Dans la dernière partie de leur vie, Jules et Tatiana Roy habitaient Vézelay. C’est là que Serge Gainsbourg, déglingué, vint se réfugier peu avant sa mort, d’où invitations réciproques que raconte Tatiana dans son journal Bonheurs quotidiens (Tirésias).
S. Gainsbourg nous avait invités, J. et moi, à déjeuner chez Meneau. Au menu : truffes, bécasses, et un vin qui passe pour le plus fameux – je ne me souviens pas du nom parce que je n’ai pas la mémoire des vins, même si j’en ai le goût. Il devait dater de 1970, quelque part par là. Gainsbourg ne boit presque pas, il trempe les lèvres. Allume cigarette après cigarette, aspire une ou deux goulées et suit une autre cigarette. Au bout de trois ou quatre énormes mégots, les serveurs changent le cendrier, et ça recommence. Il ne mange rien non plus. Physiquement, il n’est pas plus gros qu’une longue allumette, veste croisée bleu marine rayée blanc, chemise col ouvert, et blue-jeans effrangé, pieds nus dans des chaussures en cuir blanc. (…) … Gainsbourg m’a accompagnée jusqu’à la voiture en me tenant par la main. Il a exprimé le désir de venir chez nous. J’ai dit : « Je ne sais rien faire d’autre que le gigot ».
Bambou, sa jeune femme, dînait à part avec deux amies, jeans, pull, elle était le portrait tout calqué de Jane Birkin, sauf les yeux bridés (un von Paulus marié à une Chinoise. Leur fils est un petit Chinois tout craché.)
S. Gainsbourg répète dix fois la même chose, repousse le cendrier d’un air de prince outragé si on oublie de le lui enlever. Il écrit un sonnet, déclare-t-il. D’ailleurs, il ne se réveille que le soir : il joue du piano pour les clients, pour les employés de chez Meneau… Trente décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix
Serge Gainsbourg et Bambou à la maison. Lui, comme d’habitude, en jeans, pieds nus dans de belles godasses blanches. La veille, nous avions déjeuné chez Meneau, et Gainsbourg proclama à qui voulait l’entendre : « C’est moi qui paie » avec un air de ravissement immense. (…)
A la maison, le 1er janvier, il nous apporta quelques bouteilles de vin en annonçant que c’était du « vin sublime » mais il avait perdu sa verve. Premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix
Les cigarettes ont tué S. Gainsbourg qui devait revenir chez Meneau pour Pâques. Six mars mil neuf cent quatre-vingt-onze
Autres invités des Roy, que Tatiana, d’origine russe, connaît, Mstislav Rostropovitch et sa femme, lesquels sont à Vézelay pour une série des concerts dans la Basilique.
Rostropovitch et Galina Vichnevskaia en visite chez nous. Huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-onze
Tout est centré sur Rostropovitch, ses répétitions et son prochain concert. Il jouera six suites de Bach. Il est frais, tel un petit « concombre frais », tout rose, avec une bouille de bébé. Agité, sans cesse en mouvement, répétant qu’un violoncelle, qui est masculin, devrait être au féminin parce qu’il faut l’enlacer. On dit d’ailleurs qu’il est très porté sur les petites filles. Dix-sept mars mil neuf cent quatre-vingt-onze
Rostro déjeune à la maison. Il est accompagné d’une jeune pianiste, prof de piano du fils de Meneau. Il n’arrête pas de lui faire du « rentre-dedans ».
(…) Une nature fuyante, toujours ailleurs, sauf quand il parle de lui, bien sûr. Encore plus narcissique que mon Julius, en plus insidieux et plus doucereux. Premier avril mil neuf cent quatre-vingt-onze
S. Gainsbourg nous avait invités, J. et moi, à déjeuner chez Meneau. Au menu : truffes, bécasses, et un vin qui passe pour le plus fameux – je ne me souviens pas du nom parce que je n’ai pas la mémoire des vins, même si j’en ai le goût. Il devait dater de 1970, quelque part par là. Gainsbourg ne boit presque pas, il trempe les lèvres. Allume cigarette après cigarette, aspire une ou deux goulées et suit une autre cigarette. Au bout de trois ou quatre énormes mégots, les serveurs changent le cendrier, et ça recommence. Il ne mange rien non plus. Physiquement, il n’est pas plus gros qu’une longue allumette, veste croisée bleu marine rayée blanc, chemise col ouvert, et blue-jeans effrangé, pieds nus dans des chaussures en cuir blanc. (…) … Gainsbourg m’a accompagnée jusqu’à la voiture en me tenant par la main. Il a exprimé le désir de venir chez nous. J’ai dit : « Je ne sais rien faire d’autre que le gigot ».
Bambou, sa jeune femme, dînait à part avec deux amies, jeans, pull, elle était le portrait tout calqué de Jane Birkin, sauf les yeux bridés (un von Paulus marié à une Chinoise. Leur fils est un petit Chinois tout craché.)
S. Gainsbourg répète dix fois la même chose, repousse le cendrier d’un air de prince outragé si on oublie de le lui enlever. Il écrit un sonnet, déclare-t-il. D’ailleurs, il ne se réveille que le soir : il joue du piano pour les clients, pour les employés de chez Meneau… Trente décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix
Serge Gainsbourg et Bambou à la maison. Lui, comme d’habitude, en jeans, pieds nus dans de belles godasses blanches. La veille, nous avions déjeuné chez Meneau, et Gainsbourg proclama à qui voulait l’entendre : « C’est moi qui paie » avec un air de ravissement immense. (…)
A la maison, le 1er janvier, il nous apporta quelques bouteilles de vin en annonçant que c’était du « vin sublime » mais il avait perdu sa verve. Premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix
Les cigarettes ont tué S. Gainsbourg qui devait revenir chez Meneau pour Pâques. Six mars mil neuf cent quatre-vingt-onze
Autres invités des Roy, que Tatiana, d’origine russe, connaît, Mstislav Rostropovitch et sa femme, lesquels sont à Vézelay pour une série des concerts dans la Basilique.
Rostropovitch et Galina Vichnevskaia en visite chez nous. Huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-onze
Tout est centré sur Rostropovitch, ses répétitions et son prochain concert. Il jouera six suites de Bach. Il est frais, tel un petit « concombre frais », tout rose, avec une bouille de bébé. Agité, sans cesse en mouvement, répétant qu’un violoncelle, qui est masculin, devrait être au féminin parce qu’il faut l’enlacer. On dit d’ailleurs qu’il est très porté sur les petites filles. Dix-sept mars mil neuf cent quatre-vingt-onze
Rostro déjeune à la maison. Il est accompagné d’une jeune pianiste, prof de piano du fils de Meneau. Il n’arrête pas de lui faire du « rentre-dedans ».
(…) Une nature fuyante, toujours ailleurs, sauf quand il parle de lui, bien sûr. Encore plus narcissique que mon Julius, en plus insidieux et plus doucereux. Premier avril mil neuf cent quatre-vingt-onze