Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

15 mars 2019


Ce mercredi matin à l’arrivée à Saint-Lazare je marche dans le vent frisquet vers l’église de la Madeleine, continue vers la place de la Concorde, ne m’attarde pas devant l’ambassade des Etats-Unis protégée à la mitraillette, enfin tourne a droite dans le petit jardin qui fait raccourci vers l’avenue des Champs-Elysées. Me vient une envie d’uriner. Une petite pancarte indique des toilettes invisibles.
J’avise un Céhéresse qui patrouille et lui demande où.
-Il n’y a plus de toilettes ici, me répond-il, à cause du risque d’attentat, on est à côté de l’Elysée. Vous en trouverez plus loin en descendant dans un parking juste avant Louis Vuitton. On y va là-bas nous, mais ce n’est pas tout près. Maintenant, si vous ne voulez pas aller jusque-là ou si c’est pressé, vous voyez les bambous là-bas, à un endroit il y a un creux, vous vous y mettez, personne ne vous verra et je monte la garde.
Ainsi fais-je. Quand j’en ai terminé, nous nous saluons mutuellement de la main. Il reprend sa marche et je remonte les Champs (comme on dit) jusqu’au Petit Palais. Il est dix heures. Cela vient d’ouvrir mais aucune attente à l’entrée. Je paie quinze euros pour un billet donnant droit à la visite des deux expositions du moment Jean-Jacques Lequeu et Fernand Khnopff.
Je descends d’abord au sous-sol pour voir les dessins de Jean-Jacques Lequeu dont la première exposition monographique est sous-titrée Bâtisseur de fantasmes. Les arrivant(e)s étant agglutiné(e)s dans la première salle, je vais directement au fond. Là, je me trouve seul avec la fascinante religieuse dessinée par cet architecte sans commandes sous le titre  Et nous aussi nous serons mères, car…, une œuvre consécutive à la suppression des ordres monastiques par la Révolution. Le regard intensément dirigé vers le spectateur, la nonne dévoile ses seins en arrachant une guimpe qui prend forme dans sa main droite de sexe masculin. Elle est jouxtée de Femme surannée (c’est-à-dire d’âge mûr) qui me fait moins d’effet.
A côté, dans une salle nommée « Rêveries d’un architecte solitaire » et munie de l’avertissement « Nous attirons votre attention sur le caractère sexuel des dessins exposés dans cet espace, susceptibles d’heurter certaines sensibilités », sont exhibés Effets du mois de mai (une scène de masturbation féminine), L’infâme Vénus couchée (posture lubrique d’après nature), le susceptible de déclencher une petite polémique Femme, vous avez à ce moment-là une bonne qualité, qui est de vous taire, les gynécologiques Cratère d’une fille adolescente animée de désir déréglée et Autre cratère d’une fille adolescente dont on voit la pure virginité ou Jeune con dans une attitude des conjonctions de Vénus, le mou Posture lubrique de Bacchus et, bien dur, Le Dieu Priape, enfin l’effrayante Verge atteinte de paraphimosis.
Dans les salles précédentes sont montrés les dessins d’architecture, autant de projets refusés, aussi sexuels que ceux décrits précédemment. Que de portes bien ouvertes, que de colonnes bien dressées, que de parois duvetées comme chair humaine, ont été signées par Lequeu. Celui-ci s’est représenté en un autoportrait flatteur, intellectuel associé à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen. Dans la première salle sont montrées de fort intéressantes études de physionomie, portraits à la lippe, à l’œil borgne, au bâillement, à la langue titrée et à la moue.
Je retourne voir la religieuse.
                                                             *
« Dessin pour me sauver de la guillotine » a écrit Jean-Jacques Lequeu sur l’un d’eux. C’est qu’avant la Révolution il fréquentait la noblesse à qui il proposait ses services. Il les proposera de même à la République quand il s’agira d’ériger des monuments à sa gloire, avec le même insuccès.
                                                            *
Il ne fut pas prophète en son pays, Rouen où il est né en mil sept cent cinquante-sept et fit ses études, et pas davantage à Paris. Peu avant sa mort, dans un deux pièces de la rue Saint-Sauveur, en mil huit cent vingt-six, il tenta de vendre ses dessins. Devant l’insuccès, il en fit heureusement don à la Bibliothèque Royale, qui en mit une partie directement en Enfer.
                                                            *
Et sur la fin, échauffée par le vin, elle se déshabillait entièrement. Jean-Jacques Lequeu, Observations sur les plaisirs de la table des anciens peuples de l’Asie
 

14 mars 2019


Quel auteur fut capable de refuser que l’on publie ses textes dans une revue ou une anthologie, qu’on en réédite d’autres, de faire partie d’un comité de rédaction, d’être pris en photo, de recevoir un prix littéraire, de faire une lecture publique, d’écrire un article de commande ou un scénario, de faire une conférence, que l’on publie ses lettres, d’être l’objet d’une exposition ou d’un numéro spécial ou d’un colloque, de passer à la radio ou à la télévision, que l’on mette son nom sur une plaque commémorative et même d’être publié dans La Pléiade de son vivant ?
Henri Michaux.
Jean-Luc Outers a eu la bonne idée de rassembler en un recueil publié en deux mille seize chez Gallimard les lettres de refus que l’écrivain et artiste a envoyé, entre mil neuf cent trente et un et mil neuf cent quatre-vingt-quatre, pour réponse aux sollicitations dont il fut l’objet, sous un titre on ne peut plus clair : Donc c’est non. C’est d’une lecture réjouissante.
En voici, extraite par mes soins, la substantifique moelle :
Vous allez m’excuser. JE N’AI AUCUNEMENT L’INTENTION D’ACCEPTER. Je ne m’y vois pas, non. Me suis-je assez montré ! Mais oui, envoyez-là au diable. Procédé un : pas de réponse. Procédé deux : je vous en pire, laissez-moi dormir. Dois-je vous dire que je m’oppose catégoriquement à ces exhibitions et que dans la mesure où je le sais, je l’interdis. N’en parlons plus. Je m’oppose de façon catégorique à la réédition. Dans la crise du papier, ce n’est pas moi qui mordrai dans le stock. Ne comptez pas sur moi. Comme vous me connaissez mal ! Non, décidément non. Veuillez donc supprimer mon nom. Je serai Intraitable, cela va sans dire. N’y songez plus. Ne les publiez pas. Il n’y aura pas d’exception. Il ne peut en être question. Veuillez prendre note que je l’interdis absolument. Interdiction d’en faire mention. Vous saviez bien pourtant que je ne parle jamais au micro. Je regrette de devoir répondre de façon décourageante. Est-il besoin de dire que je m’y oppose formellement. C’est encore une fois NON. Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non. Croyez bien que j’en ai autant de regret que j’ai eu de surprise à vous lire. Je décide de ne pas donner suite à ces propositions. Je suis catégoriquement opposé à ce qu’on republie. Je ne me montre pas à la Télévision. Je voudrais qu’on n’en fasse rien. On a peut-être espéré aussi que je changerais d’avis, ce n’est pas le cas. Vous comprenez que mon parti est pris, c’est non. Auriez-vous l’obligeance de répondre, de ma part, non à cette dame. Dans les constructions et échafaudages à mon sujet, je tiens à n’avoir aucune part. Je m’y oppose formellement. Qu’il n’en soit donc plus question. Cependant, j’ai peu envie. Ne comptez pas sur moi pourtant. Faites qu’il ne soit rien de plus. Attendez la fin de ma vie qui ne saurait tarder. Je vous prie de renoncer à votre projet. Je répugne – en ce qui me concerne – à l’étalage. Mais cela ne me va pas à moi d’être membre d’honneur ni lié à un groupe. Je suis au regret de devoir tout vous refuser. Non. Plus jamais. J’ai décidé de n’accorder même à un ami la moindre interview. A quoi bon des essais, monsieur ? Voici vos textes, gardés trop longtemps peut-être. Laissez tomber cette manifestation projetée, du moins en ce qui me concernait. Refus catégorique, et cette fois pour toutes. Je ne puis accepter ce prix qui ferait le bonheur de tout poète ! Sachez que j’aimerais que vous renonciez. Laissez-moi mourir d’abord. Et vous demande de bien vouloir renoncer à ce projet. Il faut y renoncer. Je ne peux pas vous aider.
 

13 mars 2019


En ce mercredi, jour des enfants (dont l’innocence n’est plus à démontrer), un souvenir d’école d’Eugène Dabit, tel qu’il le raconte dans Faubourgs de Paris (L’Imaginaire/Gallimard) :
Champigneules écrasait des boules puantes, bouchait les encriers, coupait les courroies des gibecières, chipait des plumiers et nous faisait bénéficier de ses vols. Mais nous n’avions de cesse qu’il se livre à un amusement que je n’étais pas le dernier à souhaiter. Il semblait de pas comprendre ; l’un de nous disait enfin : « Champigneules, montre ta marchandise. »
Une colonne le cachait du maître. Il se levait, dressait sur le pupitre son sous-main et, à l’abri, déboutonnait sa braguette. Il en tirait un membre brun, en souriant, certain d’être plus homme que nous autres. Il le roulait, faisait mine de le scier à l’aide d’une règle, de l’envelopper dans un buvard, de nous l’envoyer avec un ricanement ; « Qui veut de la saucisse ? »
 

12 mars 2019


Pas croisé les Gilets Jaunes à Rouen ce samedi, hormis une dizaine pas jeunes et pas loin du U Express de l’Hôtel de Ville un peu avant dix heures. Pas entendu le bruit de leurs errements en ville hormis deux ou trois explosions de pétards au loin.
La ville est envahie par les touristes et les consommateurs du samedi lorsque je vais boire un café au Faute de Mieux. Autrefois, on n’y parlait que des Jaunes (en bien le plus souvent). Depuis plusieurs semaines, on ne les évoque plus.
Pourtant il y en a encore, peut-être un millier, dans les rues l’après-midi. Les photos témoignent que ce sont toujours huit ou neuf hommes pour une femme. Cette histoire est depuis le départ une histoire de couillus.
Donc, des poubelles ont été brûlées, notamment rue de Buffon, ainsi que les panneaux de bois protégeant les banques de la rue de la Jeanne, après avoir été arrachés et transformés en barricade, et des vitrines ont été brisées au centre commercial des Docks.
                                                              *
Au moins la faute d’orthographe sur le panneau de bois de l’agence Groupama de la rue du Canuet a été corrigée et l’on peut maintenant lire « Le pacifisme soutient les keufs ». Bravo à celui qui a ajouté le t.
                                                              *
Plus tôt dans la semaine, ceux qui le samedi douze janvier ont agressé à Rouen une équipe de la deuxième télévision d’information continue et frappé au sol l’un de ses gardes du corps qui a eu le nez fracturé, ont été identifiés et mis en garde à vue, m’apprend Paris Normandie. Des couillus, âgés de vingt-cinq à soixante ans.
Citation : « Ils n’ont pas de profil particulier. Visiblement, ils ne seraient ni de l’ultra-gauche, ni de l’ultra-droite, mais ce qui est certain c’est qu’ils sont ultra-cons…, confie une source judiciaire, consciente de choquer éventuellement avec ses propos. On a affaire à des mecs basiques qui, si l’on en croit les policiers à ce stade, ont été pris dans un déchaînement de violences ».
                                                              *
Pendant ce temps, de l’autre côté de la Méditerranée, les manifestations sont d’une toute autre ampleur et dans un tout autre esprit. Mon slogan préféré : « Pas de bras, pas de cinquième mandat ».
 

11 mars 2019


Qui l’eût cru, me voici ce jeudi soir remontant la rue de la Rép, passant devant l’Hôtel de Ville complètement bâché pour cause de travaux, grimpant un petit bout de la rue Louis-Ricard et tournant à droite rue du Bourg-l’Abbé où m’appelle la Chapelle Corneille pour un spectacle de l’Opéra de Rouen.
L’occasion est une place offerte (et livrée à mon domicile) par l’un de ses abonnés, par ailleurs lecteur de mon Journal, qui ne peut être présent ce jour pour voir le spectacle qu’il avait réservé : Suites dansées, lequel réunit sur scène le claveciniste Christophe Rousset et le danseur Alban Richard.
Premier arrivé, j’attends contre un radiateur vertical que l’autorisation de monter l’escalier soit donnée par l’une des placeuses. Avec le nouveau Directeur, le noir des tenues a été remplacé par des hauts à la blancheur immaculée. Le livret programme a également été relouqué, avec un usage intensif de la forme ronde.
Rond aussi est le plateau au bord duquel se trouve le clavecin. J’en suis on ne peut plus proche sur le siège A Quatre. Au-dessus de ma tête est suspendue la grosse boule qui, dit-on, améliore le son. Impossible d’oublier que l’on se trouve dans un édifice religieux désaffecté, que de dorures, que de tableaux pieux, mais contrairement aux églises en activité, ici il fait chaud. Des voix résonnent derrière moi. Un cadreur a installé sa caméra en chaire. Une autre est au fond de la salle dont les siéges à dossier droit en bois tardent à se garnir.
C’est loin d’être complet quand à vingt heures une voix masculine tombée du ciel cite Corneille A force d’être juste, on est souvent coupable. Montent alors sur scène les deux hommes attendus. Christophe Rousset explique que chaque soirée est différente car il choisit sans l’avertir les pièces sur lesquelles Alban Richard improvise, raison pour laquelle nous n’avons pas la liste des œuvres jouées. Il annonce qu’il commence par une suite de Couperin.
Le duo est au point et agréable à suivre de l’œil et de l’oreille. Je déplore néanmoins ce fond de scène religieux qui ne peut se faire oublier et nuit à la bonne vision de la danse.
Tandis qu’Alban Richard change de ticheurte, Christophe Rousset annonce la deuxième partie.
-On n’entend pas ! proteste une voix à l’arrière, confirmant le fait qu’au-delà d’un certain rang le son se perd.
Le claveciniste reprend plus fort, la nouvelle suite est due à l’un dont je ne retiens pas le nom. Une dernière, plus courte, est signée Le Roux. J’ai un peu mal au dos.
Tout le monde applaudit bien fort. En bonus, Christophe Rousset choisit à nouveau Couperin et Alban Richard le traduit avec ses basquettes.
Il est possible que l’on me revoie à la Chapelle Corneille à la fin du mois.
                                                              *
Sur le livret programme, cette autre citation de Corneille, tirée de Nicomède : La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne.  Elle tombe à pic.
C’est l’acte de générosité qui m’a fait revenir à l’Opéra (en sa salle secondaire) car, en vérité, ne plus être abonné à l’Opéra de Rouen ne génère aucun regret de ma part. Contrairement à deux de mes connaissances, je ne suis pas « passionnément musique ».
                                                              *
A force d’être juste, on est souvent coupable est tiré de La mort de Pompée. De quoi cogiter.
 

9 mars 2019


A droite l’exposition Stéphane Mandelbaum, en face l’exposition Isidore Isou, qui toutes deux viennent de commencer à l’étage Art Contemporain du Centre Pompidou.
Quand je mets le pied dans la première, je sais que ça va me plaire. Les dessins de grandes dimensions au crayon à mine graphite sur papier dans le style néo expressionniste de Stéphane Mandelbaum, dont j’avais fait la découverte à La Maison Rouge, ont tout pour me plaire.
On commence par ses autoportraits, dont l’un intéresse suffisamment un garçon dans les huit ans pour qu’il se soit assis à ses pieds afin d’en faire une copie sur son cahier. Suivent un portrait de son grand-père survivant de la Shoah, de son père peintre libertaire renommé accompagné de l’inscription « Baise mon cul » en yiddish et orné d’une photographie pornographique elle-même affublée d’une tête de nazi (en revanche, pas de dessin représentant sa mère l’illustratrice de livres pour enfants Pili Mandelbaum). D’autres de personnalités troubles : Arthur Rimbaud, Pier Paolo Pasolini, Francis Bacon, Pierre Goldman (le « juif polonais né en France » et demi-frère de Jean-Jacques). Et ceux intitulés Portrait d’Annie Homosexuel Putain Juive, Portrait von punk tück (Hugo), Portrait d’un con, Der Goebbels. Et d’autres de scènes de bars louches et de bordels. La mère de l’enfant dessinateur vient le chercher avant qu’il en ait terminé, c’est dommage, c’était bien parti. Quelques remarquables peintures au fusain et à la craie sont également présentées, dont La Mort du Pape et Le Nazi, Saint Nicolas, les frères et la grand-mère, ainsi que des carnets de croquis.
Installé dans le quartier de Saint-Gilles à Bruxelles, Stéphane Mandelbaum, fasciné par les mauvais garçons, se mit à fréquenter le quartier de Matonge, épousa Claudia, une jeune Zaïroise dont il reconnut l’enfant, et dédia sa première exposition à un célèbre trafiquant noir. À partir de ce moment, il sera mêlé à diverses affaires crapuleuses, dont la plus célèbre est le vol d’un Modigliani. Elle lui sera fatale. Devenu menaçant quand le commanditaire refusa de lui remettre sa part, il fut assassiné par ses complices au mois de décembre mil neuf cent quatre-vingt-six à l’âge de vingt-cinq ans. Son corps fut abandonné, à demi défiguré par l’acide, dans un terrain vague de la banlieue de Namur. Il sera retrouvé au bout de plus d’un mois par des enfants.
L’un de ses premiers tableaux, réalisé à l'âge de quinze ans, est un autoportrait de l'artiste pendu à un crochet et dont le sexe est mutilé.
Je vais voir en face les œuvres d’Isidore Isou que je connais sans connaître. L’intérêt que je portais autrefois aux artistes d’avant-garde n’est plus. Je regarde ses petits dessins, l’écoute débiter ses poèmes lettristes puis constate avec plaisir qu’il écrivit des érotiques aux couvertures vulgaires pour les éditions Aphrodite. A l’issue, une animatrice invite les visiteurs à participer à la création d’une œuvre « supertemporelle ». Ce sera sans moi.
                                                                      *
Je m’absente une journée et à mon retour constate que l’on a installé des plongeoirs face à ma fenêtre côté ruelle. Dommage que les ouvriers du service des eaux aient rebouché les trous qui auraient pu faire une piscine.
En vérité, cet échafaudage est destiné au ravalement de la façade du bâtiment à pans de bois qui me fait face. L’une des propriétaires m’avait prévenu, s’excusant par avance pour la gêne occasionnée. Il y en a pour deux mois. A la fin, je serai le mieux placé pour en profiter. Comme l’aurait dit Lao-Tseu : La façade d'une maison n'appartient pas à celui qui la possède, mais à celui qui la regarde.
 

8 mars 2019


-Pourquoi il est pas là le train ? demande un trois ans sur le quai derrière moi alors qu’en compagnie de beaucoup d’autres adultes, j’attends ce mercredi le sept heures cinquante-neuf pour Paris.
Je ne peux empêcher qu’il s’installe avec ses mère et père dans la voiture six, où j’ouvre Eloge de la fuite d’Henri Laborit.
-Pourquoi il fait pas tchou tchou le train ? demande-t-il quand celui-ci démarre.
Le voyage se déroule sans anicroche jusqu’aux Mureaux où après trois bips le train s’arrête « en pleine voie », « prière de ne pas ouvrir les portes ». La cause en est un autre train en panne. « Maman, il dit quoi le monsieur ? »
Quand nous repartons, c’est au ralenti. Cela me permet d’avancer dans mon Eloge de la fuite et de constater que le souvenir que j’avais d’une lecture faite il y a moult années ne correspond pas à la réalité de son contenu. Sans doute ai-je eu l’esprit faussé par le film d’Alain Resnais.
Dans le couloir du métro, je subis une agression sonore inédite: la lecture par haut-parleur d’un poème de je ne sais quel auteur par je ne sais quelle comédienne. Cette poésie obligatoire a pour cause le Printemps des Poètes. A Opéra, où j’ai correspondance le message est d’une poésie plus pragmatique : « Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal ». Il se répète sans fin, ayant le bobineau coincé.
En raison du retard de train, je n’entre au Book-Off de Ledru-Rollin qu’à dix heures cinq.
-Pourquoi papa il lit pas ? demande un cinq ans à sa mère qui évite de lui répondre.
Il pleut quand j’en sors avec dans mon sac deux curiosités à un euro : Le portatif de la Provocation (de Villon à Verdun en 333 entrées) de François Boddaert et Olivier Apert (Presses Universitaires de Vincennes) et Off The Map (Tribulations de deux vagabondes anarchistes) d’anonymes américaines (Editions Bambule).
Je descends dans le métro et, pour me rapprocher de Pompidou, vise Rambuteau. A République, où j’ai correspondance, on prie toujours un agent d’exploitation de rejoindre d’urgence le poste de travail principal, de quoi rendre fous les commerçants souterrains.
Au cours de ce changement de rame, je perds mon ticket. Me voilà fraudeur malgré moi et pas très rassuré. De plus, la station Rambuteau étant fermée pour travaux, je dois aller jusqu’à Hôtel de Ville. Heureusement, à la sortie, ni contrôleurs, ni averse.
J’arrive chez New New à midi pile, où je profite du buffet à volonté. Il pleut à nouveau à ma sortie. J’entre sans tarder au Centre Pompidou et monte au niveau cinq. Je vais un peu au hasard parmi l’Art Moderne.
-J’veux retourner à la maison, déclare un quatre ans à sa grand-mère.
Je descends au niveau quatre par ce nouvel escalier dont les marches ajourées semblent avoir été faites exprès pour regarder sous les jupes des filles (mais ce n’est pas la saison). J’y visite les deux expositions qui viennent d’ouvrir.
Quand je ressors, la file d’attente est impressionnante sur la piazza, vacances obligent.
Un père divorcé se dirige fièrement vers le bâtiment avec ses sept et neuf ans.
-On est déjà venus ici avec maman, lui apprend l’un
Le second Book-Off est le terrain de jeu de deux acheteurs lisant les codes-barres avec leur mobile. Bientôt, ils s’embrouillent « Je vais là, tu vas là. Je change de place, tu y viens aussi » puis se réconcilient en parlant de foute.
Je choisis mes livres à l’ancienne, sans savoir si on peut espérer un bénéfice en les revendant. C’est aussi à l’ancienne que je me suis géolocalisé afin que l’acheteur des deux livres que je transporte dans mon sac à dos depuis l’aurore puisse me trouver. Quai dix-huit, voiture six, place dix-huit.
Il quitte son travail rue du Havre à dix-sept heures. Mon train doit partir à dix-sept heures vingt-trois. A dix-sept heures dix, l’affaire est faite.
Ce train à destination du Havre part à l’heure prévue. « Magnifique destination », commente celui qui se présente sous l’appellation « votre dévoué chef de bord ». J’en descends à Rouen et rentre sous le parapluie.
                                                                          *
Une tête de Rouennais dans le métro parisien : celle de Michel Bussi qui publie un nouveau livre J’ai dû rêver trop fort. J’ai déjà pesté contre les romancier(e)s qui empruntent leurs titres à des chansons connues. Dans le cas de Bussi, on ne peut suspecter le désir de se faire repérer par un titre qui dit quelque chose. Il vend tellement de ses romans que celui-là pourrait aussi bien s’appeler « Encore un ».
 

6 mars 2019


Ce dimanche, je suis le premier à attendre neuf heures devant la porte de la grande salle de rez-de-chaussée de la Halle aux Toiles où moins de vingt mille livres d’occasion sont à vendre au profit du groupe rouennais d’Amnesty International.
En vérité, nous sommes deux et je pourrais pousser la porte avant l’heure dite, mais je suis un garçon discipliné.
Celle-ci ouverte, j’explore en priorité les tables Littérature et Sciences Humaines et constate qu’on y a partiellement renouvelé le stock. Je peux donc remplir mon sac et au bout d’une heure me rends à la caisse. La dame qui fait mon compte est interloqué par le livre du dessus de ma pile : Le pénis dans tous ses états de Maggie Paley (Belfond). « Oh, ça existe ça ? » (elle parle du livre, pas de la chose). J’ai aussi Les baumes de l’amour de Piero Campresi (Pluriel) qui n’est pas sans rapport avec le précédent, 118 lettres inédites d’auteurs de La Nouvelle Revue Française (le numéro cent dix-huit de ladite revue), Eloge de la fuite d’Henri Laborit (Folio Essais) que je n’avais plus et veux relire, ainsi que d’autres de moindre intérêt. Cela fait huit euros cinquante.
-Je suis déjà venu hier, dis-je à une autre dame qui veut me donner des documents de l’organisation.
-Et peut-être de retour cet après-midi, me dit une autre.
-C’est bien possible.
L’après-midi, j’ai la confirmation que des livres sont gardés en réserve et mis peu à peu en vente. Quand ils ne sont pas préemptés par une organisatrice, comme je l’entends pour un livre d’Elena Ferrante. Je retrouve quelques-uns de ceux que j’ai donnés et prends garde de ne pas les acheter.
Au moment de payer, j’ai dans mon sac Le sourire au pied de l’échelle d’Henry Miller (édition bilingue Buchet/Chastel), Journal psychanalytique d’une petite fille (Denoël), Brève histoire des fesses de Jean-Luc Hennig (Zulma), Esotérisme, médiums, spirites du Père Lachaise de Vincent de Langlade (Vermet), Le griffonnage (Esthétique des gestes machinaux) de Roger Lenglet (François Bourin), ainsi que d’autres de moindre intérêt. Cela fait treize euros.
 

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