Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 août 2020


Ce vendredi, le jour pas encore levé complétement, j’attends, en compagnie de la contrôleuse et d’un autre homme, le six heures trente et une ayant pour terminus Saint-Yrieix-la-Perche à quarante et un kilomètres de Limoges. C’est une rame unique Poitou Charentes qui se présente, dans laquelle nous sommes rejoints par un quatrième peu avant le départ.
Quand elle quitte la Gare des Bénédictins, je regarde l’appartement du huitième étage d’où j’aurais pu la voir. Bientôt, la contrôleuse s’enquiert de mon billet. Visiblement, il l’intrigue. « Carte valide nécessaire ? » s’interroge-t-elle. Elle n’a jamais vu ça. « C’est écrit sur tous mes billets, lui dis-je, c’est parce que j’ai une Carte Senior, vous voulez que je vous la montre ? » Elle ne veut pas que je la lui montre.
Après un trajet forestier et champêtre assorti de trois arrêts intermédiaires, nous arrivons à sept heures dix-sept à Saint-Yrieix-la-Perche, connu selon mon vieux Guide du Routard pour son kaolin, ses porcs au cul noir et son sous-sol gorgé d’or. J’y vois surtout un énorme Hôpital complété d’un Epahd (gisement d’or gris).
La collégiale du Moûtier est éclairée par le soleil levant. Près elle, la tour du Plô est cachée par des échafaudages. Il s’agit d’en faire une ruine présentable. Je fais la découverte du centre dit médiéval puis explore un faubourg avec de belles maisons à demi détruites et des boutiques en déshérence.
A neuf heures, il fait suffisamment chaud pour que la seule activité raisonnable soit de s’asseoir. Je le fais pour boire un café à l’une des tables de trottoir du Joker « bar tabac jeux », où se rassemblent les enkystés du pays, puis sur un banc en pierre d’une sorte de jardin public. J’y lis Montaigne près d’une eau un peu croupie.
Vers onze heures ; je remonte au centre du bourg et réserve une table à l’ombre au seul restaurant possible : L’Ecu d’Chouettes puis vais m’asseoir sur un muret à l’ombre, face au Joker. Il y a là une exposition d’artisanat d’art où des femmes traînent des hommes.
Quand je reviens à L’Ecu d’Chouettes, je signale à l’aimable patronne que j’ai un train à treize heures vingt-trois. Encore un repas que je dois presser par la faute des horaires des Téheuherres (le suivant est à dix-huit heures quinze).
Le menu est à quinze euros, sans choix possible. C’est gaspacho andalou, saucisse de porc (sûrement pas à cul noir) avec taboulé aux champignons et crème brûlée. Près de moi sont deux jeunes femmes que je suppose flamandes car elles s’expriment aussi très bien en français. L’une qui ne mange pas de viande obtient d’avoir du poisson. Elle parle tout le temps, ce qui n’est pas désagréable car je ne comprends pas et cela faisait longtemps que je n’avais côtoyé des étrangères à table. Mon quart de vin rouge (trois euros !) est excellent. La patronne fait en sorte que tout m’arrive rapidement. J’ai quand même le temps de regarder aller et venir sa jeune serveuse qui porte bien le chorte. Un café (un euro vingt !), l’addition réglée (moins de vingt euros) et me voici reparti pour la Gare.
La rame du retour est déjà là, heureusement climatisée. Nous sommes aussi peu de passagers qu’à l’aller. Le contrôleur ne trouve rien d’étonnant à mon billet. Quand on arrive à Limoges, je suis à demi endormi.
L’après-midi, de mon huitième étage, je contemple la gare écrasée par la chaleur. Cet énorme bâtiment est posé sur un plateau soutenu par des piliers. Les trains lui passent dessous, ingénieux système.
                                                                             *
L’annonce sur le masque dans les gares : « Tout manquement pourra être sanctionné ». Et non pas « Tout manquement sera sanctionné ». On fait semblant, ici comme ailleurs. L’important, c’est de faire croire que la situation est sous contrôle alors que la médecine est impuissante.
 

7 août 2020


Des fiches horaires que m’a données l’employée du Ciel (Centre Intermodal d'Echange de Limoges), j’ai jeté la moitié (cars ne circulant qu’en période scolaire, cars ne me permettant pas de faire l’aller et retour dans la journée). Ce jeudi, j’utilise celle de la ligne Quatre qui part du Ciel pour aller à Saint-Pardoux-le-Lac et retour.
Malheureusement, le premier car de cette ligne quotidienne n’est qu’à dix heures trente. Je l’attends en compagnie de femmes voilées à glacières avec enfants à seaux pelles et râteaux et d’un trio de zonards à boîtes de bière. Puis quelques jeunes gens des deux sexes se joignent à nous, ainsi qu’une femme seule.
Ce car est au deux tiers plein quand il quitte Limoges pour Saint-Pardoux (trente-trois kilomètres pour deux euros). Il est climatisé et son chauffeur n’impose pas de radio à ses voyageurs. Tout le monde porte un masque, à sa manière, rarement la bonne.
Nous roulons sur la route du Haut-Limousin. Arrivé au but, le chauffeur fait deux premiers arrêts près des plages à familles. Tout le monde descend, sauf la femme seule et moi-même. Pour elle c’est au suivant, un bord de lac sans plage, et je vais jusqu’au bourg (terminus). J’ai l’intention de déjeuner au Restaurant de la Forge puis de marcher jusqu’à l’endroit où est descendue cette femme.
Las, ce restaurant est fermé, définitivement. De l’autre côté de la place est un Bistrot de la Forge, juste en face de la massive église. Il est tenu par des Anglais(e)s. Celle qui m’accueille est peu aimable. Comme j’insiste, elle consent à ouvrir le seul parasol afin que je puisse manger dehors. C’est pizzas, crêpes ou burgueurs. J’opte pour une pizza saumon fromage avec un quart de vin blanc.
-Ça va prendre quelques minutes parce que le four, il vient d’allumer, me dit l’anglaise tenancière.
J’attends en chassant les deux guêpes qui m’embêtent. Cette pizza n’est pas très cuite mais elle me va comme ça. Ensuite, je prends un gâteau chocolat noix de coco qui s’avère décevant puis un café. D’autres terminent de manger à l’intérieur. Bientôt la maison va fermer pour rouvrir ce soir. Je m’en tire à dix-sept euros et quelques.
Après avoir fait quelques photos du minuscule centre de ce village, je renonce à marcher jusqu’au lac car la chaleur est devenue éprouvante. J’entre dans l’église dont toutes les portes sont ouvertes. Il y fait frais, l’humidité remonte par les dalles. Les chaises sont les mêmes que les deux que j’ai chez moi. Je m’assois sur l’une à un endroit permettant de voir ce qui se passe à l’extérieur. J’y lis Montaigne, son chapitre Le repentir où l’on trouve Le monde est une branloire pérenne
Je reste seul et tranquille pendant une heure dans cette fraîcheur. Pas de belle pécheresse à confesser, les seules filles que j’aperçois par la porte ouverte sont des randonneuses en sueur qui portent leur espoir sur le Bistrot de la Forge. Elles vont devoir marcher jusqu’au lac pour se désaltérer.
Il part d’où le car de Saint-Pardoux ? De l’endroit de son arrivée. A quelle heure ? A quatorze heures trente. Il s’agit de ne pas le rater. Le suivant n’est qu’à dix-huit heures trente. Il sera pris d’assaut par les mal masqué(e)s.
Je voyage avec le même chauffeur dont le siège est hydraulique (il semble faire du trampoline en conduisant) en compagnie très éloignée d’une jeune femme qui descend avant d’avoir atteint le Ciel.
                                                                        *
Le lac de Saint-Pardoux a connu un épisode fâcheux dans son histoire. On y a trouvé des boues radioactives lors d’un curage, conséquence de l’existence ancienne de mines d’uranium à ciel ouvert en Limousin. Il semble que cela se soit amélioré.
                                                                        *
De ma fenêtre de huitième étage, comme les vaches dans leur pré, je regarde passer les trains ou bien je les entends. Je sais maintenant, rien qu’au son, s’il s’agit d’un Intercités ou d’un Téheuherre. Grâce au site annonçant les départs de la Gare des Bénédictins, je peux savoir où va le train qui démarre. Le danger serait de passer mon temps à ça.
 

6 août 2020


Après être resté quelque temps caché à Limoges, rue des Combes, Lucien Ginzburg est accueilli comme pensionnaire, sous le nom de Lucien Guimbard, dans un collège jésuite de Saint-Léonard-de-Noblat. Il y restera jusqu’à la Libération. Puis il deviendra Serge Gainsbourg. C’est dans cette petite ville, située à vingt-trois kilomètres de Limoges, que je vais ce mercredi matin avec le train.
La Gare de Saint-Léonard-de-Noblat est éloignée du centre. Il me faut marcher un moment dans le sens de la montée. C’est par la photo d’une autre célébrité, champion cycliste, que je suis accueilli au croisement d’une rue intérieure et du boulevard circulaire.
Et c’est pour un troisième personnage public lié à cet endroit que je me rends à l’Hôtel de Ville afin de connaître l’emplacement de sa tombe au cimetière communal. J’ai lu qu’on peut la chercher sans la trouver. C’est ce que racontait François Bon en deux mille huit dans son Tiers Livre. Je ne veux pas vivre cette expérience.
Un buste de Gay-Lussac est présent dans le jardin de cette Mairie car lui aussi est lié à ce bourg de Haute-Vienne. Il faut sonner.
Une jeune femme vient m’ouvrir, me regardant avec les yeux de qui se trouve face à un inconnu. « Je voudrais avoir un renseignement sur le cimetière », lui dis-je.
Au nom que je lui donne, elle répond par un « Venez avec moi », m’emmenant dans le bureau qu’elle partage avec une femme plus âgée. Cette dernière cherche l’emplacement de la tombe sur son ordinateur, puis me le montre sur le plan en papier de la partie récente du cimetière. Elle est en Quatre-Vingt-Dix-Sept Dé. L’homme en question est dans le caveau Grandjouan Lévêque, ça je le savais. Je pensais qu’il y avait aussi son nom sur la tombe, mais elle m’affirme que non.
« Vous êtes à pied ? Le cimetière est à cinq minutes », me dit celle qui m’a ouvert. Il suffit de suivre le boulevard circulaire jusqu’au kiosque à musique puis d’aller sur la gauche. Je remercie ces deux employées municipales et ressors par l’arrière de l’Hôtel de Ville (procédure obligatoire par temps de Covid).
C’est peut-être à cinq minutes en voiture, à pied c’est plus long. Comme j’hésite après le kiosque et que j’entends parler près d’une porte ouverte, je sonne.
-Qui ça peut être encore ?
La dame qui sort est rassurée par ma tête d’inconnu. Je suis sur le bon chemin.
-Vous y avez quelqu’un de votre famille ou c’est pour quelqu’un de connu ? me demande-t-elle.
-Pour quelqu’un de connu, enfin, pas par tout le monde.
-Pas monsieur Poulidor ?
-Non, Gilles Deleuze.
-Connais pas.
Arrivé dans la partie récente et quadrillée du cimetière, je trouve facilement l’allée Dé et au bout le caveau Grandjouan Lévêque. La dame de la Mairie est dans l’erreur : il y a aussi le nom de Gilles Deleuze et ses deux dates séparées par le tiret de sa vie. Figure aussi celui de  Julien Deleuze, né en mil neuf cent soixante et mort en deux mille douze, son fils.
Si le philosophe est enterré ici, c’est que sa femme Fanny (née Grandjouan) possède une propriété à proximité de Saint-Léonard-de-Noblat, où il passait ses vacances. Après un dernier été ici, ayant de plus en plus de mal à respirer, il s’est défenestré à son domicile parisien. Il avait soixante-dix ans.
J’ai le soleil en face pour faire des photos de cette tombe, ce qui est dommageable. Quelque petites pierres y sont posées. J’ajoute la mienne, une petite ardoise en équilibre instable.
Après cela, je fais un tour dans Saint-Léonard-de-Noblat dont le joli centre devrait être débarrassé de ses voitures, puis ayant repéré une gargote sur le chemin de la Gare, j’y arrive juste pour midi.
Ce bar restaurant, situé près d’une station de lavage de voitures, se nomme Chez Christelle, anciennement Chez Krist’l, et propose un menu à treize euros cinquante (entrée plat fromage dessert vin). Le mercredi, c’est tête de veau.
-Je vais prendre un quart de vin rouge, dis-je à Christelle.
-Je mets la bouteille sur votre table et vous buvez ce que vous voulez.
Ah oui, et c’est une bouteille d’un litre. « Entrée terrine », me dit-elle. Puis arrive ma tête accompagnée d’une grosse pomme de terre cuite à la vapeur, suivie de trois morceaux de fromage. Je choisis ensuite la glace vanille rhum raisin puis commande un café. « Il  est offert », me dit Christelle.
Je n’ai plus qu’à me laisser glisser jusqu’à la Gare. Sur un banc à l’ombre, je m’apprête à tenter de lire Montaigne en attendant mon train prévu pour dans une heure quand s’en présente un autre sous la forme d’une unique rame. J’y grimpe et, tandis que le paysage défile, je songe à Sarah, celle que j’appelais ma petite princesse libanaise, dont je n’ai plus de nouvelles depuis longtemps. Ses parents voulaient retourner à Beyrouth. Y a-t-elle subi l’horrible explosion d’hier soir ?
                                                                        *
L’ouvrier contemporain refuse la tête de veau et boit de l’eau.
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Inutile de chercher la tombe de Raymond Poulidor dans le cimetière de Saint-Léonard-de-Noblat, il a été incinéré et le mystère plane sur le sort de ses cendres.
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Nous sommes à l’âge de la communication, mais tout âme bien née fuit et rampe au loin chaque fois qu’on lui propose une petite discussion, un colloque, une simple conversation. (Gilles Deleuze, Qu'est-ce que la philosophie ?)
 

5 août 2020


Après une bonne nuit de huitième étage, je rejoins la Gare des Bénédictins par le raccourci. Il me fait passer devant la Gare Routière où un homme est assis sur un banc. Je lui demande s’il sait où je peux me procurer les horaires sur papier des cars de la Région. Il me répond qu’il est l’un des chauffeurs et que sa collègue chargée du bureau arrive. Il m’emmène jusqu’à elle et celle-ci entreprend de récolter tout ce qui existe en matière d’horaires de car partant de Limoges. De là j’entre en Gare, vais à l’accueil et demande au guichetier la même chose pour les trains. « D’abord, je vais vous donner le plan de lignes de la région », me dit-il, puis il récolte tout ce qui existe en matière d’horaires de train depuis Limoges. Il est huit heures et demie et me voici muni de tout ce qu’il faut pour organiser la suite de mon séjour grâce à ces zélés employés.
De la Gare, je file droit sur la Cathédrale Saint-Etienne où des ouvriers travaillent avec du matériel électrique (qu’ils n’y mettent pas le feu) puis je remonte le centre-ville vers les Halles Centrales en explorant chaque rue attirante. Je découvre que Limoges vaut la peine, par ses maisons (notamment à pans de bois), ses églises Saint-Pierre-du-Queyrois et Saint-Michel-des-Lions, sa chapelle Saint-Aurélien dans l’ancien quartier des bouchers, son pavillon du Verdurier, ancien congélateur art déco dû à Roger Gonthier, ses Halles façon Baltard, etc. Je ne manque pas de passer rue des Combes.
Pour déjeuner, ne trouvant pas mieux, je retourne aux tables de terrasse pour six du Bistrot d’Olivier et y choisis la fraise de veau sauce gribiche, l’onglet sauce échalote pommes grenailles et le plateau de fromage (j’ai besoin de calcium) avec un peu plus de vin rouge qu’hier, rapport au fromage.
Je n’ai ensuite qu’à me laisser glisser en passant par l’Hôtel de Ville un peu kitch puis par les jardins de l’Evêché jusqu’au bord de la Vienne. J’en remonte le cours jusqu’à trouver un banc à l’ombre. Derrière moi des locaux jouent à la pétanque. Sur la rivière passent des padeules. Pour un peu, je me croirais dimanche.
                                                                       *
C’est à Limoges, rue des Combes, m’a appris mon vieux Guide du Routard, que Lucien Ginzburg passa une partie de son adolescence au temps des persécutions nazies. Oui mais où précisément ? Apercevant une vieille femme se coiffant à l’intérieur du bar Le Gousset, je lui demande si elle sait. Elle est très sourde, mais on arrive à s’entendre.
C’est plus bas, au numéro treize, m’explique-t-elle. C’était sous les toits, c’était terrible. Les journalistes sont venus chez moi. Parce que, vous savez, il y a eu un film. Il a dit qu’il aimait pas du tout les Limousins. Parce que vous savez, les gens d’ici, ils sont spécials. J’ai soixante-treize ans. Ça fait quarante-cinq ans que je suis ici. Vous, vous n’êtes pas Limousin ? Ça se voit.
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Je fais une photo de ce numéro treize mais en rentrant, je lis sur le site du Populaire du Centre que la rue a été renumérotée, que c’était au onze que le jeune Lucien vivait caché avec sa famille avant de devoir partir pour Saint-Léonard-de-Noblat.
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Hier, dans ce même Populaire du Centre, un article écrit par une journaliste sur le frotteur de Limoges condamné pour agression sexuelle sur une mineure de quinze ans dans un Super U. On y lit ceci : « C’est plus loin, devant les farines que Marion est devenue blanche. » et aussi « Car, elle, refuse désormais d’accompagner sa maman faire les courses. »
De quoi amuser le mauvais esprit que je suis.
 

4 août 2020


Avec un grand plaisir, ce lundi matin, je quitte le « studio douillet » Air Bibi de Brive-la-Gaillarde et, un peu avant neuf heures, je suis une nouvelle fois dans le train pour Paris Austerlitz dont je descends cette fois à Limoges Bénédictins, gare dont la tour d’horloge est la petite sœur de celle de Rouen. Le bâtiment construit par l’architecte Roger Gonthier dans les années Vingt est de toute beauté (comme on dit).
Il est neuf heures quarante-cinq et je n’ai rendez avec ma nouvelle logeuse temporaire qu’à dix-sept heures après son travail. La question de la valise se pose. Comment ne pas la tirer toute la journée. Après y avoir bu un café à l’une des deux tables de trottoir, je pose la question au patron du bar tabac Le Chiquito situé à côté de ma future résidence.
-Je l’aurais gardée avec plaisir, me dit-il, mais le lundi je ferme à midi.
La seule autre chose ouverte dans les environs est une salle de sport nommée Espace Forme Centre de Fitness, au tout début de l’avenue de Locarno. Certain(e)s y suent déjà. Son jeune responsable n’a l’air surpris de me voir, ni de ma demande. Il me dit oui sans hésiter. « Je vais la mettre dans mon bureau qui est fermé à clé. » Cette salle rouvre à seize heures trente l’après-midi, c’est donc parfait pour moi.
Ce souci supprimé, je me dirige vers le centre-ville quand une drache limousine m’oblige à ouvrir le parapluie puis à m’abriter sous un arbre. Cela ne dure pas. Je reprends la marche et découvre que Limoges est bigrement pentue, c’est une ville où je n’ai fait que passer en voiture sans jamais m’y arrêter.
J’approche d’abord de la Cathédrale, puis vais au hasard ne frôlant que les lieux à voir. Limoges n’est pas une très belle ville mais elle a son charme, telle est ma première impression. C’est lundi, le commerce ne vit qu’à moitié, de même que les restaurants.
Un premier interrogé me conseille ceux de la place de la  République, la Grand-Place de la ville. « Où l’on trouve tout ! », me dit avec un brin d’ironie une coureuse à l’arrêt qui me remet dans le droit chemin. Effectivement Fnaque et Compagnie sont là. Las, cette place est en travaux qui génèrent bruit et poussière et ses brasseries ont pour menu du jour « peu dans l’assiette ».
Un deuxième interrogé me conseille d’aller aux Halles Centrales. J’y suis immédiatement séduit par Le Bistrot d’Olivier où, bien qu’il ne soit pas encore midi, certains sont déjà installés aux tables d’extérieur, lesquelles sont toutes pour six. On veut me mettre dedans. Comme je refuse, j’ai droit à ma grande table.
Il n’y a ici que des originaires du pays. Certains se reconnaissent, partis ailleurs, ici pour congés, pas vus depuis longtemps, et se présentent leur petite famille. Au menu du jour à dix-neuf euros, je choisis le pied de veau sauce gribiche et le gigot d’agneau de pays pommes grenaille avec un quart de vin de Gascogne. Combien excellent est ce pied et combien tendre cet agneau, copieux tous les deux. En entrée, il y avait aussi un pâté de la maison à volonté mais j’ai su résister. Une compotée d’abricots du Roussillon constitue mon dessert au moment où arrive un trio que l’on installe au bout de ma table. L’un est à moins d’un mètre. Parfois, il faut savoir prendre des risques.
Néanmoins, je prends le café ailleurs, au Bistrot Jourdan, un euro cinquante, où j’ai pour voisin un optimiste qui déclare au téléphone : « Peut-être que dans quinze ans, je pourrai être chef de secteur ».
Après avoir terminé le livre second des Essais sur un banc par très loin de mon futur logement, je vais récupérer ma valise et apprends que le responsable n’est pas là, le bureau fermé avec une clé que personne d’autre n’a. Un stagiaire s’emploie au téléphone à le faire venir mais, cinq heures approchent, et je dois partir sans.
Une jeune femme brune arrive peu après moi au lieu de rendez-vous. Je monte avec elle jusqu’au huitième et dernier étage (faudrait-il mettre un masque dans l’ascenseur, oui, mais non) où elle m’ouvre la porte d’un appartement qui me plaît d’emblée. Son plus : une vue imprenable sur la Gare.
Redescendu avec cette agréable hôtesse et après qu’elle m’a montré la barrière qui permet d’accéder par raccourci aux trains, je retrouve ma valise avec des grands mercis aux jeunes sportifs.
                                                                   *
Qui aurait cru qu’un jour j’entrerais dans une salle de fitness. Pas moi.
 

3 août 2020


Ce dimanche matin, je commande un café mini-viennoiseries verre d’eau à trois euros quatre-vingts, sous les petits drapeaux, en terrasse à l’FMR, « café bar glacier guinguette culture », face à la Gare de Brive et au Grand Hôtel Terminus. La guinguette, est-il écrit, c’est le dimanche à partir de quatorze heures.
Un peu avant neuf heures, je vais prendre mon train à réservation obligatoire. Un homme m’annonce être mon voisin. Je lui dis qu’on n’est pas obligé de se coller les uns aux autres puisqu’il y a de la place. « Je m’en tiens à ce que dit mon application », me répond ce possesseur d’objet nomade totalitaire. C’est donc moi qui change de siège.
C’est un plaisir de faire un bout de trajet avec des gens qui rentrent de vacances alors que soi-même non, je le constate encore une fois dans ce Paris Austerlitz dont je descends au premier arrêt à Uzerche, qu’en mil sept cent quatre-vingt-sept, Arthur Young qualifia de « Perle du Limousin ». C’est depuis son slogan publicitaire.
Il y a là des hommes venus conduire leur famille au train. Je demande à l’un par où le centre. Pas question de s’égarer, je sais que c’est un peu loin. Après être passé dans un tunnel, je traverse la Vézère au Pont Neuf et trouve l’ancien Hospice. A partir de là, je monte dans la vieille ville qui se blottit dans une courbe de la rivière.
J’en découvre (redécouvre) les différents châteaux, les maisons en pierre ou à pans de bois, la chapelle Notre-Dame de Bécharie et l’abbatiale Saint-Pierre. Contournant cette dernière, je trouve son cloître du onzième siècle. J’y entre. Il fait vraiment noir. A peine si j’ose m’avancer.
Je descends ensuite au bord de la Vézère qu’ici on peut longer, c’est même encouragé sous le nom de Parcours du Méandre. Des pompiers en manœuvre y arrosent les canards, puis ils s’offrent un petit-déjeuner que doivent quitter certains quand retentit une sonnerie discrète. La sirène de l’ambulance trouble le calme des kayakeurs.
Ayant repéré un petit restaurant à mi-chemin de la Gare, Chez Coralie, j’y remonte et réserve une table et, en attendant midi, descends par une petite route jusqu’au ruisseau nommé le Bradascou. Assis sur le parapet du Pont aux Malades, j’ouvre mon parapluie pour quelques gouttes.
Cette petite pluie a cessé quand Coralie m’installe à l’une des tables de la terrasse à l’arrière, qui ne donne sur rien et témoigne que l’endroit est du genre à être en travaux permanents. Elle est aidé de celui qui doit être son compagnon mais peut-être pas le père de ses trois enfants, dont deux nymphettes peut-être jumelles perchées au comptoir.
Coralie est pleine de bonne volonté, et pas très bien secondée, « T’as dit quoi ? ». Je lui commande un confit de canard à douze euros quatre-vingts avec un quart de vin rouge à quatre euros. « Je vais vous apprêter ça », me dit-elle. Je dois réclamer à son second la carafe d’eau qui ailleurs arrive dès qu’on s’assoit.
Ce confit de canard est correct et les frites excellentes. Un couple et ses filles jumelles de huit ans s’installent à la table voisine, puis un homme seul arrive qui dit être un peu pressé (il n’a pas choisi le bon endroit).
-La pression, c’est pour monsieur je suppose, dit le second en apportant les boissons à la famille.
-Eh bien, non ! lui répond la mère des jumelles.
La carte de Chez Coralie annonce divers choix de desserts mais en réalité il n’y en a que deux, le flan ou la glace. Je prends deux boules framboise rhum raisin sans chantilly dont j’ignore le prix. Le café n’est qu’un euro vingt.
Avant de payer je vais aux toilettes. A leurs murs figurent des plaisanteries beaufs que je ne m’attendais pas à voir là. Ce qui ne m’étonne pas, c’est qu’elles soient d’une propreté relative.
Je retourne à Brive pour la dernière fois, avec un train venant de Paris, précis à la minute près comme quasiment tous ceux circulant dans la région, une ville dont j’aurai assez peu parcouru les rues. Je ne pense pas que j’y reviendrai et cela ne me chagrine pas. Pas de guinguette au FMR, constaté-je à l’arrivée, la faute au Covid.
                                                                *
Plus qu’à une perle, Uzerche me fait penser à une grosse bagouse surchargée.
                                                                *
La Médiathèque d’Uzerche a pour nom Simone de Beauvoir car celle-ci, jeune fille, passait ses vacances à côté, dans la propriété familiale de Meyrignac à Saint Ybard. J’ai lu récemment Simone de Beauvoir Romantique en Corrèze de François Soustre (Descartes et Cie), trouvé un euro chez Book-Off, plus intéressant par les photos d’elle à cet âge que par le texte. Dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, Simone écrit : Mon grand-père s’était retiré près d’Uzerche, dans une propriété achetée par son père. Je n’imaginais pas qu’il existait sur terre aucun endroit plus agréable à habiter.
 

2 août 2020


Echappée en Dordogne, ce samedi premier août, à l’aide du train qui va à Périgueux et dont je descends au bout de vingt kilomètres à son premier arrêt : Terrasson-Lavilledieu, communément Terrasson, important centre du commerce de la truffe et des noix, et porte d’entrée du Périgord Noir.
La sortie de gare est décevante. J’erre un peu avant de trouver des autochtones pour me mettre dans la direction du centre. Il faut pour cela traverser la ville récente, plate dans tous les sens du mot. Enfin voici la Vézère et sur l’autre rive, dominant la vieille ville, l’église abbatiale Saint-Sour. Par le Pont Vieux, je traverse la rivière sur laquelle une gabare attend les familles d’onze heures.
Il n’est que huit heures et demie. Je suis absolument seul dans les ruelles pentues et devant l’abbatiale. Cependant, je ne peux pas dire qu’il n’y a pas un chat car j’en croise de nombreux, et même au milieu d’une rue, trois poules (je parle bien d’animaux).
De là-haut, j’admire la Vézère et les falaises au loin. C’est de ce côté que sont les Jardins de l’Imaginaire réalisés après concours international par l'atelier d'architecture Paysage Land, six hectares de divers jardins, uniquement visibles en visite guidée payante sur réservation, pas de quoi me donner envie.
Ce que j’aimerais, c’est me balader le long de cette Vézère, mais c’est impossible, les propriétés privées s’y succèdent. Je demande à un quidam qui a une tête à savoir ça où un bar. Vous traversez par le Pont Neuf et là y en a un, me dit-il. C’est le Drop. Pour deux euros trente, je prends un café croissant verre d’eau à la terrasse de ce bar d’habitués.
Côté restaurants, il y a dans la vieille ville des lieux de chipotage, sur le quai un piège à touristes, et en retrait sur la mauvaise rive (avec sa terrasse baptisée Johnny Halliday) Chez Canta qui n’hésite pas à faire payer son menu du samedi trente euros. Je retourne dans la ville plate et demande conseil à la tenancière d’un Péhemmu. « Vous en avez deux un peu plus loin, un à droite, l’autre à gauche, plutôt à gauche. » Las, le gauche est fermé jusqu’au quinze août. En revanche, j’en débusque un troisième dans une rue perpendiculaire, Le Rapoutet, une gargote de piètre apparence qui propose son menu à quatorze euros même le samedi (soupe, entrée, plat, dessert, quart de vin, café). J’y retiens une place sous la bâche, à l’une des quelques tables d’extérieur.
Ce restaurant pittoresque a ses habitués pittoresques. Pas un n’arrive sans me souhaiter bon appétit. Beaucoup préfèrent l’intérieur pourtant sombre et confiné. La patronne est sympathique derrière sa visière en plastique. La soupe est bonne, avec du pain dedans comme dans celle de mon enfance. L’entrée est une salade avec un  peu de saumon fumé. Le plat, une brochette de porc en petite quantité avec frites et légumes. Le vin, rosé et frais. Le dessert, une salade de fruits.
Aujourd’hui, je ne suis pas pressé par le train, mon retour n’est qu’à quatorze heures cinquante et une. Oui mais, il me faut quand même faire accélérer mon café, car le ciel s’obscurcit et ça gronde au loin. Je n’aimerais pas par la foudre être terrassé à Terrasson. Après avoir payé, je file à la Gare, fermée évidemment, et trouve à m’abriter sous sa verrière au moment où tombent les premières gouttes.
Mon programme de début d’après-midi est établi : regarder l’orage. Il n’est pas violent mais il dure presque jusqu’à l’arrivée du Périgueux Brive.
 

1er août 2020


Ce vendredi, dernier jour de juillet, aurait pu être celui de mon expédition en car à Collonges-la-Rouge mais considérant la chaleur qui rendrait le trajet éprouvant (et s’y ajouterait la radio que chaque conducteur s’arroge le droit de faire subir aux voyageurs) et la foule des familles que je suis certain de trouver à l’arrivée, je préfère prendre le train climatisé Brive Limoges et en descendre au bout de dix-sept kilomètres à Allassac dont mon vieux Guide du Routard ne dit pratiquement rien, si ce n’est que ce fut la ville de l’ardoise.
Première bonne surprise à l’arrivée, la Gare n’est qu’à une centaine de mètres du centre, repérable à la tour César. Pas loin d’icelle est l’église de la Décollation de Saint Jean Baptiste auprès de laquelle s’installe le marché. Vous la prenez en photo, me dit un marchand, vous avez de la chance, elle n’était pas là hier. De nombreuses maisons retiennent également mon attention. Autre bonne surprise, il fait chaud ici mais moins qu’à Brive.
Les deux boulangeries que je rencontre sont fermées. Ce sont les seules, m’apprend le patron du Café de France dont la terrasse domine le marché. Prenant donc un café verre d’eau sans croissant, j’observe les locaux, la plupart masqués, faire la file devant le primeur. A côté est une vendeuse de blouses laides pour ménagères. A Allassac, on peut se vêtir comme un sac. Je note également la présence de la Marie Charentaise et d’Aux Fromages de Bréchailles (M et Mme Raymond). Aucun touriste sur ce marché, pas davantage dans la ville, je suis le seul, pourtant on en espère d’autres comme le montre la présence d’un Office du Tourisme où je n’entre pas. Je trouve sans aide la route qui mène au Manoir des Tours dont les portes s’ouvrent à dix heures (on y présente une exposition).
Monté un peu plus haut, j’emprunte un chemin qui permet un point de vue sur l’ensemble de cette agréable petite ville que j’ai vraiment bien fait de préférer à Collonges. Redescendu, je réserve une table à l’ombre au D’Click où l’on propose un menu à treize euros tout compris (entrée plat fromage dessert vin café). Aujourd’hui, c’est paella.
En attendant, je lis Montaigne sur un banc du jardin public proche de la Gare. Il me plaît bien ce jardin, car on n’y a fait aucune plantation. Il ressemble à un pré tondu où poussent des arbres. Un coin jeux est pour les enfants et pour tout le monde des toilettes Sanisphère « au service du soulagement public » « autonomes à lombricompostage ».
Je reviens au D’Click vers midi moins le quart pour assurer ma table à l’ombre et commande, ce qui n’est plus mon habitude, un apéritif à la jeune patronne, un verre de salers. Je suis un peu pressé, lui dis-je, car j’ai mon train à treize heures trente pour rentrer à Brive. C’est le seul de la journée. Ce qui est bien dommage car je suis bien à Allassac et j’aimerais pouvoir m’attarder sous les platanes de cette terrasse qui n’est fréquentée que par les gens du cru dont beaucoup ont une tête sympathique. A côté, des dames du lieu ont accrochés sur des grilles leurs œuvres personnelles, des tableaux hideux qui n’intéressent personne.
Le vin blanc que j’ai choisi est frais et bon, la petite salade d’entrée me convient mais ensuite la paella se fait attendre. Le patron a des soucis en cuisine. Je stresse un peu. La patronne qui court partout à servir les boissons dedans et dehors et aussi à vendre du tabac et à délivrer les paquets de son point relais prend le temps de me rassurer. « Je peux vous conduire à la gare en voiture », me dit-elle. Je la remercie. Ce ne sera pas nécessaire, elle est à cinq minutes à pied, mais ce ne sont pas des paroles en l’air, elle est vraiment prête à le faire, je le sais. Le patron m’apporte ma part de paella lui-même en s’excusant. Elle est bonne, hormis le poulet trop sec. Dans un coin de l’assiette sont déjà là le fromage et sa petite salade. Le dessert est une simple boule de glace, cela me suffit
-Je vous remercie pour votre gentillesse, dis-je à cette jeune patronne.
-A une autre fois peut-être, me dit-elle.
-Je crains que non, mais je me souviendrai de cette étape.
Je devrais dire : j’espère que je m’en souviendrai. Au moins cela sera-t-il écrit.
J’ai dix minutes d’avance à la gare d’Allassac. Le conducteur du train l’arrête de façon à ce qu’une porte soit devant moi. A l’intérieur est accroché un sérieux vélo et par terre posé un gros sac à dos. Sur le seul siège occupé est une menue jeune fille blonde à qui on pourrait donner quatorze ans mais qui en a plus.
A l’arrivée à Brive, je n’ai plus de doute, ce petit gabarit décroche le gros vélo et amarre son sac à dos.
 

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