Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

10 janvier 2020


Dans le confortable Corail qui m’emmène à Paris ce mercredi, ma jolie voisine à trottinette lit Le charme discret de l’intestin, ce qui nuit à l’atmosphère poétique générée par ma lecture de Promenades et souvenirs, l’un des derniers textes écrits par Gérard de Nerval avant qu’il ne se suicide. Quand elle descend à Val-de-Reuil, je n’ose lui souhaiter une bonne digestion.
Ce jour n’est pas comme prévu. Celle qui me tenait la main et travaille à Bastille, avec qui je devais déjeuner pour fêter le début de la nouvelle année, a préféré reporter à une date ultérieure pour cause de trop de travail et de grève du métro qui complique ses rendez-vous professionnels. Je sais combien elle en bave depuis un mois. Comme beaucoup d’autres. En passant à Asnières, j’ai une pensée pour celle qui me tenait la main avant elle et qui souffre des mêmes difficultés de transport.
A l’arrivée dans la capitale, en allant pédibus jusqu’à Quatre Septembre, je vois pour la première fois, maintenant que les vacances de Noël sont terminées, l’ampleur du problème. Du monde du monde du monde plein les rues. Que de piéton(ne)s, que de bicyclistes, que de trottineuses et trottineurs, que de dangers encourus.
Au Bistrot d’Edmond, j’évite le sujet qui fâche, me contentant de bonnaner celle qui me sert un café. On ne solde pas chez Book-Off et rien ne semble avoir été mis en rayon pour moi. Après avoir dépensé un euro, je rejoins à pied l‘église Saint-Eustache puis la rue Saint-Martin avec l’intention d’explorer la librairie Le Gai Rossignol. Las, je la trouve fermée, sans explication. Le sandouichier d’en face ne sait me dire si c’était ouvert les jours passés.
Pour traverser la Seine, je passe devant un Théâtre de la Ville en grands travaux. C’est là que se trouvait la rue de la Vieille Lanterne où Gérard de Nerval fut découvert pendu à l’aube du vingt-six janvier mil huit cent cinquante-cinq. Place Saint-Michel, j’entre à l’annexe de Gibert Jaune où sont regroupés les livres bradés. C’est pour apprendre sa prochaine fermeture. Les ouvrages pour la jeunesse seront donnés à des associations, les autres bennés, se désole la vendeuse qui juge que les livres, ça n’intéresse plus personne.
Fermé, un restaurant au bout de la rue de la Harpe l’est déjà, devant lequel des employés désolés discutent avec le comptable.
-Il va déposer le bilan, commente le cuisinier de La Cochonnaille où j’entre pour déjeuner, et eux ils ne seront pas payés avant trois ans.
-Toujours en trottinette, dis-je à la charmante patronne quand elle arrive.
-Oui, pour l’instant, je garde ça.
Nous nous bonnannons puis dans le menu à douze euros, je choisis les œufs mayonnaise maison, le filet mignon de porc (spécialité) et la mousse au chocolat.
Sorti de là, j’entre successivement chez Gibert Bleu et Gibert Jaune à la recherche des volumes qui me manquent du journal honni. Tout a disparu, vendu ou mis au rebut.
Dépité, je rentre sous les arcades de la rue de Rivoli encombrée de toutes les cochonneries que le petit commerce propose aux touristes. Deuxième fois que je rejoins, depuis le Quarter Latin, Saint-Lazare pédestrement. Il n’y aura pas de troisième.
                                                           *
Il est véritablement difficile de trouver à se loger dans Paris. (…)
J’ai parcouru les quartiers de Paris qui correspondent à mes relations, et n’ai rien trouvé qu’à des prix impossibles, augmentés par les conditions que formulent les concierges. écrivait Gérard de Nerval au milieu du dix-neuvième siècle.
                                                           *
Verrons-nous maintenant les médiathèques et les bibliothèques se débarrasser des volumes du journal de Gabriel Matzneff par elles achetés? Les bibliothèques de Rouen n’en possèdent que deux. Celles de Paris davantage, dont certains marqués indisponibles.
 

9 janvier 2020


Ce mardi matin, je commence la journée en achetant au Drugstore le numéro spécial de Charlie Hebdo « Nouvelles censures… Nouvelles dictatures », me souvenant de ce mercredi d’il y a cinq ans où, planté au carrefour Chemin Vert Richard Lenoir, j’assistais aux suites de l’action criminelle des deux frères islamistes dans les locaux du journal.
C’est comme si j’y étais encore, voyant passer l’un des blessés sur un brancard puis les politiciens Larcher et Lellouche. De même suis-je toujours planté près de deux Gendarmes Mobiles le jour de la manifestation du onze janvier.
Evoquant ce numéro dénonçant la censure, Le Parisien écrit : « « Hier, on disait merde à Dieu, à l’armée, à l’Église, à l’État. Aujourd’hui, il faut apprendre à dire merde aux associations tyranniques, aux minorités nombrilistes, aux blogueurs et blogueuses qui nous tapent sur les doigts comme des petits maîtres d’école », écrit Riss, le directeur de la rédaction, dans son éditorial. »
La citation est tronquée. Riss écrit : « Hier, on disait merde à Dieu, à l’armée, à l’Église, à l’État. Aujourd’hui, il faut apprendre à dire merde aux associations tyranniques, aux minorités nombrilistes, aux blogueurs et blogueuses qui nous tapent sur les doigts comme des petits maîtres d’école quand au fond  de la classe on ne les écoute pas et qu’on prononce des gros mots : « couille molle, enculé, pédé, connasse, poufiasse, salope, trou du cul, pine d’huître, sac à foutre ».
Cette censure d’un texte dénonçant la censure illustre le fait que la bataille est perdue. Le combat de Charlie Hebdo est un combat d’arrière-garde. Le Nouvel Ordre Moral a gagné.
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Gallimard, en ce jour anniversaire, retire de la vente les volumes du journal intime de l’épouvantable Gabriel Matzneff par lui édités, que sans doute Philippe Sollers avait publiés dans sa collection L’Infini sans les lire. De quoi mériter le Tartuffe d’Or pour l’année deux mille vingt.
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Au cœur de l’article que Daniel Bougnoux, dans son blog Le Randonneur publié par La Croix, consacre à l’affaire Matzneff, cette incidente relative à un écrivain plus connu et reconnu :
« C’est dans son jardin de curé qu’eut lieu devant moi une petite scène assez pénible, d’un jeune homme qui pouvait avoir l’âge adulte, et venait sur sa moto rançonner le grand écrivain, « qui lui devait bien ça ». Et Tournier de s’exécuter, en me prenant à témoin pour soupirer sur le charme des enfants qui passe si vite, et s’évanouit dans les pilosités, les mauvaises manières, l’appât du gain  et le goût des grosses cylindrées… Je ne sais comment seraient reçues aujourd’hui quelques-unes des déclarations, indéniablement pédophiles elles aussi, qui parsèment son œuvre. »
 

4 janvier 2020


Ce jeudi, c’est un train à sièges colorés et à étage qui arrive de Paris pour faire le trajet dans l’autre sens à sept heures trente-cinq. Cela fait l’affaire d’un de ma connaissance obligé comme moi de se lever plus tôt, lui c’est pour aller travailler, il peut y accrocher sa bicyclette et descendra au deuxième arrêt. A peine ce train est-il parti que le contrôleur sort de son réduit et contrôle. Fini le temps où en période de grève on pouvait envisager de voyager sans billet.
Arrivé au bout du chemin de fer, je tente la ligne Quatorze. Elle est praticable. Je laisse partir une première rame pour m’asseoir dans la suivante, d’où je descends à Gare de Lyon. A pied, par la rue de Lyon, je rejoins la rue Ledru-Rollin et la remonte jusqu’au carrefour avec la rue du Faubourg Saint-Antoine dont les travaux sont enfin terminés.
J’entre chez Book-Off à l’ouverture et trouve à mettre dans mon panier plusieurs livres à un euro dont Vies croisées, la correspondance de Victoria Ocampo et Ernest Ansermet (Buchet Chastel) et Journal de captivité (Stalag XA) de Louis Althusser (Stock/Imec), bizarrement rangé au rayon Témoignage.
Après un tour au marché d’Aligre où aucun livre ne me fait envie, j’entre à midi moins le quart au Péhemmu chinois et échange de bons vœux avec la gentille serveuse qui m’apporte ensuite ma nourriture habituelle que je déguste avec un quart de côtes-du-rhône ignorant l’affiche pour un mois de janvier sans alcool. Promouvoir cette opération pour la première fois en deux mille vins, c’est paradoxal.
La station Ledru-Rollin étant fermé, je n’ai pas à envisager de tenter la ligne Huit. Je retourne à la Gare de Lyon, reprends la Quatorze et en descends à Pyramides, près de l’Opéra Garnier. A la sortie, j’entends scander « Libérez nos camarades ». Des manifestants entourent des Céhéresses qui en contiennent d’autres qui se sont fait nasser. Ils désiraient s’approcher du siège de La République En Marche et font l’expérience de l’immobilité. Je ne m’attarde pas et rejoins le second Book-Off, lequel est encombré par les désœuvrés de la pause méridienne. Vers quatorze heures cela se dégage mais je n’y trouve rien pour me plaire.
La station Quatre Septembre est elle aussi fermée, pas question d’essayer de rejoindre Saint-Lazare avec le métro Trois. Je fais le trajet pédestrement et vais m’installer à La Ville d’Argentan en attendant l’heure de mon train de retour.
Je ne sais si celui-ci part à dix-sept heures trente-neuf ou à dix-sept heures quarante mais il est blindé. Certains voyagent assis par terre entre la porte des toilettes pour femmes et la porte des toilettes pour hommes.
Au passage des contrôleurs, deux voyageurs debout bien qu’ils aient une réservation se plaignent de deux autres, un homme et une femme, qui n’ont pas voulu libérer leurs places. Les deux récalcitrants crient qu’ils sont des abonnés et qu’ils estiment avoir droit à un siège vu tout ce qu’ils paient, plus de trois cents euros par mois. « Vous n’êtes pas prioritaire, leur crie en retour le contrôleur, et d’ailleurs vous ne représentez que huit pour cent des voyageurs. » Un jeune homme se lève brusquement en criant encore plus fort. « J’en ai marre de vos disputes, moi j’en ai rien à foutre d’être debout alors prenez ma place. » Il va rejoindre les debout sur la plateforme. Cela a pour effet de calmer l’esclandre. Un peu plus tard, comme personne n’a osé s’asseoir à sa place, il vient la reprendre.
Des énervés, il en est de toute nature en cette période tendue.
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Rue Théophile-Roussel, devant un marchand de boissons chaudes : « Coffee is like a hug in a mug ».
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L’argument des abonnés : pendant la grève l’application de la Senecefe n’indiquant pas quelles sont les places non réservées, ils n’ont donc pas à libérer les sièges qui le sont. Il ne leur vient pas à l’esprit qu’il est impossible à ceux qui ne possèdent pas de mobile d’avoir cette information, grève ou pas grève, qu’il s’agit d’une discrimination qui pourrait faire l’objet d’un procès.
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Lecture de train : Hollywood Babylone de Kenneth Anger, une étude des turpitudes du monde du cinéma américain de la grande époque, publié chez un bon éditeur, Tristram, mais décevante, du niveau des ragots d’Ici Paris. Quand même, cette réaction  de Mencken dans le Baltimore Sun lorsqu’il est reproché à Charlie Chaplin d’avoir épousé la femme dont il divorce alors qu’elle était trop jeune : Les mêmes imbéciles qui vénéraient Charlie Chaplin il y a six semaines se préparent aujourd’hui à danser autour du bûcher sur lequel il brûle ; cela lui enseignera une ou deux choses sur la psychologie des foules…
 

3 janvier 2019


Un non évènement pour moi, tout comme Noël, cette soirée de Nouvel An que je passe comme une soirée quelconque, en espérant que le voisinage ne sera pas trop bruyant.
Il commence par l’être, sous la forme d’un concert d’aboiements auquel participent les chiens de la copropriété mais aussi un berger allemand de zonards ivres, peut-être entrés dans le jardin sans y être invités, la porte du porche étant à nouveau défectueuse. Je ne m’en mêle pas.
Par la suite c’est calme. J’écoute d’une oreille pas vraiment attentive les vœux d’Emmanuel Macron sur France Culture, dont le ton me semble dépressif.
Réveillé au milieu de la nuit, j’entends quelques claquesons lointains. Nous voici donc en deux mille vingt.
Ma première sortie de l’année me mène vers onze heures à la gare de Rouen afin d’échanger les billets de mon escapade parisienne du deux janvier, mes trains d’aller et de retour étant supprimés en raison de la grève.
C’est une affaire rondement menée par une jeune femme brune qui est la première à qui je souhaite la bonannée. Mon aller bénéficie d’un changement d’horaire écrit à la main validé d’un coup de tampon dateur. Mon retour est remplacé par un autre au prix de zéro euro qui me permettra de franchir les barrières de Saint-Lazare. Il est pour le train de dix-sept heures quarante qui ce jeudi partira à dix-sept heures trente-neuf. « Il n’y a pas d’explicitation, il est prévu à cette heure pour demain », a répondu la Senecefe à l’Association des Usagers Le Havre Rouen Paris qui s’en étonnait.
 

2 janvier 2020


La gelée blanche recouvre les prés et les toitures de la campagne normande entre Rouen et Dieppe que je contemple en ce dernier jour de deux mille dix-neuf du train très peu fréquenté de neuf heures quinze.
A l’arrivée, je vais repérer deux restaurants inconnus de moi dans un quartier portuaire inconnu de moi. Qui aurait pu croire qu’ici se trouvaient des lieux où manger, me dis-je en les trouvant, hélas fermés, à proximité d’immenses grues portuaires. Je reviendrai, si deux mille vingt me prête vie, tester les premiers et photographier les secondes.
En contournant le port de pêche je rejoins le quartier du Pollet où j’inventorie la boîte à livres toujours démunie de portes sans y trouver quoi que ce soit pour moi puis vais me réchauffer au Tout Va Bien. Installé dans un profond fauteuil, je reprends la lecture du Journal particulier (1936) de Léautaud avec Indochine comme musique de fond. Près de moi un chien de modèle caniche, qui aurait plu à l’écrivain, est assis sur les genoux de sa propriétaire et lit avec elle Paris Normandie. Lorsqu’elle s’en va, elle loge ce paisible animal dans un chariot rouge à quatre roulettes « Shopping in Motion ».
Conséquence d’un choix restreint, j’entre au Juquin pour déjeuner d’où l’on a belle vue sur le port endormi et le pont tournant immobile, un menu à seize euros, duo bulots crevettes, pieds de porc à la dijonnaise frites fraîches et crème caramel beurre salé, avec un pichet de chardonnay. J’y suis longtemps seul, puis arrivent un duo de couples typiques de sexagénaires et un jeune couple buvant du Coca Cola avec les escargots.
La mer est belle sous un ciel bleu parsemé de petits nuages moutonneux quand je longe un moment la plage. Ayant bifurqué vers le Brazza, je le trouve fermé. Evitant Le National, place Nationale, je me rabats sur le Café des Voyageurs, arc de la Bourse, dont le nom n’est plus adapté à la clientèle, de jeunes hommes, certes venus d’ailleurs mais qui ne bougeront plus. Ils s’occupent à gratter ou cocher des jeux à perdre. Au comptoir, un que je ne vois pas parle voyage mais au passé : « J’ai eu l’occasion d’aller en Australie, à Sydney. J’en ai rapporté deux koalas en peluche. »
-Vous fermez à quelle heure ? s’enquiert un arrivant.
-Le plus tôt possible, dès qu’il n’y a plus personne.
Alors on peut attendre longtemps. Dès qu’un part, un autre se présente.
-Ce soir je vais être bourré, demain je vais dormir, annonce un nouveau venu.
C’est à quoi se résume pour beaucoup la fête de Findanet.
Le coucher du soleil rosit le ciel au moment où part le dix-sept heures dix-sept peu fréquenté qui me reconduit à Rouen.
                                                               *
Que d’os dans le pied de cochon.
 

29 décembre 2019


Boulevard Saint-Michel, je trouve à l’étalage de Gibert Joseph pour un euro, publié par Le Tout sur le Tout, Armen de Jean-Pierre Abraham que je cherchais depuis un moment. Monté à l’étage Littérature, je prends, au prix d’occasion de quatorze euros soixante au lieu de vingt-deux cinquante, paru au Mercure de France, le Journal particulier (1935) de Paul Léautaud, qui me manquait (me suis-je aperçu dernièrement), et, pour faire bonne mesure, m’offre le premier tome du Journal de Julien Green récemment paru chez Bouquins, un exemplaire d’occasion à vingt-quatre euros au lieu de trente-deux.
-Votre code postal ? me demande le caissier à qui je règle ces achats.
Je pourrais me croire à l’Office de Tourisme.
Au bas du même boulevard, j’entre chez Gibert Jeune et en explore le rayon Correspondances et Journaux intimes. Quelques tomes de celui de Gabriel Matzneff y sont, qui vont peut-être avoir du mal à trouver preneur désormais, à moins qu’au contraire. Au même étage, je mets la main sur l’énorme Quarto consacré aux Œuvres de Georges Perros, une occasion à vingt euros quatre-vingts au lieu de trente-deux. Il est des livres que vu mon âge avancé je ne peux attendre de trouver à vil prix.
Je sais comment faire pour revenir à Saint-Lazare pédestrement. Me frayant un chemin parmi la foule des touristes internationaux, je longe les boîtes inintéressantes des bouquinistes, traverse la Seine par le pont des Arts, entre dans la cour du Louvre, contourne la Pyramide et arrive dans le jardin des Tuileries où Marcel Campion, Roi des Forains, a installé, à l’invitation du Musée, la Grande Roue qu’Anne Hidalgo, Maire, Socialiste, pensait avoir réussi à bouter hors de la ville.
Elle n’est pas seule. Une véritable fête foraine s’étend jusqu’au Jeu de Paume. Cette installation à la gloire de la vulgarité est fréquentée par son lot de familles.
Arrivé à la Madeleine, je traverse avec le même ennui la vulgarité des riches qui vaut celle des pauvres. Encore un effort et c’est Saint-Lazare.
J’attends qu’il soit l’heure de mon train à La Ville d’Argentan où le prix du café est passé de deux euros vingt à deux euros quarante. Au bout d’un moment la circulation automobile est suspendue rue d’Amsterdam. Des Céhéresses prennent position devant la gare. Une manifestation de grévistes en est la cause. Je commence à m’inquiéter pour mon retour.
Heureusement, l’accès à la gare n’est pas entravé. Le Corail de dix-sept heures quarante est plus que complet. Les derniers arrivés voyagent debout sur les plateformes. Parti à l’heure, de ralentissements en arrêts inopinés, il se transforme en train de l’angoisse. Ira-t-il jusqu’à Rouen ?
Il y arrive avec vingt minutes de retard alors que tombe une sacrée drache qui me vaut d’être lessivé avant d’être à la maison. Mes livres sont heureusement protégés par plusieurs sacs en plastique puisés dans le stock que j’ai constitué avant leur interdiction.
                                                                 *
Chaque autobus parisien est plein comme un œuf. Peu des entassés paient. La plupart sont jeunes et ne prenaient jamais le bus. Depuis le début de la grève en sont exclus les habitués : ancêtres avec ou sans canne, handicapés en fauteuil, jeunes parents à poussette. Ces derniers peuvent marcher. Les autres restent bloqués dans leur quartier.
 

28 décembre 2019


Le Corail de sept heures trente-cinq est celui qui arrive de Paris dix minutes plus tôt, avec peu de monde à l’intérieur. Il repart vers la capitale avec un peu plus, surtout au féminin. Le voyage se passe sans que j’aie à montrer au contrôleur mon billet rectifié à la main.
Depuis Saint-Lazare, ravi d’humer à nouveau l’atmosphère parisienne, je rejoins à pied, chemin que je connais par cœur, le Bistrot d’Edmond où n’est présent qu’un ouvrier qui change les ampoules. « Vous êtes mon troisième client depuis l’ouverture », me dit la responsable qui fait office de barmaid. La faute à la grève. Je lui dis qu’ancien enseignant je suis du côté des grévistes mais que je comprends le souci que ça lui cause. Elle habite en banlieue seule avec son fils, elle subit les grèves des transports et de l’école. Elle me dit qu’elle est prise en otage. Je lui réponds qu’il faut laisser cette expression aux victimes d’actes de terrorisme. Le dialogue se tend. Elle me déclare qu’en ayant dans la famille, du côté de son père, elle est bien placée pour savoir que les enseignants sont des fainéants. Nous nous séparons néanmoins en termes cordiaux quand à dix heures je vais faire l’ouverture au Book Off de l’autre coin de la rue.
Le personnel est réduit, la clientèle mince et mon sac épais quand j’en repars par la rue Saint-Augustin en direction de la Bourse. Un peu plus loin, je tourne à droite rue Montmartre et arrive plus tôt que je ne l’aurais cru à Saint-Eustache. Pour la première fois je passe sous la Canopée. La Seine traversée, je jette un coup d’œil à Notre-Dame éventrée, désormais surmontée d’une grue jaune qui doit permettre l’enlèvement de l’échafaudage à demi fondu.
A midi moins cinq, j’entre au restaurant La Cochonnaille où une vieille habituée m’a précédé. C’est une serveuse jamais vue qui m’accueille. Comme je lui dis que je sais où sont les toilettes, elle me demande si je suis de la G M.
-La quoi ?
-La Grande Maison. Vous n’en êtes pas. Vous sauriez ce que c’est.
Elle m’explique que l’on a ici un menu spécial Police, que ça date des anciens propriétaires.
-Un menu avec de l’alcool ?
-Bien sûr.
Elle ne veut pas m’en dire plus. Je lui commande mon habituel menu à douze euros et le quart de vin rouge à sept, pendant qu’arrive sur sa trottinette personnelle celle que je pense être la patronne, jeune jolie Chinoise souriante, au prénom français comme il se doit. Je n’arrive pas à comprendre comment elle peut avoir déjà deux enfants.. Elle aussi vient de la banlieue, trottinette, tramouais, métro Un, trottinette. La grève est une catastrophe pour le restaurant. Incidemment, elle me prive du petit pot de rillettes offert en apéritif. Le livreur ne vient plus, trop d’embouteillages. Ici on ne vitupère pas contre les grévistes mais je préfère ne pas donner mon avis.
C’est la première fois depuis le début de la grève que je peux venir à Paris, expliqué-je. « Et vous avez un train pour repartir, vous êtes sûr ? » me demande la charmante trottineuse.
Je le lui certifie.
-Sinon, vous m’auriez hébergé ? lui demandé-je.
-Sur une banquette au sous-sol, me répond-elle.
                                                          *
Rue de la Harpe, un livreur Uber en Vélib’.
 

27 décembre 2019


Noël le mercredi, Paris le jeudi, me suis-je dit il y a un mois au moment de réserver mon escapade hebdomadaire vers la capitale mais, conséquence de la grève, cette fois c’est mon train aller qui est supprimé. Ne voulant pas d’une troisième semaine sans échappée de mi-semaine à la capitale, et bien que je souhaitais ne pas mettre le pied dehors le vingt-cinq décembre, me voici vers onze heures et quart en chemin pour la gare. Sur son parvis, un rassemblement de clochards. L’Ordre de Malte leur offre boissons chaudes et viennoiseries.
Aucune attente au guichet, le jeune homme qui s’occupe de moi est okay pour remplacer mon billet du sept heures cinquante-six par un autre pour le sept heures trente-cinq, au même prix, mais il n’arrive pas à le faire admettre à son ordinateur. A la fin, il transforme mon billet à la main et valide cela d’un coup de tampon afin que je n’aie pas d’ennui avec le contrôleur.
En revenant vers chez moi, je ne croise que des chercheurs de boulangerie ou de bureau de tabac, désespérés de ne trouver ouvert qu’un fleuriste, ainsi que des familles occupant le temps d’avant le déjeuner, et puis j’aperçois un homme qui se glisse sous le volet roulant de l’ancienne Poste de la Champmeslé puis le descends derrière lui.
Je ne sais quel est le boutiquier qui s’installe ici, faisant travailler des ouvriers le jour de Noël. Déjà, il y a quelques semaines, j’avais remarqué garée devant cet endroit une camionnette blanche immatriculée en Bulgarie.
                                                           *
Finie la plaie liste sur France Culture. Les émissions ont repris après un mois de grève contre les restrictions budgétaires et la diminution de personnel en découlant. Un mois de grève sans aucun résultat.
 

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