Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev réunis au Théâtre des Arts de leur époque pour évoquer Corneille ? Les temps ont changé (comme on dit) et, ce samedi après-midi, Pierre Bergounioux, Annie Ernaux, Pierre Michon, Christine Montalbetti et Jean-Philippe Toussaint, sont attendus au Théâtre des Arts (Opéra de Rouen) pour parler de Flaubert, à l’invitation de l’Université.
L’entrée est libre et gratuite mais le public intéressé semble mince. Assis sur l’un des bancs du parvis, j’attends la levée des grilles contre laquelle sont vautrés les zonards habituels. Un peu plus loin, la femme au caniche expérimente le ménage à trois, plus calme que sa vie de couple.
Quand la grille se lève, deux des zonards transportent un troisième, ivre mort, jusqu’à la pelouse. Il faut encore attendre l’ouverture des portes, ce qui fait râler les arrivant(e)s. Certaines sont à canne ou à béquille. Enfin, il est permis de s’installer au foyer où une table à micros attend les intervenant(e)s. Dans un coin, la librairie L’Armitière a dépêché son néo barbu pour vendre un choix étique de livres des invité(e)s. D’autres tables permettront à ces cinq auteur(e)s de dédicacer. Une caméra est en place pour filmer les échanges que l’on pourra revoir via Internet.
Que des écrivains actuellement parmi les plus importants de langue française (pour quatre d’entre eux) ne déplacent que quelques dizaines d’auditrices et d’auditeurs en dit long. Aucune de mes connaissances n’est là. Je partage ma table avec deux femmes non moins âgées que moi.
L’installation sonore mise en place par l’Opéra de Rouen dysfonctionne, ce qui complique le début de l’échange entre Pierre Bergounioux (pantalon et chemise rustiques) et son poseur de questions, l’attaché temporaire d'enseignement et de recherche au Collège de France Matthieu Vernet (cravate, élégantes lunettes, soupçon de barbe). Les questions sont floues et les réponses alambiquées, qu’on comprend mieux toutefois quand un technicien remplace enfin le micro défaillant. Le maigre public est invité à poser quelques questions. Le premier à demander le micro est un exalté qui annonce qu’on nous cache que Flaubert était franc-maçon, ce à quoi Bergounioux ne peut répondre.
Annie Ernaux fait suite, interrogée par Françoise Simonet-Tenant, universitaire spécialiste des journaux personnels, pour un dialogue plus concret que le précédent. « « J’ai lu tout Flaubert et sa correspondance. » avez-vous dit, pouvez-vous nous en dire plus sur cette conjonction de coordination ? » demande la questionneuse. Annie Ernaux confirme que pour elle la correspondance de Flaubert ne fait pas partie de son œuvre. C’est pourtant cette correspondance que je préfère, me dis-je, et je donnerais tous les romans pour une poignée de lettres de Gustave.
A la pause, je prends un café puis l’air sur la terrasse, assistant de là-haut à l’arrivée de Pierre Michon et de sa jolie fille Louise (« J'ai de la tendresse pour Louise, Louise Colet », nous dira-t-il plus tard). Le poseur de la question sur Flaubert franc-maçon distribue un flayeur vantant le livre à trente-cinq euros qu’il a écrit sur le sujet. Je demande à Matthieu Vernet ce qu’il en pense. « Cela me paraît bien fumeux », me répond-il.
Pierre Michon est interrogé par Matthieu Vernet. Les questions sont, cette fois encore, un peu obscures mais les réponses parfaitement claires et font montre d’un amusement critique envers l’auteur étudié et son style. Parmi les piques envoyées par Michon à Gustave, réputé pour s’épuiser tel un moine jusqu’à obtenir la phrase parfaite : « On peut faire des ratures toute la journée, ce n’est pas très fatigant. »
Je ne connais pas et ignorais même le nom de Christine Montalbetti, questionnée par Christine Lecerf, que je connais, elle, par ses émissions de France Culture et son livre d’entretien avec Elfriede Jelinek. « Il semble qu’ici les femmes doivent interroger les femmes et les hommes interroger les hommes » remarque cette dernière en introduction. J’apprends que Christine Montalbetti aime les voyages. C’est une écrivaine de nouvelle génération, à résidences d’écriture à l’étranger et à ateliers d’écriture pour avoir un revenu.
Pour finir, Jean-Philippe Toussaint, de noir vêtu, est interrogé par Thierry Roger, maître de conférence à l’Université de Rouen, dont les questions sont si embrouillées qu’il me fait penser à Desproges interrogeant Sagan. Jean-Philippe Toussaint trouve pourtant des réponses limpides à lui faire.
Une séance de dédicaces suit pour laquelle je n’ai pas de livres à présenter, ayant offert mes nombreux Ernaux et revendu tous mes Michon, mes deux Toussaint et ma miette de Bergounioux.
Yvon Robert, Maire de Rouen, est arrivé. Un cocktail d’inauguration du parcours « Flaubert dans la ville » (uniquement sur invitation) doit suivre, déjà partiellement installé quand je quitte le lieu.
Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev boire un verre avec le Maire de Rouen d’alors ?
*
Opportunément, ce samedi, le site Des Lettres en publie une de Gustave Flaubert à Louis Bouilhet, écrite quand en compagnie de Maxime Du Camp il voyageait en Orient et que tous deux pratiquaient ce qu’aujourd’hui les bonnes consciences de toute obédience nomment pour le condamner le tourisme sexuel : Voyageant pour notre instruction et chargés d’une mission par le gouvernement, nous avons regardé comme de notre devoir de nous livrer à ce mode d’éjaculation.
À propos, écris donc cul avec un L et non cu. Ça m’a choqué. conclut Gustave.
*
Flaubert était un véritable ébéniste littéraire qui astiquait partout pour que ça brille. Résultat: médiocrité, ennui. Paul Léautaud (Entretiens avec Robert Mallet)
L’entrée est libre et gratuite mais le public intéressé semble mince. Assis sur l’un des bancs du parvis, j’attends la levée des grilles contre laquelle sont vautrés les zonards habituels. Un peu plus loin, la femme au caniche expérimente le ménage à trois, plus calme que sa vie de couple.
Quand la grille se lève, deux des zonards transportent un troisième, ivre mort, jusqu’à la pelouse. Il faut encore attendre l’ouverture des portes, ce qui fait râler les arrivant(e)s. Certaines sont à canne ou à béquille. Enfin, il est permis de s’installer au foyer où une table à micros attend les intervenant(e)s. Dans un coin, la librairie L’Armitière a dépêché son néo barbu pour vendre un choix étique de livres des invité(e)s. D’autres tables permettront à ces cinq auteur(e)s de dédicacer. Une caméra est en place pour filmer les échanges que l’on pourra revoir via Internet.
Que des écrivains actuellement parmi les plus importants de langue française (pour quatre d’entre eux) ne déplacent que quelques dizaines d’auditrices et d’auditeurs en dit long. Aucune de mes connaissances n’est là. Je partage ma table avec deux femmes non moins âgées que moi.
L’installation sonore mise en place par l’Opéra de Rouen dysfonctionne, ce qui complique le début de l’échange entre Pierre Bergounioux (pantalon et chemise rustiques) et son poseur de questions, l’attaché temporaire d'enseignement et de recherche au Collège de France Matthieu Vernet (cravate, élégantes lunettes, soupçon de barbe). Les questions sont floues et les réponses alambiquées, qu’on comprend mieux toutefois quand un technicien remplace enfin le micro défaillant. Le maigre public est invité à poser quelques questions. Le premier à demander le micro est un exalté qui annonce qu’on nous cache que Flaubert était franc-maçon, ce à quoi Bergounioux ne peut répondre.
Annie Ernaux fait suite, interrogée par Françoise Simonet-Tenant, universitaire spécialiste des journaux personnels, pour un dialogue plus concret que le précédent. « « J’ai lu tout Flaubert et sa correspondance. » avez-vous dit, pouvez-vous nous en dire plus sur cette conjonction de coordination ? » demande la questionneuse. Annie Ernaux confirme que pour elle la correspondance de Flaubert ne fait pas partie de son œuvre. C’est pourtant cette correspondance que je préfère, me dis-je, et je donnerais tous les romans pour une poignée de lettres de Gustave.
A la pause, je prends un café puis l’air sur la terrasse, assistant de là-haut à l’arrivée de Pierre Michon et de sa jolie fille Louise (« J'ai de la tendresse pour Louise, Louise Colet », nous dira-t-il plus tard). Le poseur de la question sur Flaubert franc-maçon distribue un flayeur vantant le livre à trente-cinq euros qu’il a écrit sur le sujet. Je demande à Matthieu Vernet ce qu’il en pense. « Cela me paraît bien fumeux », me répond-il.
Pierre Michon est interrogé par Matthieu Vernet. Les questions sont, cette fois encore, un peu obscures mais les réponses parfaitement claires et font montre d’un amusement critique envers l’auteur étudié et son style. Parmi les piques envoyées par Michon à Gustave, réputé pour s’épuiser tel un moine jusqu’à obtenir la phrase parfaite : « On peut faire des ratures toute la journée, ce n’est pas très fatigant. »
Je ne connais pas et ignorais même le nom de Christine Montalbetti, questionnée par Christine Lecerf, que je connais, elle, par ses émissions de France Culture et son livre d’entretien avec Elfriede Jelinek. « Il semble qu’ici les femmes doivent interroger les femmes et les hommes interroger les hommes » remarque cette dernière en introduction. J’apprends que Christine Montalbetti aime les voyages. C’est une écrivaine de nouvelle génération, à résidences d’écriture à l’étranger et à ateliers d’écriture pour avoir un revenu.
Pour finir, Jean-Philippe Toussaint, de noir vêtu, est interrogé par Thierry Roger, maître de conférence à l’Université de Rouen, dont les questions sont si embrouillées qu’il me fait penser à Desproges interrogeant Sagan. Jean-Philippe Toussaint trouve pourtant des réponses limpides à lui faire.
Une séance de dédicaces suit pour laquelle je n’ai pas de livres à présenter, ayant offert mes nombreux Ernaux et revendu tous mes Michon, mes deux Toussaint et ma miette de Bergounioux.
Yvon Robert, Maire de Rouen, est arrivé. Un cocktail d’inauguration du parcours « Flaubert dans la ville » (uniquement sur invitation) doit suivre, déjà partiellement installé quand je quitte le lieu.
Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev boire un verre avec le Maire de Rouen d’alors ?
*
Opportunément, ce samedi, le site Des Lettres en publie une de Gustave Flaubert à Louis Bouilhet, écrite quand en compagnie de Maxime Du Camp il voyageait en Orient et que tous deux pratiquaient ce qu’aujourd’hui les bonnes consciences de toute obédience nomment pour le condamner le tourisme sexuel : Voyageant pour notre instruction et chargés d’une mission par le gouvernement, nous avons regardé comme de notre devoir de nous livrer à ce mode d’éjaculation.
À propos, écris donc cul avec un L et non cu. Ça m’a choqué. conclut Gustave.
*
Flaubert était un véritable ébéniste littéraire qui astiquait partout pour que ça brille. Résultat: médiocrité, ennui. Paul Léautaud (Entretiens avec Robert Mallet)