Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
9 mai 2019
-Ah non ! Pas encore eux ! s’exclame la patronne du Faute de Mieux à la vue du Policier en scouteur s’arrêtant au carrefour ce samedi après-midi.
Elle en a après les Gilets Jaunes qu’au début elle soutenait tout aussi bruyamment.
-Ils sont obligés de passer par-là, commente un client, ils sont interdits dans le centre-ville.
Surprise ! Les drapeaux qui surgissent ne sont pas tricolores mais arc-en-ciel.
-Ah non ! C’est pas eux ! C’est la Gay Pride ! s’enthousiasme la patronne. Au moins c’est joyeux.
Je regarde passer cette manifestation surtout constituée de damoiselles et de damoiseaux légèrement vêtus malgré le froid qui règne en ville depuis quelques jours. Mêlés à eux, quelques hommes et quelques femmes d’âge divers concernés par le sujet. En bout de cortège, un drapeau des Jeunesses Socialistes et un drapeau des Jeunesses Communistes. Comme dans la lutte contre le réchauffement climatique, il faut que ce soit les jeunes qui s’y collent chaque année.
Un couple d’hommes entre dans le café, drapeaux arc-en-ciel sur le dos. Ce sont des clients qui viennent dire bonjour. Ils expliquent que pour eux aussi le centre-ville est interdit par la Préfecture, d’où leur passage par ici.
-Tant mieux, pour une fois on vous voit, leur dit la patronne, mais pourquoi qu’y a pas de chars ?
Question d’argent qui manque, lui répondent-ils. Le seul véhicule du cortège se trouve à sa toute fin, devant celui de la Police et celui des Secouristes, un commerçant qui expose de façon ambulante ses vêtements et ses chapeaux. « Achetez gay », est-il écrit sur sa remorque.
-Ah le capitaliste ! commente le serveur.
*
Peut-être y a-t-il eu des Jaunes dans les rues rouennaises autorisées mais je n’en ai rien su. Certains sont allés « reprendre » le rond-point des Vaches, lieu de leurs premiers exploits. Notamment de la destruction des vaches, l’œuvre d’art signée Pierre Garcette.
Pour le vingt-sixième samedi, ils mijotent un « Retour de Flamme ». Il s’agira d’envahir la zone interdite pendant la Grande Braderie de Printemps.
*
A Paris, un Céhéresse qui lance un pavé, un deuxième qui met la matraque dans un slip, un troisième qui colle une gifle, et le Castaner qui déparle sur l’attaque de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Certains joueurs vont être suspendus pour les matchs des prochains samedis. Quant au capitaine…
*
« Nous ne sommes pas dupes », pétitionnent un collectif d’artistes et d’écrivains soutenant les Gilets Jaunes.
« Nous voyons bien les ficelles usées à outrance pour discréditer les Gilets Jaunes, décrits comme des anti-écologistes, extrémistes, racistes, casseurs… La manœuvre ne prend pas, ce récit ne colle pas à la réalité même si médias grand public et porte-paroles du gouvernement voudraient bien nous y faire croire. »
*
Pour illustrer ce propos, la liste « Jaunes et citoyens » a fusionné avec celle des Patriotes de Philippot pour l’Election Européenne, et l’étudiante en philosophie éborgnée par une balle de défense, dont on a vu la photo partout en décembre, figure en deuxième position de La Ligne Claire, la liste d’ultra droite conduite par Renaud Camus.
*
Autre manifestation, celle croisée ce lundi matin dans le jardin de l’Hôtel de Ville, composée d’élèves des petites classes de l’école élémentaire Legouy encadrés par des parents et revenant d’une opération « Pipi à la Mairie » avec pancartes dénonçant l’état des toilettes et slogans réclamant des travaux.
Elle en a après les Gilets Jaunes qu’au début elle soutenait tout aussi bruyamment.
-Ils sont obligés de passer par-là, commente un client, ils sont interdits dans le centre-ville.
Surprise ! Les drapeaux qui surgissent ne sont pas tricolores mais arc-en-ciel.
-Ah non ! C’est pas eux ! C’est la Gay Pride ! s’enthousiasme la patronne. Au moins c’est joyeux.
Je regarde passer cette manifestation surtout constituée de damoiselles et de damoiseaux légèrement vêtus malgré le froid qui règne en ville depuis quelques jours. Mêlés à eux, quelques hommes et quelques femmes d’âge divers concernés par le sujet. En bout de cortège, un drapeau des Jeunesses Socialistes et un drapeau des Jeunesses Communistes. Comme dans la lutte contre le réchauffement climatique, il faut que ce soit les jeunes qui s’y collent chaque année.
Un couple d’hommes entre dans le café, drapeaux arc-en-ciel sur le dos. Ce sont des clients qui viennent dire bonjour. Ils expliquent que pour eux aussi le centre-ville est interdit par la Préfecture, d’où leur passage par ici.
-Tant mieux, pour une fois on vous voit, leur dit la patronne, mais pourquoi qu’y a pas de chars ?
Question d’argent qui manque, lui répondent-ils. Le seul véhicule du cortège se trouve à sa toute fin, devant celui de la Police et celui des Secouristes, un commerçant qui expose de façon ambulante ses vêtements et ses chapeaux. « Achetez gay », est-il écrit sur sa remorque.
-Ah le capitaliste ! commente le serveur.
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Peut-être y a-t-il eu des Jaunes dans les rues rouennaises autorisées mais je n’en ai rien su. Certains sont allés « reprendre » le rond-point des Vaches, lieu de leurs premiers exploits. Notamment de la destruction des vaches, l’œuvre d’art signée Pierre Garcette.
Pour le vingt-sixième samedi, ils mijotent un « Retour de Flamme ». Il s’agira d’envahir la zone interdite pendant la Grande Braderie de Printemps.
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A Paris, un Céhéresse qui lance un pavé, un deuxième qui met la matraque dans un slip, un troisième qui colle une gifle, et le Castaner qui déparle sur l’attaque de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Certains joueurs vont être suspendus pour les matchs des prochains samedis. Quant au capitaine…
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« Nous ne sommes pas dupes », pétitionnent un collectif d’artistes et d’écrivains soutenant les Gilets Jaunes.
« Nous voyons bien les ficelles usées à outrance pour discréditer les Gilets Jaunes, décrits comme des anti-écologistes, extrémistes, racistes, casseurs… La manœuvre ne prend pas, ce récit ne colle pas à la réalité même si médias grand public et porte-paroles du gouvernement voudraient bien nous y faire croire. »
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Pour illustrer ce propos, la liste « Jaunes et citoyens » a fusionné avec celle des Patriotes de Philippot pour l’Election Européenne, et l’étudiante en philosophie éborgnée par une balle de défense, dont on a vu la photo partout en décembre, figure en deuxième position de La Ligne Claire, la liste d’ultra droite conduite par Renaud Camus.
*
Autre manifestation, celle croisée ce lundi matin dans le jardin de l’Hôtel de Ville, composée d’élèves des petites classes de l’école élémentaire Legouy encadrés par des parents et revenant d’une opération « Pipi à la Mairie » avec pancartes dénonçant l’état des toilettes et slogans réclamant des travaux.
7 mai 2019
N’ayant pu aller au vernissage de l’exposition Entre les lignes de Julie Savoye au Hall pour cause d’escapade arcachonnaise, je prends ce vendredi après-midi un bus Té Trois direction Darnétal dont les passagères font état de leur vie privée. L’une se plaint de son ex (comme elle dit) qui lui a volé ses chiots et de la viande dans le frigo. Une autre évoque le père de ses enfants (comme elle dit) qui a refait sa vie et un enfant avec la voisine, il habite en face, c’est pratique pour lui de voir ses deux premiers.
Je descends à l’Ecole d’Archi (comme c’est écrit), me trompe de direction, fais demi-tour et trouve enfin la zone peu attrayante où se trouve le Kalif. Le Hall doit être à proximité. Je demande à un guitariste. Ici, il y a de tout, me dit-il, mais une salle d’exposition, pas à ma connaissance.
Un camion de l’entreprise Verhaeghe recule vers un entrepôt près de bennes remplies d’ardoises cassées et de gravas. Derrière, j’aperçois Julie que je connais depuis l’année où celle qui me tenait la main est devenue amie avec elle alors qu’elles étaient en première année des Beauzarts de Rouen. Elles le sont restées depuis, vivant toutes deux à Paris.
Julie n’est pas seule. Une autre ancienne beauzarteuse jamais sans son chien que je côtoyais à l’Ubi et qui m’a toujours snobé ainsi qu’un prof de beauzarts lui tiennent compagnie.
Je lui dis bonjour. Elle me remercie d’être là, sans que je sache si elle est contente ou pas de ma visite. La propriétaire du chien partie, nous entrons dans Le Hall, une salle qui porte mal son nom, tant c’est petit. Sur un mur est accrochée sa série de vingt-sept dessins géométriques Dirty Lines. Sur un autre, les costumes et accessoires en tissu peint de son film Route du Havre. Son ancien prof lui pose un tas de questions de prof sur sa démarche artistique. Dire qu’il est soûlant serait faible, il est hyper soûlant.
-Monsieur a sans doute aussi des questions à poser, me dit-il.
-Non non, je ne pose jamais de questions, lui réponds-je.
Il demande à voir le film et nous voici dans le noir, rideau métallique baissé. Au moins se tait-il durant la projection de Route du Havre que Julie a réalisé avec comme comédien(ne)s elle-même, son frère Nils qui a aussi écrit le texte, Pierre-Yves Liberatore qui a aussi écrit la musique et Marion Bonneau qui a aussi filmé. La narratrice est Elina Löwensohn.
Ce film qui montre de façon joueuse et mélancolique un retour à la maison d’enfance est à mon goût, son texte et sa musique notamment. Soudain une voix féminine se fait entendre de l’autre côté du rideau. C’est une prof de beauzarts. Le rideau un peu relevé, elle rampe dans Le Hall et on peut voir la fin du film et puis le revoir puisqu’elle a raté le début. A l’issue, l’hyper soûlant reprend sa logorrhée pédagogique, tandis qu’arrivent d’autres ancien(ne)s élèves des Beauzarts, dont l’une qui distribue des bières et trouve un cubi de bordeaux supérieur pour moi.
J’aurais bien posé quelques questions à Julie sur la maison de famille du film, sise à Saint-Valéry-en-Caux, qui m’en a rappelé une autre, sise dans la campagne proche de Rouen, où je fus un jour d’énorme orage, mais elle est monopolisée par l’hyper soûlant et par l’autre prof que je sens en compétition avec le premier. Ce narcisse raconte qu’il songe à prendre sa retraite et que ce sera l’occasion d’avoir autour de lui tous ses anciens élèves. Combien vivent du métier d’artiste qu’il était censé leur apprendre, il ne le dit pas. Soudain, il annonce qu’il doit prendre un train à la gare de Rouen.
-Je comptais sur toi pour m’y emmener, dit-il à Julie.
Quel sans-gêne, me dis-je, quel goujat. Elle s’exécute, quittant donc pour un moment son finissage, après m’avoir dit au revoir et demander si ça va. Ce sera notre seul échange. Je rentre dans un bus Té Deux sans histoire, me demandant à quoi bon exposer dans un endroit aussi excentré, quasiment introuvable et si peu attrayant, et surtout pourquoi y inviter ses ancien(ne)s profs. Au moins aura-t-elle eu de leur part les félicitations du jury.
*
Ce soir d’énorme orage, pour rejoindre celle qui me tenait la main et son amie dans la maison de famille de cette dernière près de Quincampoix, je dus slalomer sous le déluge entre les branches tombées sur la route, puis après avoir laissé ma voiture au pied d’une falaise, marcher courageusement sous les éclairs et coups de tonnerre sur un chemin forestier.
Après le dîner, à l’heure de rentrer, un torrent né de la pluie intense m’empêcha de rejoindre ma voiture. Ce fut une bonne nuit imprévue.
Je descends à l’Ecole d’Archi (comme c’est écrit), me trompe de direction, fais demi-tour et trouve enfin la zone peu attrayante où se trouve le Kalif. Le Hall doit être à proximité. Je demande à un guitariste. Ici, il y a de tout, me dit-il, mais une salle d’exposition, pas à ma connaissance.
Un camion de l’entreprise Verhaeghe recule vers un entrepôt près de bennes remplies d’ardoises cassées et de gravas. Derrière, j’aperçois Julie que je connais depuis l’année où celle qui me tenait la main est devenue amie avec elle alors qu’elles étaient en première année des Beauzarts de Rouen. Elles le sont restées depuis, vivant toutes deux à Paris.
Julie n’est pas seule. Une autre ancienne beauzarteuse jamais sans son chien que je côtoyais à l’Ubi et qui m’a toujours snobé ainsi qu’un prof de beauzarts lui tiennent compagnie.
Je lui dis bonjour. Elle me remercie d’être là, sans que je sache si elle est contente ou pas de ma visite. La propriétaire du chien partie, nous entrons dans Le Hall, une salle qui porte mal son nom, tant c’est petit. Sur un mur est accrochée sa série de vingt-sept dessins géométriques Dirty Lines. Sur un autre, les costumes et accessoires en tissu peint de son film Route du Havre. Son ancien prof lui pose un tas de questions de prof sur sa démarche artistique. Dire qu’il est soûlant serait faible, il est hyper soûlant.
-Monsieur a sans doute aussi des questions à poser, me dit-il.
-Non non, je ne pose jamais de questions, lui réponds-je.
Il demande à voir le film et nous voici dans le noir, rideau métallique baissé. Au moins se tait-il durant la projection de Route du Havre que Julie a réalisé avec comme comédien(ne)s elle-même, son frère Nils qui a aussi écrit le texte, Pierre-Yves Liberatore qui a aussi écrit la musique et Marion Bonneau qui a aussi filmé. La narratrice est Elina Löwensohn.
Ce film qui montre de façon joueuse et mélancolique un retour à la maison d’enfance est à mon goût, son texte et sa musique notamment. Soudain une voix féminine se fait entendre de l’autre côté du rideau. C’est une prof de beauzarts. Le rideau un peu relevé, elle rampe dans Le Hall et on peut voir la fin du film et puis le revoir puisqu’elle a raté le début. A l’issue, l’hyper soûlant reprend sa logorrhée pédagogique, tandis qu’arrivent d’autres ancien(ne)s élèves des Beauzarts, dont l’une qui distribue des bières et trouve un cubi de bordeaux supérieur pour moi.
J’aurais bien posé quelques questions à Julie sur la maison de famille du film, sise à Saint-Valéry-en-Caux, qui m’en a rappelé une autre, sise dans la campagne proche de Rouen, où je fus un jour d’énorme orage, mais elle est monopolisée par l’hyper soûlant et par l’autre prof que je sens en compétition avec le premier. Ce narcisse raconte qu’il songe à prendre sa retraite et que ce sera l’occasion d’avoir autour de lui tous ses anciens élèves. Combien vivent du métier d’artiste qu’il était censé leur apprendre, il ne le dit pas. Soudain, il annonce qu’il doit prendre un train à la gare de Rouen.
-Je comptais sur toi pour m’y emmener, dit-il à Julie.
Quel sans-gêne, me dis-je, quel goujat. Elle s’exécute, quittant donc pour un moment son finissage, après m’avoir dit au revoir et demander si ça va. Ce sera notre seul échange. Je rentre dans un bus Té Deux sans histoire, me demandant à quoi bon exposer dans un endroit aussi excentré, quasiment introuvable et si peu attrayant, et surtout pourquoi y inviter ses ancien(ne)s profs. Au moins aura-t-elle eu de leur part les félicitations du jury.
*
Ce soir d’énorme orage, pour rejoindre celle qui me tenait la main et son amie dans la maison de famille de cette dernière près de Quincampoix, je dus slalomer sous le déluge entre les branches tombées sur la route, puis après avoir laissé ma voiture au pied d’une falaise, marcher courageusement sous les éclairs et coups de tonnerre sur un chemin forestier.
Après le dîner, à l’heure de rentrer, un torrent né de la pluie intense m’empêcha de rejoindre ma voiture. Ce fut une bonne nuit imprévue.
6 mai 2019
Après avoir déjeuné chez New New, je m’empresse sous la pluie de rejoindre le Centre Pompidou où je commence par revoir l’exposition consacrée aux dessins de Stéphane Mandelbaum dont, hier soir, disaient grand bien les participant(e)s de La Dispute sur France Culture, parmi lesquel(le)s l’ébouriffante Corinne Rondeau à qui j’ai vendu un livre il y a quelques semaines.
M’attardant ensuite à l’étage Art Contemporain, j’y trouve un polyptique de Djamel Tatah, un artiste découvert il y a longtemps à Rouen rue Beauvoisine dans une galerie disparue (plus aucune opportunité de voir un artiste d’importance exposé chez un privé dans cette ville aujourd’hui), puis je descends au niveau Moins Un où la Galerie de Photographies propose l’exposition Shunk-Kender, l’art sous l’objectif (1957-1983).
Il s’agit de la première rétrospective consacrée au duo constitué par Harry Shunk, né en Allemagne, et János Kender, né en Hongrie, lesquels travaillaient sur commande pour des artistes ou galeristes à Paris puis à New York entre les années cinquante et quatre-vingt.
C’est l’occasion de voir des séries consacrées à Andy Warhol au lit à l’hôtel Royale Bison, Christo emballant des femmes nues, Yves Klein se livrant à ses anthropométries en public puis sautant dans le vide, Villeglé décollant dans la rue, Rauschenberg à l’ouvrage dans son atelier, Yayoi Kusama performant nue seule ou avec Arman, Tinguely bricolant, Niki de Saint Phalle tirant à volonté. Ces images sont fort intéressantes, davantage à titre documentaire qu’à titre artistique. Je trouve Shunk et Kender piètres photographes.
Il pleut encore à la sortie. Je me hâte de rejoindre la station de métro Rambuteau et ressors à Quatre Septembre.
Après un passage décevant au second Book-Off, je vais boire un café à La Ville d’Argentan. En attendant l’heure de mon train de retour, j’y lis La trentième année, le premier livre publié d’Ingeborg Bachmann, un recueil de nouvelles paru en mil neuf cent soixante-quatre aux Editions du Seuil. L’une m’intéresse davantage que les autres : Du côté de Gomorrhe dans laquelle l’écrivaine évoque la montée du désir lesbien chez une femme mariée.
Il pleut toujours quand je traverse le parvis de la gare Saint-Lazare. Cela ne dissuade pas certains de jouer du clairon, porteurs d’un uniforme que je suis trop loin pour bien voir et de bannières sur lesquelles est inscrit « Signez pour la reconstruction de Notre-Dame à l’identique ».
*
Pendant ce temps-là, à Conches-en-Ouche (Eure), d’autres font signer une pétition contre l’abattage de chênes centenaires pressentis pour la reconstruction à l’identique de la charpente de la Cathédrale incendiée.
M’attardant ensuite à l’étage Art Contemporain, j’y trouve un polyptique de Djamel Tatah, un artiste découvert il y a longtemps à Rouen rue Beauvoisine dans une galerie disparue (plus aucune opportunité de voir un artiste d’importance exposé chez un privé dans cette ville aujourd’hui), puis je descends au niveau Moins Un où la Galerie de Photographies propose l’exposition Shunk-Kender, l’art sous l’objectif (1957-1983).
Il s’agit de la première rétrospective consacrée au duo constitué par Harry Shunk, né en Allemagne, et János Kender, né en Hongrie, lesquels travaillaient sur commande pour des artistes ou galeristes à Paris puis à New York entre les années cinquante et quatre-vingt.
C’est l’occasion de voir des séries consacrées à Andy Warhol au lit à l’hôtel Royale Bison, Christo emballant des femmes nues, Yves Klein se livrant à ses anthropométries en public puis sautant dans le vide, Villeglé décollant dans la rue, Rauschenberg à l’ouvrage dans son atelier, Yayoi Kusama performant nue seule ou avec Arman, Tinguely bricolant, Niki de Saint Phalle tirant à volonté. Ces images sont fort intéressantes, davantage à titre documentaire qu’à titre artistique. Je trouve Shunk et Kender piètres photographes.
Il pleut encore à la sortie. Je me hâte de rejoindre la station de métro Rambuteau et ressors à Quatre Septembre.
Après un passage décevant au second Book-Off, je vais boire un café à La Ville d’Argentan. En attendant l’heure de mon train de retour, j’y lis La trentième année, le premier livre publié d’Ingeborg Bachmann, un recueil de nouvelles paru en mil neuf cent soixante-quatre aux Editions du Seuil. L’une m’intéresse davantage que les autres : Du côté de Gomorrhe dans laquelle l’écrivaine évoque la montée du désir lesbien chez une femme mariée.
Il pleut toujours quand je traverse le parvis de la gare Saint-Lazare. Cela ne dissuade pas certains de jouer du clairon, porteurs d’un uniforme que je suis trop loin pour bien voir et de bannières sur lesquelles est inscrit « Signez pour la reconstruction de Notre-Dame à l’identique ».
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Pendant ce temps-là, à Conches-en-Ouche (Eure), d’autres font signer une pétition contre l’abattage de chênes centenaires pressentis pour la reconstruction à l’identique de la charpente de la Cathédrale incendiée.
4 mai 2019
Du gris et de la pluie ce jeudi matin à Rouen, un temps en accord avec mon état d’âme en cette journée qui me restera particulière jusqu’à ce que j’aie rejoint frère Jacques dans le néant, mais encore du bleu et du soleil à l’arrivée dans la capitale, où il vécut avant son déménagement à La Rochelle. Son ultime appartement parisien était situé dans le Treizième, pas bien loin de la place d’Italie où, ce mercredi premier mai, les brigades noires n’ont pas réussi à faire de la ville la « capitale de l’émeute ».
Ce jour, elle est on ne peut plus calme, en vacances. Nul ne me gêne chez Book-Off où je repère plusieurs bonnes choses dans les livres à un euro : Au piano avec Claude Debussy, Au piano avec Gabriel Fauré et Au piano avec Maurice Ravel de Marguerite Long (Gérard Billaudot, Editeur), Carnets d’exécutions (1885-1939) d’Anatole Deibler (l’Archipel) et Céline de Philippe Muray, dans l’édition originale de la Collection « Tel Quel » aux Editions du Seuil, au rayon Voyages, un classement qui peut surprendre mais à la réflexion…
Une ancienne s’étonne du prix qu’on lui propose pour le rachat de ses livres, entre un euro et dix centimes.
-Un euro un euro, répète-t-elle indignée, j’aime encore mieux les mettre à la poubelle.
-Pas de souci, lui répond l’employé débonnaire.
La pluie n’est pas encore là quand je ressors. Beaucoup des vendeurs du marché d’Aligre semblent l’avoir anticipée. Il est fort dégarni. A moins qu’ils ne soient en vacances. Un seul vendeur de livres est présent. Je n’alourdis pas mon sac.
A un angle de la place, on distribue des tracts.
-C’est pour les Européennes, dit l’un à une dame.
-Je vote pas ici, lui répond-elle.
-Ce n’est pas grave, vous pouvez le lire quand même.
-C’est pour qui ?
-Nous sommes les Marcheurs, lui répond cet élégant à chapeau.
Un homme s’en mêle, d’un peu loin :
-Bande de grosses merdes. Bande de salopes.
Je m’en vais prendre le bus Soixante-Seize qui mène du côté de Beaubourg.
*
Une femme à propos de je ne sais quoi :
-Je l’ai pris en photo pour montrer à mon chien.
*
« Louis-Ferdinand Céline, écrivain voyageur », une idée de conférence pour le prochain Festival de Saint-Malo.
Ce jour, elle est on ne peut plus calme, en vacances. Nul ne me gêne chez Book-Off où je repère plusieurs bonnes choses dans les livres à un euro : Au piano avec Claude Debussy, Au piano avec Gabriel Fauré et Au piano avec Maurice Ravel de Marguerite Long (Gérard Billaudot, Editeur), Carnets d’exécutions (1885-1939) d’Anatole Deibler (l’Archipel) et Céline de Philippe Muray, dans l’édition originale de la Collection « Tel Quel » aux Editions du Seuil, au rayon Voyages, un classement qui peut surprendre mais à la réflexion…
Une ancienne s’étonne du prix qu’on lui propose pour le rachat de ses livres, entre un euro et dix centimes.
-Un euro un euro, répète-t-elle indignée, j’aime encore mieux les mettre à la poubelle.
-Pas de souci, lui répond l’employé débonnaire.
La pluie n’est pas encore là quand je ressors. Beaucoup des vendeurs du marché d’Aligre semblent l’avoir anticipée. Il est fort dégarni. A moins qu’ils ne soient en vacances. Un seul vendeur de livres est présent. Je n’alourdis pas mon sac.
A un angle de la place, on distribue des tracts.
-C’est pour les Européennes, dit l’un à une dame.
-Je vote pas ici, lui répond-elle.
-Ce n’est pas grave, vous pouvez le lire quand même.
-C’est pour qui ?
-Nous sommes les Marcheurs, lui répond cet élégant à chapeau.
Un homme s’en mêle, d’un peu loin :
-Bande de grosses merdes. Bande de salopes.
Je m’en vais prendre le bus Soixante-Seize qui mène du côté de Beaubourg.
*
Une femme à propos de je ne sais quoi :
-Je l’ai pris en photo pour montrer à mon chien.
*
« Louis-Ferdinand Céline, écrivain voyageur », une idée de conférence pour le prochain Festival de Saint-Malo.
3 mai 2019
Une échappée à Paris fera de moi un absent de Rouen le dimanche vingt-six mai, jour de l’Election Européenne. Or, s’il est une élection pour laquelle je ne veux pas m’abstenir, c’est celle-là. Je me renseigne donc sur le vote par procuration et ce lundi matin entre au Palais de Justice.
L’un des policiers chargé de la fouille m’apprend qu’ici c’est le Tribunal de Grande Instance. Le Tribunal d’Instance, c’est rue de Crosne, près du Vieux Marché. Ce nom de rue ne me dit rien mais suivant ses indications (elle commence à côté de la pharmacie), je la trouve et constate qu’elle m’est familière. Au numéro vingt-deux, l’entrée du Tribunal est si discrète que je suis passé des tas de fois devant sans le voir.
L’un des deux hommes chargés du contrôle me dirige vers l’accueil. Une aimable fonctionnaire me remet l’imprimé nécessaire et m’explique comment le remplir.
Mandant, il me faut maintenant trouver un mandataire. Je connais très peu celui à qui je pense. Il ne votera pas pour la même liste que moi mais je le sais totalement fiable. D’autre part, il habite peu loin du lycée Camille Saint-Saëns où se trouve le bureau de vote auquel je suis rattaché, le dérangement ne sera pas trop grand.
Lundi soir, je le contacte via le réseau social Effe Bé. Il accepte aussitôt, me donne les renseignements nécessaires, sa date de naissance et son adresse. Et même deux adresses car celle de sa carte d’identité n’est pas celle où il vit actuellement.
Ce mardi matin, je retourne au Tribunal d’Instance, mon imprimé presque complété. Reste à décider quelle adresse choisir. La dame de l’accueil me dit que ça n’a pas d’importance mais me conseille par précaution d’indiquer celle qui figure sur la carte d’identité. Je date et indique l’heure exacte : neuf heures cinquante.
Tandis que mon interlocutrice monte dans les étages faire valider ma demande par une autorité compétente, je m’installe en salle d’attente où se trouvent déjà une femme âgée à déambulateur accompagnée d’une travailleuse sociale et une femme immigrée à poussette accompagnée d’un bénévole.
Il est dix heures lorsque l’aimable fonctionnaire reparaît.
-Je m’excuse de vous avoir fait attendre, je n’arrivais pas à trouver un magistrat.
Elle photocopie ma demande approuvée ainsi que ma pièce d’identité puis me remet le récépissé.
A celui que je remercie par avance de jouer.
*
Ce début de mai est marqué pour moi par deux anniversaires.
Cela fait vingt ans, ce premier mai, que je me suis installé à Rouen dans un ancien monastère où les sœurs se chargeaient de l’éducation des jeunes filles. Je me souviens de la beauté du jardin alors confié à des paysagistes. Depuis que par souci d’économie ce sont deux copropriétaires qui s’en chargent, c’est une zone dévastée. En ce début de printemps, pas une seule fleur, que de la verdure poussant n’importe comment.
Cela fait aussi vingt-quatre ans que, dans la nuit du deux au trois mai, mon frère Jacques est mort à La Rochelle.
il ressemblait, mais pas à.
si bien qu’il s’ennuyait.
a-t-il écrit dans ses Poèmes et chansons pour la madone de cuir.
L’un des policiers chargé de la fouille m’apprend qu’ici c’est le Tribunal de Grande Instance. Le Tribunal d’Instance, c’est rue de Crosne, près du Vieux Marché. Ce nom de rue ne me dit rien mais suivant ses indications (elle commence à côté de la pharmacie), je la trouve et constate qu’elle m’est familière. Au numéro vingt-deux, l’entrée du Tribunal est si discrète que je suis passé des tas de fois devant sans le voir.
L’un des deux hommes chargés du contrôle me dirige vers l’accueil. Une aimable fonctionnaire me remet l’imprimé nécessaire et m’explique comment le remplir.
Mandant, il me faut maintenant trouver un mandataire. Je connais très peu celui à qui je pense. Il ne votera pas pour la même liste que moi mais je le sais totalement fiable. D’autre part, il habite peu loin du lycée Camille Saint-Saëns où se trouve le bureau de vote auquel je suis rattaché, le dérangement ne sera pas trop grand.
Lundi soir, je le contacte via le réseau social Effe Bé. Il accepte aussitôt, me donne les renseignements nécessaires, sa date de naissance et son adresse. Et même deux adresses car celle de sa carte d’identité n’est pas celle où il vit actuellement.
Ce mardi matin, je retourne au Tribunal d’Instance, mon imprimé presque complété. Reste à décider quelle adresse choisir. La dame de l’accueil me dit que ça n’a pas d’importance mais me conseille par précaution d’indiquer celle qui figure sur la carte d’identité. Je date et indique l’heure exacte : neuf heures cinquante.
Tandis que mon interlocutrice monte dans les étages faire valider ma demande par une autorité compétente, je m’installe en salle d’attente où se trouvent déjà une femme âgée à déambulateur accompagnée d’une travailleuse sociale et une femme immigrée à poussette accompagnée d’un bénévole.
Il est dix heures lorsque l’aimable fonctionnaire reparaît.
-Je m’excuse de vous avoir fait attendre, je n’arrivais pas à trouver un magistrat.
Elle photocopie ma demande approuvée ainsi que ma pièce d’identité puis me remet le récépissé.
A celui que je remercie par avance de jouer.
*
Ce début de mai est marqué pour moi par deux anniversaires.
Cela fait vingt ans, ce premier mai, que je me suis installé à Rouen dans un ancien monastère où les sœurs se chargeaient de l’éducation des jeunes filles. Je me souviens de la beauté du jardin alors confié à des paysagistes. Depuis que par souci d’économie ce sont deux copropriétaires qui s’en chargent, c’est une zone dévastée. En ce début de printemps, pas une seule fleur, que de la verdure poussant n’importe comment.
Cela fait aussi vingt-quatre ans que, dans la nuit du deux au trois mai, mon frère Jacques est mort à La Rochelle.
il ressemblait, mais pas à.
si bien qu’il s’ennuyait.
a-t-il écrit dans ses Poèmes et chansons pour la madone de cuir.
29 avril 2019
A l’heure où j’arrive ce dimanche matin au premier vide grenier de l’année du quartier Lelieur Cathédrale, des vendeurs déçus par l’emplacement qu’on leur propose s’en plaignent auprès de l’organisateur, lequel doit composer avec les travaux métropolitains.
Un seul des déjà installés possède un livre susceptible de m’intéresser (Soumission de Michel Houellebecq, que je n’ai pas encore réussi à trouver à un euro quelque part malgré son tirage important). Je lui demande ses prix.
-Les livres du présentoir, ça dépend, me répond-il.
-Si ça dépend, ça ne m’intéresse pas, lui dis-je.
Je quitte les lieux puis remonte la rue Louis-Ricard pour atteindre celle de Joyeuse où se tient un autre vide grenier, organisé par l’Amicale de l’Uras (Unité de Reconquête de l'Autonomie Sociale), dont des membres ont salopé la chaussée en inscrivant en énormes capitales orange « Foire à tout » (cela s’appelle ainsi en Normandie).
Le nombre d’exposants attendus était estimé entre cinquante et cent. Il n’y en a que quatre ou cinq dans la rue et trois ou quatre dans la cour du foyer. Je n’ai aucune question à poser sur le prix des livres, il n’y en a pas.
*
Samedi, pas aperçu la chasuble d’un Gilet Jaune. Ils étaient en ville pourtant, de moins en moins nombreux. Parmi ceux vus à la télé, plus guère de porteurs de drapeaux tricolores, d’où moins de braillages de Marseillaise.
A Paris, certains Jaunes ont fait une tournée critique des télévisions. Impossible de trouver un article de journal relatant leur action. Quand même, sur France Culture ce dimanche matin, un reportage pendant les infos de sept heures. Il donne à entendre leurs arguments, lancés sous forme d’éructations choisies : « Merdias » « Collabos » « Salopes » « Menteurs » « Pourritures » « Corrompus » « Oligarques ».
Un seul des déjà installés possède un livre susceptible de m’intéresser (Soumission de Michel Houellebecq, que je n’ai pas encore réussi à trouver à un euro quelque part malgré son tirage important). Je lui demande ses prix.
-Les livres du présentoir, ça dépend, me répond-il.
-Si ça dépend, ça ne m’intéresse pas, lui dis-je.
Je quitte les lieux puis remonte la rue Louis-Ricard pour atteindre celle de Joyeuse où se tient un autre vide grenier, organisé par l’Amicale de l’Uras (Unité de Reconquête de l'Autonomie Sociale), dont des membres ont salopé la chaussée en inscrivant en énormes capitales orange « Foire à tout » (cela s’appelle ainsi en Normandie).
Le nombre d’exposants attendus était estimé entre cinquante et cent. Il n’y en a que quatre ou cinq dans la rue et trois ou quatre dans la cour du foyer. Je n’ai aucune question à poser sur le prix des livres, il n’y en a pas.
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Samedi, pas aperçu la chasuble d’un Gilet Jaune. Ils étaient en ville pourtant, de moins en moins nombreux. Parmi ceux vus à la télé, plus guère de porteurs de drapeaux tricolores, d’où moins de braillages de Marseillaise.
A Paris, certains Jaunes ont fait une tournée critique des télévisions. Impossible de trouver un article de journal relatant leur action. Quand même, sur France Culture ce dimanche matin, un reportage pendant les infos de sept heures. Il donne à entendre leurs arguments, lancés sous forme d’éructations choisies : « Merdias » « Collabos » « Salopes » « Menteurs » « Pourritures » « Corrompus » « Oligarques ».
27 avril 2019
Si le vieux serveur de La Cochonnaille est toujours là, le couple de vieux patrons n’y est plus, remplacé par une jeune femme d’origine asiatique et une jeune serveuse formaliste.
-Et comme dessert ? me demande cette dernière.
-Une mousse au chocolat.
-Excellent choix !
Je prends toujours le même menu. En cuisine, ce doit être les mêmes qui œuvrent. Les prix n’ont pas davantage changé. Dix-neuf euros pour le saucisson chaud pommes de terre, le cassoulet, la mousse au chocolat et le quart de vin rouge du Vaucluse (petit pot de rillettes offert).
Ayant rejoint le boulevard Saint-Michel, j’entre chez Gibert Joseph où je constate que le prix des occasions a explosé. Des livres autrefois vendus à moitié de leur prix neuf le sont maintenant aux deux tiers, voire aux trois quarts.
Quatorze heures approchant, je reprends le chemin, tourne à gauche en direction du Panthéon, le contourne et prends à droite vers la rue des Irlandais où en toute logique se trouve le Centre Culturel Irlandais. M’y amène une exposition consacrée à certaines œuvres de Tomi Ungerer et nommée En attendant.
En attendant que l’homme de l’accueil l’ouvre, je fais le tour du délicieux jardin carré qu’on ne devinerait pas depuis le porche. Une galerie de rez-de-chaussée soutient les étages du bâtiment, sur laquelle figure le nom des principales villes de l’île. Là où est écrit Derry, le pilier fléchit. Un assemblage de bois allégorique a été construit en renfort. Des tables sont installées sous les arbres. Quelques-unes sont occupées par des jeunes gens qui déjeunent ou lisent. Une médiathèque et une cafétéria sont à disposition. C’est un lieu paisible et discret.
En attendant montre trois assemblages dont deux sièges rouillés sans assise et sans dossier se faisant face et des pelles à visage humain qui peuvent faire penser à Picasso, ainsi que des collages dont la moitié sont récents et dans l’esprit de Samuel Beckett (d’où le titre le l’expo). Tomi les a créés pendant l’été deux mille dix-huit dans son atelier de West Cork, face à l’immense récif nommé la Dent du Diable.
Un bus Vingt et Un m’emmène à Opéra Quatre Septembre. Je prends un café au Bistrot d’Edmond d’où la nouvelle serveuse semble avoir disparu, furète dans les rayonnages du Book Off voisin où je ne dépense que deux euros puis ai le temps, avant l’heure du train de retour, de poursuivre ma lecture de Le bal masqué de Giacomo Casanova de François Roustang à La Ville d’Argentan. « Sa copine est une lesbienne notoire, ça ne me gêne pas du tout », déclare un homme à la table voisine. Qu’il juge utile de le préciser laisse entendre le contraire.
*
Jean-Pierre Marielle est mort ce mercredi, à quatre-vingt-sept ans, des suites « d’une longue maladie », acteur d’une époque où le correctement politique ne sévissait pas encore, nom de Dieu de bordel de merde.
Il avait de très bonnes lectures : Flaubert, Céline, Léautaud. Dans son livre Le grand n'importe quoi, publié chez Calmann-Lévy en deux mille dix, il évoque aussi un auteur moins connu :
Il eut une drôle de vie : parents faux-monnayeurs à l’occasion, père anarchiste, Henri Calet sera brièvement un employé modèle de la Société Électro-Câble, avant de fuir avec la caisse pour Montevideo, où il changera de nom, pour revenir six mois plus tard à Berlin avant de vivre dans la clandestinité à Paris, puis de fuir à nouveau cette fois au Portugal avant un retour en France… Fait prisonnier en 1940, il s’évade. À la Libération, Camus le fera écrire pour le journal Combat, où il tiendra de merveilleuses chroniques, funambules, ironiques et douces. Publiant sans cesse, il a été longtemps ignoré, avant d’être redécouvert sur le tard, bien après sa disparition.
Son écriture me bouleverse, son attention à l’humanité, qu’elle le déçoive ou l’encourage, la limpidité de ses phrases, sa modestie désespérée, son attention aux autres, son honnêteté viscérale me touchent, sa poésie va au fond du cœur.
Vous n’imaginez pas l’état dans lequel me transportent ses livres. Si celui-ci doit servir une cause, que ce soit celle de son œuvre. Il est de mon devoir de partager cette passion. Vous me remercierez plus tard.
S’agissant de moi-même, il prêche un convaincu.
-Et comme dessert ? me demande cette dernière.
-Une mousse au chocolat.
-Excellent choix !
Je prends toujours le même menu. En cuisine, ce doit être les mêmes qui œuvrent. Les prix n’ont pas davantage changé. Dix-neuf euros pour le saucisson chaud pommes de terre, le cassoulet, la mousse au chocolat et le quart de vin rouge du Vaucluse (petit pot de rillettes offert).
Ayant rejoint le boulevard Saint-Michel, j’entre chez Gibert Joseph où je constate que le prix des occasions a explosé. Des livres autrefois vendus à moitié de leur prix neuf le sont maintenant aux deux tiers, voire aux trois quarts.
Quatorze heures approchant, je reprends le chemin, tourne à gauche en direction du Panthéon, le contourne et prends à droite vers la rue des Irlandais où en toute logique se trouve le Centre Culturel Irlandais. M’y amène une exposition consacrée à certaines œuvres de Tomi Ungerer et nommée En attendant.
En attendant que l’homme de l’accueil l’ouvre, je fais le tour du délicieux jardin carré qu’on ne devinerait pas depuis le porche. Une galerie de rez-de-chaussée soutient les étages du bâtiment, sur laquelle figure le nom des principales villes de l’île. Là où est écrit Derry, le pilier fléchit. Un assemblage de bois allégorique a été construit en renfort. Des tables sont installées sous les arbres. Quelques-unes sont occupées par des jeunes gens qui déjeunent ou lisent. Une médiathèque et une cafétéria sont à disposition. C’est un lieu paisible et discret.
En attendant montre trois assemblages dont deux sièges rouillés sans assise et sans dossier se faisant face et des pelles à visage humain qui peuvent faire penser à Picasso, ainsi que des collages dont la moitié sont récents et dans l’esprit de Samuel Beckett (d’où le titre le l’expo). Tomi les a créés pendant l’été deux mille dix-huit dans son atelier de West Cork, face à l’immense récif nommé la Dent du Diable.
Un bus Vingt et Un m’emmène à Opéra Quatre Septembre. Je prends un café au Bistrot d’Edmond d’où la nouvelle serveuse semble avoir disparu, furète dans les rayonnages du Book Off voisin où je ne dépense que deux euros puis ai le temps, avant l’heure du train de retour, de poursuivre ma lecture de Le bal masqué de Giacomo Casanova de François Roustang à La Ville d’Argentan. « Sa copine est une lesbienne notoire, ça ne me gêne pas du tout », déclare un homme à la table voisine. Qu’il juge utile de le préciser laisse entendre le contraire.
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Jean-Pierre Marielle est mort ce mercredi, à quatre-vingt-sept ans, des suites « d’une longue maladie », acteur d’une époque où le correctement politique ne sévissait pas encore, nom de Dieu de bordel de merde.
Il avait de très bonnes lectures : Flaubert, Céline, Léautaud. Dans son livre Le grand n'importe quoi, publié chez Calmann-Lévy en deux mille dix, il évoque aussi un auteur moins connu :
Il eut une drôle de vie : parents faux-monnayeurs à l’occasion, père anarchiste, Henri Calet sera brièvement un employé modèle de la Société Électro-Câble, avant de fuir avec la caisse pour Montevideo, où il changera de nom, pour revenir six mois plus tard à Berlin avant de vivre dans la clandestinité à Paris, puis de fuir à nouveau cette fois au Portugal avant un retour en France… Fait prisonnier en 1940, il s’évade. À la Libération, Camus le fera écrire pour le journal Combat, où il tiendra de merveilleuses chroniques, funambules, ironiques et douces. Publiant sans cesse, il a été longtemps ignoré, avant d’être redécouvert sur le tard, bien après sa disparition.
Son écriture me bouleverse, son attention à l’humanité, qu’elle le déçoive ou l’encourage, la limpidité de ses phrases, sa modestie désespérée, son attention aux autres, son honnêteté viscérale me touchent, sa poésie va au fond du cœur.
Vous n’imaginez pas l’état dans lequel me transportent ses livres. Si celui-ci doit servir une cause, que ce soit celle de son œuvre. Il est de mon devoir de partager cette passion. Vous me remercierez plus tard.
S’agissant de moi-même, il prêche un convaincu.
26 avril 2019
Ce mercredi, à Paris, après avoir fureté comme à l’accoutumée dans les rayonnages du Book-Off de Ledru-Rollin et n’y avoir dépensé que quatre euros, je prends le bus Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin. Les nerfs du chauffeur sont mis à rude épreuve par les travaux de la place de la Bastille. Ses ding ding ding contre les automobilistes coincés empiétant sur sa voie sont de peu d’efficacité. N’étant pas pressé, je reste calme.
Je descends à Odéon et marche en direction de la rue de la Seine. Au numéro trente-six, et en retrait, se tient la Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois dont l’enseigne luit. M’y amène une exposition consacrée à certaines œuvres de Tomi Ungerer et nommée L’Excès ou Overdose. J’en pousse la porte et suis salué par la maîtresse des lieux.
Sont montrés là des dessins de la série The Party dans laquelle Ungerer se moque des participant(e)s aux soirées new-yorkaises où le traînait sa femme d’alors. On y voit aussi des collages (ou dessins collages) plus récents, dont beaucoup sont cruels pour l’être humain. Quelques sculptures ou assemblages complètent l’ensemble. Leur férocité me comble : porte à barreaux miroir, guillotinée portant sa tête dans un panier, poupées nues en bocaux dans du formol. Que d’idées avait cet homme, me dis-je, tandis qu’arrive une femme venue spécialement de Norvège pour autre chose ; elle représente des collectionneurs de Nouveaux Réalistes et est traitée avec la déférence que nécessite une transaction potentielle.
Par la rue Saint-André-des-Arts, je rejoins Saint-Michel d’où je jette un œil à cette malheureuse Cathédrale puis entre au restaurant La Cochonnaille, rue de la Harpe, à midi pile, où Nostalgie m’apprend la mort de Dick Rivers, d’un cancer, à soixante-quatorze ans, le jour de son anniversaire.
*
Cette semaine sont rediffusés les A voix nue de Tomi Ungerer sur France Cul avec ce mercredi soir un focus sur l’œuvre érotique qu’il me sera loisible d’écouter à mon retour.
Je descends à Odéon et marche en direction de la rue de la Seine. Au numéro trente-six, et en retrait, se tient la Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois dont l’enseigne luit. M’y amène une exposition consacrée à certaines œuvres de Tomi Ungerer et nommée L’Excès ou Overdose. J’en pousse la porte et suis salué par la maîtresse des lieux.
Sont montrés là des dessins de la série The Party dans laquelle Ungerer se moque des participant(e)s aux soirées new-yorkaises où le traînait sa femme d’alors. On y voit aussi des collages (ou dessins collages) plus récents, dont beaucoup sont cruels pour l’être humain. Quelques sculptures ou assemblages complètent l’ensemble. Leur férocité me comble : porte à barreaux miroir, guillotinée portant sa tête dans un panier, poupées nues en bocaux dans du formol. Que d’idées avait cet homme, me dis-je, tandis qu’arrive une femme venue spécialement de Norvège pour autre chose ; elle représente des collectionneurs de Nouveaux Réalistes et est traitée avec la déférence que nécessite une transaction potentielle.
Par la rue Saint-André-des-Arts, je rejoins Saint-Michel d’où je jette un œil à cette malheureuse Cathédrale puis entre au restaurant La Cochonnaille, rue de la Harpe, à midi pile, où Nostalgie m’apprend la mort de Dick Rivers, d’un cancer, à soixante-quatorze ans, le jour de son anniversaire.
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Cette semaine sont rediffusés les A voix nue de Tomi Ungerer sur France Cul avec ce mercredi soir un focus sur l’œuvre érotique qu’il me sera loisible d’écouter à mon retour.
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