Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
13 décembre 2017
Lu dans le train et les cafés parisiens, le Tour du monde d’un sceptique d’Aldous Huxley, publié en Petite Bibliothèque Payot, ne m’a pas emballé. Huxley n’a rien d’un sceptique, il y a tromperie sur la marchandise. Tout au plus est-il critique. Son récit de voyage datant d’avant l’écriture du Meilleur des mondes est convenu. J’en ai sauté de nombreux passages descriptifs.
Et gardé quelques extraits qui m’intéressent à divers titres :
La principale industrie du pays est apparemment la fabrication et la vente de photographies obscènes. Il y en a dans toutes les boutiques, et tous les vagabonds vous en proposent avec insistance, à des prix qui, à mesure que vous vous éloignez, tombent curieusement du souverain à la demi-couronne. (A Port-Saïd)
Tout le monde sur le bateau nous menace d’avoir beaucoup de « bon temps » aux Indes. Bon temps signifie : courses, bridge, cocktails, danse jusqu’à quatre heures du matin, et bavardage à vide. Et pendant ce temps-là, le magnifique, l’incroyable monde dans lequel nous vivons attend que nous l’explorions ; et la vie est courte, et les jours coulent sans arrêt comme le sang d’une blessure mortelle. (Sur la mer Rouge)
Entre-temps quelques milliers des innombrables corbeaux de Bombay s’étaient installés dans les arbres en face du hall et, comme tous les oiseaux grégaires à l’heure du couchant, discutaient de l’opportunité de se retirer pour la nuit. (A Bombay)
A Péchaver nous fûmes saisis par une de nos paniques financières périodiques. (Entre Péchaver et Lahore)
Un des mauvais résultats de l’asservissement politique d’un peuple par un autre est de rendre la nation assujettie excessivement et inutilement consciente de son passé. (A Cawnpore)
La religion est un luxe que les Indes ne peuvent pas se permettre. Les Indes ne seront jamais libres tant que les hindous et les musulmans n’auront pas pour leur religion un enthousiasme aussi tiède que le nôtre pour l’Eglise anglicane. Si j’étais un millionnaire indien je laisserais toute ma fortune pour doter une mission athéiste. (A Bénarès)
En bonus, l’aphorisme qui a lui seul justifiait cette lecture :
Voyager c’est découvrir que tout le monde a tort. (En mer du côté de la Malaisie)
Et gardé quelques extraits qui m’intéressent à divers titres :
La principale industrie du pays est apparemment la fabrication et la vente de photographies obscènes. Il y en a dans toutes les boutiques, et tous les vagabonds vous en proposent avec insistance, à des prix qui, à mesure que vous vous éloignez, tombent curieusement du souverain à la demi-couronne. (A Port-Saïd)
Tout le monde sur le bateau nous menace d’avoir beaucoup de « bon temps » aux Indes. Bon temps signifie : courses, bridge, cocktails, danse jusqu’à quatre heures du matin, et bavardage à vide. Et pendant ce temps-là, le magnifique, l’incroyable monde dans lequel nous vivons attend que nous l’explorions ; et la vie est courte, et les jours coulent sans arrêt comme le sang d’une blessure mortelle. (Sur la mer Rouge)
Entre-temps quelques milliers des innombrables corbeaux de Bombay s’étaient installés dans les arbres en face du hall et, comme tous les oiseaux grégaires à l’heure du couchant, discutaient de l’opportunité de se retirer pour la nuit. (A Bombay)
A Péchaver nous fûmes saisis par une de nos paniques financières périodiques. (Entre Péchaver et Lahore)
Un des mauvais résultats de l’asservissement politique d’un peuple par un autre est de rendre la nation assujettie excessivement et inutilement consciente de son passé. (A Cawnpore)
La religion est un luxe que les Indes ne peuvent pas se permettre. Les Indes ne seront jamais libres tant que les hindous et les musulmans n’auront pas pour leur religion un enthousiasme aussi tiède que le nôtre pour l’Eglise anglicane. Si j’étais un millionnaire indien je laisserais toute ma fortune pour doter une mission athéiste. (A Bénarès)
En bonus, l’aphorisme qui a lui seul justifiait cette lecture :
Voyager c’est découvrir que tout le monde a tort. (En mer du côté de la Malaisie)
12 décembre 2017
Rien d’autre à faire ce dimanche que de laisser passer la tempête. Pour avoir voulu remplir leur tiroir-caisse un jour de plus, les commerçants dépités se morfondent en attendant le rare client. Ceux du Marché de Noël sont rentrés à la maison, la Préfecture l’a fermé par précaution.
Cette tempête a surtout pour effet d’aider les arbres à se débarrasser de leurs dernières feuilles. Elle me dissuade de sortir boire un café et lire dans un estaminet en début d’après-midi. J’aurais dû le faire hier, oui mais vers midi j’ai allumé la télé afin de voir à quoi ça ressemblait sept cents motards sur les Champs-Elysées et je ne l’ai éteinte que vers seize heures une fois la messe dite.
*
Un million sur les Champs-Elysées, Mélenchon l’a rêvé, Hallyday l’a fait (enfin presque, on ne va pas chipoter).
*
Jean d’Ormesson expliquant qu’un écrivain ne devait pas rater sa mort, comme l’avait fait Cocteau en mourant le même jour que Piaf, puis mourant la veille de Johnny Hallyday (et toc).
*
Le point commun entre Hallyday et d’Ormesson : n’être connu qu’en zone francophone. On n’a pas fini d’entendre les chansons du premier. Les écrits du second seront vite oubliés mais lui était devenu sympathique sur la fin. Il en est quelques-uns à qui ça réussit de vieillir.
*
Wauquiez élu chef de la Droite. Troisième repoussoir, après Le Pen et Mélenchon. Avec des adversaires de ce genre, Macron est assuré de sa réélection.
*
Et les nationalistes élus en Corse, mais pour la plupart pas assez téméraires pour vouloir une indépendance qui aurait pour conséquence la déliquescence de leur île qui ne prospère que par la perfusion du continent.
*
Il souffle un vent mauvais et qui ne passera comme vulgaire tempête.
Cette tempête a surtout pour effet d’aider les arbres à se débarrasser de leurs dernières feuilles. Elle me dissuade de sortir boire un café et lire dans un estaminet en début d’après-midi. J’aurais dû le faire hier, oui mais vers midi j’ai allumé la télé afin de voir à quoi ça ressemblait sept cents motards sur les Champs-Elysées et je ne l’ai éteinte que vers seize heures une fois la messe dite.
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Un million sur les Champs-Elysées, Mélenchon l’a rêvé, Hallyday l’a fait (enfin presque, on ne va pas chipoter).
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Jean d’Ormesson expliquant qu’un écrivain ne devait pas rater sa mort, comme l’avait fait Cocteau en mourant le même jour que Piaf, puis mourant la veille de Johnny Hallyday (et toc).
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Le point commun entre Hallyday et d’Ormesson : n’être connu qu’en zone francophone. On n’a pas fini d’entendre les chansons du premier. Les écrits du second seront vite oubliés mais lui était devenu sympathique sur la fin. Il en est quelques-uns à qui ça réussit de vieillir.
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Wauquiez élu chef de la Droite. Troisième repoussoir, après Le Pen et Mélenchon. Avec des adversaires de ce genre, Macron est assuré de sa réélection.
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Et les nationalistes élus en Corse, mais pour la plupart pas assez téméraires pour vouloir une indépendance qui aurait pour conséquence la déliquescence de leur île qui ne prospère que par la perfusion du continent.
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Il souffle un vent mauvais et qui ne passera comme vulgaire tempête.
11 décembre 2017
Rue Dieu, je pousse l’imposante porte métallique de la maison agnès b. M’y amène l’exposition A mon seul désir organisée pour les vingt ans de Mauvais Genres qu’anime François Angelier le samedi soir sur France Culture, une émission consacrée au polar, à la science-fiction, au fantastique, à l’érotisme, à la pornographie, à l’humour noir, etc. et dont le titre est évidemment polysémique.
Après avoir laissé mon sac à dos à la garde de la jeune femme brune de l’accueil, j’explore les deux vastes salles du rez-de-chaussée où sont montrées les œuvres de trente-six artistes en « une exposition subversive, faites de grands écarts stylistiques… ».
Certaines me sont familières et me sont chères : les photos de Gilles Berquet, celles de Pierre Molinier (dont Ma tête de 18 ans sur mon corps de 67 ans), celles de Nan Goldin, de Weegee, un dessin de Liberatore, une peinture acrylique d’Olivia Clavel (Le fantôme de Brocken, d’après un rêve de Carl Gustav Jung), les illustrations de Pierre la Police, une gouache de Tom de Pekin, les dessins au crayon graphite ou de couleurs de Mirka Lugosi, deux encres sur papier de Robert Crumb.
D’autres sont de bonnes découvertes : le masque à foufounes d’Isa Kaos, ses chaussures martinets et celles pour les mains (utiles pour la quadrupédie de la soumise), la bédé body body de David Sourdrille, le grand tableau fait d’une série de nus légendés intitulé La sexualité des vieilles dames de Marie Morel, l’autofellation avec pot de fleurs en équilibre sur le dos de Jacques Floret, les plaques et couronne mortuaires d’Eric Pougeau « Pédé » « Putain d’ta race » « Fils de pute » « Salope », du même Pour Maman, un joli flacon contenant de l’urine, cela jouxté de La camisole du petit Eric confectionnée avec une chemise blanche taille six ans.
« Quand même c’est particulier, on n’est pas trop habitué à voir ça chez agnès b. », me dit le seul visiteur que je croise. Je ne lui réponds pas.
Après avoir récupéré mon sac à dos et afin de rejoindre le second Book-Off, je prends le bus Vingt boulevard du Temple face à la brasserie alsacienne Chez Jenny qui m’en rappelle une autre.
En attendant le train de retour à Rouen, je bois un café A la Ville d’Argentan puis y termine le Code des gens honnêtes de Balzac. Près de moi sont une fille et deux garçons dont l’un fête ses dix-huit ans.
-J’ai rêvé que je faisais l’amour au milieu du lycée, leur raconte-t-elle. Comme ça, couchée par terre dans la cour.
*
En ce temps d’injonction lourdingue à la vertu, l’exposition A mon seul désir et l’émission Mauvais Genres de François Angelier sur France Cul sont de salubrité publique.
*
Dernière victime du retour international à l’ordre moral : Balthus. Une pétition américaine demande au Metropolitan Museum of Art de New York le décrochage de Thérèse rêvant.
Après avoir laissé mon sac à dos à la garde de la jeune femme brune de l’accueil, j’explore les deux vastes salles du rez-de-chaussée où sont montrées les œuvres de trente-six artistes en « une exposition subversive, faites de grands écarts stylistiques… ».
Certaines me sont familières et me sont chères : les photos de Gilles Berquet, celles de Pierre Molinier (dont Ma tête de 18 ans sur mon corps de 67 ans), celles de Nan Goldin, de Weegee, un dessin de Liberatore, une peinture acrylique d’Olivia Clavel (Le fantôme de Brocken, d’après un rêve de Carl Gustav Jung), les illustrations de Pierre la Police, une gouache de Tom de Pekin, les dessins au crayon graphite ou de couleurs de Mirka Lugosi, deux encres sur papier de Robert Crumb.
D’autres sont de bonnes découvertes : le masque à foufounes d’Isa Kaos, ses chaussures martinets et celles pour les mains (utiles pour la quadrupédie de la soumise), la bédé body body de David Sourdrille, le grand tableau fait d’une série de nus légendés intitulé La sexualité des vieilles dames de Marie Morel, l’autofellation avec pot de fleurs en équilibre sur le dos de Jacques Floret, les plaques et couronne mortuaires d’Eric Pougeau « Pédé » « Putain d’ta race » « Fils de pute » « Salope », du même Pour Maman, un joli flacon contenant de l’urine, cela jouxté de La camisole du petit Eric confectionnée avec une chemise blanche taille six ans.
« Quand même c’est particulier, on n’est pas trop habitué à voir ça chez agnès b. », me dit le seul visiteur que je croise. Je ne lui réponds pas.
Après avoir récupéré mon sac à dos et afin de rejoindre le second Book-Off, je prends le bus Vingt boulevard du Temple face à la brasserie alsacienne Chez Jenny qui m’en rappelle une autre.
En attendant le train de retour à Rouen, je bois un café A la Ville d’Argentan puis y termine le Code des gens honnêtes de Balzac. Près de moi sont une fille et deux garçons dont l’un fête ses dix-huit ans.
-J’ai rêvé que je faisais l’amour au milieu du lycée, leur raconte-t-elle. Comme ça, couchée par terre dans la cour.
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En ce temps d’injonction lourdingue à la vertu, l’exposition A mon seul désir et l’émission Mauvais Genres de François Angelier sur France Cul sont de salubrité publique.
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Dernière victime du retour international à l’ordre moral : Balthus. Une pétition américaine demande au Metropolitan Museum of Art de New York le décrochage de Thérèse rêvant.
8 décembre 2017
Pour des raisons tarifaires, c’est le sept heures vingt-huit que je dois prendre ce mercredi pour aller à Paris. A peine le temps d’apprendre la mort de Johnny Hallyday que je suis à la gare. J’y trouve une fille à béquilles encombrée d’une valise et d’un gros sac en haut des marches qui descendent vers le quai trois. Je me charge de son sac, bien lourd. Arrivée en bas, elle constate qu’elle s’est trompée de quai. Nous remontons puis descendons sur le quai deux. Je la mets dans son train. Ce n’est qu’à ce moment que je songe aux ascenseurs.
Personne n’évoque la mort de Johnny dans le train où je trouve place assise car nul n’y parle. Chacun est occupé avec soi-même. Personnellement, je poursuis la lecture du Code des honnêtes gens de Balzac. A Houilles ça se gâte. Nous voici arrêtés en pleine voie et en pleine gare. « Un problème d’aiguillage rend la réception des trains très difficile à Saint-Lazare », explique la cheffe de bord.
A l’arrivée, cela fait vingt minutes de retard. Prenant le bus Vingt, j’arrive au Book-Off de Ledru-Rollin à l’heure de l’ouverture. On y écoute du vieux blouze en version originale. Je repars avec seulement deux livres. Chez Emmaüs, côté vendeurs et côté acheteurs, on se désole : « On ne verra plus notre Johnny ».
La grisaille est d’actualité, comme si le jour n’était pas tout à fait levé. Ayant à faire près de République, je rejoins la Bastille. Les publicités géantes entourant le socle de la colonne de Juillet sont désormais l’objet d’une plainte pour dégradation de sépulture (des révolutionnaires de mil huit cent trente et quarante-huit sont enterrés ici). Délaissant le boulevard Beaumarchais, je me rapproche de mon but par la parallèle rue Amelot. A l’arrivée, j’entre au restaurant Les Coupettes, rue Beaurepaire. Il est tenu par un couple de femmes. Au comptoir sont accoudés deux couples d’hommes.
Ce n’est pas le genre endroit où on va pleurer Johnny, me dis-je. En quoi je me trompe. L’un des hommes réclame pour lui des obsèques nationales. Je suis le seul à manger ici (saucisse d’Auvergne lentilles et mousse au chocolat, formule à quinze euros quatre-vingts) et à subir la conversation du bar. La cheffe patronne explique comment elle a mis dehors, en les traitant de tous les noms, les membres d’une équipe de cinéma qui voulaient se servir de son décor sans payer. Les hommes parlent de couilles. En réglant l’addition, je découvre que le quart de côtes-du-rhône est à neuf euros quatre-vingts.
Vin cher, propos vulgaires, on ne me reverra pas dans ce repaire. Pas loin se trouve la rue Dieu, c’est là que je vais.
*
Johnny, j’ai aimé ses chansons quand j’avais dix ans. Tout comme celles des autres chanteurs et chanteuses du yéyé. Elles sont la bande son de mon enfance, laquelle avait besoin de cette légèreté. Ce pourquoi j’ai des cédés de ses chansons d’alors.
Deux ou trois ans plus tard, je découvrais la musique anglo-saxonne. Adieu le copié collé à la française. Rien du Johnny d’après Da dou ron ron ne me touchera, hormis Quelque chose de Tennessee (et La fille à qui je pense quand c’est Miossec qui la chante).
Personne n’évoque la mort de Johnny dans le train où je trouve place assise car nul n’y parle. Chacun est occupé avec soi-même. Personnellement, je poursuis la lecture du Code des honnêtes gens de Balzac. A Houilles ça se gâte. Nous voici arrêtés en pleine voie et en pleine gare. « Un problème d’aiguillage rend la réception des trains très difficile à Saint-Lazare », explique la cheffe de bord.
A l’arrivée, cela fait vingt minutes de retard. Prenant le bus Vingt, j’arrive au Book-Off de Ledru-Rollin à l’heure de l’ouverture. On y écoute du vieux blouze en version originale. Je repars avec seulement deux livres. Chez Emmaüs, côté vendeurs et côté acheteurs, on se désole : « On ne verra plus notre Johnny ».
La grisaille est d’actualité, comme si le jour n’était pas tout à fait levé. Ayant à faire près de République, je rejoins la Bastille. Les publicités géantes entourant le socle de la colonne de Juillet sont désormais l’objet d’une plainte pour dégradation de sépulture (des révolutionnaires de mil huit cent trente et quarante-huit sont enterrés ici). Délaissant le boulevard Beaumarchais, je me rapproche de mon but par la parallèle rue Amelot. A l’arrivée, j’entre au restaurant Les Coupettes, rue Beaurepaire. Il est tenu par un couple de femmes. Au comptoir sont accoudés deux couples d’hommes.
Ce n’est pas le genre endroit où on va pleurer Johnny, me dis-je. En quoi je me trompe. L’un des hommes réclame pour lui des obsèques nationales. Je suis le seul à manger ici (saucisse d’Auvergne lentilles et mousse au chocolat, formule à quinze euros quatre-vingts) et à subir la conversation du bar. La cheffe patronne explique comment elle a mis dehors, en les traitant de tous les noms, les membres d’une équipe de cinéma qui voulaient se servir de son décor sans payer. Les hommes parlent de couilles. En réglant l’addition, je découvre que le quart de côtes-du-rhône est à neuf euros quatre-vingts.
Vin cher, propos vulgaires, on ne me reverra pas dans ce repaire. Pas loin se trouve la rue Dieu, c’est là que je vais.
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Johnny, j’ai aimé ses chansons quand j’avais dix ans. Tout comme celles des autres chanteurs et chanteuses du yéyé. Elles sont la bande son de mon enfance, laquelle avait besoin de cette légèreté. Ce pourquoi j’ai des cédés de ses chansons d’alors.
Deux ou trois ans plus tard, je découvrais la musique anglo-saxonne. Adieu le copié collé à la française. Rien du Johnny d’après Da dou ron ron ne me touchera, hormis Quelque chose de Tennessee (et La fille à qui je pense quand c’est Miossec qui la chante).
7 décembre 2017
Sans réponse au courrier postal contenant les photocopies de mes papiers d’identité désormais exigées par la Banque de France envoyé à Price Minister il y a des semaines (après que les photocopies faites par deux employés de la maison en son siège de la rue Réaumur ont été déclarées illisibles), je demande ce lundi matin à Georges-André, l’aimable tenancier de l’Hôtel de l’Europe, s’il serait d’accord pour faire des photos de ma carte d’identité avec son téléphone et les transmettre via Internet. « Bien sûr », me répond-t-il.
Un quart d’heure plus tard, je suis sur place. La procédure se déroule sans accroc. Rentré chez moi, j’ai un message m’indiquant que mes documents sont à l’étude. Ce mardi après-midi, ils sont validés. Illico, je remets ma boutique en service.
Que de temps perdu pour avoir suivi la voie du papier. Cette malheureuse expérience m’aura montré qu’en cas de problème, inutile d’espérer une réponse personnalisée de cette entreprise de commerce en ligne.
*
Autre blocage ce mardi matin : impossible de mettre en ligne mon texte du jour. Mon Journal n’apparaît même plus, ce qui est flippant.
Je contacte l’ami Loïc qui l’abrite gratuitement à l’intérieur de la structure qu’il loue pour ses propres activités. « Le site a dû être sécurisé », m’écrit-il. Il intervient auprès de son hébergeur. Celui-ci est plus réactif que Price Minister. En quelques heures, l’affaire est réglée.
*
L’ébahissement de l’ami Georges quand je lui apprends que non seulement je n’ai pas de téléphone pouvant prendre des photos et accéder à Internet, mais que je n’ai pas de téléphone du tout.
*
L’une des raisons est qu’à l’instantané, je préfère le différé. Le mail n’exige pas une réponse immédiate.
Un quart d’heure plus tard, je suis sur place. La procédure se déroule sans accroc. Rentré chez moi, j’ai un message m’indiquant que mes documents sont à l’étude. Ce mardi après-midi, ils sont validés. Illico, je remets ma boutique en service.
Que de temps perdu pour avoir suivi la voie du papier. Cette malheureuse expérience m’aura montré qu’en cas de problème, inutile d’espérer une réponse personnalisée de cette entreprise de commerce en ligne.
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Autre blocage ce mardi matin : impossible de mettre en ligne mon texte du jour. Mon Journal n’apparaît même plus, ce qui est flippant.
Je contacte l’ami Loïc qui l’abrite gratuitement à l’intérieur de la structure qu’il loue pour ses propres activités. « Le site a dû être sécurisé », m’écrit-il. Il intervient auprès de son hébergeur. Celui-ci est plus réactif que Price Minister. En quelques heures, l’affaire est réglée.
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L’ébahissement de l’ami Georges quand je lui apprends que non seulement je n’ai pas de téléphone pouvant prendre des photos et accéder à Internet, mais que je n’ai pas de téléphone du tout.
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L’une des raisons est qu’à l’instantané, je préfère le différé. Le mail n’exige pas une réponse immédiate.
5 décembre 2017
Mon téléphone sonne. C’est une employée de la Direction Régionale de la Caisse d’Epargne. Elle ne me laisse pas le temps de m’enquérir de la raison de son appel. Elle déroule son texte avec l’autorité d’une comédienne bien rodée. Mon conseiller souhaite me rencontrer afin de me faire connaître les nouvelles opportunités qui s’offrent à moi. Quand elle reprend son souffle, c’est pour me demander de lui indiquer quel jour je suis disponible.
-Vous devriez commencer par me demander si j’ai envie de le voir, lui fais-je remarquer.
Elle est décontenancée. Encore plus quand je lui dis qu’on ne me convoque pas de cette manière.
-Dans ce cas, je vous laisse vous rapprocher de votre agence, me dit-elle.
-Je ne me rapproche pas des banques, je m’en tiens le plus possible éloigné, conclus-je en raccrochant.
Veolia m’écrit. Il s’agit de me faire peur afin que je contracte une assurance contre les éventuelles fuites du tuyau situé entre mon compteur et l’arrivée d’eau du réseau. Très peu chère la première année mais qui augmente sévèrement après. Une enveloppe Té permet de répondre gratuitement. N’oubliez pas de joindre votre chèque avant de fermer l’enveloppe, est-il précisé. Je me garde de tomber dans ce piège.
Quinze jours plus tard, Veolia me relance, s’étonnant de mon absence d’adhésion. Une nouvelle enveloppe Té est jointe. Les enveloppes Té ne sont gratuites que pour l’expéditeur, c’est le destinataire qui paie. Je décide donc de les utiliser.
A la place du bulletin d’adhésion et du chèque qu’attend Veolia, je glisse dans chaque enveloppe une feuille blanche sur laquelle est inscrit, d’un coup de tampon fabriqué par le Tampographe Sardon, « J’en ai rien à foutre ».
*
Je n’ai pas rêvé, me confirme la boulangère du Fournil du Carré d’Or. La banderole annonçant la fête de Saint Nicolas, rue du même nom, a bien été installée par les services municipaux comme chaque année puis enlevée par les mêmes quand ils ont appris que l’association des commerçants s’était dissoute.
*
L’esprit de Noël descendra à Rouen ce mardi cinq décembre dans la salle des Etats de l’Historial Jeanne d’Arc. Une centaine de riches dîneront dans ce lieu d’exception pour la somme très raisonnable de cent euros. Au menu : saint-pierre à la salade de radis, Saint-Jacques au panais, bœuf à l’avocat et à la pomme, dessert au chocolat, à la poire et aux chanterelles. En cuisine : des chefs renommés dont des étoilés. Les dix mille euros récoltés seront offerts aux Restos du Cœur. De quoi offrir pas mal de boîtes de conserve à ces pauvres que l’association qualifie de bénéficiaires.
-Vous devriez commencer par me demander si j’ai envie de le voir, lui fais-je remarquer.
Elle est décontenancée. Encore plus quand je lui dis qu’on ne me convoque pas de cette manière.
-Dans ce cas, je vous laisse vous rapprocher de votre agence, me dit-elle.
-Je ne me rapproche pas des banques, je m’en tiens le plus possible éloigné, conclus-je en raccrochant.
Veolia m’écrit. Il s’agit de me faire peur afin que je contracte une assurance contre les éventuelles fuites du tuyau situé entre mon compteur et l’arrivée d’eau du réseau. Très peu chère la première année mais qui augmente sévèrement après. Une enveloppe Té permet de répondre gratuitement. N’oubliez pas de joindre votre chèque avant de fermer l’enveloppe, est-il précisé. Je me garde de tomber dans ce piège.
Quinze jours plus tard, Veolia me relance, s’étonnant de mon absence d’adhésion. Une nouvelle enveloppe Té est jointe. Les enveloppes Té ne sont gratuites que pour l’expéditeur, c’est le destinataire qui paie. Je décide donc de les utiliser.
A la place du bulletin d’adhésion et du chèque qu’attend Veolia, je glisse dans chaque enveloppe une feuille blanche sur laquelle est inscrit, d’un coup de tampon fabriqué par le Tampographe Sardon, « J’en ai rien à foutre ».
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Je n’ai pas rêvé, me confirme la boulangère du Fournil du Carré d’Or. La banderole annonçant la fête de Saint Nicolas, rue du même nom, a bien été installée par les services municipaux comme chaque année puis enlevée par les mêmes quand ils ont appris que l’association des commerçants s’était dissoute.
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L’esprit de Noël descendra à Rouen ce mardi cinq décembre dans la salle des Etats de l’Historial Jeanne d’Arc. Une centaine de riches dîneront dans ce lieu d’exception pour la somme très raisonnable de cent euros. Au menu : saint-pierre à la salade de radis, Saint-Jacques au panais, bœuf à l’avocat et à la pomme, dessert au chocolat, à la poire et aux chanterelles. En cuisine : des chefs renommés dont des étoilés. Les dix mille euros récoltés seront offerts aux Restos du Cœur. De quoi offrir pas mal de boîtes de conserve à ces pauvres que l’association qualifie de bénéficiaires.
4 décembre 2017
Ce mois de novembre redouté a glissé sans que je m’en aperçoive ou presque. Avantage ou inconvénient de l’âge qui avance, le temps accélère avec lui à la puissance deux. A peine commencé, novembre est fini. Il en sera de même de décembre, autre mois déprimant, pour la raison qu’il est celui des Fêtes (comme on appelle Noël et Jour de l’An). Impossible quand je sors d’éviter totalement ce mélange de foire commerciale et de fête foraine nommé à bon escient Rouen Givrée.
Je contourne le Marché de Noël mais ne peux, ici et là, éviter de me heurter à un manège ou à un vendeur de croustillons. C’est une sorte de prolongation de la foire Saint-Romain qui, elle, ne m’a pas gênée. Depuis qu’elle a lieu sur une presqu’île au bout de la ville, c’est comme si elle n’existait plus.
L’ai-je rêvé ? Il y avait fin novembre au début de la partie pavée de la rue Saint-Nicolas une banderole annonçant la fête du même nom, laquelle a lieu ordinairement le premier ouiquennede de décembre. On y est et point de festivités. Je ne sais à quel moment cette banderole a été enlevée.
Une succession de toboggans de plus en plus pentus, telle est la vie. Jusqu’à la sortie de glissière.
*
On peut, comme moi, habiter un bûcher qui soit en même temps une « véritable passoire thermique », selon l’expression en vogue.
*
Une femme, à l’une de ses connaissances qui en est au dessert : « Bonne fin d’appétit ».
*
Une jeune femme à une autre, il est question de séparation :
-Tu veux que les enfants fassent la part des choses ? A huit ans, cinq ans et trois ans ? Déjà toi à la trentaine, t’arrives pas à la faire.
Je contourne le Marché de Noël mais ne peux, ici et là, éviter de me heurter à un manège ou à un vendeur de croustillons. C’est une sorte de prolongation de la foire Saint-Romain qui, elle, ne m’a pas gênée. Depuis qu’elle a lieu sur une presqu’île au bout de la ville, c’est comme si elle n’existait plus.
L’ai-je rêvé ? Il y avait fin novembre au début de la partie pavée de la rue Saint-Nicolas une banderole annonçant la fête du même nom, laquelle a lieu ordinairement le premier ouiquennede de décembre. On y est et point de festivités. Je ne sais à quel moment cette banderole a été enlevée.
Une succession de toboggans de plus en plus pentus, telle est la vie. Jusqu’à la sortie de glissière.
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On peut, comme moi, habiter un bûcher qui soit en même temps une « véritable passoire thermique », selon l’expression en vogue.
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Une femme, à l’une de ses connaissances qui en est au dessert : « Bonne fin d’appétit ».
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Une jeune femme à une autre, il est question de séparation :
-Tu veux que les enfants fassent la part des choses ? A huit ans, cinq ans et trois ans ? Déjà toi à la trentaine, t’arrives pas à la faire.
1er décembre 2017
Quittant l’exposition consacrée à Derain, ce mercredi, je me laisse descendre par l’escalier mécanique du Centre Pompidou jusqu’à l’étage de la Bibliothèque Publique d’Information. Un jeune homme se trouve devant la porte habituellement fermée au public. Je lui montre comme sésame ma nouvelle carte d’adhérent. C’est aujourd’hui l’ouverture de l’exposition Jean Echenoz, roman, rotor, stator, la première consacrée en ce lieu à un écrivain vivant.
Celle-ci se tient dans un angle de l’immense salle où l’on étudie. Elle est en forme de double circonférence (rotor stator), avec en son centre un double banc en demi-lune, et tire son nom de ce passage du Méridien de Greenwich : Au double, triple jeu succède l’absence de jeu, à l’effervescence, la répétition, au rotor, le stator.
Tourner en rond, revenir au point de départ, autrement dit faire du sur place, c’est à quoi sont invités les visiteurs. Je suis le seul en ce début d’après-midi. Une surveillante tourne dans l’autre sens. Echenoz a donné ses archives à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. C’est à partir de ces documents qu’a été élaborée l’exposition : manuscrits, tapuscrits, correspondances, carnets, photos, etc. S’y ajoutent deux ou trois enregistrements d’émissions de télé et quelques œuvres d’art, dont plusieurs exemplaires de 14 dont les couvertures ont été illustrées par Jacques Villeglé.
Des citations murales enrichissent l’étude littéraire des textes de cet écrivain majeur dont j’aimais beaucoup lire les romans facétieux du temps que je lisais de la fiction. Sont recensés figures par deux, gag verbal, réécriture humoristique, récursivité, narration expéditive et zeugmes.
Au centre du double cercle, là où sont les bancs, deux casques descendent du plafond. On peut y ouïr Olivier Cadiot décryptant Ravel. Plus qu’une lecture, une interprétation personnelle vraiment attrayante dont j’écoute un bon morceau. C’est très bien dit. Il ne faut pas être nombreux (deux casques). Je suis tout seul. L’autre casque pend dans le vide. Les quelques visiteurs arrivés après moi s’agglutinent devant les vidéos.
La dilection que j’ai pour les zeugmes m’amène à en copier certains tandis qu’Olivier Cadiot décrypte dans mes oreilles (de quoi faire le bonheur du compilateur au cas où il songerait à une nouvelle édition augmentée de son livre sur le sujet):
A sa place se trouvait un jeune couple, collier de barbe et collier de perles, avec deux femmes entre deux âges et deux congrès. (tiré de Cherokee)
Ce dernier arborait une large cravate crémeuse sur une chemise en tergal chocolat, ce qui lui donnait une allure confuse de souteneur et de petit-déjeuner. (tiré de Cherokee)
La paupière de Morgan battait froidement sur son œil de bille, qu’il posa sur George Chave sans montrer de reconnaissance ni de reconnaissance. (le comble du zeugme, tiré de Cherokee)
Juste en amont du confluent avec la Marne, un vaste complexe commercial et hôtelier chinois dresse son architecture mandchoue au bord du fleuve et de la faillite. (mon préféré, tiré de Je m’en vais)
Après avoir lu une lettre de Jérôme Lindon, recensant quelques obscurités ou erreurs minimes dans un tapuscrit, et une, enthousiaste, de Jean-Patrick Manchette, j’arrive au bout, c’est à dire au point de départ. Une citation de grande taille tirée de Cherokee pose la question existentielle essentielle :
-Bon, dit Fred. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Eh bien, je m’en vais, d’abord chez Gilda qui sur son trottoir n’a pas de livres pour moi puis au second Book-Off où je n’en achète qu’un.
*
Gare Saint-Lazare, la voix de la Senecefe s’adressant aux voyageurs de la banlieue, étonnée que tout aille bien pour une fois : « Vous circulez sereinement pour rejoindre l’ensemble de vos gares ». C’est tout aussi sereinement que je rejoins Rouen avec l’habituelle bétaillère.
*
L’exposition Echenoz permet aux possesseurs de billet ou d’une carte d’adhérent d’entrer sans attendre à la Bépéhi où c’est toujours un plaisir d’être. Une bibliothèque digne de ce nom. Pour y entrer, les étudiants et autres (dont quelques clochards) doivent subir une attente interminable rue Beaubourg.
Face à l’exposition circulaire se trouve un Salon de lecture Jean Echenoz où il est loisible de lire les livres dudit, partiellement occupé, mais par des quidams lisant autre chose.
*
-Bon, dit Fred. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-Je sors pas. Je me couche ici. Pourquoi vous voulez pas m’aider ?
C’était un étranger bien habillé. Il s'adressait à l’une des employées de la Bépéhi.
Elle lui a demandé de parler moins fort. Je crois qu’il espérait être recruté par cette institution.
*
Ça m’a plu, intrigué, inquiété presque. Tu écris trop mystérieusement pour que je te prête avec assurance des attentions précises. Tout de même, il m’a semblé que «Nous trois» baigne dans l’insécurité effectivement réelle du monde de ces temps-ci. (Jean-Patrick Manchette à Jean Echenoz)
Celle-ci se tient dans un angle de l’immense salle où l’on étudie. Elle est en forme de double circonférence (rotor stator), avec en son centre un double banc en demi-lune, et tire son nom de ce passage du Méridien de Greenwich : Au double, triple jeu succède l’absence de jeu, à l’effervescence, la répétition, au rotor, le stator.
Tourner en rond, revenir au point de départ, autrement dit faire du sur place, c’est à quoi sont invités les visiteurs. Je suis le seul en ce début d’après-midi. Une surveillante tourne dans l’autre sens. Echenoz a donné ses archives à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. C’est à partir de ces documents qu’a été élaborée l’exposition : manuscrits, tapuscrits, correspondances, carnets, photos, etc. S’y ajoutent deux ou trois enregistrements d’émissions de télé et quelques œuvres d’art, dont plusieurs exemplaires de 14 dont les couvertures ont été illustrées par Jacques Villeglé.
Des citations murales enrichissent l’étude littéraire des textes de cet écrivain majeur dont j’aimais beaucoup lire les romans facétieux du temps que je lisais de la fiction. Sont recensés figures par deux, gag verbal, réécriture humoristique, récursivité, narration expéditive et zeugmes.
Au centre du double cercle, là où sont les bancs, deux casques descendent du plafond. On peut y ouïr Olivier Cadiot décryptant Ravel. Plus qu’une lecture, une interprétation personnelle vraiment attrayante dont j’écoute un bon morceau. C’est très bien dit. Il ne faut pas être nombreux (deux casques). Je suis tout seul. L’autre casque pend dans le vide. Les quelques visiteurs arrivés après moi s’agglutinent devant les vidéos.
La dilection que j’ai pour les zeugmes m’amène à en copier certains tandis qu’Olivier Cadiot décrypte dans mes oreilles (de quoi faire le bonheur du compilateur au cas où il songerait à une nouvelle édition augmentée de son livre sur le sujet):
A sa place se trouvait un jeune couple, collier de barbe et collier de perles, avec deux femmes entre deux âges et deux congrès. (tiré de Cherokee)
Ce dernier arborait une large cravate crémeuse sur une chemise en tergal chocolat, ce qui lui donnait une allure confuse de souteneur et de petit-déjeuner. (tiré de Cherokee)
La paupière de Morgan battait froidement sur son œil de bille, qu’il posa sur George Chave sans montrer de reconnaissance ni de reconnaissance. (le comble du zeugme, tiré de Cherokee)
Juste en amont du confluent avec la Marne, un vaste complexe commercial et hôtelier chinois dresse son architecture mandchoue au bord du fleuve et de la faillite. (mon préféré, tiré de Je m’en vais)
Après avoir lu une lettre de Jérôme Lindon, recensant quelques obscurités ou erreurs minimes dans un tapuscrit, et une, enthousiaste, de Jean-Patrick Manchette, j’arrive au bout, c’est à dire au point de départ. Une citation de grande taille tirée de Cherokee pose la question existentielle essentielle :
-Bon, dit Fred. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Eh bien, je m’en vais, d’abord chez Gilda qui sur son trottoir n’a pas de livres pour moi puis au second Book-Off où je n’en achète qu’un.
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Gare Saint-Lazare, la voix de la Senecefe s’adressant aux voyageurs de la banlieue, étonnée que tout aille bien pour une fois : « Vous circulez sereinement pour rejoindre l’ensemble de vos gares ». C’est tout aussi sereinement que je rejoins Rouen avec l’habituelle bétaillère.
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L’exposition Echenoz permet aux possesseurs de billet ou d’une carte d’adhérent d’entrer sans attendre à la Bépéhi où c’est toujours un plaisir d’être. Une bibliothèque digne de ce nom. Pour y entrer, les étudiants et autres (dont quelques clochards) doivent subir une attente interminable rue Beaubourg.
Face à l’exposition circulaire se trouve un Salon de lecture Jean Echenoz où il est loisible de lire les livres dudit, partiellement occupé, mais par des quidams lisant autre chose.
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-Bon, dit Fred. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-Je sors pas. Je me couche ici. Pourquoi vous voulez pas m’aider ?
C’était un étranger bien habillé. Il s'adressait à l’une des employées de la Bépéhi.
Elle lui a demandé de parler moins fort. Je crois qu’il espérait être recruté par cette institution.
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Ça m’a plu, intrigué, inquiété presque. Tu écris trop mystérieusement pour que je te prête avec assurance des attentions précises. Tout de même, il m’a semblé que «Nous trois» baigne dans l’insécurité effectivement réelle du monde de ces temps-ci. (Jean-Patrick Manchette à Jean Echenoz)
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