Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
16 juillet 2018
Pour la deuxième session des Terrasses du Jeudi, je commence à dix-neuf heures place de la Calende près du Bar de la Flèche où sur une scène ridiculement petite s’installe le trio Hoboken Division qui a l’avantage de posséder une chanteuse, laquelle s’exprime en anglais donc je ne sais pas ce qu’elle raconte. Côté musique, il s’agit d’un rock de bon aloi, mais je ne reste pas au-delà du troisième morceau car la place Saint-Marc m’appelle.
A dix-neuf heures trente, face aux cafés Le Clos Saint Marc et Le Grand Saint Marc, sur une scène de dimensions adéquates, commence à s’exprimer la Royal Company du Capitaine Sparks, un groupe de hip hop latino mené par un jeune homme à casquette qui chante en français, évoquant les questions sociales et un peu le couple. La musique est tonique et pleine de cuivres. Cela me va bien comme à l’ensemble du nombreux public, constitué surtout de gens du coin qui aiment faire la fête, enfin ce qu’ils appellent la fête,
-Le prochain morceau, je voudrais le dédicacer au pays qui m’a vu grandir, déclare le chanteur. Le Pays de Bray. Vous connaissez ? Il a de bons fromages, maïs pas que.
Pour le rappel, c’était fatal, il revient vêtu d’un maillot de foute.
Je retourne place de la Calende. Des militants d’Alternatiba y distribuent des tracts invitant à leur ouiquennede pour le climat.
Une femme demande à l’un, quinquagénaire blanchi et barbu, s’il y aura des ateliers pour les enfants.
-Non, maïs c’est juste à côté de Rouen sur Mer alors vous pourrez y aller après.
A vingt heures quarante-cinq, Santa Cruz s’installe sur la minuscule scène. C’est de la pop et le chanteur a la voix de Phil Collins ce qui suffit pour me donner envie de partir. Cinq minutes plus tard, je suis à la maison.
*
Le Pays de Bray, je ne m’y attendais pas, à celle-là.
*
Pas davantage à ce qu’un écolo incite une mère de famille à fréquenter une plage artificielle.
A dix-neuf heures trente, face aux cafés Le Clos Saint Marc et Le Grand Saint Marc, sur une scène de dimensions adéquates, commence à s’exprimer la Royal Company du Capitaine Sparks, un groupe de hip hop latino mené par un jeune homme à casquette qui chante en français, évoquant les questions sociales et un peu le couple. La musique est tonique et pleine de cuivres. Cela me va bien comme à l’ensemble du nombreux public, constitué surtout de gens du coin qui aiment faire la fête, enfin ce qu’ils appellent la fête,
-Le prochain morceau, je voudrais le dédicacer au pays qui m’a vu grandir, déclare le chanteur. Le Pays de Bray. Vous connaissez ? Il a de bons fromages, maïs pas que.
Pour le rappel, c’était fatal, il revient vêtu d’un maillot de foute.
Je retourne place de la Calende. Des militants d’Alternatiba y distribuent des tracts invitant à leur ouiquennede pour le climat.
Une femme demande à l’un, quinquagénaire blanchi et barbu, s’il y aura des ateliers pour les enfants.
-Non, maïs c’est juste à côté de Rouen sur Mer alors vous pourrez y aller après.
A vingt heures quarante-cinq, Santa Cruz s’installe sur la minuscule scène. C’est de la pop et le chanteur a la voix de Phil Collins ce qui suffit pour me donner envie de partir. Cinq minutes plus tard, je suis à la maison.
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Le Pays de Bray, je ne m’y attendais pas, à celle-là.
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Pas davantage à ce qu’un écolo incite une mère de famille à fréquenter une plage artificielle.
14 juillet 2018
Il est quasiment midi. Je redescends sur le boulevard de Clichy et suis le premier à entrer au Bouillon Pigalle dont les grilles viennent de s’ouvrir.
-Bonjour, comment allez-vous ? me demande un jeune homme à la mèche blonde qui peut-être me prend pour un autre.
Je demande une table à la terrasse de l’étage afin de bien voir l’agitation du dehors. Ce bouillon est récent et propose, comme son concurrent Chartier, de la cuisine traditionnelle à prix serré. Banquettes en cuir rouge, miroirs et faïence, l’endroit est vaste et très fréquenté. A ma droite sont deux jeunes hommes, des collègues de la start-up nation qui se partagent plusieurs entrées. A ma gauche sont deux jeunes femmes, des collègues du monde des boutiques qui se partagent un litre de chardonnay. La moins jolie s’exprime dans un français rugueux : « J’espère pas qui pleut ce soir parce que ma soirée c’est dehors ». La plus jolie évoque son ex (comme elle dit) avec une certaine nostalgie. « Je suis sûr qu’un soir où tu seras bourrée tu vas lui sauter dessus, lui dit sa copine, tu as bien failli me sauter dessus, à moi, en boîte, alors qu’il était là. » Os à moelle, boudin basque et purée de pommes de terre, tarte aux myrtilles, quart de luberon, café bio font une addition de vingt-deux euros soixante, tout cela étant très bon, de même que le pain campagnard.
Sorti du bouillon, je descends le boulevard où tentent de m’agripper quelques rabatteuses puis, après le Wepler, remonte vers la Fourche. Un peu plus haut se trouve la rue Dautancourt où j’ai eu des moments de bonheur avec celle qui me disait Je t’aime. Le marronnier est toujours là, au numéro dix-sept. Il a été sévèrement élagué l’hiver dernier. Cela permet de voir les fenêtres de son appartement d’alors. Celles de celui du dessous sont garnies de drapeaux tricolores.
*
Au retour à Saint-Lazare, le train de dix sept heures quarante-huit n’est pas là. « Il rencontre des difficultés lors de sa préparation ». Lors de son arrivée à quai, son conducteur est applaudi par ceux qui subissent ça fréquemment. Cela se traduit par une demi-heure de retard.
-Bonjour, comment allez-vous ? me demande un jeune homme à la mèche blonde qui peut-être me prend pour un autre.
Je demande une table à la terrasse de l’étage afin de bien voir l’agitation du dehors. Ce bouillon est récent et propose, comme son concurrent Chartier, de la cuisine traditionnelle à prix serré. Banquettes en cuir rouge, miroirs et faïence, l’endroit est vaste et très fréquenté. A ma droite sont deux jeunes hommes, des collègues de la start-up nation qui se partagent plusieurs entrées. A ma gauche sont deux jeunes femmes, des collègues du monde des boutiques qui se partagent un litre de chardonnay. La moins jolie s’exprime dans un français rugueux : « J’espère pas qui pleut ce soir parce que ma soirée c’est dehors ». La plus jolie évoque son ex (comme elle dit) avec une certaine nostalgie. « Je suis sûr qu’un soir où tu seras bourrée tu vas lui sauter dessus, lui dit sa copine, tu as bien failli me sauter dessus, à moi, en boîte, alors qu’il était là. » Os à moelle, boudin basque et purée de pommes de terre, tarte aux myrtilles, quart de luberon, café bio font une addition de vingt-deux euros soixante, tout cela étant très bon, de même que le pain campagnard.
Sorti du bouillon, je descends le boulevard où tentent de m’agripper quelques rabatteuses puis, après le Wepler, remonte vers la Fourche. Un peu plus haut se trouve la rue Dautancourt où j’ai eu des moments de bonheur avec celle qui me disait Je t’aime. Le marronnier est toujours là, au numéro dix-sept. Il a été sévèrement élagué l’hiver dernier. Cela permet de voir les fenêtres de son appartement d’alors. Celles de celui du dessous sont garnies de drapeaux tricolores.
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Au retour à Saint-Lazare, le train de dix sept heures quarante-huit n’est pas là. « Il rencontre des difficultés lors de sa préparation ». Lors de son arrivée à quai, son conducteur est applaudi par ceux qui subissent ça fréquemment. Cela se traduit par une demi-heure de retard.
13 juillet 2018
Ce mercredi, in extremis, je trouve une place assise sur un strapontin du sept heures vingt-quatre pour Paris, lequel arrive à l’heure à Saint-Lazare. J’ai le temps d’aller pédestrement avec mon sac de livres à vendre jusqu’au Book-Off de Quatre-Septembre. Je suis même en avance et m’assois sur l’un des bancs situés derrière la sortie du métro. Une jolie fille me fait face sur un autre. Elle a L’Equipe sur les genoux, fait une photo de la une « La tête dans les étoiles » et l’envoie à je ne sais qui. A-t-on vu spectacle plus navrant. Encore une fois « on a gagné » et encore une fois des centaines de fanatiques ont affronté les Céhéresses dans les rues de Rouen. On essaiera de faire mieux lors de la finale dimanche.
Mon sac de livres me rapporte treize euros soixante-dix. Je les réinvestis dans la boutique car j’y trouve plus de livres intéressants que j’espérais. Cela se traduit par un sac à dos plein et lourd. N’ayant pas envie de me le coltiner toute la journée, je négocie avec les employés de le laisser à leur garde jusqu’à quinze heures.
N’ayant plus rien à porter et ne pouvant pas acheter de livres supplémentaires ailleurs, je pars d’un pas léger droit devant et aboutis comme je le pensais rue Jean-Baptiste Pigalle. Après être passé devant Chez Moune, cabaret féminin, je tourne à droite sur le boulevard de Clichy et atteins La Fourmi. Seul un homme y fait le client, accoudé au comptoir. Le serveur discute avec les cuisiniers qui mangent avant leur service. Je prends place à une table sans qu’il se soucie de moi. Je lui laisse quelques minutes puis me lève et remets ma veste. Il se précipite. « C’est trop tard, lui dis-je, bonne journée. »
Je remonte la rue des Martyrs puis tourne à gauche vers la place des Abbesses derrière laquelle se trouve, à l’emplacement de l’ancienne Mairie de Montmartre, le square Jehan-Rictus. Un banc m’y accueille où je poursuis la lecture du Dernier mois de Léon Blum. Derrière moi se trouve le mur des Je t’aime. L’aveu y est écrit dans deux cent cinquante langues ou dialectes. Cette œuvre d’art sommaire est signée Frédéric Baron, Daniel Boulogne et Claire Kito. Elle doit être signalée dans tous les guides touristiques japonais si j’en juge par le nombre de celles et ceux qui s’y selfient à l’aide d’une perche. Le guide d’un groupe d’anglophones ironise, quant à lui, sur The Wall of Broken Hearts avant d’entrer dans la boulangerie pour acheter deux baguettes que, tel Jésus, il rompt et distribue à ses ouailles.
-Do you like it ?
Paris sera toujours Paris, la ville du romantisme et de la baguette de pain.
*
La Fourmi, un café souvent agréable à fréquenter ; cependant ce n’est pas la première fois que j’y trouve un jeune serveur prétentieux.
Mon sac de livres me rapporte treize euros soixante-dix. Je les réinvestis dans la boutique car j’y trouve plus de livres intéressants que j’espérais. Cela se traduit par un sac à dos plein et lourd. N’ayant pas envie de me le coltiner toute la journée, je négocie avec les employés de le laisser à leur garde jusqu’à quinze heures.
N’ayant plus rien à porter et ne pouvant pas acheter de livres supplémentaires ailleurs, je pars d’un pas léger droit devant et aboutis comme je le pensais rue Jean-Baptiste Pigalle. Après être passé devant Chez Moune, cabaret féminin, je tourne à droite sur le boulevard de Clichy et atteins La Fourmi. Seul un homme y fait le client, accoudé au comptoir. Le serveur discute avec les cuisiniers qui mangent avant leur service. Je prends place à une table sans qu’il se soucie de moi. Je lui laisse quelques minutes puis me lève et remets ma veste. Il se précipite. « C’est trop tard, lui dis-je, bonne journée. »
Je remonte la rue des Martyrs puis tourne à gauche vers la place des Abbesses derrière laquelle se trouve, à l’emplacement de l’ancienne Mairie de Montmartre, le square Jehan-Rictus. Un banc m’y accueille où je poursuis la lecture du Dernier mois de Léon Blum. Derrière moi se trouve le mur des Je t’aime. L’aveu y est écrit dans deux cent cinquante langues ou dialectes. Cette œuvre d’art sommaire est signée Frédéric Baron, Daniel Boulogne et Claire Kito. Elle doit être signalée dans tous les guides touristiques japonais si j’en juge par le nombre de celles et ceux qui s’y selfient à l’aide d’une perche. Le guide d’un groupe d’anglophones ironise, quant à lui, sur The Wall of Broken Hearts avant d’entrer dans la boulangerie pour acheter deux baguettes que, tel Jésus, il rompt et distribue à ses ouailles.
-Do you like it ?
Paris sera toujours Paris, la ville du romantisme et de la baguette de pain.
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La Fourmi, un café souvent agréable à fréquenter ; cependant ce n’est pas la première fois que j’y trouve un jeune serveur prétentieux.
12 juillet 2018
Prudemment, c’est vers dix-sept heures quinze que j’arrive à L’Armitière ce mardi où Sylvain Tesson est attendu à dix-huit heures. J’ai eu le temps de terminer au jardin la lecture de Sur les chemins noirs, le récit de la traversée pédestre qu’il fit de la France pour achever de se remettre de la chute de huit mètres d’un toit un jour d’abus d’alcool, un livre qui j’ai aimé. Aujourd’hui, il vient évoquer son dernier livre Un été avec Homère, lequel regroupe des chroniques faites sur France Inter, que je n’ai pas écoutées. Il y a déjà une dizaine d’assis. Je trouve place au bout du troisième rang. Nous sommes face à un mur d’ouvrages sur le foute, à droite un mur sur le jardinage, à gauche un mur sur la cuisine. Cela témoigne de ce qu’est devenue L’Armitière.
-Vous avez lu un de ses livres ? demande un homme à cheveux blancs à une femme à cheveux blancs qui mange des amandes grillées.
-Non, moi je l’ai vu à La Grande Librairie. C’est un original. Il est courageux.
Beaucoup de monde arrive. Certain(e)s doivent s’asseoir par terre ou rester debout derrière et sur les côtés. Les esprits s’échauffent sous la verrière : « C’est trop petit », « C’est pas adapté », C’était mieux là-bas » (là bas : plus haut dans la rue de la Jeanne où était L’Armitière auparavant).
A l’heure dite Sylvain Tesson apparaît, blouson de cuir, casquette, lunettes sur la casquette, Coca Zéro à la main. Il est accompagné de la blonde libraire chargée des intervious. « C’est toujours la même », dit-on derrière moi. « Elle est spéciale ». « Elle ne sait pas lire », ajoute-t-on quand elle cite une des pages du livre du jour.
Pourquoi est-elle si maniérée ? Côtoyer quelqu’un de connu la rend ridicule. On pourrait faire un film de ses mimiques : inspirée, songeuse, approbatrice, inquiète, vexée. Et de ses hochements de tête incessants lorsqu’elle écoute son invité dont la gueule cassée à demi paralysée est moins abîmée que je ne pensais. Sa bonne oreille est celle située près de son interlocutrice à qui il répond patiemment, tout en lui faisant comprendre que certaines de ses questions sont de peu d’intérêt. J’imagine qu’il préférerait mille fois être ailleurs.
-La seule vertu que je me reconnaisse, c’est la lucidité sur moi-même, déclare-t-il après avoir expliqué qu’il n’était pas un saint.
-Le meilleur dans mon livre, ce sont les citations d’Homère, ajoute-t-il. C’est la seule chose à retenir.
Je note aussi : « Les formules, c’est comme les bulots, à force d’en manger vous avez un gros tas de coquilles, Et ça, c’est encore une formule »
Le principal plaisir qu’il trouve à la (re)lecture d’Homère, c’est le goût qu’avait celui-ci pour les métaphores. De quoi me conforter dans mon absence d’envie de passer l’été avec L’Iliade ou L’Odyssée. Homère restera un bon souvenir de ma classe de sixième.
Sylvain Tesson sort un pan de sa chemise pour nettoyer ses lunettes puis le renfile. A la demande de la libraire, il lit un dernier extrait de son livre puis se lève comme s’il en avait assez. « Des questions ? » demande l’interviouveuse. Personne ne se manifeste. C’est donc le moment des dédicaces de livres. Il est dix-neuf heures. Je m’exfiltre de la foule et rentre à la maison avant que les rues ne deviennent le terrain de jeu des fanatiques.
*
Avant Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), j’ai lu au jardin Le lambeau de Philippe Lançon (Gallimard), avant l’histoire d’une gueule cassée, celle d’une gueule fracassée. Quelle ténacité il a fallu au survivant de la tuerie de Charlie Hebdo pour en supporter les conséquences, notamment la greffe d’un de ses péronés pour en faire un nouveau menton (le lambeau).
-Vous avez lu un de ses livres ? demande un homme à cheveux blancs à une femme à cheveux blancs qui mange des amandes grillées.
-Non, moi je l’ai vu à La Grande Librairie. C’est un original. Il est courageux.
Beaucoup de monde arrive. Certain(e)s doivent s’asseoir par terre ou rester debout derrière et sur les côtés. Les esprits s’échauffent sous la verrière : « C’est trop petit », « C’est pas adapté », C’était mieux là-bas » (là bas : plus haut dans la rue de la Jeanne où était L’Armitière auparavant).
A l’heure dite Sylvain Tesson apparaît, blouson de cuir, casquette, lunettes sur la casquette, Coca Zéro à la main. Il est accompagné de la blonde libraire chargée des intervious. « C’est toujours la même », dit-on derrière moi. « Elle est spéciale ». « Elle ne sait pas lire », ajoute-t-on quand elle cite une des pages du livre du jour.
Pourquoi est-elle si maniérée ? Côtoyer quelqu’un de connu la rend ridicule. On pourrait faire un film de ses mimiques : inspirée, songeuse, approbatrice, inquiète, vexée. Et de ses hochements de tête incessants lorsqu’elle écoute son invité dont la gueule cassée à demi paralysée est moins abîmée que je ne pensais. Sa bonne oreille est celle située près de son interlocutrice à qui il répond patiemment, tout en lui faisant comprendre que certaines de ses questions sont de peu d’intérêt. J’imagine qu’il préférerait mille fois être ailleurs.
-La seule vertu que je me reconnaisse, c’est la lucidité sur moi-même, déclare-t-il après avoir expliqué qu’il n’était pas un saint.
-Le meilleur dans mon livre, ce sont les citations d’Homère, ajoute-t-il. C’est la seule chose à retenir.
Je note aussi : « Les formules, c’est comme les bulots, à force d’en manger vous avez un gros tas de coquilles, Et ça, c’est encore une formule »
Le principal plaisir qu’il trouve à la (re)lecture d’Homère, c’est le goût qu’avait celui-ci pour les métaphores. De quoi me conforter dans mon absence d’envie de passer l’été avec L’Iliade ou L’Odyssée. Homère restera un bon souvenir de ma classe de sixième.
Sylvain Tesson sort un pan de sa chemise pour nettoyer ses lunettes puis le renfile. A la demande de la libraire, il lit un dernier extrait de son livre puis se lève comme s’il en avait assez. « Des questions ? » demande l’interviouveuse. Personne ne se manifeste. C’est donc le moment des dédicaces de livres. Il est dix-neuf heures. Je m’exfiltre de la foule et rentre à la maison avant que les rues ne deviennent le terrain de jeu des fanatiques.
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Avant Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), j’ai lu au jardin Le lambeau de Philippe Lançon (Gallimard), avant l’histoire d’une gueule cassée, celle d’une gueule fracassée. Quelle ténacité il a fallu au survivant de la tuerie de Charlie Hebdo pour en supporter les conséquences, notamment la greffe d’un de ses péronés pour en faire un nouveau menton (le lambeau).
11 juillet 2018
Ce lundi matin, je suis entouré d’une dizaine de pré-branlotin(e)s dans le petit train qui mène à Dieppe. Elles et eux sont calmes, pour la raison qu’ils ne se connaissent pas. L’un verse une larme. L’une des trois filles en ticheurte orange siglé « Cer base de Dieppe » qui encadrent ce séjour d’une semaine à la mer lui énonce le programme, un tas d’activités physiques, et puis demain soir on regarde le match.
-Tu vas voir, ça va passer vite.
Il y a aussi deux branlotins desquels une pré-branlotine essaie d’attirer l’attention. L’un ne cesse de parler, notamment de ses vacances prochaines.
-Mes parents ont pris des places en première classe, moi et mon frère on sera en seconde, trop bien, on va faire que les cons.
Cette fois j’ai emporté mon appareil photo. Vais-je encore trouver ce qui avait attiré mon œil il y a des semaines dans la vitrine de la boutique d’articles de fêtes Le Capricorne, quai Duquesne : un tablier illustré d’un corps d’homme nu à la bite turgescente. Il y est toujours, ce qui prouve que dans cette ville on peut exposer ce genre d’image dans un lieu fréquenté par des mineur(e)s sans que personne ne s’en offusque. Je fais ma photo puis vais prendre un café à la terrasse du Tout Va Bien.
Il fait presque aussi chaud qu’à Rouen mais ce beau temps n’attire pas les masses. A midi, je déjeune à l’ombre d’un parasol du Taj Mahal où l’on écoute un cousin de Nusrat Fateh Ali Khan. Le menu est à treize euros cinquante, nan au fromage inclus : beignets de crevette, curry de poisson avec riz basmati et pâtisserie maison. Près de moi sont assises deux jeunes femmes. Elles ont deux impératifs : manger en quarante-cinq minutes, offrir leurs jambes au soleil. L’une narre sa dernière sortie à l’autre qui ne pipe mot, en résumé : « une soirée de merde ». C’est l’heure où le Seven Sisters crache de la fumée noire avant de quitter le port pour rallier New Haven.
Ce n’est pas un jour à bronzer tranquillement sur la plage car le Tour de France à la Voile est là. Il semble intéresser peu de monde mais impose la présence d’une énorme infrastructure sur le front de mer, laquelle diffuse le commentaire des épreuves à haute puissance.
Le calme qu’il me faut est en ville, à la terrasse du Brazza dont le café se paie un euro trente. J’y poursuis la lecture des Lettres choisies de Joseph Roth.
*
Dans une boîte à livres rouennaise, un ancien ouvrage signé par Laurent Fabius : C’est en allant vers la mer. Vu ce qui est arrivé au Parti Socialiste, il aurait dû appeler ça C’est en allant vers l’amer ou bien ajouter un sous-titre C’est en allant vers la mer (pour sauter du haut de la falaise).
-Tu vas voir, ça va passer vite.
Il y a aussi deux branlotins desquels une pré-branlotine essaie d’attirer l’attention. L’un ne cesse de parler, notamment de ses vacances prochaines.
-Mes parents ont pris des places en première classe, moi et mon frère on sera en seconde, trop bien, on va faire que les cons.
Cette fois j’ai emporté mon appareil photo. Vais-je encore trouver ce qui avait attiré mon œil il y a des semaines dans la vitrine de la boutique d’articles de fêtes Le Capricorne, quai Duquesne : un tablier illustré d’un corps d’homme nu à la bite turgescente. Il y est toujours, ce qui prouve que dans cette ville on peut exposer ce genre d’image dans un lieu fréquenté par des mineur(e)s sans que personne ne s’en offusque. Je fais ma photo puis vais prendre un café à la terrasse du Tout Va Bien.
Il fait presque aussi chaud qu’à Rouen mais ce beau temps n’attire pas les masses. A midi, je déjeune à l’ombre d’un parasol du Taj Mahal où l’on écoute un cousin de Nusrat Fateh Ali Khan. Le menu est à treize euros cinquante, nan au fromage inclus : beignets de crevette, curry de poisson avec riz basmati et pâtisserie maison. Près de moi sont assises deux jeunes femmes. Elles ont deux impératifs : manger en quarante-cinq minutes, offrir leurs jambes au soleil. L’une narre sa dernière sortie à l’autre qui ne pipe mot, en résumé : « une soirée de merde ». C’est l’heure où le Seven Sisters crache de la fumée noire avant de quitter le port pour rallier New Haven.
Ce n’est pas un jour à bronzer tranquillement sur la plage car le Tour de France à la Voile est là. Il semble intéresser peu de monde mais impose la présence d’une énorme infrastructure sur le front de mer, laquelle diffuse le commentaire des épreuves à haute puissance.
Le calme qu’il me faut est en ville, à la terrasse du Brazza dont le café se paie un euro trente. J’y poursuis la lecture des Lettres choisies de Joseph Roth.
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Dans une boîte à livres rouennaise, un ancien ouvrage signé par Laurent Fabius : C’est en allant vers la mer. Vu ce qui est arrivé au Parti Socialiste, il aurait dû appeler ça C’est en allant vers l’amer ou bien ajouter un sous-titre C’est en allant vers la mer (pour sauter du haut de la falaise).
10 juillet 2018
Vendredi, c’est le jour du match (comme ils disent). La serveuse du Son du Cor, qui avoue ne pas s’intéresser au foute mais quand c’est la Coupe du Monde, obligé quoi, est complètement émoustillée. Elle porte du bleu blanc rouge sur les paupières (elle a dû s’y prendre à deux fois, la faute au miroir). Elle fait accrocher un drapeau en façade. Elle pousse la musique à fond.
Une cliente lui demande si vraiment ce n’est pas possible de mettre un peu moins fort.
-Non, faut bien soutenir les bleus.
J’arrive quand même à lire. Un autre client explique que tous les bus passant près du O'Kallaghan's seront détournés pendant le match car il y a eu des débordements la fois précédente. Les hurlements et chants patriotiques, que du jardin je pensais venir du Bar des Fleurs, devaient provenir de ce temple de la bière pourtant séparé de chez moi par deux rues et de nombreux bâtiments.
A seize heures j’y suis au jardin, subissant la nuisance. Chaque but de l’équipe de France déclenche le cri du troupeau, suivi une minute plus tard de celui d’une voisine qui regarde ça sur ordinateur avec son compagnon muet.
Jouez claque-sons résonnez pétards on a gagné on a gagné.
Le lendemain au Son du Cor on parle d’un qui s’est fait gazé par les Céhéresses en sortant de faire ses courses chez U Express à côté du O'Kallaghan's. Ceux-ci répondaient à des jets de bouteilles. Faute de bus à bloquer, les énervés ont grimpé sur des toits de voitures et vidé des extincteurs. On essaiera de faire mieux mardi soir contre la Belgique.
Certains sont contents que ce ne soit pas le Brésil car, c’est bien connu, il vaut mieux affronter un petit pays qu’un grand. Ils feraient bien de se souvenir du match Etats-Unis/Vietnam et de ce qui est arrivé aux pays arabes quand ils ont joué contre Israël en mil neuf cent soixante-sept. Il y a bien sûr des contre-exemples.
*
Doivent être contents les proches de ce nouveau bar à bière rouennais élégamment nommé Le Môme qui Pisse. Il possède deux entrées, rue Ganterie et rue de la Poterne. Sur les portes un message révélateur : « Pensez aux voisins, soyez sympas ».
Une cliente lui demande si vraiment ce n’est pas possible de mettre un peu moins fort.
-Non, faut bien soutenir les bleus.
J’arrive quand même à lire. Un autre client explique que tous les bus passant près du O'Kallaghan's seront détournés pendant le match car il y a eu des débordements la fois précédente. Les hurlements et chants patriotiques, que du jardin je pensais venir du Bar des Fleurs, devaient provenir de ce temple de la bière pourtant séparé de chez moi par deux rues et de nombreux bâtiments.
A seize heures j’y suis au jardin, subissant la nuisance. Chaque but de l’équipe de France déclenche le cri du troupeau, suivi une minute plus tard de celui d’une voisine qui regarde ça sur ordinateur avec son compagnon muet.
Jouez claque-sons résonnez pétards on a gagné on a gagné.
Le lendemain au Son du Cor on parle d’un qui s’est fait gazé par les Céhéresses en sortant de faire ses courses chez U Express à côté du O'Kallaghan's. Ceux-ci répondaient à des jets de bouteilles. Faute de bus à bloquer, les énervés ont grimpé sur des toits de voitures et vidé des extincteurs. On essaiera de faire mieux mardi soir contre la Belgique.
Certains sont contents que ce ne soit pas le Brésil car, c’est bien connu, il vaut mieux affronter un petit pays qu’un grand. Ils feraient bien de se souvenir du match Etats-Unis/Vietnam et de ce qui est arrivé aux pays arabes quand ils ont joué contre Israël en mil neuf cent soixante-sept. Il y a bien sûr des contre-exemples.
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Doivent être contents les proches de ce nouveau bar à bière rouennais élégamment nommé Le Môme qui Pisse. Il possède deux entrées, rue Ganterie et rue de la Poterne. Sur les portes un message révélateur : « Pensez aux voisins, soyez sympas ».
9 juillet 2018
Comme chaque juillet depuis dix-huit ans, revoici Les Terrasses du Jeudi, ces concerts gratuits dont certains se tiennent devant des cafés. Pour cette première session, faute de meilleure inspiration, je me trouve une place à l’ombre près de la Brasserie Paul. A dix-huit heures, avec pour fond de scène la Cathédrale, arrive un dénommé Gaëdic Chambrier (ses parents devaient lire l’Agrippine de Claire Bretécher) « salué par les pointures de la folk française (Dan Ar Braz, Malicorne…) », dixit le livret rédigé par les responsables de la programmation (Le Kalif). Lui et ses musiciens commencent par ce qui s’apparente à de la musique américaine puis ils vont du côté de la musique africaine, bref ça part dans tous les sens et a un petit aspect amateur, encore plus à la fin quand il invite à monter sur scène un chanteur qui en fait des tonnes.
J’ai le temps de lire un moment au jardin avant de me diriger vers Le Trois Pièces. Là, je trouve un lampadaire contre lequel m’appuyer. Le fond de scène est l’abbatiale Saint-Ouen. A vingt heures quarante-cinq s’installent trois musiciens venus de Liège. Il s’agit de The Experimental Tropic Blues Band qui, l’an dernier, a fait l’objet d’un film intitulé Spit’n’Split. Rien à voir avec les bricoleurs de tout à l’heure, ces trois-là sont des pros qui jouent ensemble depuis bientôt vingt ans, ce que ne dénonce pas leur physique. Cela commence comme du rock bien costaud puis tourne au délire surréaliste à la Belge, confirmant les propos du Kalif : « un mélange barbare de sorcellerie psychobilly et de garage-punk survitaminé ». Cette musique me sied comme à l’ensemble du public, lequel est de plus en plus remuant devant. Les trois gars sont contents d’être à Rouen pour le premier concert de leur tournée française. Vers la fin, le guitariste cède son instrument à un spectateur prénommé Jérôme pour qui c’est la minute de gloire tandis que lui descend chanter au milieu du public. Pour terminer, c’est un morceau sans guitare, une reprise des Cramps.
Et comme toujours l’inénarrable photographe officiel papillonne autour des artistes, mini-vélo, chouigne-gomme et bouchons d’oreille fournis par l’organisation.
*
Au restaurant japonais :
-Non, je n’ai pas dit qu’elle était désagréable. J’ai juste dit qu’elle ne disait pas bonjour et qu’elle faisait des coups en douce.
*
Rue Eau-de-Robec, une Anglaise au téléphone :
-Do you love me ?
J’ai le temps de lire un moment au jardin avant de me diriger vers Le Trois Pièces. Là, je trouve un lampadaire contre lequel m’appuyer. Le fond de scène est l’abbatiale Saint-Ouen. A vingt heures quarante-cinq s’installent trois musiciens venus de Liège. Il s’agit de The Experimental Tropic Blues Band qui, l’an dernier, a fait l’objet d’un film intitulé Spit’n’Split. Rien à voir avec les bricoleurs de tout à l’heure, ces trois-là sont des pros qui jouent ensemble depuis bientôt vingt ans, ce que ne dénonce pas leur physique. Cela commence comme du rock bien costaud puis tourne au délire surréaliste à la Belge, confirmant les propos du Kalif : « un mélange barbare de sorcellerie psychobilly et de garage-punk survitaminé ». Cette musique me sied comme à l’ensemble du public, lequel est de plus en plus remuant devant. Les trois gars sont contents d’être à Rouen pour le premier concert de leur tournée française. Vers la fin, le guitariste cède son instrument à un spectateur prénommé Jérôme pour qui c’est la minute de gloire tandis que lui descend chanter au milieu du public. Pour terminer, c’est un morceau sans guitare, une reprise des Cramps.
Et comme toujours l’inénarrable photographe officiel papillonne autour des artistes, mini-vélo, chouigne-gomme et bouchons d’oreille fournis par l’organisation.
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Au restaurant japonais :
-Non, je n’ai pas dit qu’elle était désagréable. J’ai juste dit qu’elle ne disait pas bonjour et qu’elle faisait des coups en douce.
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Rue Eau-de-Robec, une Anglaise au téléphone :
-Do you love me ?
7 juillet 2018
Sorti de chez New New, j’entre au Centre Pompidou et grimpe au Niveau Six par la chenille surchauffée afin de voir l’exposition UAM : une aventure moderne. L’Union des Artistes Modernes a prospéré de mil neuf cent vingt-neuf aux années cinquante. C’est l’équivalent français des Bauhaus et De Stijl mais son nom n’a pas été favorable à sa notoriété. J’ignorais son existence jusqu’à ce jour. Je fais le tour des projets et réalisations : architecture, décoration, graphisme, reliure, bijouterie, peinture, sculpture, sans éprouver le désir d’approfondir mes connaissances.
Je descends au niveau Cinq et me met à la recherche de l’exposition qui m’a conduit ici Jean-Jacques Lebel, l’outrepasseur, demandant où au premier gardien que je vois, un jeune homme qui veille sur trois grands Miró.
-Nous on n’est pas là pour ça, me répond-il, on est là pour surveiller. Allez voir à l’information là-bas.
Jamais encore un gardien de musée ne m’avait fait une telle réponse. A l’information, il n’y a personne.
-Elle doit être partie en pause, me dit une autre gardienne, mais je peux peut-être vous renseigner.
L’expo Lebel est au niveau Quatre. Elle n’en revient pas quand je lui dis ce que m’a répondu son collègue. Je vais revoir celui-ci et lui apprend qu’il n’y a personne à l’information mais que j’ai trouvé une gardienne plus correcte que lui.
Peut-être est-ce la proximité des multiples évocations de Mai Soixante-Huit liées au cinquantenaire, mais ce que je vois du Lebel de cette époque, ses peintures, ses happenings, son activisme politique, me mène vite à saturation. Cinq minutes après être arrivé, je ressors.
Dans les salles en face est montrée une exposition intitulée Acquisitions récentes du cabinet d’art graphique. J’en fais le tour. Il y a là de grands noms : Kandinsky, Klee, Appel, Jorn, Giacometti, de Staël, Picabia, mais il s’agit de dations et donc d’œuvres de catégorie secondaire.
Pour finir, je descends au niveau Moins Un afin de voir les photos de Sabine Weiss, période mil neuf cent quarante-cinq/mil neuf cent soixante, groupées sous le titre Les villes, la rue, l’autre. Les villes sont Paris, New York et Moscou. Ces images en noir et blanc du temps de ma naissance et de ma toute petite enfance sont ce qui m’intéresse le plus dans cette visite au Centre Pompidou.
Sorti de là, je vais voir ce que l’on montre dans les présentoirs de rue de la bouquinerie Gilda et pour un euro cinquante achète La France contre les robots de Georges Bernanos (Le Castor Astral).
Gare Saint-Lazare, une jeune soldate de l’opération Sentinelle attire tous les regards. Jolie et frêle, suivie de trois soldats, elle arpente la salle des pas perdus l’œil déterminé, prête à utiliser son fusil-mitrailleur.
Le train de dix-sept heures quarante-huit est à l’heure mais c’est la bétaillère dont on ne peut plus descendre la majorité des vitres, une étuve dont je sors transpirant à l’arrivée à Rouen.
*
Un homme à un autre, rue du Quatre-Septembre :
-A Bordeaux, nous on n’a pas ça. Ça me choque, moi, des fois.
Ça, ce sont des mendiants, père, mère et enfants en bas âge, assis sur le trottoir en plein soleil
*
Une femme à une autre, dans le Book-Off de Quatre-Septembre :
-Qu’est-ce que tu as lu comme livres qui t’ont fait du bien ?
-Je ne lis pas des livres comme ça.
*
Une vieille femme à une autre plus jeune au café La Ville d’Argentan :
-Est-ce que tu peux faire une prière pour moi, pour que mon ascenseur refonctionne.
*
Ce vendredi un mail du Centre Pompidou pour me demander comment s’est passé ma visite. Il ne pouvait pas mieux tomber (comme on dit).
Je descends au niveau Cinq et me met à la recherche de l’exposition qui m’a conduit ici Jean-Jacques Lebel, l’outrepasseur, demandant où au premier gardien que je vois, un jeune homme qui veille sur trois grands Miró.
-Nous on n’est pas là pour ça, me répond-il, on est là pour surveiller. Allez voir à l’information là-bas.
Jamais encore un gardien de musée ne m’avait fait une telle réponse. A l’information, il n’y a personne.
-Elle doit être partie en pause, me dit une autre gardienne, mais je peux peut-être vous renseigner.
L’expo Lebel est au niveau Quatre. Elle n’en revient pas quand je lui dis ce que m’a répondu son collègue. Je vais revoir celui-ci et lui apprend qu’il n’y a personne à l’information mais que j’ai trouvé une gardienne plus correcte que lui.
Peut-être est-ce la proximité des multiples évocations de Mai Soixante-Huit liées au cinquantenaire, mais ce que je vois du Lebel de cette époque, ses peintures, ses happenings, son activisme politique, me mène vite à saturation. Cinq minutes après être arrivé, je ressors.
Dans les salles en face est montrée une exposition intitulée Acquisitions récentes du cabinet d’art graphique. J’en fais le tour. Il y a là de grands noms : Kandinsky, Klee, Appel, Jorn, Giacometti, de Staël, Picabia, mais il s’agit de dations et donc d’œuvres de catégorie secondaire.
Pour finir, je descends au niveau Moins Un afin de voir les photos de Sabine Weiss, période mil neuf cent quarante-cinq/mil neuf cent soixante, groupées sous le titre Les villes, la rue, l’autre. Les villes sont Paris, New York et Moscou. Ces images en noir et blanc du temps de ma naissance et de ma toute petite enfance sont ce qui m’intéresse le plus dans cette visite au Centre Pompidou.
Sorti de là, je vais voir ce que l’on montre dans les présentoirs de rue de la bouquinerie Gilda et pour un euro cinquante achète La France contre les robots de Georges Bernanos (Le Castor Astral).
Gare Saint-Lazare, une jeune soldate de l’opération Sentinelle attire tous les regards. Jolie et frêle, suivie de trois soldats, elle arpente la salle des pas perdus l’œil déterminé, prête à utiliser son fusil-mitrailleur.
Le train de dix-sept heures quarante-huit est à l’heure mais c’est la bétaillère dont on ne peut plus descendre la majorité des vitres, une étuve dont je sors transpirant à l’arrivée à Rouen.
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Un homme à un autre, rue du Quatre-Septembre :
-A Bordeaux, nous on n’a pas ça. Ça me choque, moi, des fois.
Ça, ce sont des mendiants, père, mère et enfants en bas âge, assis sur le trottoir en plein soleil
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Une femme à une autre, dans le Book-Off de Quatre-Septembre :
-Qu’est-ce que tu as lu comme livres qui t’ont fait du bien ?
-Je ne lis pas des livres comme ça.
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Une vieille femme à une autre plus jeune au café La Ville d’Argentan :
-Est-ce que tu peux faire une prière pour moi, pour que mon ascenseur refonctionne.
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Ce vendredi un mail du Centre Pompidou pour me demander comment s’est passé ma visite. Il ne pouvait pas mieux tomber (comme on dit).
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