une fois désencastré et remis de sa tétanie : Je suis ruiné mais je ne m’en plains pas, j’ai eu le bonheur de sauver ma mère !? Le jeune Flaubert, vingt-cinq printemps, un an après la tragédie, pouvait écrire à Louise Colet : J’en ai entendu causer, discuter et baver tout un hiver, j’en suis saoul, mais à Montville ou dans les environs en fait-on encore des choux gras, en 1879, de cette trombe-là, craint-on encore tant que ça son retour lorsque sonne l’heure de son anniversaire ? Alors qu’à Chicago c’est certain ; on s’en souvient, de l’incendie de Chicago, deux cent vingt millions de dollars de perte, ne serait-ce que Stevenson affalé sur une banquette etc etc.
L’ironie du sort, publié aux Editions de l’Arbre Vengeur en deux mille quatorze, est une fiction distanciée et ironique bâtie avec le réel en un enchaînement ininterrompu de coïncidences ou de correspondances entre des faits, des dates et des personnages : acteurs, artistes, assassins, écrivains et autres. C’est un livre que je ne vais pas revendre. Je pourrais avoir envie de le relire.
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Mathieu Lindon a évoqué L’Ironie du sort dans sa chronique de Libération le dix-neuf février deux mille quatorze :
« Le texte commence sur un fait divers de 1924 qui a justement inspiré Alfred Hitchcock pour la Corde, ce huis clos qui est «à la fois exercice de virtuosité et métaphore de la causalité», comme le roman lui-même. Par le fait de coïncidences de lieux, de dates ou de rencontres, des flopées de personnages célèbres interviennent alors, Erik Satie et Maurice Maeterlinck, Pierre Boulez et Maurice Pialat, «Mishima Yukio et Deleuze Gilles», Philip K. Dick et Al Capone, Benjamin Constant et John Cage, Léon Bloy et Morton Feldman, Julio Cortázar et Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de Villiers de l’Isle-Adam, sans oublier Robert Louis Stevenson ni Edouard Molinaro qui adapte au cinéma en 1974 «l’Ironie du sort, un roman à options multiples paru en 1961 sous la signature d’un certain Paul Guimard (plus connu pour avoir écrit les Choses de la vie) et qui repose sur le fameux grain de sable qui fait basculer les destins, le cheveu à quoi tout tient». »
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La trombe de Montville, l’une des deux seules tornades françaises de force cinq (vents estimés supérieurs à trois cent vingt kilomètres heure), est largement évoquée sur le site de Keraunos, l’Observatoire français des tornades et orages violents.
Celui-ci indique « des milliers d'arbres de toutes sortes et de toutes tailles déracinés, arrachés, dépouillés ; un arbre gigantesque emmené dans les airs à plus de 40 mètres de hauteur et emporté très loin ; maisons écroulées ou détruites ; trois filatures, solidement bâties, anéanties ; débris de toute sorte retrouvés à 30 kilomètres de Montville » et donne pour bilan humain : soixante-quinze morts.
Les deux cents recensés par Didier da Silva sont-ils à mettre sur le compte de l’exagération marseillaise ?
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Des Hauts-Normands au dix-neuvième siècle, Didier da Silva y va fort.
15 août 2017
Le train à prendre le Quinze Août pour se rapprocher du vide grenier du Vaudreuil est à prendre à la gare de Rouen à sept heures douze. Il faut descendre à Val-de-Reuil puis rejoindre la commune voisine à pied par le bord de l’Eure, une petite trotte sous les arbres. Cette année la météo est alarmante : risque d’orages en début de matinée, risque d’averses ensuite.
A six heures, un court orage donne raison aux prévisionnistes. Que faire ? Y aller quand même ? J’hésite jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour être à temps à la gare. Evidemment, ensuite il ne tombe plus rien.
Je me console en me souvenant que l’an dernier j’étais rentré du Vaudreuil avec pas grand-chose, tout en m’en voulant de n’avoir pas été audacieux.
*
A la terrasse du Son du Cor :
-C’est quoi comme fête le Quinze Août ?
- La fin de la guerre, non ?
-Non, c’est le Huit Mai. Ça doit être la capitulation du Japon.
-Ah oui.
A six heures, un court orage donne raison aux prévisionnistes. Que faire ? Y aller quand même ? J’hésite jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour être à temps à la gare. Evidemment, ensuite il ne tombe plus rien.
Je me console en me souvenant que l’an dernier j’étais rentré du Vaudreuil avec pas grand-chose, tout en m’en voulant de n’avoir pas été audacieux.
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A la terrasse du Son du Cor :
-C’est quoi comme fête le Quinze Août ?
- La fin de la guerre, non ?
-Non, c’est le Huit Mai. Ça doit être la capitulation du Japon.
-Ah oui.
14 août 2017
Une correspondance achetée au vide grenier de la Butte-aux-Cailles, lue pendant ces jours pluvieux, et que je suis sûr de n’avoir jamais envie de relire, c’est celle des deux copains de collège Paul Cézanne et Emile Zola, publiée sous le titre Lettres croisées par Gallimard en deux mille seize, une édition établie, présentée et annotée par Henri Mitterand, lequel s’efforce de convaincre le lecteur que la cause de l’éloignement de Cézanne n’est pas due au portrait de peintre raté fait par Zola dans L’Œuvre où il se serait reconnu, mais au temps qui passe, à la dépression chronique de Cézanne et à son retour au catholicisme.
Ce qui est certain, ce sont les moqueries de Zola à l’égard d’un autre peintre de leur connaissance nommé Chaillan, à qui il assure ainsi une petite vie posthume. C’est un excellent garçon ; mais quelle simplicité, bon Dieu ! quelle ignorance du monde ! écrit-il de Paris à Cézanne, le vingt-six avril mil huit cent soixante, ajoutant Il se retirera toujours à temps dans son village… Il en remet une couche (de peinture) fin juillet de la même année Vois Chaillan, il trouve tout ce qu’il fait excellent… (…)
Amphion, sous le pinceau de Chaillan, prend assez la tournure du singe en mauvaise humeur. Tout bien considéré, je désespère plus que jamais de ce garçon comme artiste. (…)
C’est un bon enfant, ce ne sera jamais rien de plus.
Du côté de Cézanne, beaucoup de soucis, sa peinture n’est pas reconnue, contrairement à la littérature de Zola (qui doit l’aider financièrement) :
Mais je te le répète, j’ai un peu de marasme, mais sans cause. Comme tu sais, je ne sais pas à quoi ça tient, ça revient tous les soirs quand le soleil tombe et puis il pleut. Ça me rend noir. (Paul Cézanne à Emile Zola, Aix, le dix-neuf octobre mil huit cent soixante-six)
Une lettre de Guillaumet, datée du deux novembre mil huit cent soixante-six, jointe à celle que Cézanne écrit à Zola le même jour, confirme que la vie du peintre n’est pas rose :
Les Aixois lui agacent toujours les nerfs, ils demandent à aller voir sa peinture pour ensuite la débiner ; aussi a-t-il pris avec eux un bon moyen : « Je vous emmerde » leur dit-il, et les gens sans tempérament fuient épouvantés.
Douze ans plus tard, rien ne s’est arrangé :
Les élèves de Villevieille m’insultent au passage. –Je me ferai couper les cheveux, ils sont peut-être trop longs. (Paul Cézanne à Emile Zola, Aix, quatorze avril mil huit cent soixante-dix-huit)
*
Je sais désormais que le premier avril mil huit cent soixante-sept, Emile Zola et sa femme quittèrent la rive gauche pour la rive droite et s’installèrent au numéro un de la rue de Moncey. Ils n’y resteront pas longtemps. La rue de Moncey deviendra la rue Dautancourt. J’y ai de bons souvenirs et retourne parfois voir le marronnier, ce qui me plonge dans la mélancolie.
Ce qui est certain, ce sont les moqueries de Zola à l’égard d’un autre peintre de leur connaissance nommé Chaillan, à qui il assure ainsi une petite vie posthume. C’est un excellent garçon ; mais quelle simplicité, bon Dieu ! quelle ignorance du monde ! écrit-il de Paris à Cézanne, le vingt-six avril mil huit cent soixante, ajoutant Il se retirera toujours à temps dans son village… Il en remet une couche (de peinture) fin juillet de la même année Vois Chaillan, il trouve tout ce qu’il fait excellent… (…)
Amphion, sous le pinceau de Chaillan, prend assez la tournure du singe en mauvaise humeur. Tout bien considéré, je désespère plus que jamais de ce garçon comme artiste. (…)
C’est un bon enfant, ce ne sera jamais rien de plus.
Du côté de Cézanne, beaucoup de soucis, sa peinture n’est pas reconnue, contrairement à la littérature de Zola (qui doit l’aider financièrement) :
Mais je te le répète, j’ai un peu de marasme, mais sans cause. Comme tu sais, je ne sais pas à quoi ça tient, ça revient tous les soirs quand le soleil tombe et puis il pleut. Ça me rend noir. (Paul Cézanne à Emile Zola, Aix, le dix-neuf octobre mil huit cent soixante-six)
Une lettre de Guillaumet, datée du deux novembre mil huit cent soixante-six, jointe à celle que Cézanne écrit à Zola le même jour, confirme que la vie du peintre n’est pas rose :
Les Aixois lui agacent toujours les nerfs, ils demandent à aller voir sa peinture pour ensuite la débiner ; aussi a-t-il pris avec eux un bon moyen : « Je vous emmerde » leur dit-il, et les gens sans tempérament fuient épouvantés.
Douze ans plus tard, rien ne s’est arrangé :
Les élèves de Villevieille m’insultent au passage. –Je me ferai couper les cheveux, ils sont peut-être trop longs. (Paul Cézanne à Emile Zola, Aix, quatorze avril mil huit cent soixante-dix-huit)
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Je sais désormais que le premier avril mil huit cent soixante-sept, Emile Zola et sa femme quittèrent la rive gauche pour la rive droite et s’installèrent au numéro un de la rue de Moncey. Ils n’y resteront pas longtemps. La rue de Moncey deviendra la rue Dautancourt. J’y ai de bons souvenirs et retourne parfois voir le marronnier, ce qui me plonge dans la mélancolie.
11 août 2017
Je n’aurais pas pensé que la lecture de Physiologie du goût de Brillat-Savarin, paru en poche chez Champs Flammarion, me donne autant de plaisir. Je ne savais pas qu’il y évoquait bien d’autres sujets que la cuisine et que lorsqu’il parlait de celle-ci, il le faisait de façon inattendue. Ce roi de la digression et de l’anecdote m’a donc régalé.
Je l’ai lu dans des trains et n’en ai prélevé que trois échantillons :
Sous ce prince et sous ses successeurs, les fêtes prirent une tournure à la foi galante et chevaleresque ; les dames vinrent embellir la cour ; elles distribuèrent le prix de la valeur ; et l’on vit le faisan aux pattes dorées et le paon à la queue épanouie portés sur les tables des princes, par des pages chamarrés d’or, et par de gentes pucelles chez qui l’innocence n’excluait pas toujours le désir de plaire.
Enfin, les restaurateurs ont paru : institution tout à fait nouvelle qu’on n’a point assez méditée, et dont l’effet est tel, que tout homme qui est maître de trois ou quatre pistoles peut immédiatement, infailliblement et sans autre peine que celle de désirer, se procurer toutes les jouissances positives dont le goût est susceptible.
Un amphitryon de la Chaussée-d’Antin avait fait servir sur sa table un saucisson d’Arles de taille héroïque. « Acceptez-en une tranche, disait-il à sa voisine ; voilà un meuble qui, je l’espère, annonce une bonne maison. –Il est vraiment très gros, dit la dame en lorgnant d’un air malin ; c’est dommage que cela ne ressemble à rien. »
On n’a jamais mieux écrit le français qu’au dix-huitième siècle. Brillat-Savarin, qui n’est pas considéré comme un écrivain et dont le livre parut au dix-neuvième (deux mois avant sa mort), le montre bien. Je lève mon « bol de ponche » (comme il l’écrit) en son honneur.
*
On ne fait pas l’amour, il est tout fait. ai-je relevé dans une autre de mes lectures, cité par je ne sais plus qui. C’est de Béroalde, l’auteur du Moyen de parvenir.
Je l’ai lu dans des trains et n’en ai prélevé que trois échantillons :
Sous ce prince et sous ses successeurs, les fêtes prirent une tournure à la foi galante et chevaleresque ; les dames vinrent embellir la cour ; elles distribuèrent le prix de la valeur ; et l’on vit le faisan aux pattes dorées et le paon à la queue épanouie portés sur les tables des princes, par des pages chamarrés d’or, et par de gentes pucelles chez qui l’innocence n’excluait pas toujours le désir de plaire.
Enfin, les restaurateurs ont paru : institution tout à fait nouvelle qu’on n’a point assez méditée, et dont l’effet est tel, que tout homme qui est maître de trois ou quatre pistoles peut immédiatement, infailliblement et sans autre peine que celle de désirer, se procurer toutes les jouissances positives dont le goût est susceptible.
Un amphitryon de la Chaussée-d’Antin avait fait servir sur sa table un saucisson d’Arles de taille héroïque. « Acceptez-en une tranche, disait-il à sa voisine ; voilà un meuble qui, je l’espère, annonce une bonne maison. –Il est vraiment très gros, dit la dame en lorgnant d’un air malin ; c’est dommage que cela ne ressemble à rien. »
On n’a jamais mieux écrit le français qu’au dix-huitième siècle. Brillat-Savarin, qui n’est pas considéré comme un écrivain et dont le livre parut au dix-neuvième (deux mois avant sa mort), le montre bien. Je lève mon « bol de ponche » (comme il l’écrit) en son honneur.
*
On ne fait pas l’amour, il est tout fait. ai-je relevé dans une autre de mes lectures, cité par je ne sais plus qui. C’est de Béroalde, l’auteur du Moyen de parvenir.
10 août 2017
Qui aime le soleil a raison d’être, ce mercredi matin, muni d’une valise, présent sur le quai de la gare de Rouen puis de monter dans le train de sept heures vingt-huit qui mène à la capitale, d’où il ira vers des cieux plus cléments. Pour ma part, ce temps automnal me va, tant qu’il ne pleut pas. Le soleil est encore un peu là pendant le voyage et j’ai la chance d’être dans une voiture sans moutards pour terminer la lecture de Physiologie du goût de Brillat-Savarin.
A Paris, c’est la quinzaine des cafés et des restaurants fermés. Celui du Faubourg est encore ouvert jusqu’à la fin de la semaine. J’y bois vite fait un café puis file au marché d’Aligre où le nombre de marchands est divisé par deux, mais les bouquinistes sont là, à qui je n’achète rien.
Je me rattrape chez Book-Off. Cette année, on n’y aura pas proposé de soldes mais il y a toujours des surprises intéressantes parmi les livres à un euro pour peu qu’on sache trouver ce qu’on ne cherche pas. Ainsi, je mets la main sur un mince ouvrage publié chez L’Age d’Homme, Le roi créole (Récit des années soixante) d’Alain Paucard, le président à vie du Club des Ronchons, auteur des pamphlets Le Cauchemar des vacances, Les Criminels du béton et La Crétinisation par la culture.
Ce livre bénéficie d’un envoi de l’auteur, daté de mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, l’année de parution : « A la belle du Palais Daumesnil, qui sait les choses et les transmet ». Il doit s’agir du Palais de la Porte Dorée, avenue Daumesnil, qui abritait à cette époque le Musée des Colonies (qui est maintenant le Musée de l’Histoire de l’Immigration), mais la belle, qu’est-elle devenue ?
Plus tard, ailleurs, après avoir déjeuné dans un Palais de Pékin peu fréquenté, je trouve un autre livre à envoi, Suite (biographie) de Roger Laporte (Hachette) : « à Pierre Dumayet, hommage de l’auteur ». C’est moins romanesque. Le cher Dumayet est mort en deux mille onze.
*
Les contrôleurs dans un bus parisien, cela arrive. Nous sommes peu dans le Vingt mais l’un d’eux chope quand même un contrevenant. Cinquante euros, prix d’ami, s’il règle maintenant.
*
Métro Bastille, d’origine africaine (comme on dit), jouant du saxophone, il chante Brassens :
Je me suis fait tout petit devant un’ poupée
Qui ferm’ les yeux quand on la couche,
Je m’ suis fait tout p’tit devant un’ poupée
Qui fait « maman » quand on la touche.
*
« Alors revenu de vacances ? », me dit le patron du Royal Bourse Opéra où je ne suis pas passé depuis un moment, il me félicite pour mon bronzage. Il ne faut jamais décevoir quiconque vous fait ce genre de compliment. Je réponds donc positivement. Il ne m’en demande pas plus. A l’extérieur, il drache, un vrai temps de rentrée. Et c’est fichu pour les soldes de vêtements. Cette fois, je n’ai même pas essayé d’entrer dans une boutique. Des touristes vêtus trop légèrement mangent une salade sous cellophane en piochant dedans.
*
Autre livre rapporté de Paris : Si vaste d’être seul de Tristan Cabral. Une petite main, peut-être payée par l’éditeur, Le Cherche Midi, a corrigé une erreur de frappe, transformant au stylo noir un y en un j.
Non pas Aux yeux de l’amour et de la mort/ Je n’ai pas mon pareil ! mais Aux jeux de l’amour et de la mort/ Je n’ai pas mon pareil !
En épigraphe, tirée du Livre de ma mère, cette constatation d’Albert Cohen (qui est aussi la mienne):
Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte.
A Paris, c’est la quinzaine des cafés et des restaurants fermés. Celui du Faubourg est encore ouvert jusqu’à la fin de la semaine. J’y bois vite fait un café puis file au marché d’Aligre où le nombre de marchands est divisé par deux, mais les bouquinistes sont là, à qui je n’achète rien.
Je me rattrape chez Book-Off. Cette année, on n’y aura pas proposé de soldes mais il y a toujours des surprises intéressantes parmi les livres à un euro pour peu qu’on sache trouver ce qu’on ne cherche pas. Ainsi, je mets la main sur un mince ouvrage publié chez L’Age d’Homme, Le roi créole (Récit des années soixante) d’Alain Paucard, le président à vie du Club des Ronchons, auteur des pamphlets Le Cauchemar des vacances, Les Criminels du béton et La Crétinisation par la culture.
Ce livre bénéficie d’un envoi de l’auteur, daté de mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, l’année de parution : « A la belle du Palais Daumesnil, qui sait les choses et les transmet ». Il doit s’agir du Palais de la Porte Dorée, avenue Daumesnil, qui abritait à cette époque le Musée des Colonies (qui est maintenant le Musée de l’Histoire de l’Immigration), mais la belle, qu’est-elle devenue ?
Plus tard, ailleurs, après avoir déjeuné dans un Palais de Pékin peu fréquenté, je trouve un autre livre à envoi, Suite (biographie) de Roger Laporte (Hachette) : « à Pierre Dumayet, hommage de l’auteur ». C’est moins romanesque. Le cher Dumayet est mort en deux mille onze.
*
Les contrôleurs dans un bus parisien, cela arrive. Nous sommes peu dans le Vingt mais l’un d’eux chope quand même un contrevenant. Cinquante euros, prix d’ami, s’il règle maintenant.
*
Métro Bastille, d’origine africaine (comme on dit), jouant du saxophone, il chante Brassens :
Je me suis fait tout petit devant un’ poupée
Qui ferm’ les yeux quand on la couche,
Je m’ suis fait tout p’tit devant un’ poupée
Qui fait « maman » quand on la touche.
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« Alors revenu de vacances ? », me dit le patron du Royal Bourse Opéra où je ne suis pas passé depuis un moment, il me félicite pour mon bronzage. Il ne faut jamais décevoir quiconque vous fait ce genre de compliment. Je réponds donc positivement. Il ne m’en demande pas plus. A l’extérieur, il drache, un vrai temps de rentrée. Et c’est fichu pour les soldes de vêtements. Cette fois, je n’ai même pas essayé d’entrer dans une boutique. Des touristes vêtus trop légèrement mangent une salade sous cellophane en piochant dedans.
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Autre livre rapporté de Paris : Si vaste d’être seul de Tristan Cabral. Une petite main, peut-être payée par l’éditeur, Le Cherche Midi, a corrigé une erreur de frappe, transformant au stylo noir un y en un j.
Non pas Aux yeux de l’amour et de la mort/ Je n’ai pas mon pareil ! mais Aux jeux de l’amour et de la mort/ Je n’ai pas mon pareil !
En épigraphe, tirée du Livre de ma mère, cette constatation d’Albert Cohen (qui est aussi la mienne):
Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte.
9 août 2017
Ma covoitureuse ne m’ayant plus jamais donné de ses nouvelles, je décide, ce lundi, de me rendre par mes propres moyens à la bouquinerie Détéherre nichée au hameau du Fresnay à Quévreville-la Poterie.
Pour ce faire, un peu avant midi, je prends le bus Effe Cinq jusqu’à Franqueville-Saint-Pierre puis me poste au rond-point de la route qui mène à mon but, le pouce levé.
Je n’attends que dix minutes avant qu’une voiture s’arrête. Un homme est au volant qui va travailler et connaît Détéherre où il se rend de temps en temps pour les quarante-cinq tours. Il me laisse au rond-point situé en amont de la petite route sinueuse qui mène au hameau. Plus loin, ce serait trop dangereux de s’arrêter. Je marche donc au bord de la route pendant un moment puis coupe à travers les champs moissonnés.
J’arrive à la bouquinerie géante à treize heures précises, au moment où l’employée ouvre la double porte métallique. Un verre d’eau m’est offert en récompense de cet exploit.
J’explore essentiellement les grands formats à un euro et les poches à vingt centimes, trouvant de quoi remplir mon panier. Dans mon choix se trouve C’était Bory de Daniel Garcia et Janine-Marie Pezet, publié par les Editions Cartouche, un livre accompagné de deux cédés de soixante-dix-sept minutes chacun composés d’extraits du Masque et la Plume, l’émission de France Inter que j’écoutais jadis pour le plaisir d’entendre Jean-Louis Bory se chamailler avec Georges Charensol. Bory, qui avait eu le Prix Goncourt en mil neuf cent quarante-cinq pour Mon village à l’heure allemande mais dont les romans suivants ne connurent pas le même succès et qui s’est suicidé dans la nuit du onze au douze juin mil neuf cent soixante-dix-neuf dans sa maison de Méréville d’une balle dans le cœur. Il avait cinquante-neuf ans.
Je débourse huit euros vingt et bois un nouveau verre d’eau. Sur le conseil de Caroline, fille du maître des lieux, je me rapproche du rond-point aval par un sentier champêtre qui mène au centre de Quévreville. A la sortie du village, posté près de la pharmacie, je n’ai que deux minutes à attendre avant que s’arrête une femme qui va voir sa fille à Fresne-le-Plan.
-Ça marche toujours l’auto-stop ? me demande-t-elle.
-Cela faisait longtemps que je n’en avais pas fait, mais oui, on dirait.
-Je vous préviens, je conduis mal.
Elle m’emmène surtout à un endroit que je ne visais pas, au centre de Boos, où ne circule que le peu fréquent bus Treize. Heureusement, un passage est prévu dans dix minutes (le suivant dans une heure). Par une route très indirecte, je retrouve l’Hôtel de Ville de Rouen. Il est trois heures moins le quart quand je tourne ma clé dans la serrure.
*
Ce dimanche à quatorze heures, un rassemblement avait lieu rive gauche devant les ruines du Cuba Libre, un an après l’incendie, en mémoire des quatorze victimes : Ophélie, qui fêtait ses vingt ans dans le sous-sol de ce bar, et ses invité(e)s Mégane, Florian, Mavrick, Donatienne, Sarah, David, Julie, Jennifer, Zacharia, Romain, Brahim, Steve et Karima.
Le rapport d’enquête est accablant pour les deux frères gérants : escalier trop étroit et trop raide, revêtement isolant du plafond et des murs hautement inflammable, issue de secours bloquée.
Y aller ou pas ? Je me suis interrogé et ai choisi la négative, ne connaissant pas personnellement les victimes, ni leurs familles.
Pour ce faire, un peu avant midi, je prends le bus Effe Cinq jusqu’à Franqueville-Saint-Pierre puis me poste au rond-point de la route qui mène à mon but, le pouce levé.
Je n’attends que dix minutes avant qu’une voiture s’arrête. Un homme est au volant qui va travailler et connaît Détéherre où il se rend de temps en temps pour les quarante-cinq tours. Il me laisse au rond-point situé en amont de la petite route sinueuse qui mène au hameau. Plus loin, ce serait trop dangereux de s’arrêter. Je marche donc au bord de la route pendant un moment puis coupe à travers les champs moissonnés.
J’arrive à la bouquinerie géante à treize heures précises, au moment où l’employée ouvre la double porte métallique. Un verre d’eau m’est offert en récompense de cet exploit.
J’explore essentiellement les grands formats à un euro et les poches à vingt centimes, trouvant de quoi remplir mon panier. Dans mon choix se trouve C’était Bory de Daniel Garcia et Janine-Marie Pezet, publié par les Editions Cartouche, un livre accompagné de deux cédés de soixante-dix-sept minutes chacun composés d’extraits du Masque et la Plume, l’émission de France Inter que j’écoutais jadis pour le plaisir d’entendre Jean-Louis Bory se chamailler avec Georges Charensol. Bory, qui avait eu le Prix Goncourt en mil neuf cent quarante-cinq pour Mon village à l’heure allemande mais dont les romans suivants ne connurent pas le même succès et qui s’est suicidé dans la nuit du onze au douze juin mil neuf cent soixante-dix-neuf dans sa maison de Méréville d’une balle dans le cœur. Il avait cinquante-neuf ans.
Je débourse huit euros vingt et bois un nouveau verre d’eau. Sur le conseil de Caroline, fille du maître des lieux, je me rapproche du rond-point aval par un sentier champêtre qui mène au centre de Quévreville. A la sortie du village, posté près de la pharmacie, je n’ai que deux minutes à attendre avant que s’arrête une femme qui va voir sa fille à Fresne-le-Plan.
-Ça marche toujours l’auto-stop ? me demande-t-elle.
-Cela faisait longtemps que je n’en avais pas fait, mais oui, on dirait.
-Je vous préviens, je conduis mal.
Elle m’emmène surtout à un endroit que je ne visais pas, au centre de Boos, où ne circule que le peu fréquent bus Treize. Heureusement, un passage est prévu dans dix minutes (le suivant dans une heure). Par une route très indirecte, je retrouve l’Hôtel de Ville de Rouen. Il est trois heures moins le quart quand je tourne ma clé dans la serrure.
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Ce dimanche à quatorze heures, un rassemblement avait lieu rive gauche devant les ruines du Cuba Libre, un an après l’incendie, en mémoire des quatorze victimes : Ophélie, qui fêtait ses vingt ans dans le sous-sol de ce bar, et ses invité(e)s Mégane, Florian, Mavrick, Donatienne, Sarah, David, Julie, Jennifer, Zacharia, Romain, Brahim, Steve et Karima.
Le rapport d’enquête est accablant pour les deux frères gérants : escalier trop étroit et trop raide, revêtement isolant du plafond et des murs hautement inflammable, issue de secours bloquée.
Y aller ou pas ? Je me suis interrogé et ai choisi la négative, ne connaissant pas personnellement les victimes, ni leurs familles.
8 août 2017
Pas la moindre attente pour entrer au Musée d'Art Moderne André Malraux au début de l’après-midi de ce premier samedi du mois où c’est gratuit. J’y dépose mon sac à dos dans un casier translucide puis entre dans la rétrospective Pierre et Gilles, Clair-Obscur, une exposition proposée pour les cinq cents ans du Havre car Gilles Blanchard est né en mil neuf cent cinquante-trois à Sainte-Adresse (banlieue cossue de la ville). Pierre Commoy, lui, est né à La Roche-sur-Yon en mil neuf cent cinquante. Ils se sont rencontrés en mil neuf cent soixante-seize lors d’une soirée chez Kenzo et fêtent donc leurs quarante ans de complicité amoureuse et artistique, Pierre est le photographe et Gilles le peintre. En deux mille sept, le Jeu de Paume leur a consacré une rétrospective intitulée double je dont j’ai gardé un bon souvenir. Pierre et Gilles ont réalisé bien d’autres œuvres depuis cette date.
Les deux garçons ont participé activement à la mise en place de cette exposition dont la commissaire scientifique est Sophie Dupalix, Conservatrice en Chef au Centre Pompidou. Ainsi ont-ils créé une série de cabanes de plage typiquement havraises dans lesquelles sont installées certaines de leurs œuvres dont Adam et Eve.
Pas mal d’icônes gays sont présentes sur les murs des salles suivantes, de Sylvie Vartan à Jean-Paul Gaultier, en passant par un jeune et joli Depardieu à mobylette. Je me réjouis de constater que nulle prudence n’a empêché de montrer aux mineur(e)s Le petit jardinier qui se sert de son instrument pour arroser les fleurs (« Pas besoin d’arrosoir », commente une dame) et le double autoportrait Homo erectus.
Le public est assez nombreux dans les salles. Juste ce qu’il faut. Le seul endroit où il s’agglutine est l’écran vidéo diffusant un entretien avec les artistes qui sépare les deux parties de l’exposition. Dans la deuxième est notamment montré le triptyque Ganymède.
Après être monté à l’étage par le plan incliné, j’y revois quelques tableaux de la collection permanente puis redescends par l’escalier et entre dans la salle à souvenirs où Pierre et Gilles ont installé un bric-à-brac d’objets de leur mythologie personnelle, récupérés ici ou là. Un tableau signé Gilles Blanchard, du temps qu’il était aux Beaux-Arts, est accroché dans un coin et je me dis qu’il revient de loin. Les deux garçons ont aussi revisité l’accrochage de certaines œuvres du Musée. Ainsi, dans une salle, ils agréent des Dufy montrant le port du Havre. Clair-Obscur est une exposition réussie.
*
L’Eve d’Adam et Eve, c’est Eva Ionesco, laquelle est en guerre contre sa mère Irina à qui elle reproche de l’avoir fait poser nue quand elle était enfant et adolescente, pour elle-même et pour d’autres. Son courroux ne va pas jusqu’à faire interdire l’exposition de cette image datée de mil neuf cent quatre-vingt-un, commandée par Le Figaro Magazine, qui finalement ne la publiera pas. Actuel le fera deux ans plus tard.
*
La romancière à chapeau mangeuse de fruits pourris et le chanteur de « Va te faire empapaouter, outer, papa outer », deux des modèles de Pierre et Gilles qui ont en commun d’être belges et de m’insupporter.
*
La sottise du jour : « C’est le port du Havre qui a créé l’Impressionnisme » (une visiteuse du MuMa).
*
Sagesse et poésie populaire havraise au café La Baraka près de la gare, l’une à l’un :
« Elle avait un bon boulot
Elle travaillait au Casino ».
Les deux garçons ont participé activement à la mise en place de cette exposition dont la commissaire scientifique est Sophie Dupalix, Conservatrice en Chef au Centre Pompidou. Ainsi ont-ils créé une série de cabanes de plage typiquement havraises dans lesquelles sont installées certaines de leurs œuvres dont Adam et Eve.
Pas mal d’icônes gays sont présentes sur les murs des salles suivantes, de Sylvie Vartan à Jean-Paul Gaultier, en passant par un jeune et joli Depardieu à mobylette. Je me réjouis de constater que nulle prudence n’a empêché de montrer aux mineur(e)s Le petit jardinier qui se sert de son instrument pour arroser les fleurs (« Pas besoin d’arrosoir », commente une dame) et le double autoportrait Homo erectus.
Le public est assez nombreux dans les salles. Juste ce qu’il faut. Le seul endroit où il s’agglutine est l’écran vidéo diffusant un entretien avec les artistes qui sépare les deux parties de l’exposition. Dans la deuxième est notamment montré le triptyque Ganymède.
Après être monté à l’étage par le plan incliné, j’y revois quelques tableaux de la collection permanente puis redescends par l’escalier et entre dans la salle à souvenirs où Pierre et Gilles ont installé un bric-à-brac d’objets de leur mythologie personnelle, récupérés ici ou là. Un tableau signé Gilles Blanchard, du temps qu’il était aux Beaux-Arts, est accroché dans un coin et je me dis qu’il revient de loin. Les deux garçons ont aussi revisité l’accrochage de certaines œuvres du Musée. Ainsi, dans une salle, ils agréent des Dufy montrant le port du Havre. Clair-Obscur est une exposition réussie.
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L’Eve d’Adam et Eve, c’est Eva Ionesco, laquelle est en guerre contre sa mère Irina à qui elle reproche de l’avoir fait poser nue quand elle était enfant et adolescente, pour elle-même et pour d’autres. Son courroux ne va pas jusqu’à faire interdire l’exposition de cette image datée de mil neuf cent quatre-vingt-un, commandée par Le Figaro Magazine, qui finalement ne la publiera pas. Actuel le fera deux ans plus tard.
*
La romancière à chapeau mangeuse de fruits pourris et le chanteur de « Va te faire empapaouter, outer, papa outer », deux des modèles de Pierre et Gilles qui ont en commun d’être belges et de m’insupporter.
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La sottise du jour : « C’est le port du Havre qui a créé l’Impressionnisme » (une visiteuse du MuMa).
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Sagesse et poésie populaire havraise au café La Baraka près de la gare, l’une à l’un :
« Elle avait un bon boulot
Elle travaillait au Casino ».
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