Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
5 novembre 2018
Romain, jeune homosexuel rouennais, a été victime d’un traquenard dans la nuit du vingt-quatre au vingt-cinq octobre. Ayant sympathisé avec deux fêtards à La Bohème, il les a suivis au Kristol puis, sur leur proposition de finir la nuit chez un de leurs amis, est monté dans leur voiture. Le cauchemar a commencé. Insulté, battu, séquestré, il n’a réussi à fuir qu’au matin en se réfugiant dans le Crédit Agricole de la place Saint-Marc où ses tortionnaires voulaient qu’il retire mil cinq cents euros.
Son témoignage a paru sur Gayviking, photos terrifiantes à l’appui, puis a fait le tour des réseaux sociaux. En conséquence, un rassemblement contre l’homophobie a lieu ce samedi trois novembre à quatorze heures sur le pont Corneille, au bout de l’île Lacroix, où j’arrive un peu avant quatorze heures.
Nous sommes bientôt assez nombreux pour bloquer la circulation des bus mais pas les cinq mille espérés par les organisations à l’origine du rassemblement. Des élu(e)s sont présents, communistes, écologistes, socialistes (dont Yvon Robert, Maire) et centristes (dont Damien Adam, Député). La télévision régionale filme, ainsi que celle d’information continue qui a déjà bien relayé l’histoire.
Des membres des organisations prennent la parole sur la plateforme d’un camion de location. L’un d’eux lit un message de Romain dans lequel celui-ci remercie les présents, ceux qui l’ont pris en charge après son agression, notamment son ami Officier de Police qui est venu le récupérer au Crédit Agricole, l’a emmené aux Urgences puis aidé à porter plainte, et ceux qui lui ont envoyé des messages de sympathie (de Nicolas Sirkis, chanteur d’Indochine, à Emmanuel Macron, Président de la République). Dans les autres discours, il est question de plus jamais ça. On peut toujours rêver.
-Est-ce que vous êtes partants pour faire une chaîne qui reliera la rive droite avec la rive gauche ? demande la dernière intervenante.
Là c’est trop pour moi. Fuyant l’angélisme, je croise l’une que je connais.
-Je suis partant, lui dis-je. Pour ne pas faire la chaîne.
-Ça ne m’étonne pas, me dit-elle.
*
Déjà il ne faudrait plus que, dès qu’ils pensent se faire avoir, les humains se plaignent de se faire sodomiser. Dernière illustration : les Gilets Jaunes, cette nouvelle variété de Bonnets Rouges, qui manifestent contre les taxes sur l’essence et le diesel en brandissant des carottes pour dénoncer Macron qui la leur met profond. On n’est pas des pédés quand même.
Son témoignage a paru sur Gayviking, photos terrifiantes à l’appui, puis a fait le tour des réseaux sociaux. En conséquence, un rassemblement contre l’homophobie a lieu ce samedi trois novembre à quatorze heures sur le pont Corneille, au bout de l’île Lacroix, où j’arrive un peu avant quatorze heures.
Nous sommes bientôt assez nombreux pour bloquer la circulation des bus mais pas les cinq mille espérés par les organisations à l’origine du rassemblement. Des élu(e)s sont présents, communistes, écologistes, socialistes (dont Yvon Robert, Maire) et centristes (dont Damien Adam, Député). La télévision régionale filme, ainsi que celle d’information continue qui a déjà bien relayé l’histoire.
Des membres des organisations prennent la parole sur la plateforme d’un camion de location. L’un d’eux lit un message de Romain dans lequel celui-ci remercie les présents, ceux qui l’ont pris en charge après son agression, notamment son ami Officier de Police qui est venu le récupérer au Crédit Agricole, l’a emmené aux Urgences puis aidé à porter plainte, et ceux qui lui ont envoyé des messages de sympathie (de Nicolas Sirkis, chanteur d’Indochine, à Emmanuel Macron, Président de la République). Dans les autres discours, il est question de plus jamais ça. On peut toujours rêver.
-Est-ce que vous êtes partants pour faire une chaîne qui reliera la rive droite avec la rive gauche ? demande la dernière intervenante.
Là c’est trop pour moi. Fuyant l’angélisme, je croise l’une que je connais.
-Je suis partant, lui dis-je. Pour ne pas faire la chaîne.
-Ça ne m’étonne pas, me dit-elle.
*
Déjà il ne faudrait plus que, dès qu’ils pensent se faire avoir, les humains se plaignent de se faire sodomiser. Dernière illustration : les Gilets Jaunes, cette nouvelle variété de Bonnets Rouges, qui manifestent contre les taxes sur l’essence et le diesel en brandissant des carottes pour dénoncer Macron qui la leur met profond. On n’est pas des pédés quand même.
3 novembre 2018
Sorti du Musée de l’Orangerie, j’entre dans le Jardin des Tuileries et en sors par la porte de Castiglione avec en perspective la colonne Vendôme. Avant d’arriver sur la place des rupins, je tourne à droite dans la rue du Mont-Thabor et entre à midi pile, ce mercredi, au Petit Bar, gargote que j’ai connue grâce à un article du Parisien. Le couple qui le tient, fort âgé, y travaille depuis cinquante ans.
Comme l’indique son nom, c’est petit. Des habitués mangent sur le comptoir. Une famille espagnole occupe la plus grande table. Derrière moi sont deux collègues des deux sexes. J’ai l’autre table pour deux avec vue sur la rue. L’unique plat du jour est basique : stèque frites.
-Voulez-vous une entrée ? me demande l’un des deux serveurs, lesquels, jeunes quinquagénaires, sont les enfants du couple. On a des tomates du jardin.
Je me laisse tenter. Elles sont bien bonnes et viennent de l’Allier. « Demain on ferme jusqu’à lundi, entends-je, il est tombé vingt centimètres de neige chez nous et on nous a signalé des branches cassées, il faut qu’on aille déblayer ça. »
Le stèque est présenté en fines lamelles (une ruse auvergnate pour diminuer la quantité, me dis-je) et les frites sont bonnes, même si elles ne valent pas les rouennaises de La Tonne. J’accompagne ça d’un quart de côtes-du-rhône.
-Voulez-vous un dessert ? me demande le vieux patron, quatre-vingt-sept ans, un peu de surdité et l’accent du pays. Je choisis la tarte aux fraises faite par sa femme qui a à peu près le même âge.
Au moment de payer, je découvre qu’ici point de menu ni de formule. On mange populaire mais à la carte. Et le quart de côtes-du-rhône frôle les sept euros. Je m’en tire avec une addition de vingt-sept euros quatre-vingt-dix. Elle m’oblige à courir à la tirette la plus proche, rue Saint-Honoré, car on ne prend pas la carte.
Après ce repas rustique à ambiance provinciale et familiale, je passe par les clinquantes place Vendôme et rue de la Paix, où cependant les pauvres sont présents. Devant le Park Hyatt Paris-Vendôme, dont la porte principale est bloquée, se tiennent des femmes de ménage soutenues par la Cégété, lesquelles sont en grève depuis le vingt-cinq septembre. Ce sont des employées de la sous-traitance qui veulent leur intégration dans le personnel du palace et aussi un meilleur salaire.
Il est facile de deviner la couleur de peau de ces femmes. La sono diffuse de la musique de là-bas. Dans les boutiques de luxe d’à côté la vie commerçante va comme toujours, sous la surveillance de vigiles de la même couleur. Arrivé devant l’Opéra, je prends le métro Trois.
Je sors à Ledru-Rollin et chez Book-Off constate que de bons livres à un euro m’attendaient : Mémoires de l’ombre de Marcel Béalu (Phébus), Correspondance Fante/Mencken (Christian Bourgois), Le Journal poétique de Sissi d’Elisabeth, Impératrice d’Autriche (Le Félin Arte Editions), Les gisants de Jacques Drillon (Le Promeneur), et un autre à cinq euros : Ecrits et correspondances de Franz Marc (Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts).
Un métro Trois me ramène à Opéra d’où je vais explorer l’autre Book-Off avec beaucoup moins de succès. Je n’achète à un euro que Le Siège de l’âme (Eloge de la sodomie) de Claude Guillon (Zulma), trouvé au rayon Philosophie. A l’étage, je discute un court moment avec le vieux bouquiniste qui me dit aller un peu mieux mais sait-on jamais, soixante-dix ans quand même.
C’est en buvant un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, établissement cher à l’un de mes fidèles lecteurs, ai-je récemment appris, où il a des souvenirs de jeunesse, que j’attends l’heure de mon train de retour à Rouen.
Pour la dernière fois je composte mon billet. Désormais la Senecefe ne vend que des e-billets, nominatifs et non cessibles. Les miens seront en carton, imprimés en gare à l’automate.
*
Ma boîte de sardines n’en est pas une, constaté-je à l’arrivée. Elle contient des aubergines cuisinées à la provençale avec de l’huile d’olive vierge extra. « Le meilleur repas est celui que l’on partage », prétend la maison Cassegrain.
Comme l’indique son nom, c’est petit. Des habitués mangent sur le comptoir. Une famille espagnole occupe la plus grande table. Derrière moi sont deux collègues des deux sexes. J’ai l’autre table pour deux avec vue sur la rue. L’unique plat du jour est basique : stèque frites.
-Voulez-vous une entrée ? me demande l’un des deux serveurs, lesquels, jeunes quinquagénaires, sont les enfants du couple. On a des tomates du jardin.
Je me laisse tenter. Elles sont bien bonnes et viennent de l’Allier. « Demain on ferme jusqu’à lundi, entends-je, il est tombé vingt centimètres de neige chez nous et on nous a signalé des branches cassées, il faut qu’on aille déblayer ça. »
Le stèque est présenté en fines lamelles (une ruse auvergnate pour diminuer la quantité, me dis-je) et les frites sont bonnes, même si elles ne valent pas les rouennaises de La Tonne. J’accompagne ça d’un quart de côtes-du-rhône.
-Voulez-vous un dessert ? me demande le vieux patron, quatre-vingt-sept ans, un peu de surdité et l’accent du pays. Je choisis la tarte aux fraises faite par sa femme qui a à peu près le même âge.
Au moment de payer, je découvre qu’ici point de menu ni de formule. On mange populaire mais à la carte. Et le quart de côtes-du-rhône frôle les sept euros. Je m’en tire avec une addition de vingt-sept euros quatre-vingt-dix. Elle m’oblige à courir à la tirette la plus proche, rue Saint-Honoré, car on ne prend pas la carte.
Après ce repas rustique à ambiance provinciale et familiale, je passe par les clinquantes place Vendôme et rue de la Paix, où cependant les pauvres sont présents. Devant le Park Hyatt Paris-Vendôme, dont la porte principale est bloquée, se tiennent des femmes de ménage soutenues par la Cégété, lesquelles sont en grève depuis le vingt-cinq septembre. Ce sont des employées de la sous-traitance qui veulent leur intégration dans le personnel du palace et aussi un meilleur salaire.
Il est facile de deviner la couleur de peau de ces femmes. La sono diffuse de la musique de là-bas. Dans les boutiques de luxe d’à côté la vie commerçante va comme toujours, sous la surveillance de vigiles de la même couleur. Arrivé devant l’Opéra, je prends le métro Trois.
Je sors à Ledru-Rollin et chez Book-Off constate que de bons livres à un euro m’attendaient : Mémoires de l’ombre de Marcel Béalu (Phébus), Correspondance Fante/Mencken (Christian Bourgois), Le Journal poétique de Sissi d’Elisabeth, Impératrice d’Autriche (Le Félin Arte Editions), Les gisants de Jacques Drillon (Le Promeneur), et un autre à cinq euros : Ecrits et correspondances de Franz Marc (Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts).
Un métro Trois me ramène à Opéra d’où je vais explorer l’autre Book-Off avec beaucoup moins de succès. Je n’achète à un euro que Le Siège de l’âme (Eloge de la sodomie) de Claude Guillon (Zulma), trouvé au rayon Philosophie. A l’étage, je discute un court moment avec le vieux bouquiniste qui me dit aller un peu mieux mais sait-on jamais, soixante-dix ans quand même.
C’est en buvant un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, établissement cher à l’un de mes fidèles lecteurs, ai-je récemment appris, où il a des souvenirs de jeunesse, que j’attends l’heure de mon train de retour à Rouen.
Pour la dernière fois je composte mon billet. Désormais la Senecefe ne vend que des e-billets, nominatifs et non cessibles. Les miens seront en carton, imprimés en gare à l’automate.
*
Ma boîte de sardines n’en est pas une, constaté-je à l’arrivée. Elle contient des aubergines cuisinées à la provençale avec de l’huile d’olive vierge extra. « Le meilleur repas est celui que l’on partage », prétend la maison Cassegrain.
2 novembre 2018
Ce mercredi, à l’arrivée dans la capitale du train parti à sept heures cinquante-six, j’attrape machinalement la boîte de sardines qu’une fille distribue à la sortie de Saint-Lazare, la mets dans ma poche et me dirige vers l’église de la Madeleine. Je contourne l’édifice puis longe le Jardin des Tuileries jusqu’au Musée de l’Orangerie qui a la bonne idée d’être ouvert dès neuf heures.
Je pose mon sac dans la boîte qui passe au détecteur de métaux puis m’engage sous le portique et fais sonner l’alarme. La responsable est dans ma poche, qu’un peu penaud je montre au vigile qui s’est précipité. Après m’être débarrassé de tout ça au vestiaire, je paie les neuf euros demandés. Je suis là pour découvrir l’exposition temporaire Les contes cruels de Paula Rego.
Paula Rego est une artiste portugaise et britannique, née en mil neuf cent trente-cinq, dont j’ignorais jusqu’au nom. Son univers mental, où se côtoient James Ensor et Lucian Freud, Dante illustré par Gustave Doré, Peter Pan et Pinocchio, Daumier et Granville, les Bonnes de Jean Genet, la Comtesse de Ségur et Charlotte Brontë, a tout pour me séduire. Ses toiles, tout à la fois naturalistes et surréalistes, sont dès les premières, celles de la série « Filles et chien », sulfureuses et malsaines, et rien de ce qui est malsain ne m’est indifférent. Bizarrement (ou non), les cartels explicatifs cherchent à minorer cet aspect, considérant certaines des scènes louches comme des évocations allégoriques de la maladie puis de la mort du mari de la peintre, l’artiste Victor Willing. Je suis pour ma part d’accord avec ce qu’écrit Philippe Dagen dans Le Monde « l’art de Paula Rego est profondément scandaleux, chargé de sous-entendus sexuels, irrespectueux de toute décence, crûment satirique et susceptible de susciter dans l’esprit du spectateur de très mauvais rêves. »
Il y a longtemps qu’une exposition ne m’avait autant intéressé. Je m’attarde devant La famille (et son homme pantin censé être le mari malade), La fille du policier (elle lui cire la botte en compagnie d’un chat balthusien), Gepetto lavant Pinocchio (son modèle est Ron Mueck gendre de la peintre et le Pinocchio l’une des premières sculptures dudit, laquelle figure dans l’exposition face à ce tableau et à un autre tout aussi suspect La fée bleue qui chuchote à l’oreille de Pinocchio), enfin Le chef-d’œuvre inconnu inspiré de la nouvelle de Balzac (le peintre est une femme et le modèle un homme dominé, plaqué contre la toile). « Le féminisme de Paulo Rego est viscéral et nuancé », est-il écrit sur le mur.
Il est très agréable de parcourir les salles souterraines de cette exposition. Elles sont peu fréquentées à cette heure matinale et surtout par un public jeune en majorité féminin. Il y a davantage de monde dans les salles de la collection permanente que je vais revoir ensuite et où j’élis La nièce du peintre d’André Derain, et encore plus au rez-de-chaussée où sont exposés dans les deux vastes salles ovales Les nymphéas de Claude Monet. Il est d’usage de se faire photographier devant, surtout si l’on est une fille.
*
« Mes sujets favoris sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies. Je veux toujours tout changer, chambouler l’ordre établi, remplacer les héroïnes et les idiots ». (Paula Rego)
*
"Etre une femme-chien ne signifie pas nécessairement être opprimée, cela n’a pas grand-chose à voir. Dans ces tableaux, chaque femme-chien n’est pas opprimée mais puissante. C’est bien d’être bestiale. » (Paula Rego)
Je pose mon sac dans la boîte qui passe au détecteur de métaux puis m’engage sous le portique et fais sonner l’alarme. La responsable est dans ma poche, qu’un peu penaud je montre au vigile qui s’est précipité. Après m’être débarrassé de tout ça au vestiaire, je paie les neuf euros demandés. Je suis là pour découvrir l’exposition temporaire Les contes cruels de Paula Rego.
Paula Rego est une artiste portugaise et britannique, née en mil neuf cent trente-cinq, dont j’ignorais jusqu’au nom. Son univers mental, où se côtoient James Ensor et Lucian Freud, Dante illustré par Gustave Doré, Peter Pan et Pinocchio, Daumier et Granville, les Bonnes de Jean Genet, la Comtesse de Ségur et Charlotte Brontë, a tout pour me séduire. Ses toiles, tout à la fois naturalistes et surréalistes, sont dès les premières, celles de la série « Filles et chien », sulfureuses et malsaines, et rien de ce qui est malsain ne m’est indifférent. Bizarrement (ou non), les cartels explicatifs cherchent à minorer cet aspect, considérant certaines des scènes louches comme des évocations allégoriques de la maladie puis de la mort du mari de la peintre, l’artiste Victor Willing. Je suis pour ma part d’accord avec ce qu’écrit Philippe Dagen dans Le Monde « l’art de Paula Rego est profondément scandaleux, chargé de sous-entendus sexuels, irrespectueux de toute décence, crûment satirique et susceptible de susciter dans l’esprit du spectateur de très mauvais rêves. »
Il y a longtemps qu’une exposition ne m’avait autant intéressé. Je m’attarde devant La famille (et son homme pantin censé être le mari malade), La fille du policier (elle lui cire la botte en compagnie d’un chat balthusien), Gepetto lavant Pinocchio (son modèle est Ron Mueck gendre de la peintre et le Pinocchio l’une des premières sculptures dudit, laquelle figure dans l’exposition face à ce tableau et à un autre tout aussi suspect La fée bleue qui chuchote à l’oreille de Pinocchio), enfin Le chef-d’œuvre inconnu inspiré de la nouvelle de Balzac (le peintre est une femme et le modèle un homme dominé, plaqué contre la toile). « Le féminisme de Paulo Rego est viscéral et nuancé », est-il écrit sur le mur.
Il est très agréable de parcourir les salles souterraines de cette exposition. Elles sont peu fréquentées à cette heure matinale et surtout par un public jeune en majorité féminin. Il y a davantage de monde dans les salles de la collection permanente que je vais revoir ensuite et où j’élis La nièce du peintre d’André Derain, et encore plus au rez-de-chaussée où sont exposés dans les deux vastes salles ovales Les nymphéas de Claude Monet. Il est d’usage de se faire photographier devant, surtout si l’on est une fille.
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« Mes sujets favoris sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies. Je veux toujours tout changer, chambouler l’ordre établi, remplacer les héroïnes et les idiots ». (Paula Rego)
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"Etre une femme-chien ne signifie pas nécessairement être opprimée, cela n’a pas grand-chose à voir. Dans ces tableaux, chaque femme-chien n’est pas opprimée mais puissante. C’est bien d’être bestiale. » (Paula Rego)
31 octobre 2018
C’est désormais deux fois par an que passent les ami(e)s de Stockholm par Rouen. Pour cette nouvelle rencontre, j’ai suggéré (imposé) La Tonne, ne voulant pas déjeuner dans une des brasseries de la place Saint-Marc comme il était envisagé.
Ce lundi, à onze heure moins le quart, je pousse la porte de la brasserie de la rue Saint-Vivien, laquelle dans les années soixante-dix figurait dans le guide d’Actuel comme repaire de lycéen(ne)s. Ce n’est plus le cas depuis la loi anti-tabac, mais le lieu n’a pas changé depuis un demi-siècle.
J’ai le temps de lire Paris Normandie, et ainsi d’apprendre que rue de la Poterne s’ouvre un salon de coiffure nommé Chez l’père Masson, avant qu’arrive l’homme au chapeau. Quelques minutes après onze heures, entrent celle et celui qui vivent en exil. A une table de quatre, de café en café, nous devisons jusqu’à midi. J’ai réservé la table ronde du fond pour le déjeuner. Elle est entourée de six chaises car à l’heure dite se présentent un autre Rouennais et une Rouennaise, grâce à qui je ne suis pas le plus vieux de cette bande d’ancien(ne)s abonné(e)s Entrée Plus de l’Opéra de Rouen.
La cuisine ici est rustique, faite par le patron qui semble beaucoup souffrir du dos et servie par une jeune femme décontractée. Chacun(e) trouve son bonheur y compris les végétarien(ne)s. Pour ma part, c’est langue de bœuf et purée maison, toutes deux délicieuses. En bonus, à la demande quasi générale, un saladier d’excellentes frites maison est posé au centre de la table. La conversation s’échauffe car la plus âgée évoque ses souvenirs lointains de rencontres avec des exhibitionnistes.
L’amie de Stockholm ayant un rendez-vous dans le quartier à quatorze heures, nous restons à cinq jusqu’à trois heures moins le quart, la table étant ensuite réservée par des joueurs de cartes.
Les deux plus vieux partent vaquer à des occupations personnelles. Nous poursuivons à trois chez Couleur Café, rue Eau-de-Robec, un lieu chaleureux dont le principal défaut est d’être beaucoup trop petit. Le barista (comme disent certains) réussit à nous caser autour de la seule table pour quatre lorsque revient l’amie de Stockholm. Elle nous donne la date de son prochain rendez-vous : le lundi quinze avril deux mille dix-neuf. Ce sera donc aussi celle de la rencontre printanière Rouen Stockholm.
*
-Qui est cette fille qui ressemble à Marie Trintignant à qui tu as dit bonjour, me demande l’ami de Stockholm chez Couleur Café où elle vient d’entrer.
Je lui parle de mon mystérieux voisin dont l’appartement est en vis-à-vis du mien de l’autre côté du jardin. Il n’a pas l’air de travailler et passe la journée entière à lire à sa fenêtre. Elle venait chez lui un été, traversant le jardin avec une ardeur toute juvénile. Je l’appelais Petit Courant d’Air Frais.
Ce mardi, surprise et coïncidence, ledit voisin déménage. En une matinée son appartement est vide. Je n’en saurai jamais davantage sur lui.
Ce lundi, à onze heure moins le quart, je pousse la porte de la brasserie de la rue Saint-Vivien, laquelle dans les années soixante-dix figurait dans le guide d’Actuel comme repaire de lycéen(ne)s. Ce n’est plus le cas depuis la loi anti-tabac, mais le lieu n’a pas changé depuis un demi-siècle.
J’ai le temps de lire Paris Normandie, et ainsi d’apprendre que rue de la Poterne s’ouvre un salon de coiffure nommé Chez l’père Masson, avant qu’arrive l’homme au chapeau. Quelques minutes après onze heures, entrent celle et celui qui vivent en exil. A une table de quatre, de café en café, nous devisons jusqu’à midi. J’ai réservé la table ronde du fond pour le déjeuner. Elle est entourée de six chaises car à l’heure dite se présentent un autre Rouennais et une Rouennaise, grâce à qui je ne suis pas le plus vieux de cette bande d’ancien(ne)s abonné(e)s Entrée Plus de l’Opéra de Rouen.
La cuisine ici est rustique, faite par le patron qui semble beaucoup souffrir du dos et servie par une jeune femme décontractée. Chacun(e) trouve son bonheur y compris les végétarien(ne)s. Pour ma part, c’est langue de bœuf et purée maison, toutes deux délicieuses. En bonus, à la demande quasi générale, un saladier d’excellentes frites maison est posé au centre de la table. La conversation s’échauffe car la plus âgée évoque ses souvenirs lointains de rencontres avec des exhibitionnistes.
L’amie de Stockholm ayant un rendez-vous dans le quartier à quatorze heures, nous restons à cinq jusqu’à trois heures moins le quart, la table étant ensuite réservée par des joueurs de cartes.
Les deux plus vieux partent vaquer à des occupations personnelles. Nous poursuivons à trois chez Couleur Café, rue Eau-de-Robec, un lieu chaleureux dont le principal défaut est d’être beaucoup trop petit. Le barista (comme disent certains) réussit à nous caser autour de la seule table pour quatre lorsque revient l’amie de Stockholm. Elle nous donne la date de son prochain rendez-vous : le lundi quinze avril deux mille dix-neuf. Ce sera donc aussi celle de la rencontre printanière Rouen Stockholm.
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-Qui est cette fille qui ressemble à Marie Trintignant à qui tu as dit bonjour, me demande l’ami de Stockholm chez Couleur Café où elle vient d’entrer.
Je lui parle de mon mystérieux voisin dont l’appartement est en vis-à-vis du mien de l’autre côté du jardin. Il n’a pas l’air de travailler et passe la journée entière à lire à sa fenêtre. Elle venait chez lui un été, traversant le jardin avec une ardeur toute juvénile. Je l’appelais Petit Courant d’Air Frais.
Ce mardi, surprise et coïncidence, ledit voisin déménage. En une matinée son appartement est vide. Je n’en saurai jamais davantage sur lui.
30 octobre 2018
C’est au tour des Brésilien(ne)s d’élire pour Président, à une grande majorité des voix, un type d’extrême droite raciste, misogyne, homophobe et climatosceptique. De domino en domino, les démocraties laissent place aux démocratures. Russie, Turquie, Etats-Unis, Pologne, Hongrie, Italie, et j’en passe. On peut toujours compter sur les masses populaires pour faire leur malheur.
J’ai toujours pensé que face au dérèglement climatique, la barbarie l’emporterait. Je ne pensais pas que ça irait si vite.
A qui le tour ? La France est sur les rangs. Pas une semaine sans que Le Rassemblement National et La France Insoumise ne s’applaudissent mutuellement à l’Assemblée Nationale et désormais Mélenchon approuve la politique économique de Salvini. Cela présage d’un bel avenir. Je ne suis pas pro Macron, loin de là, mais je me contente de sa présence à la tête de l’Etat, n’étant pas pressé de connaître ce qui viendra après.
*
Cette semaine dans l’Amérique de Trump, l’envoi par un détraqué de lettres piégées à des personnalités hostiles à sa politique puis l’irruption dans une synagogue de Pittsburgh d’un détraqué clamant qu’il faut tuer tous les Juifs.
Le Parisien donne la liste des victimes :
« Daniel Stein, 71 ans, tout juste devenu grand-père, priait à la synagogue chaque samedi. Il était un membre actif de sa communauté, écrit USA Today. Joyce Fienberg, 75 ans, était la veuve de Stephen E. Fienberg, un professeur de sciences sociales à l’université Carnergie Mellon. Elle laisse derrière elle deux fils et plusieurs petits enfants. Les frères Cecil et David Rosenthal étaient âgés de 54 et 59 ans et les époux Bernice et Sylvan Simon de 84 et 86 ans. Parmi les personnes décédées, se trouvent également Richard Gottfried, 65 ans, Jerry Rabinowitz, 66 ans, Irving Younger, 69 ans et Melvin Wax, 88 ans. Rose Mallinger, enfin, est la victime la plus âgée de l’attaque. Elle était âgée de 97 ans. »
*
A propos de cette dernière, André Markowicz écrit :
Je ne ferai pas de chronique aujourd’hui. Juste, dans le chaos ambiant, dans la haine qui monte et nous laisse de moins en moins d'espace, je lis la liste des victimes de la synagogue de Pittsburgh où habite, juive non croyante, émigrée d'URSS, la meilleure amie de ma mère, et je vois cette dame, Rose Mallinger, âgée de 97 ans, « survivante de l'Holocauste ». Je ne sais rien d'elle, évidemment, je n'ai pas trouvé de photo d'elle au moment où j'écris, je sais juste ça : par quoi elle a passé (et non, je ne le sais pas) et je sais que Squirrel Hill, on me le dit, est un quartier juif, et elle y a vécu toute sa vie ensuite, visiblement. Je voudrais trouver un sens à cette mort — dans une synagogue — mais je ne suis pas croyant, je n'en trouve pas.
Je peux dire ça : le hasard a bon dos.
J’ai toujours pensé que face au dérèglement climatique, la barbarie l’emporterait. Je ne pensais pas que ça irait si vite.
A qui le tour ? La France est sur les rangs. Pas une semaine sans que Le Rassemblement National et La France Insoumise ne s’applaudissent mutuellement à l’Assemblée Nationale et désormais Mélenchon approuve la politique économique de Salvini. Cela présage d’un bel avenir. Je ne suis pas pro Macron, loin de là, mais je me contente de sa présence à la tête de l’Etat, n’étant pas pressé de connaître ce qui viendra après.
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Cette semaine dans l’Amérique de Trump, l’envoi par un détraqué de lettres piégées à des personnalités hostiles à sa politique puis l’irruption dans une synagogue de Pittsburgh d’un détraqué clamant qu’il faut tuer tous les Juifs.
Le Parisien donne la liste des victimes :
« Daniel Stein, 71 ans, tout juste devenu grand-père, priait à la synagogue chaque samedi. Il était un membre actif de sa communauté, écrit USA Today. Joyce Fienberg, 75 ans, était la veuve de Stephen E. Fienberg, un professeur de sciences sociales à l’université Carnergie Mellon. Elle laisse derrière elle deux fils et plusieurs petits enfants. Les frères Cecil et David Rosenthal étaient âgés de 54 et 59 ans et les époux Bernice et Sylvan Simon de 84 et 86 ans. Parmi les personnes décédées, se trouvent également Richard Gottfried, 65 ans, Jerry Rabinowitz, 66 ans, Irving Younger, 69 ans et Melvin Wax, 88 ans. Rose Mallinger, enfin, est la victime la plus âgée de l’attaque. Elle était âgée de 97 ans. »
*
A propos de cette dernière, André Markowicz écrit :
Je ne ferai pas de chronique aujourd’hui. Juste, dans le chaos ambiant, dans la haine qui monte et nous laisse de moins en moins d'espace, je lis la liste des victimes de la synagogue de Pittsburgh où habite, juive non croyante, émigrée d'URSS, la meilleure amie de ma mère, et je vois cette dame, Rose Mallinger, âgée de 97 ans, « survivante de l'Holocauste ». Je ne sais rien d'elle, évidemment, je n'ai pas trouvé de photo d'elle au moment où j'écris, je sais juste ça : par quoi elle a passé (et non, je ne le sais pas) et je sais que Squirrel Hill, on me le dit, est un quartier juif, et elle y a vécu toute sa vie ensuite, visiblement. Je voudrais trouver un sens à cette mort — dans une synagogue — mais je ne suis pas croyant, je n'en trouve pas.
Je peux dire ça : le hasard a bon dos.
29 octobre 2018
Une très légère oscillation (Journal 2014-2017) de Sylvain Tesson, publié chez Equateurs est la reprise de textes publiés dans Le Point, Philosophie Magazine et Grands Reportages, textes qui ont été remaniés. On y trouve un certain nombre d’aphorismes, dont celui-ci daté de mai deux mille quatorze:
Le mariage est l’intervalle qui sépare une passion élémentaire d’une pension alimentaire.
Egalement une évocation de la Côte d’Albâtre, datée de juin deux mille quatorze:
Le village de Sainte-Marguerite-sur-Mer repose à l’ouest de Dieppe. Les vaches y broutent une herbe iodée. La mer est vert de jade. (…) Dans les tableaux de Boudin, les gens à la plage se tenaient debout ou assis. Aujourd’hui, tout le monde se couche. (…) Il y a quelques années, le bunker allemand qui coiffait la paroi s’est détaché. Il gît à présent au pied de la falaise, comme un monument futuriste. Si j’étais rédacteur en chef de journal, je me servirais de ce bunker pour illustrer le dossier sur «l’effondrement de l’immobilier».
Et cet aveu de mai deux mille quinze :
Suis allé dans une agence Orange pour rétablir ma connexion.
L’allergie de Sylvain Tesson aux technologies du vingt et unième siècle n’est que relative. En revanche, son admiration pour Poutine est inconditionnelle.
*
Krishnâ Renou a collaboré à plusieurs expositions pour les Musées d’Orsay et Carnavalet, c’est tout ce que l’on sait d’elle. Son Victor Hugo en voyage, publié chez Payot, revient, entre autres déplacements, sur les escapades estivales faites en compagnie de Juliette, sa maîtresse et que Victor narrait par lettres à Adèle, sa femme :
La diligence de Rouen passe à dix heures. Si j’y trouve une place, je la prendrai. Dans ce cas-là, je ne serais à Paris que vendredi dans la journée. Tu sais quelle rage j’ai de voir Rouen. (…) À bientôt donc, pense à moi qui t’aime et aime-moi. Tu es ma joie. (vingt-trois juillet mil huit cent trente-quatre)
Si Hugo fut enthousiasmé par Rouen, il ne le fut pas par Yvetot, sotte ville où les maisons sont rouges et les filles aussi, ni par ma ville natale dans laquelle le jour où il veut se rendre à Evreux toutes les diligences passent pleines, ce qui l’oblige à rester une nuit de plus à l’Hôtel du Mouton d’Argent cloué dans ce maudit Louviers.
Dans la lettre vingt de son ouvrage Le Rhin publié en mil huit cent quarante et un, Victor Hugo note Toutes les fois que je puis continuer un peu ma route à pied, c'est-à-dire convertir le voyage en promenade, je n’y manque pas.
Le mariage est l’intervalle qui sépare une passion élémentaire d’une pension alimentaire.
Egalement une évocation de la Côte d’Albâtre, datée de juin deux mille quatorze:
Le village de Sainte-Marguerite-sur-Mer repose à l’ouest de Dieppe. Les vaches y broutent une herbe iodée. La mer est vert de jade. (…) Dans les tableaux de Boudin, les gens à la plage se tenaient debout ou assis. Aujourd’hui, tout le monde se couche. (…) Il y a quelques années, le bunker allemand qui coiffait la paroi s’est détaché. Il gît à présent au pied de la falaise, comme un monument futuriste. Si j’étais rédacteur en chef de journal, je me servirais de ce bunker pour illustrer le dossier sur «l’effondrement de l’immobilier».
Et cet aveu de mai deux mille quinze :
Suis allé dans une agence Orange pour rétablir ma connexion.
L’allergie de Sylvain Tesson aux technologies du vingt et unième siècle n’est que relative. En revanche, son admiration pour Poutine est inconditionnelle.
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Krishnâ Renou a collaboré à plusieurs expositions pour les Musées d’Orsay et Carnavalet, c’est tout ce que l’on sait d’elle. Son Victor Hugo en voyage, publié chez Payot, revient, entre autres déplacements, sur les escapades estivales faites en compagnie de Juliette, sa maîtresse et que Victor narrait par lettres à Adèle, sa femme :
La diligence de Rouen passe à dix heures. Si j’y trouve une place, je la prendrai. Dans ce cas-là, je ne serais à Paris que vendredi dans la journée. Tu sais quelle rage j’ai de voir Rouen. (…) À bientôt donc, pense à moi qui t’aime et aime-moi. Tu es ma joie. (vingt-trois juillet mil huit cent trente-quatre)
Si Hugo fut enthousiasmé par Rouen, il ne le fut pas par Yvetot, sotte ville où les maisons sont rouges et les filles aussi, ni par ma ville natale dans laquelle le jour où il veut se rendre à Evreux toutes les diligences passent pleines, ce qui l’oblige à rester une nuit de plus à l’Hôtel du Mouton d’Argent cloué dans ce maudit Louviers.
Dans la lettre vingt de son ouvrage Le Rhin publié en mil huit cent quarante et un, Victor Hugo note Toutes les fois que je puis continuer un peu ma route à pied, c'est-à-dire convertir le voyage en promenade, je n’y manque pas.
26 octobre 2018
Mon rhume s’est atténué, mais a pris la suite une toux des plus fatigantes qui m’empêcherait d’aller à un concert à l’Opéra de Rouen si j’en étais encore le client. Déjà, je m’énerve moi-même du bruit que je fais en expectorant dans le train de sept heures cinquante-six ce mercredi. Ce train est le même que celui de sept heures cinquante-neuf, mais partant désormais trois minutes plus tôt pour arriver à la même heure à Paris.
Pour raison de vacances scolaires, j’y côtoie un père divorcé, ses deux enfants et sa mère (tu aimes une fille, tu fais couple avec elle, vous avez un garçon et une fille et quelques années plus tard, c’est ta mère qui occupe la place de ta femme). Au moins, ces moutards sont vivants sans être fatigants. Je lis Delirium (Autoportrait), l’autobiographie de Philippe Druillet (Les Arènes), très mal écrite avec l’aide de David Alliot. L’auteur des bédés que je lisais dans les années soixante-dix ne cesse de se vanter.
-Alors on va faire un tour à Paris, m’a dit avant le départ un bouquiniste semi officiel de ma connaissance qui est quelque part dans le même train.
Ce tour commence au Book-Off de Ledru-Rollin où je charge mon sac de livres à un euro dont Ma vie (Esquisse de quelques souvenirs) de Lou Andreas-Salomé (Quadrige Puf) trouvé au rayon Témoignages et Souvenirs d’un Parisien de François Coppée (Les Introuvables) trouvé au rayon Voyages.
Après un repas d’habitude au Péhemmu chinois, je rejoins pédestrement le Rivolux. Celle avec qui j’ai rendez-vous vient d’arriver quand j’entre. Nous nous installons dans le fond à la table ronde et parlons de choses et d’autres jusqu’à ce qu’il soit l’heure pour elle de reprendre le labeur.
-Tu n’as pas beaucoup toussé, constate-t-elle.
C’est vrai. Paris doit m’être un remède, et elle aussi.
*
Montant à l’étage de l’autre Book-Off, je ne suis pas surpris d’y trouver l’un à qui je peux dire « Rebonjour ».
*
Une femme et un homme, aussi vieux l’une que l’autre, au café A la Ville d’Argentan. Elle l’écoute dire une tirade du Misanthrope, dont elle suit le texte sur un ancien petit classique Larousse, le corrigeant à l’occasion. Sans doute sont-ce deux profs de lettres depuis longtemps à la retraite, vivant dans un univers parallèle.
-Tous ces mots en « tion », ils ont une diphtongue à la fin, lui dit-elle.
-Il faut que l’on trouve un Philinte, lui dit-il.
Quand ils partent, elle et lui paient leur café séparément.
Pour raison de vacances scolaires, j’y côtoie un père divorcé, ses deux enfants et sa mère (tu aimes une fille, tu fais couple avec elle, vous avez un garçon et une fille et quelques années plus tard, c’est ta mère qui occupe la place de ta femme). Au moins, ces moutards sont vivants sans être fatigants. Je lis Delirium (Autoportrait), l’autobiographie de Philippe Druillet (Les Arènes), très mal écrite avec l’aide de David Alliot. L’auteur des bédés que je lisais dans les années soixante-dix ne cesse de se vanter.
-Alors on va faire un tour à Paris, m’a dit avant le départ un bouquiniste semi officiel de ma connaissance qui est quelque part dans le même train.
Ce tour commence au Book-Off de Ledru-Rollin où je charge mon sac de livres à un euro dont Ma vie (Esquisse de quelques souvenirs) de Lou Andreas-Salomé (Quadrige Puf) trouvé au rayon Témoignages et Souvenirs d’un Parisien de François Coppée (Les Introuvables) trouvé au rayon Voyages.
Après un repas d’habitude au Péhemmu chinois, je rejoins pédestrement le Rivolux. Celle avec qui j’ai rendez-vous vient d’arriver quand j’entre. Nous nous installons dans le fond à la table ronde et parlons de choses et d’autres jusqu’à ce qu’il soit l’heure pour elle de reprendre le labeur.
-Tu n’as pas beaucoup toussé, constate-t-elle.
C’est vrai. Paris doit m’être un remède, et elle aussi.
*
Montant à l’étage de l’autre Book-Off, je ne suis pas surpris d’y trouver l’un à qui je peux dire « Rebonjour ».
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Une femme et un homme, aussi vieux l’une que l’autre, au café A la Ville d’Argentan. Elle l’écoute dire une tirade du Misanthrope, dont elle suit le texte sur un ancien petit classique Larousse, le corrigeant à l’occasion. Sans doute sont-ce deux profs de lettres depuis longtemps à la retraite, vivant dans un univers parallèle.
-Tous ces mots en « tion », ils ont une diphtongue à la fin, lui dit-elle.
-Il faut que l’on trouve un Philinte, lui dit-il.
Quand ils partent, elle et lui paient leur café séparément.
25 octobre 2018
Publié une première fois chez Champ Libre dans une traduction de Michel Pétris et Kenneth White, j’ai lu Des voix sous les pierres (Les Epitaphes de Spoon River) d’Edgar Lee Masters dans l’édition bilingue qu’en ont faite en l’an deux mille la Librairie Elisabeth Brunet et Phébus (traduction de Patrick Reumaux, illustrations de Philippe Dumas).
Edgar Lee Masters est né en mil huit cent soixante-huit et fut élevé dans l’Ouest à l’époque des dernières guerres indiennes. Grand lecteur d’Ovide et d’Anacréon, il publia Des voix sous les pierres en mil neuf cent quinze. Dans ce recueil de poèmes se racontent les deux cent quarante-quatre occupants des tombes du cimetière de Spoon River. Le succès de ce livre le conduisit à abandonner son métier d’avocat. Il s’installa en mil neuf cent vingt au Chelsea Hotel avec Ellen Coyne, de trente ans moins âgée que lui, et passa tout son temps à écrire des textes édités sans succès. Quand il tomba malade en mil neuf cent quarante-deux, sa femme l’installa dans une maison de retraite à Melrose Park près de l’université où elle enseignait. Il mourut en mil neuf cent cinquante.
A titre d’exemple, trois des deux cent quarante-quatre :
Margaret Fuller Slack
J’aurais pu être aussi célèbre que George Eliot
Mais le sort en a décidé autrement.
Regardez ma photo prise par Penniwit :
Le menton dans la main, le regard pénétrant de ces yeux gris qui voyaient loin.
Mais il y avait le vieux, vieux problème :
Rester célibataire, se marier, s’envoyer en l’air ?
Alors John Slack, le riche pharmacien, m’a fait la cour,
Jurant que j’aurais tout loisir d’écrire mon roman,
Et je l’ai épousé ; mes huit enfants
Ne m’ont pas laissé le temps d’écrire.
De toute façon, tout s’est terminé pour moi
Le jour où je me suis percé la main d’une aiguille
En lavant les couches du bébé : ce jour où le tétanos
M’a fait serrer les dents –ironie de la mort !
Ames ambitieuses, écoutez-moi,
Le sexe est la malédiction de la vie.
En fermant les troquets, en interdisant les tripots,
En traînant la vieille Daisy Fraser devant le juge Arnett
Dans mes croisades pour laver les gens du péché,
Pourquoi laissez-vous Dora, la fille de la modiste,
Et le fils de Benjamin Panter, cette canaille,
Faire la nuit de ma tombe leur couche sacrilège ?
Mabel Osborne
Tes fleurs rouges au milieu des feuilles vertes
Se fanent, beau géranium,
Mais tu ne réclames pas d’eau.
Tu ne sais pas parler. Tu n’en as pas besoin,
Tout le monde sait que tu meurs de soif,
Mais personne ne t’arrose.
Tous passent leur chemin, disant :
« Le géranium a besoin d’eau. »
Et moi qui avais du bonheur à revendre
Et qui désirais tant partager ton bonheur,
Moi qui t’aimais, Spoon River, et qui me languissais de ton amour,
Je me suis fanée sous tes yeux, Spoon River,
Mourant, mourant de soif,
Mais la pudeur d’âme m’empêchait de te réclamer de l’amour,
A toi qui savais et qui m’as vue mourir devant toi :
Comme ce géranium que quelqu'un a planté sur moi
Et laissé crever.
*
D’autres traductions ont paru depuis : par le Général Instin chez Othello en deux mille seize sous le titre Spoon River : Catalogue des chansons de la rivière et par Gaëlle Merle chez Allia en deux mille seize sous le titre Spoon River.
Edgar Lee Masters est né en mil huit cent soixante-huit et fut élevé dans l’Ouest à l’époque des dernières guerres indiennes. Grand lecteur d’Ovide et d’Anacréon, il publia Des voix sous les pierres en mil neuf cent quinze. Dans ce recueil de poèmes se racontent les deux cent quarante-quatre occupants des tombes du cimetière de Spoon River. Le succès de ce livre le conduisit à abandonner son métier d’avocat. Il s’installa en mil neuf cent vingt au Chelsea Hotel avec Ellen Coyne, de trente ans moins âgée que lui, et passa tout son temps à écrire des textes édités sans succès. Quand il tomba malade en mil neuf cent quarante-deux, sa femme l’installa dans une maison de retraite à Melrose Park près de l’université où elle enseignait. Il mourut en mil neuf cent cinquante.
A titre d’exemple, trois des deux cent quarante-quatre :
Margaret Fuller Slack
J’aurais pu être aussi célèbre que George Eliot
Mais le sort en a décidé autrement.
Regardez ma photo prise par Penniwit :
Le menton dans la main, le regard pénétrant de ces yeux gris qui voyaient loin.
Mais il y avait le vieux, vieux problème :
Rester célibataire, se marier, s’envoyer en l’air ?
Alors John Slack, le riche pharmacien, m’a fait la cour,
Jurant que j’aurais tout loisir d’écrire mon roman,
Et je l’ai épousé ; mes huit enfants
Ne m’ont pas laissé le temps d’écrire.
De toute façon, tout s’est terminé pour moi
Le jour où je me suis percé la main d’une aiguille
En lavant les couches du bébé : ce jour où le tétanos
M’a fait serrer les dents –ironie de la mort !
Ames ambitieuses, écoutez-moi,
Le sexe est la malédiction de la vie.
- D. Blood
En fermant les troquets, en interdisant les tripots,
En traînant la vieille Daisy Fraser devant le juge Arnett
Dans mes croisades pour laver les gens du péché,
Pourquoi laissez-vous Dora, la fille de la modiste,
Et le fils de Benjamin Panter, cette canaille,
Faire la nuit de ma tombe leur couche sacrilège ?
Mabel Osborne
Tes fleurs rouges au milieu des feuilles vertes
Se fanent, beau géranium,
Mais tu ne réclames pas d’eau.
Tu ne sais pas parler. Tu n’en as pas besoin,
Tout le monde sait que tu meurs de soif,
Mais personne ne t’arrose.
Tous passent leur chemin, disant :
« Le géranium a besoin d’eau. »
Et moi qui avais du bonheur à revendre
Et qui désirais tant partager ton bonheur,
Moi qui t’aimais, Spoon River, et qui me languissais de ton amour,
Je me suis fanée sous tes yeux, Spoon River,
Mourant, mourant de soif,
Mais la pudeur d’âme m’empêchait de te réclamer de l’amour,
A toi qui savais et qui m’as vue mourir devant toi :
Comme ce géranium que quelqu'un a planté sur moi
Et laissé crever.
*
D’autres traductions ont paru depuis : par le Général Instin chez Othello en deux mille seize sous le titre Spoon River : Catalogue des chansons de la rivière et par Gaëlle Merle chez Allia en deux mille seize sous le titre Spoon River.
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