Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 février 2019


Triste d’apprendre que Tomi Ungerer est mort dans la nuit de vendredi à samedi chez sa fille à Cork. Lui qui avait survécu à trois infarctus et à un cancer est arrivé au bout du chemin. J’en fais part à celle qui travaille à Paris, même ce samedi. Cela la chagrine tout autant. « Je suis contente d’avoir pu le rencontrer l’année dernière », m’écrit-elle (je pense qu’elle ne voit pas le temps passer, c’était il y a deux ou trois ans). Je n’ai pas eu cette chance, mais suis allé en décembre deux mille neuf visiter son Musée à Strasbourg où sont montrés tous les aspects de son talent créatif, notamment ses dessins politiques et ses dessins érotiques.
En France, Tomi Ungerer est surtout connu par ses livres pour enfants auxquels pas un élève de maternelle n’échappe. Dans la brochure, publiée par L’Ecole des Loisirs en deux mille huit, que lui a consacrée Thérèse Willer (Conservatrice du Musée Tomi Ungerer de Strasbourg) figure une interviou du dessinateur par Arthur Hubschmid (éditeur à L’Ecole des Loisirs) dont voici deux extraits :
Quand j’étais petit, on avait un album de Bécassine, où l’on voyait un cambrioleur avec une lampe sourde, et qui entrait dans la maison. A cinq ans, ça m’avait foutu une trouille terrible. J’ai gardé de cette trouille un si bon souvenir que j’ai voulu donner cela aux enfants.
A propos de Zeralda, il y a une chose qui m’est arrivée. Avec des amis, on avait décidé de fêter Halloween dans Central Park. Au lieu de nous laisser effrayer par des enfants masqués, on avait décidé de les effrayer eux. J’avais apporté un grand sac, j’ai attrapé une fillette de cinq ou six ans, qui s’est mise à pleurer, et je l’ai mise dans le sac. Tous les autres enfants se sont enfuis. Tout à coup, il y a une main qui s’est posée sur mon épaule, c’était un flic qui m’a demandé : « What’s going on around here ? » J’ai relâché la petite et je l’ai consolée.
                                                                 *
« Il faut traumatiser les enfants, sinon ils deviendront tous experts-comptables », aimait répéter Tomi Ungerer.
Sa fille se souvient du jour où voyant un lapin écrabouillé sur la route, il arrêta la voiture pour le lui montrer de près en déclarant : « Tu vois ce qui t’arriveras si tu traverses la rue sans regarder. »
 

11 février 2019


Point d’attente à l’entrée du Centre Pompidou, ni au vestiaire, ni à l’entrée de l’exposition Vasarely (Le partage des formes) au niveau Six. Victor n’avait pas eu un tel honneur depuis plus d’un demi-siècle, lui qui fut si connu, puis à demi oublié. L’Optical Art ou Op Art va-t-il connaître un renouveau ?
Sont présentés moult toiles, des sculptures, des objets manufacturés, et cætera. Je vois ça avec un intérêt mesuré. L’une des salles est titrée « Un esperanto visuel », ce qui est un peu méchant. Cette peinture qui en met plein les yeux faisait si bien aux murs dans les années Pompidou. Une collection de Tel/Gallimard à couvertures signées Vasarely me rappelle quelques lectures. Elle jouxte la pochette de David Bowie et le logo de Renault. Sur une vidéo, en hommage discret à Michel Legrand, Catherine Deneuve chante devant un Vasarely dans Les Demoiselles de Rochefort. Bientôt les vacances de février, cela plaira aux enfants, me dis-je en quittant les lieux.
Des travaux m’empêchent d’accéder aux boîtes de trottoir de la librairie Gilda. Je grimpe dans un bus Vingt et Un et en descends à Opéra. Au second Book-Off, un seul livre à un euro est pour moi : Venise est un poisson de Tiziano Scarpa (Titre/Bourgois).
                                                        *
Deux femmes de cinquante ans, l’une montrant un tableau à l’autre :
-Celui-là est extrêmement intéressant, positif, négatif, avec effet de lumière.
L’autre acquiesce, l’air inspiré.
                                                        *
Le sac à tout d’un homme de quarante ans retient l’attention d’un gardien :
-C’est un Vasarely ?
-Non, c’est moi qui l’ai fait. A la manière de Vasarely.
                                                        *
La surprise de cette expo : Gérard Manset dans une émission de télé. Devant des Vasarely, il chante La toile de maître, une des chansons de ses débuts, qu’il a reniées, celle-ci à raison. Dans la même émission : Françoise Hardy interprétant, dans un décor du même type, La maison où j’ai grandi et Victor Vasarely interviouvé par Michel Polnareff.
Je n’avais pas oublié son visage mou, mais ne me souvenait pas de sa façon de parler assez proche de celle de Dali.
 

9 février 2019


Le train de sept heures cinquante-neuf pour Paris a repris son horaire de référence, il est à l’heure et j’y lis Eloge de la marche de David Le Breton (Essais/Métailié). D’un coup de métro, me voici rue du Faubourg Saint-Antoine toujours en travaux. Chez Book-Off, au rayon Guerres Mondiales, je trouve à un euro Journal de Guerre (1940-1941) de Valentin Feldman (Farrago) et Journal de Guerre (2 septembre 1939 - 20 juillet 1940) de Georges Sadoul (L’Harmattan). Le marché d’Aligre est singulièrement dépeuplé de vendeurs de livres. Quant à l’Emmaüs de la rue de Charonne, il a bigrement réduit l’espace consacré aux livres de poche. Aucun ne m’y attendait.
Je marche jusqu’à Beaubourg et arrive dans l’impasse à midi moins cinq. En ce lendemain de nouvel an chinois, je déjeune chez New New où les tables ont repris la disposition qui me convient. A midi pile, la sirène du premier mercredi du mois mugit. Ce qui me fait songer à l’incendie de la rue Erlanger allumé par une folle où sont morts dix personnes dont une très belle architecte d’origine algérienne. J’ai vu sa photo dans Le Parisien. Un autre article du journal laissait entendre que cette rue du seizième arrondissement porte malheur. Dans un immeuble d’icelle s’est déroulée l’affaire du cannibale japonais. Dans un autre, Mike Brant a sauté par la fenêtre du cinquième étage.
Aujourd’hui, ce sont surtout les ouvriers des chantiers du quartier qui déjeunent chez New New et un certain nombre se parlent en des langues étrangères. Après avoir réglé mon dû et souhaité une bonne année aux dames du lieu, je me dirige vers l’entrée du Centre Pompidou où ce jour débute l’exposition consacrée à Vasarely.
                                                        *
Il en est qui célèbrent l’année du cochon en reniflant plus fort que d’habitude.
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Dans une rue de Paris, un bus d’Abu Dhabi immatriculé en Pologne.
 

5 février 2019


Samedi dernier, au milieu de la nuit, en prolongement de la déambulation urbaine des Gilets Jaunes, quelques dizaines de personnes ont soustrait des pavés au parvis de la Cathédrale et les ont utilisés pour casser les vitrines de certaines boutiques de la rue du Gros. Ce pourquoi, ce samedi matin, Le Printemps et son voisin Hache et Aime disparaissent à leur tour derrière des panneaux de bois, augmentant l’air de désolation qu’a la ville depuis un mois.
Je suis à peine rentré chez moi que les Jaunes braillent déjà La Marseillaise en lançant des pétards rue Saint-Romain. Ils repassent dans l’autre sens un peu plus tard, puis je ne les entends plus.
En début d’après-midi, comme ils se livrent à leurs activités habituelles (construction de barricades, feu de poubelles, cassage de vitres des banques non protégées) dans l’autre moitié du centre ville, je peux sortir boire un café et lire dans un bar de la place Saint-Marc, un de ces établissement rouennais qui devrait s’appeler Faute De Mieux en comparaison du Tout Va bien et du Mieux Ici Qu’En Face de Dieppe.
                                                               *
Jamais de voitures brûlées à Rouen, contrairement à Evreux où la semaine dernière deux sont parties en fumée (comme on dit). L’une appartenait à une femme habitant en périphérie venue à la Médiathèque (ignorant que celle-ci était fermée en raison de la présence des Jaunes), une petite voiture pas du tout neuve mais avec peu de kilomètres qui lui était nécessaire pour sortir de son isolement géographique et avec laquelle elle avait fait de nombreux trajets jusqu’à l’Hôpital pour y conduire son mari malade, jusqu’à ce qu’il meure, raison pour laquelle elle y était attachée affectivement. L’argent de l’assurance ne lui permettra pas de la remplacer.
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Un des Jaunes à la télé : « On manifeste pour la poursuite du mouvement ». Avec un tel mot d’ordre, cela peut n’avoir pas de fin.
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A Paris, la manifestation de la semaine est dirigée contre les violences policières dont elle dénonce les graves blessures conséquentes, lesquelles ne se seraient pas produites sans les violences de certains Jaunes ou de leurs associés (pour qu’un Policier fasse usage de ses armes, il faut lui en offrir l’occasion).
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Pendant que les Gilets Jaunes aident le R-Haine à prendre le pouvoir, Macron et ses Marcheurs font voter une loi qui permettrait à la femme aux cheveux jaunes d’interdire plus facilement à son opposition de manifester (cette loi dite anticasseurs n’aurait pas vu le jour sans les actions violentes).
 

4 janvier 2019


« Penses-tu pouvoir être à l’angle des rues Villedo et Sainte-Anne à midi? » « Je ferai en sorte d'y être (malgré une météorologie hostile). ». Ce court dialogue entre Loïc Boyer (Cligne Cligne Magazine, Collection Cligne Cligne chez Didier Jeunesse et L’Imprimante où est hébergé gracieusement ce Journal) et moi-même fait suite à ma proposition, datant d’il y a quelques mois : puisque nous n’arrivons à nous voir que trop rarement, dis-moi quand tu seras à Paris et j’y viendrai spécialement.
Donc, ce jeudi, dernier jour de janvier, je prends le chemin de la gare. La neige redoutée, un peu tombée dans la nuit, est déjà fondue. Il est très tôt car la Senecefe ne m’a permis un billet à tarif réduit que pour le sept heures vingt-trois, pourtant toujours blindé, alors que le suivant ne l’est jamais (comprend qui peut, comme chantait Boby). Je trouve place dans la bétaillère, laquelle est à l’heure. J’y lis La mort en Perse d’Annemarie Schwarzenbach.
Le temps est gris dans la capitale. Il fait froid dans le bus Vingt qui m’emmène à la Bastille. Comme hier je passe du Café du Faubourg à Book-Off. Ayant épluché les rayonnages la veille, je n’y trouve guère. Quand même, au rayon Beaux Livres à deux euros, un nom pas vu hier attire mon œil, celui de Tomi Ungerer. Le livre de format carré a pour titre La roue de l’énergie. Publié par La Nuée Bleue, il narre l’élaboration d’une œuvre de Tomi La Roue de l’Energie par le Musée EDF Electropolis pour les trente ans de la centrale de Fessenheim. Je ne l’attendais pas là. Ce livre est accompagné d’un dévédé et a pour prix officiel trente euros mais comme beaucoup d'ouvrages à la gloire d’entreprises ou d’institutions culturelles, il a sans doute été distribué gratuitement.
Avec le métro Trois je vais à Opéra, d’où à pied je rejoins à midi moins cinq le carrefour Villedo/Sainte-Anne. J’y découvre le restaurant japonais traditionnel Higuma où j’ai mangé autrefois avec celle qui me tenait la main, une expérience culinaire qui m’a laissé le souvenir d’une déception.
Devinant que c’est là que l’ami Loïc désire déjeuner, j’y entre pour me réchauffer et être sûr d’avoir une table. Les restaurants de ce type sont nombreux dans le quartier et ont un fort succès qui impose souvent la file d’attente dans la rue. Quand je ressors une deuxième fois, celui que j’attendais est là.  Nous sommes heureux de nous revoir.
Je lui dis mon expérience décevante de la cuisine du lieu mais je suis prêt à changer d’avis. Après la commande de la nourriture, il demande une bière du pays. Je dois me rabattre sur le pichet d’eau de Paris car la maison ignore le vin. L’entrée, le plat, la soupe, tout arrive en même temps. Je suis vite déçu par ma masse de riz recouverte de fines lamelles de viande bouillie et de légumes crus. C’est insipide. Qu’importe, le plaisir de converser avec celui que je suis venu voir me dédommage.
Bien qu’il soit déjà chargé de livres (il est passé au Book-Off de Quatre Septembre), Loïc trouve place pour les divers livres que j’ai mis de côté pour lui depuis notre dernière entrevue, dont plusieurs ouvrages pour enfants édités autrefois par Le Sourire qui Mord. En échange (si je puis dire), je me vois offrir un pot de confiture d’abricots maison.
Point de café non plus chez Higuma : « Nous sommes un restaurant japonais ». « Où l’on vend du Coca Cola » pourrais-je répondre mais je m’abstiens. Un Péhemmu chinois ne faisant pas brasserie, et des plus calmes, nous accueille, où nous poursuivons la conversation jusqu’à ce que ce soit l’heure pour lui d’aller voir l’exposition Les Maîtres de l’Imaginaire que propose Chez Les Libraires Associés et dont c’est le dernier jour.
Son vélo, avec lequel il se déplace dans la capitale après son trajet en train, est garé devant chez Book-Off. C’est là que nous nous séparons. J’entre et en ressors avec deux livres à un euro : Les travaux et les jours d’Henri Pourrat d’Annette Lauras et Claire Pourrat (Editions Dominique Martin Morin) et Rapide essai de théologie automobile de Gaspard-Marie Janvier (Mille et Une Nuits).
Le train de dix-sept heures vingt-trois me ramène sans problème à Rouen où tombe une neige fondue qui m’oblige à marcher vite jusqu’à la maison.
 

2 février 2019


De la neige en veux-tu en voilà, à Rouen comme à Paris, telle était l’annonce météorologique pour ce dernier mercredi de janvier, mais au réveil, ni neige, ni verglas, ni même de train en retard.
Je suis le premier à descendre sur le quai Deux avant que le sept heures cinquante-trois ne soit affiché. Le deuxième est l’aveugle qui suit les picots du borduquet à l’aide de sa canne blanche. Son handicap ne l’empêche pas d’aller travailler à Paris. Dans sa situation, je serais totalement démuni. Et j’ai de quoi m’inquiéter. Quand j’ai montré mon résultat d’examen de champ visuel à mon ophtalmo, elle m’a illico changé de gouttes pour les yeux, des plus fortes et matin et soir, puis elle a ordonné à sa secrétaire de me trouver un rendez-vous pour le douze février.
De la neige, j’en vois quelques centimètres dans la campagne que traverse le train quand je quitte des yeux le Gustave Flaubert d’Albert Thibaudet.
A l’arrivée dans la capitale le ciel est bleu. Pas de neige ici non plus, elle est tombée, elle a fondu. Les métros Trois et Huit m’emmènent à Ledru-Rollin. Après mon habituel café au Faubourg, j’entre à dix heures chez Book-Off et y trouve de quoi mettre dans mon panier.
Comme il fait doux et beau à la sortie, je rejoins pédestrement le Quartier Latin en longeant la Seine après le pont d’Austerlitz et entre à midi pile à La Cochonnaille, rue de la Harpe. La patronne discute avec une cheffe d’entreprise d’une commande mal comprise. Deux fois deux kilos, ce n’est pas la même chose que quatre kilos. « Qu’est-ce que je fais des deux kilos qui restent quand j’ai ouvert le sac de quatre kilos, je les jette ? » La cheffe promet que la prochaine fois ce sera deux sacs de deux kilos puis elle se plaint de l’arrêté préfectoral qui a interdit la circulation de ses camions par peur d’une neige surestimée : « Une journée de livraison perdue ». Le problème de la patronne, ce sont les Gilets Jaunes, une catastrophe pour le commerce. « Un samedi soir, on a fait zéro couvert, zéro, ça nous était jamais arrivé. » La retraite approche, heureusement. Avec son mari, ils iront voir des coins de France qu’ils ne connaissent pas : le Nord, l’Auvergne. D’autres clients, des habitués, arrivent. Des groupes de trois qui descendent au sous-sol, un endroit où je ne voudrais pas manger de crainte d’un incendie dans la cuisine contiguë.
Je prends comme la fois précédente le saucisson chaud pommes tièdes, le cassoulet de la maison et la mousse au chocolat. Avec le quart de vin du Vaucluse et son pot de rillettes, cela fait dix-neuf euros quatre-vingt-dix.
Je vais voir ensuite les livres de trottoir chez Gibert Joseph. Y figurent à nouveau des poches à cinquante centimes. Un bus Vingt-Sept m’emmène à Opéra. Au second Book-Off, comme souvent, je suis moins chanceux.
Dans le Corail de dix-sept heures vingt-trois, je termine le Flaubert de Thibaudet. Il ne m’aura rien appris sur Gustave. Ce genre de biographie littéraire d’entre les deux guerres a vécu.
Arrivé à la maison, je refais mon sac car ce jeudi, dernier jour de janvier, direction Paris où j’ai rendez-vous à midi à l’angle des rues Sainte-Anne et Villedo.
                                                                       *
A un euro chez Béo : Les Carnets du coursier (Journal 1990-1999) de Paul Nizon (Actes Sud), Eloge de la marche de David Le Breton (Métailié), Nicolas Bouvier (L’œil qui écrit) de François Laut (Petite Bibliothèque Payot), De l’écriture de Francis Scott Fitzgerald (Editions Complexe), La mort en Perse d’Annemarie Schwarzenbach (Petite Bibliothèque Payot), Du côté de Goderville de Jean Prévost (Editions des Falaises), Vie de Guy Maupassant de Paul Morand (Pygmalion/Gérard Watelet) et Ma vie de Marc Chagall (Stock), lequel était rangé au rayon Musique (peut-être confondu avec Pablo Casals).
 

29 janvier 2019


Ce samedi matin, voulant comme souvent gagner du temps en passant par la Cathédrale, je trouve un jeune homme en souite rouge avec un brassard Sécurité à l’entrée de la Cour des Libraires.
-On peut entrer ? lui demandé-je.
-Oui oui, bien sûr.
Désirant ressortir après traversée du transept par la porte qui donne sur la place de la Calende, je la trouve fermée. Plus qu’à emprunter l’une des deux portes principales en bas de la nef. Las, elles sont aussi fermées.
-Il faut ressortir par la porte des Libraires, m’indique une dame d’église.
Ça, je l’ai compris.
-On peut entrer mais on ne peut pas ressortir, dis-je au jeune homme.
-Si, il faut ressortir par ici.
Je lui explique que je voulais me servir de la Cathédrale comme d’un raccourci.
-Ordre de la Préfecture, m’indique-t-il
-C’est à cause des Gilets?
Oui, il s’en excuse.
-Je comprends, lui dis-je, je les subis chaque samedi comme tout le monde.
Des Jaunes, je n’en vois guère vers dix heures. Un rassemblement est organisé à Evreux ce samedi. Cela diminuera leur nombre ici, ce qui réjouit des quinquagénaires à casquette.
-Un petit peu dans le Vingt-Sept, faut qu’ils en profitent eux aussi.
Quelques policiers parcourent les rues en scouteur. Deux s’arrêtent place du Vieux et se chargent de rentrer les poubelles.
De retour chez moi, j’apprécie le calme de cette fin de matinée. Il me permet d’entendre le concert de carillon sans bruit d’explosions. La musique de Michel Legrand, qui vient de mourir, y est célébrée.
Juste après Les Moulins de mon cœur, les Jaunes déboulent rue Saint-Romain. Changement de répertoire, sur l’air d’une chanson de fouteux : « Emmanuel Macron, oh tête de con, on vient te chercher chez toi ». Puis ce sont les sempiternels « Macron démission ». Ils ne disent toujours pas qui ils veulent à sa place.
Vers quatorze heures, j’entends la première explosion. J’apprends que des vitrines ont été brisées à la barre de fer rue du Canuet et que la banderole « Gaulois Réfractaires » que l’on voit sur toutes les photos est tenue par des Identitaires (d’autres apposent des autocollants « Plus pour nos vieux Moins pour les banlieues »).
La semaine dernière, à Paris, l’armée jaune a défilé derrière la banderole « Elus, vous rendrez des comptes ». Celle-ci était le lendemain en tête du cortège de la marche anti avortement et on l’avait déjà vue en deux mille treize en tête d’un cortège de la Manif Pour Tous, une banderole particulièrement solide, du bon travail de professionnel.
En début d’après-midi, les heurts ayant lieu du côté de la rue de la Jeanne, je peux ressortir sans risque. Depuis une semaine, le mur de l’Archevêché est orné d’une inscription à la peinture jaune : « Jeanne d’Arc soutient les gilets jaunes ». Pauvre Jeanne, elle qui a déjà eu à recevoir la gerbe de Le Pen père et fille.
Je choisis Les Augustins pour boire un café en lisant la Correspondance d’Henri Calet et Raymond Guérin. Des habitués finissent d’y déjeuner. L’un a son explication sur la poursuite des actes des Gilets Jaunes.
-Ils étaient seuls dans leur coin, ils se sont rencontrés, ils sont devenus copains, maintenant ils peuvent plus se quitter, alors ils se donnent rendez-vous pour le samedi suivant.
-Et en plus, ils vont se reproduire ces cons-là, ajoute un autre.
En rentrant, je vois à la télé que ça chauffe place de la Bastille. Un black bloc s’est constitué et a déclenché le foutoir, muni d’une banderole « Coucou c’est nous » (c’est avouer son âge mental). Un sous-chef des Gilets est gravement blessé à l’œil. Je suis un peu inquiet pour celle qui travaille à côté (y compris certains samedis), mais je ne vais pas jusqu’à lui téléphoner pour savoir si ça va de crainte de la déranger.
                                                               *
Le Vingt-Sept en a bien profité : barricades, feux de poubelles, banques dégradées, voitures brûlées, Préfecture attaquée, entrée du local de la Police Municipale forcée. On se serait cru à Rouen, ce samedi à Evreux.
                                                               *
Vu ce lundi matin, sur la plaque de bois remplaçant la vitre cassée de l’agence Groupama rue du Canuet, cette affirmation dont on peut discuter l’orthographe et le fond : « Le pacifisme soutien les keufs ».
 

28 janvier 2019


Profitant du long couloir d’accès au magasin Auchan du bas de la rue de la Jeanne, le Secours Populaire organise une vente de livres d’occasion, laquelle débute ce vendredi à onze heures.
J’y arrive dix minutes avant et y trouve du monde déjà occupé à fouiller parmi les ouvrages, dont un bouquiniste de ma connaissance. Nous nous saluons et je fais comme lui. Une dame du Secours nous gronde. Ce n’est pas encore l’heure. Néanmoins, comme tous les autres continuent, nous  faisons de même.
-S’ils sont prêts, je ne vois pas pourquoi il faudrait attendre, dis-je à mon voisin.
-Oui, mais après, il y en a qui arrivent a l’heure et qui vont se plaindre.
-C’est vrai, lui dis-je, et cela pourrait être moi.
Cette vente ne propose pas autant de livres que celle ayant lieu une fois par an à la Halle aux Toiles. Je n’y trouve pas merveille mais repars quand même avec des livres dans mon sac.
                                                               *
Titre d’une affichette de rue de Paris Normandie : « Les vœux une tradition qui perdure ». Perdurer, c’est la moindre des choses pour une tradition.
                                                              *
Titre d’un livre vu à Paris : Mélenchon le plébéien, parfait oxymore.
                                                              *
Au sobre « Retiré de l’inventaire » en usage dans beaucoup de bibliothèques, celle de Canteleu préfère pour ses désherbés un « Désaliéné du domaine public ».
                                                              *
« Mon mari était en panne de batterie », raconte-t-elle. Sa nuit a dû être décevante.
                                                              *
Une secte en expansion : les adorateurs du pou Vouardacha.
                                                              *
« Pour des raisons exceptionnelles, votre agence sera fermée le samedi 26 janvier toute la journée. », m’écrit mon Crédit Agricole de la rue de la Jeanne. Cet exceptionnel est hebdomadaire.
                                                              *
Modeste proposition pour le Grand Débat National, empruntée à Karl Kraus: Que celui qui a quelque chose à dire s'avance et se taise.
 

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