Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
11 mars 2021
Bêtas, minables, ânes, goujats, imbéciles, pourris, menteurs, ratés, arrivistes, tels sont les qualificatifs que donne aux dirigeants staliniens et à leurs soutiens Korneï Tchoukovski dans son Journal publié chez Fayard. Nous sommes au début des années cinquante, époque à laquelle je fréquente l’école maternelle Jean Zay, route de Pacy, à Louviers.
Huit mars mil neuf cent cinquante-quatre : C’est la première fois que je revois Anna Akhmatova depuis sa disgrâce. Cheveux blancs, calme, ample, très simple. A cent lieux de la poétesse à frange bien coupée, raffinée, maigre, timide et en même temps hautaine que m’avait présentée Goumiliov en 1912, c’est-à-dire il y a quarante-deux ans. Elle parle de son malheur calmement, avec humour. « J’ai connu la gloire, j’ai éprouvé l’infamie. Finalement, je me rends compte qu’il n’y a pas de différence entre les deux. »
Vingt et un mars mil neuf cent cinquante-quatre : J’apprends que ce bêta de Virta a fait construire sa maison non loin de l’église où son père était pope… et où il a été fusillé. Il a demandé aux autorités locales de bien vouloir déplacer le cimetière où est enterré son père et de l’installer à bonne distance de son domicile car, a-t-il dit, la vue de ce cimetière « lui porte sur les nerfs ». Il a fait installer des fenêtres à triple vitrage, car il ne veut pas entendre le meuglement des vaches qu’il décrit dans ses œuvres… C’est Fédine qui m’a raconté tout cela ce soir, au cours de la promenade que je lui ai presque imposée.
Onze mars mil neuf cent cinquante-cinq : Alexandrov, le ministre de la Culture, a été surpris en galante compagnie, et avec lui Pétrov, Kroujkov et (paraît-il) Egoline. Il paraît que Pétrov profitait de ses fonctions de directeur de l’Institut de littérature pour alimenter les orgies d’Alexandrov en jeunes étudiantes. (…) Pourtant, le plus grave n’est pas là. Le plus grave, c’est que c’est un minable, un âne, un goujat, un imbécile grossier et mesquin (…)
J’ai eu la visite de Nicolas. Il m’a appris que Sourov avait profité des persécutions à l’encontre des cosmopolites pour intimider deux Juifs et les obliger à écrire des pièces pour lui – pièces qui lui ont valu deux prix Staline ! Triomphe des pourris, des menteurs, des ratés, des arrivistes.
Treize décembre mil neuf cent cinquante-cinq : Pour préparer mon allocution, j’ai relu mon vieux livre sur Blok et j’ai constaté avec tristesse qu’il avait été entièrement dépouillé, plagié, pillé par les spécialistes actuels de Blok, en premier lieu par Vladimir Orlov. A l’époque chaque mot de ce livre était nouveau, chaque idée était neuve. Mais comme mon livre a été interdit, les opportunistes ont eu tout loisir de s’en approprier les découvertes. Et aujourd’hui, ma primauté en la matière est complétement passée sous silence.
Deux janvier mil neuf cent cinquante-six : Je laisse couler ma vie dans l’hébétude. Je ne fais rien. Tout me tombe des mains. A soixante-quatorze ans, avec la mort qui m’attend demain ou après-demain, je ne vois pas ce que je peux faire ou vouloir. Ma solitude est totale. Hier c’était le nouvel an ; je n’ai vu personne.
Huit mars mil neuf cent cinquante-quatre : C’est la première fois que je revois Anna Akhmatova depuis sa disgrâce. Cheveux blancs, calme, ample, très simple. A cent lieux de la poétesse à frange bien coupée, raffinée, maigre, timide et en même temps hautaine que m’avait présentée Goumiliov en 1912, c’est-à-dire il y a quarante-deux ans. Elle parle de son malheur calmement, avec humour. « J’ai connu la gloire, j’ai éprouvé l’infamie. Finalement, je me rends compte qu’il n’y a pas de différence entre les deux. »
Vingt et un mars mil neuf cent cinquante-quatre : J’apprends que ce bêta de Virta a fait construire sa maison non loin de l’église où son père était pope… et où il a été fusillé. Il a demandé aux autorités locales de bien vouloir déplacer le cimetière où est enterré son père et de l’installer à bonne distance de son domicile car, a-t-il dit, la vue de ce cimetière « lui porte sur les nerfs ». Il a fait installer des fenêtres à triple vitrage, car il ne veut pas entendre le meuglement des vaches qu’il décrit dans ses œuvres… C’est Fédine qui m’a raconté tout cela ce soir, au cours de la promenade que je lui ai presque imposée.
Onze mars mil neuf cent cinquante-cinq : Alexandrov, le ministre de la Culture, a été surpris en galante compagnie, et avec lui Pétrov, Kroujkov et (paraît-il) Egoline. Il paraît que Pétrov profitait de ses fonctions de directeur de l’Institut de littérature pour alimenter les orgies d’Alexandrov en jeunes étudiantes. (…) Pourtant, le plus grave n’est pas là. Le plus grave, c’est que c’est un minable, un âne, un goujat, un imbécile grossier et mesquin (…)
J’ai eu la visite de Nicolas. Il m’a appris que Sourov avait profité des persécutions à l’encontre des cosmopolites pour intimider deux Juifs et les obliger à écrire des pièces pour lui – pièces qui lui ont valu deux prix Staline ! Triomphe des pourris, des menteurs, des ratés, des arrivistes.
Treize décembre mil neuf cent cinquante-cinq : Pour préparer mon allocution, j’ai relu mon vieux livre sur Blok et j’ai constaté avec tristesse qu’il avait été entièrement dépouillé, plagié, pillé par les spécialistes actuels de Blok, en premier lieu par Vladimir Orlov. A l’époque chaque mot de ce livre était nouveau, chaque idée était neuve. Mais comme mon livre a été interdit, les opportunistes ont eu tout loisir de s’en approprier les découvertes. Et aujourd’hui, ma primauté en la matière est complétement passée sous silence.
Deux janvier mil neuf cent cinquante-six : Je laisse couler ma vie dans l’hébétude. Je ne fais rien. Tout me tombe des mains. A soixante-quatorze ans, avec la mort qui m’attend demain ou après-demain, je ne vois pas ce que je peux faire ou vouloir. Ma solitude est totale. Hier c’était le nouvel an ; je n’ai vu personne.
10 mars 2021
Korneï Tchoukovski l’a constaté bien avant moi, pas facile d’avoir soixante-dix ans, avec pour lui en circonstance aggravante, le stalinisme. Quelques extraits de son Journal publié chez Fayard:
Cinq septembre mil neuf cent quarante-six : A propos de la pièce de Grossman que la Pravda assassine, Léonov me dit : « Grossman manque d’expérience. Il aurait dû mettre ses idées les plus chères dans la bouche d’un idiot, d’un crétin reconnu comme tel. Si on lui avait fait des reproches, il aurait pu dire : « Mais ce sont les paroles d’un imbécile ! »
Dix-sept mars mil neuf cent quarante-sept : La Gazette littéraire a récemment rendu compte d’une réunion d’écrivains pour enfants où je me trouvais. Voici la liste des participants telle que la donne le journal : Marchak, Mikhalkov, Barto, Kassil et d’autres. Les « autres », c’est moi.
Premier janvier mil neuf cent quarante-huit : Comme les Editions enfantines me laissent sans le sou, j’ai accepté de me montrer aux sapins de nouvel an pour compléter un peu mes fins de moi. Dire que j’ai soixante-six ans ! J’aurais pourtant bien le droit de prendre du repos. Dieu, que je hais cette vie tragique et misérable !
Douze avril mil neuf cent cinquante : Nous avons enterré aujourd’hui Adouïev. Son cercueil était couvert de fleurs. Son visage était tel qu’en lui-même – le visage du moqueur et du raté.
Nuit du premier avril mil neuf cent cinquante-deux, minuit pile : J’ai soixante-dix ans. J’ai l’âme aussi sereine qu’un mort. J’ai derrière moi cinquante années de bagne, de ratage, d’incompétence, de galère, des milliers d’échecs, d’erreurs et de faux pas. L’amour a été chiche avec moi. Je n’ai pas un ami, personne de proche. Lida s’efforce de m’aimer et croit qu’elle m’aime. Mais elle ne m’aime pas. Nicolas, qui a un naturel poétique, est plein de pitié pour moi, mais au bout de deux minutes il s’ennuie avec moi, et il a sans doute raison… Lioucha… Mais depuis quand les jeunes filles de vingt ans se plaisent-elles avec leur grand-père ? On ne trouve ça que chez Dickens et dans les mélodrames. Un grand-père, c’est quelque chose qui ne vous comprend pas, qui est condamné à disparaître, qu’on ne connait qu’au début de sa vie et avec qui il est inutile de nouer des relations durables.
Vingt-sept juin mil neuf cent cinquante-trois : Impossible d’entrer dans une caisse d’épargne. La réforme monétaire se profile à l’horizon, et c’est la panique. Je voulais aller percevoir ma pension, mais je n’ai pas pu : il y avait au moins cinq mille personnes aux guichets. Les gens achètent à tout crin. Des tapis, des colliers de chevaux, des pots. Dans un magasin de pianos j’entends : « Qu’est-ce que c’est que ce bordel, je voulais acheter trois pianos, et on refuse de me les vendre ! » L’argenterie a disparu des rayons (ça c’est solide, comme devise !). Personne ne rend plus la monnaie, ni dans le métro, ni dans le tramway, ni dans les magasins. La capitale est prise de folie. On dirait que c’est la fin du monde. Impossible d’entrer au National. Toutes les tables sont occupées, les gens sont venus boire et s’empiffrer une dernière fois avec cet argent qui demain ne vaudra plus rien.
Cinq septembre mil neuf cent quarante-six : A propos de la pièce de Grossman que la Pravda assassine, Léonov me dit : « Grossman manque d’expérience. Il aurait dû mettre ses idées les plus chères dans la bouche d’un idiot, d’un crétin reconnu comme tel. Si on lui avait fait des reproches, il aurait pu dire : « Mais ce sont les paroles d’un imbécile ! »
Dix-sept mars mil neuf cent quarante-sept : La Gazette littéraire a récemment rendu compte d’une réunion d’écrivains pour enfants où je me trouvais. Voici la liste des participants telle que la donne le journal : Marchak, Mikhalkov, Barto, Kassil et d’autres. Les « autres », c’est moi.
Premier janvier mil neuf cent quarante-huit : Comme les Editions enfantines me laissent sans le sou, j’ai accepté de me montrer aux sapins de nouvel an pour compléter un peu mes fins de moi. Dire que j’ai soixante-six ans ! J’aurais pourtant bien le droit de prendre du repos. Dieu, que je hais cette vie tragique et misérable !
Douze avril mil neuf cent cinquante : Nous avons enterré aujourd’hui Adouïev. Son cercueil était couvert de fleurs. Son visage était tel qu’en lui-même – le visage du moqueur et du raté.
Nuit du premier avril mil neuf cent cinquante-deux, minuit pile : J’ai soixante-dix ans. J’ai l’âme aussi sereine qu’un mort. J’ai derrière moi cinquante années de bagne, de ratage, d’incompétence, de galère, des milliers d’échecs, d’erreurs et de faux pas. L’amour a été chiche avec moi. Je n’ai pas un ami, personne de proche. Lida s’efforce de m’aimer et croit qu’elle m’aime. Mais elle ne m’aime pas. Nicolas, qui a un naturel poétique, est plein de pitié pour moi, mais au bout de deux minutes il s’ennuie avec moi, et il a sans doute raison… Lioucha… Mais depuis quand les jeunes filles de vingt ans se plaisent-elles avec leur grand-père ? On ne trouve ça que chez Dickens et dans les mélodrames. Un grand-père, c’est quelque chose qui ne vous comprend pas, qui est condamné à disparaître, qu’on ne connait qu’au début de sa vie et avec qui il est inutile de nouer des relations durables.
Vingt-sept juin mil neuf cent cinquante-trois : Impossible d’entrer dans une caisse d’épargne. La réforme monétaire se profile à l’horizon, et c’est la panique. Je voulais aller percevoir ma pension, mais je n’ai pas pu : il y avait au moins cinq mille personnes aux guichets. Les gens achètent à tout crin. Des tapis, des colliers de chevaux, des pots. Dans un magasin de pianos j’entends : « Qu’est-ce que c’est que ce bordel, je voulais acheter trois pianos, et on refuse de me les vendre ! » L’argenterie a disparu des rayons (ça c’est solide, comme devise !). Personne ne rend plus la monnaie, ni dans le métro, ni dans le tramway, ni dans les magasins. La capitale est prise de folie. On dirait que c’est la fin du monde. Impossible d’entrer au National. Toutes les tables sont occupées, les gens sont venus boire et s’empiffrer une dernière fois avec cet argent qui demain ne vaudra plus rien.
9 mars 2021
Ce dernier jour de soleil de la semaine m’autorise à terminer sur le banc du jardin la lecture de Lettres à Alexandrine d’Emile Zola, huit cent pages publiées par Gallimard. J’y trouve un Zola plan-plan vivant bourgeoisement entre domestiques et toutous, désireux de satisfaire les désirs de sa femme, notamment en lui payant chaque année une cure en Italie, car il doit se faire pardonner sa deuxième vie avec Jeanne Rozerot, leur ancienne lingère, dont il a deux enfants, un Zola bicycliste aussi. Cela me mènerait loin si j’étais obligé de réaliser pécuniairement les conceptions humanitaires de mes œuvres, constate-t-il après avoir débouté un quémandeur, dans sa lettre du mercredi six novembre mil neuf cent un.
D’autres années, je lisais devant un parterre de jonquilles. Cette année, il n’y en a que deux ou trois. Les ravageurs de jardin sont passés par là.
*
Je sais maintenant pourquoi la tente du centre de vaccination de la place des Carmes a été démontée hier. Ce centre est remplacé par un plus grand, et plus confortable, à la Halle aux Toiles. Plus grand mais toujours manquant de doses.
*
Que le Covid soit devenu la principale infection nosocomiale alors que les soignants sont archi vêtus, super masqués et complétement hygiénisés, tend à montrer qu’en lieu clos les « gestes barrières » ne donnent pas une sécurité suffisante.
*
« Soixante-dix ans, ça me va bien ! » C’est de Philippe Delerm, dont on ne pouvait pas attendre autre chose.
D’autres années, je lisais devant un parterre de jonquilles. Cette année, il n’y en a que deux ou trois. Les ravageurs de jardin sont passés par là.
*
Je sais maintenant pourquoi la tente du centre de vaccination de la place des Carmes a été démontée hier. Ce centre est remplacé par un plus grand, et plus confortable, à la Halle aux Toiles. Plus grand mais toujours manquant de doses.
*
Que le Covid soit devenu la principale infection nosocomiale alors que les soignants sont archi vêtus, super masqués et complétement hygiénisés, tend à montrer qu’en lieu clos les « gestes barrières » ne donnent pas une sécurité suffisante.
*
« Soixante-dix ans, ça me va bien ! » C’est de Philippe Delerm, dont on ne pouvait pas attendre autre chose.
8 mars 2021
Rentré, ignorant la consigne du médecin piqueur, je ne me précipite pas sur le Doliprane, J’attends de savoir si un ou plusieurs des éventuels effets secondaires (douleur au bras, céphalée, fièvre) se font sentir. Or, rien n’arrive durant la nuit de vendredi à samedi ; pas davantage samedi matin.
Ce samedi est une froide journée, mais ensoleillée. Abrité du vent, collé contre le mur, je peux lire sur le banc du jardin Lettres à Alexandrine (sa femme) d’Emile Zola publié chez Gallimard.
Point de concert de carillon pour agrémenter ma lecture, je ne sais pourquoi. C’était déjà le cas la semaine dernière et c’est bien dommage. Je bénéficie en revanche des allées et venues d’arrivants qui s’installent. Il y a eu deux déménagements ces derniers temps du côté des petits appartements.
Aucun effet secondaire, me dis-je le soir venu. La nuit me montre que j’ai parlé trop vite car un léger mal de tête la perturbe. Au matin, je gobe un Doliprane et tout rentre dans l’ordre.
Le dimanche ensoleillé me permet de poursuivre à l’extérieur la lecture de la correspondance de Zola et ce lundi, après une nuit sans céphalée, vers neuf heures et demie, j’appelle la secrétaire de mon médecin afin d’obtenir un rendez-vous pour ma seconde injection d’AstraZeneca qui ne peut avoir lieu qu’au bout de dix semaines, c’est-à-dire à partir du sept mai, une date qui m’est familière pour cause d’anniversaire de celle qui travaille à Paris.
Où en serons-nous à ce moment-là ? Les cafés et restaurants seront-ils rouverts ? Serai-je en train de piaffer d’impatience avec l’envie de partir en vadrouille ou toujours dans l’incapacité de le faire ?
La secrétaire ne peut me donner de date de second rendez-vous et me rappellera.
*
Etonnement ce lundi : la tente de la Croix Rouge utilisée pour la vaccination du cabinet médical des Carmes, là où trône Flaubert, est démontée par des employés municipaux.
*
Etonnement encore ce lundi : dans la ruelle, une guide touristique cornaquant une quinzaine d’anglophones, suivie d’une autre avec le même nombre de touristes que je photographie.
Les rassemblements à plus de six personnes sur la voie publique ou dans un lieu public sont interdits et punissables d’une amende de cent trente-cinq euros.
*
« Merci pour votre intérêt pour le carillon ! Les auditions sont généralement suspendues pendant les vacances scolaires (suivant la disponibilité des carillonneurs bénévoles) mais elles seront de retour la semaine prochaine ! Ne manquez pas non plus le concert de la Saint Patrick, mercredi 17 mars à 17h. » m’écrit Pascaline, de l’Association du Carillon de la Cathédrale de Rouen, après que j’ai demandé pourquoi.
Ce samedi est une froide journée, mais ensoleillée. Abrité du vent, collé contre le mur, je peux lire sur le banc du jardin Lettres à Alexandrine (sa femme) d’Emile Zola publié chez Gallimard.
Point de concert de carillon pour agrémenter ma lecture, je ne sais pourquoi. C’était déjà le cas la semaine dernière et c’est bien dommage. Je bénéficie en revanche des allées et venues d’arrivants qui s’installent. Il y a eu deux déménagements ces derniers temps du côté des petits appartements.
Aucun effet secondaire, me dis-je le soir venu. La nuit me montre que j’ai parlé trop vite car un léger mal de tête la perturbe. Au matin, je gobe un Doliprane et tout rentre dans l’ordre.
Le dimanche ensoleillé me permet de poursuivre à l’extérieur la lecture de la correspondance de Zola et ce lundi, après une nuit sans céphalée, vers neuf heures et demie, j’appelle la secrétaire de mon médecin afin d’obtenir un rendez-vous pour ma seconde injection d’AstraZeneca qui ne peut avoir lieu qu’au bout de dix semaines, c’est-à-dire à partir du sept mai, une date qui m’est familière pour cause d’anniversaire de celle qui travaille à Paris.
Où en serons-nous à ce moment-là ? Les cafés et restaurants seront-ils rouverts ? Serai-je en train de piaffer d’impatience avec l’envie de partir en vadrouille ou toujours dans l’incapacité de le faire ?
La secrétaire ne peut me donner de date de second rendez-vous et me rappellera.
*
Etonnement ce lundi : la tente de la Croix Rouge utilisée pour la vaccination du cabinet médical des Carmes, là où trône Flaubert, est démontée par des employés municipaux.
*
Etonnement encore ce lundi : dans la ruelle, une guide touristique cornaquant une quinzaine d’anglophones, suivie d’une autre avec le même nombre de touristes que je photographie.
Les rassemblements à plus de six personnes sur la voie publique ou dans un lieu public sont interdits et punissables d’une amende de cent trente-cinq euros.
*
« Merci pour votre intérêt pour le carillon ! Les auditions sont généralement suspendues pendant les vacances scolaires (suivant la disponibilité des carillonneurs bénévoles) mais elles seront de retour la semaine prochaine ! Ne manquez pas non plus le concert de la Saint Patrick, mercredi 17 mars à 17h. » m’écrit Pascaline, de l’Association du Carillon de la Cathédrale de Rouen, après que j’ai demandé pourquoi.
6 mars 2021
Il est presque seize heures ce vendredi lorsque je croise rue Eau-de-Robec celui qui avant-guerre m’offrait ses billets de l’Opéra de Rouen quand il partait en voyage.
-Vous êtes vacciné ? me demande-t-il.
-Non mais j’y vais là justement.
Il m’explique qu’il l’est, s’étant inscrit dès que ça avait été possible.
-Oui mais moi je ne suis pas assez vieux, lui réponds-je un peu perfidement.
Au cabinet médical où exercent mon médecin traitant et quatre de ses confrères, la salle d’attente, trop petite à mon goût, est pleine. Hormis un couple d’hommes, ne sont présent(e)s que vieilles et vieux en surpoids, pas tou(te)s là pour la vaccination. L’une ne trouve rien de mieux à faire que de décrocher son masque pour manger une grosse pâtisserie. Heureusement je suis loin d’elle.
Bien qu’ayant rendez-vous à seize heure trente ce n’est qu’à dix-sept heures qu’un médecin qui n’est pas le mien appelle mon nom. Ce docteur est de bonne humeur. Il a le masque sous le nez. Sa salle de consultation est emplie d’objets sportifs, dont une quantité de maillots colorés suspendus à un porte-manteau. Il ne me pose qu’une question : « Est-ce-que vous avez de la fièvre ? » puis s’occupe de remplir sur l’ordinateur le document réglementaire. « Ce sera au bras gauche », me dit-il. J’enlève mon pull, remonte la manche de ma chemise et m’assois sur la table d’auscultation.
-Vous n’allez pas pleurer ?
-Je ne sais pas encore.
Je sens à peine la piqûre.
-Bravo, vous n’avez pas pleuré. Vous prendrez un Doliprane en rentrant et un ou deux pendant deux jours pour éviter les effets secondaires.
Il termine de remplir ma fiche de vaccination. « Voilà, vous faites partie des statistiques. » Il me l’imprime puis me demande de rester un quart d’heure dans la salle d’attente et de venir frapper à sa porte si ça ne va pas.
Il y a heureusement moins de monde dans cette salle. Quand dix minutes après mon piqueur réapparait je lui dis que ça va bien et je peux rentrer.
En redescendant vers chez moi je me rends compte que je n’ai rien payé. Je ne sais pas si c’est normal. Il souffle un vent glacial. Nous sommes encore en hiver. Le plus long que j’aie jamais vécu.
*
Ce vendredi dans Le Figaro, des nouvelles du « metteur en scène David Bobée, fraîchement nommé directeur du Théâtre du Nord à Lille ».
Il a été condamné, le vingt-huit janvier, à verser six mille euros de dommages et intérêts à un pensionnaire de la Comédie-Française, à la suite d'une publication sur Effe Bé où il attaquait de façon virulente le comédien, accusé de violences sur son ex-petite amie. Le Tribunal Judiciaire de Paris a estimé « que cette publication portait atteinte à la présomption d'innocence » du plaignant.
Bobée a également été condamné au retrait de sa publication et au remboursement des frais de justice (deux mille euros).
L'avocate du comédien s'est déclarée satisfaite de cette décision : « En condamnant David Bobée, la justice a rappelé fermement le principe fondamental de la présomption d'innocence, face au lynchage hystérique pratiqué sur les réseaux sociaux. Il est regrettable qu'un homme de culture, directeur de théâtre public, se laisse aller à de tels propos. »
-Vous êtes vacciné ? me demande-t-il.
-Non mais j’y vais là justement.
Il m’explique qu’il l’est, s’étant inscrit dès que ça avait été possible.
-Oui mais moi je ne suis pas assez vieux, lui réponds-je un peu perfidement.
Au cabinet médical où exercent mon médecin traitant et quatre de ses confrères, la salle d’attente, trop petite à mon goût, est pleine. Hormis un couple d’hommes, ne sont présent(e)s que vieilles et vieux en surpoids, pas tou(te)s là pour la vaccination. L’une ne trouve rien de mieux à faire que de décrocher son masque pour manger une grosse pâtisserie. Heureusement je suis loin d’elle.
Bien qu’ayant rendez-vous à seize heure trente ce n’est qu’à dix-sept heures qu’un médecin qui n’est pas le mien appelle mon nom. Ce docteur est de bonne humeur. Il a le masque sous le nez. Sa salle de consultation est emplie d’objets sportifs, dont une quantité de maillots colorés suspendus à un porte-manteau. Il ne me pose qu’une question : « Est-ce-que vous avez de la fièvre ? » puis s’occupe de remplir sur l’ordinateur le document réglementaire. « Ce sera au bras gauche », me dit-il. J’enlève mon pull, remonte la manche de ma chemise et m’assois sur la table d’auscultation.
-Vous n’allez pas pleurer ?
-Je ne sais pas encore.
Je sens à peine la piqûre.
-Bravo, vous n’avez pas pleuré. Vous prendrez un Doliprane en rentrant et un ou deux pendant deux jours pour éviter les effets secondaires.
Il termine de remplir ma fiche de vaccination. « Voilà, vous faites partie des statistiques. » Il me l’imprime puis me demande de rester un quart d’heure dans la salle d’attente et de venir frapper à sa porte si ça ne va pas.
Il y a heureusement moins de monde dans cette salle. Quand dix minutes après mon piqueur réapparait je lui dis que ça va bien et je peux rentrer.
En redescendant vers chez moi je me rends compte que je n’ai rien payé. Je ne sais pas si c’est normal. Il souffle un vent glacial. Nous sommes encore en hiver. Le plus long que j’aie jamais vécu.
*
Ce vendredi dans Le Figaro, des nouvelles du « metteur en scène David Bobée, fraîchement nommé directeur du Théâtre du Nord à Lille ».
Il a été condamné, le vingt-huit janvier, à verser six mille euros de dommages et intérêts à un pensionnaire de la Comédie-Française, à la suite d'une publication sur Effe Bé où il attaquait de façon virulente le comédien, accusé de violences sur son ex-petite amie. Le Tribunal Judiciaire de Paris a estimé « que cette publication portait atteinte à la présomption d'innocence » du plaignant.
Bobée a également été condamné au retrait de sa publication et au remboursement des frais de justice (deux mille euros).
L'avocate du comédien s'est déclarée satisfaite de cette décision : « En condamnant David Bobée, la justice a rappelé fermement le principe fondamental de la présomption d'innocence, face au lynchage hystérique pratiqué sur les réseaux sociaux. Il est regrettable qu'un homme de culture, directeur de théâtre public, se laisse aller à de tels propos. »
5 mars 2021
Après avoir douté de lui en raison de sa réputation d’efficacité réduite, ne voilà-t-il pas que je m’apprête à me faire injecter une dose du vaccin AstraZeneca.
D’une part, il apparaît plus efficace qu’annoncé. D’autre part, je n’ai pas l’espoir de pouvoir m’inscrire avant un mois, ou deux, pour avoir Pfizer, et le rendez-vous ne serait pas immédiat.
Quand je suis allé me renseigner sous la tente de la Croix Rouge installée derrière la statue de Flaubert afin de savoir s’il ne restait pas des doses le soir, inemployées, dont j’aurais pu bénéficier d’une, la dame en chasuble m’a dit qu’elles étaient réservées à des inscrits sur liste d’attente, et que celle-ci n’était ouverte qu’aux plus de soixante-quinze ans.
Aussi ce jeudi matin, j’appelle la secrétaire de mon médecin traitant pour savoir s’il vaccine avec AstraZeneca. « Oui », me répond-elle. Je lui demande si je peux, bien que n’ayant pas de comorbidité mais âgé de soixante-dix ans avec un poids modérément excessif. « Je lui pose la question et je vous rappelle », me dit-elle.
Ce n’est que vers treize heures trente que mon téléphone sonne. La réponse est positive et le rendez-vous pris. « Ce sera un autre médecin du cabinet qui vous recevra car ils font ça à tout de rôle », me précise-t-elle.
*
Fais-je bien ? Ce qui m’amène à me faire vacciner au plus vite, c’est la crainte qu’attendant un autre vaccin, Pfizer ou Janssen, peut-être meilleur, je courrais le risque, avant d’avoir droit à la piqûre, de choper la saloperie et de faire une forme grave voire mortelle.
Ce choix ne peut être que personnel. On ne demande pas d’avis ou de conseil à qui que ce soit pour ce genre de décision.
D’une part, il apparaît plus efficace qu’annoncé. D’autre part, je n’ai pas l’espoir de pouvoir m’inscrire avant un mois, ou deux, pour avoir Pfizer, et le rendez-vous ne serait pas immédiat.
Quand je suis allé me renseigner sous la tente de la Croix Rouge installée derrière la statue de Flaubert afin de savoir s’il ne restait pas des doses le soir, inemployées, dont j’aurais pu bénéficier d’une, la dame en chasuble m’a dit qu’elles étaient réservées à des inscrits sur liste d’attente, et que celle-ci n’était ouverte qu’aux plus de soixante-quinze ans.
Aussi ce jeudi matin, j’appelle la secrétaire de mon médecin traitant pour savoir s’il vaccine avec AstraZeneca. « Oui », me répond-elle. Je lui demande si je peux, bien que n’ayant pas de comorbidité mais âgé de soixante-dix ans avec un poids modérément excessif. « Je lui pose la question et je vous rappelle », me dit-elle.
Ce n’est que vers treize heures trente que mon téléphone sonne. La réponse est positive et le rendez-vous pris. « Ce sera un autre médecin du cabinet qui vous recevra car ils font ça à tout de rôle », me précise-t-elle.
*
Fais-je bien ? Ce qui m’amène à me faire vacciner au plus vite, c’est la crainte qu’attendant un autre vaccin, Pfizer ou Janssen, peut-être meilleur, je courrais le risque, avant d’avoir droit à la piqûre, de choper la saloperie et de faire une forme grave voire mortelle.
Ce choix ne peut être que personnel. On ne demande pas d’avis ou de conseil à qui que ce soit pour ce genre de décision.
4 mars 2021
Korneï Tchoukovski approche de la soixantaine lorsque commence la Deuxième Guerre Mondiale. Il la traverse non sans souffrances comme en témoignent ces extraits du volume deux de son Journal publié chez Fayard :
Premier avril mil neuf cent quarante-deux : C’est mon anniversaire, j’ai soixante ans tout rond. Tachkent. Les abricotiers sont en fleur. Il fait frais. Tôt le matin. Les oiseaux gazouillent. La journée sera chaude.
Voici les cadeaux que j’ai eus pour mon anniversaire. Boris est porté disparu. (…) Nicolas est à Leningrad, avec une jambe blessée. (…) Il est à la rue, car l’appartement a été détruit par une bombe. Apparemment notre datcha de Pérédelkino a brûlé en entier, avec toute la bibliothèque que je m’étais constituée depuis le temps de ma jeunesse. Voilà, c’est avec ces cartes en main que je dois écrire un conte sur l’allégresse de la victoire.
Vingt-quatre juillet mil neuf cent quarante-trois : Hier je suis allé à Pérédelkino. C’était la première fois de tout cet été. J’ai constaté avec une horreur indescriptible que ma bibliothèque avait été entièrement pillée. Des rares livres qui restaient, les reliures avaient été arrachées. Tout le reste : mes « Nékrassoviana », ma collection des œuvres de Johnson, mes livres pour enfants, les milliers de pièces du théâtre anglais, ma bibliothèque d’essayistes, les lettres de mes enfants, celles de Maria B., mes lettres à elle – tout cela est éparpillé ou détruit et forme une sorte de revêtement de sol que je suis obligé de fouler du pied. En repartant, j’ai vu un feu dans la forêt. J’ai eu envie de m’approcher des enfants qui étaient assis autour. « Attendez, où allez-vous ? » Ils se sont enfuis. Quand je me suis approché du feu, j’ai vu : des livres anglais, ma collection de numéros de Think of It, ma revue enfantine américaine préférée, et des numéros de la Littérature enfantine. Je me suis dit que c’était grotesque, comme situation – de voir ceux à qui j’ai donné tant d’amour, des enfants, brûler devant moi des livres qui me servaient à les rendre heureux !
Vingt-neuf juin mil neuf cent quarante-quatre : M. F. Andreïéva m’a dit que Gorki ne croyait pas Knipper quand elle affirmait que Tchekhov avait dit sur son lit de mort : « Ich sterbe. » En fait, d’après Gorki, il aurait dit : « Salope ! » M. F. n’aime pas Tchekhov. Elle dit qu’elle ne peut pas lui pardonner ses relations avec Sofia P. Bonié, avec qui il aurait vécu pendant vingt années.
Dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre : Je viens de donner ma dernière conférence à la salle Tchaïkovski. Je suis arrivé là-bas avec des savates trouées que j’aurais dû jeter depuis longtemps, et en plus sans chaussettes. Le directeur m’a prêté les siennes.
Premier avril mil neuf cent quarante-deux : C’est mon anniversaire, j’ai soixante ans tout rond. Tachkent. Les abricotiers sont en fleur. Il fait frais. Tôt le matin. Les oiseaux gazouillent. La journée sera chaude.
Voici les cadeaux que j’ai eus pour mon anniversaire. Boris est porté disparu. (…) Nicolas est à Leningrad, avec une jambe blessée. (…) Il est à la rue, car l’appartement a été détruit par une bombe. Apparemment notre datcha de Pérédelkino a brûlé en entier, avec toute la bibliothèque que je m’étais constituée depuis le temps de ma jeunesse. Voilà, c’est avec ces cartes en main que je dois écrire un conte sur l’allégresse de la victoire.
Vingt-quatre juillet mil neuf cent quarante-trois : Hier je suis allé à Pérédelkino. C’était la première fois de tout cet été. J’ai constaté avec une horreur indescriptible que ma bibliothèque avait été entièrement pillée. Des rares livres qui restaient, les reliures avaient été arrachées. Tout le reste : mes « Nékrassoviana », ma collection des œuvres de Johnson, mes livres pour enfants, les milliers de pièces du théâtre anglais, ma bibliothèque d’essayistes, les lettres de mes enfants, celles de Maria B., mes lettres à elle – tout cela est éparpillé ou détruit et forme une sorte de revêtement de sol que je suis obligé de fouler du pied. En repartant, j’ai vu un feu dans la forêt. J’ai eu envie de m’approcher des enfants qui étaient assis autour. « Attendez, où allez-vous ? » Ils se sont enfuis. Quand je me suis approché du feu, j’ai vu : des livres anglais, ma collection de numéros de Think of It, ma revue enfantine américaine préférée, et des numéros de la Littérature enfantine. Je me suis dit que c’était grotesque, comme situation – de voir ceux à qui j’ai donné tant d’amour, des enfants, brûler devant moi des livres qui me servaient à les rendre heureux !
Vingt-neuf juin mil neuf cent quarante-quatre : M. F. Andreïéva m’a dit que Gorki ne croyait pas Knipper quand elle affirmait que Tchekhov avait dit sur son lit de mort : « Ich sterbe. » En fait, d’après Gorki, il aurait dit : « Salope ! » M. F. n’aime pas Tchekhov. Elle dit qu’elle ne peut pas lui pardonner ses relations avec Sofia P. Bonié, avec qui il aurait vécu pendant vingt années.
Dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre : Je viens de donner ma dernière conférence à la salle Tchaïkovski. Je suis arrivé là-bas avec des savates trouées que j’aurais dû jeter depuis longtemps, et en plus sans chaussettes. Le directeur m’a prêté les siennes.
3 mars 2021
Seulement dix minutes de retard ce mardi pour le train de huit heures cinq arrivant de Paris et allant au Havre. La plupart de ses occupants descendent à Rouen, ce qui me permet de voyager loin d’autrui. Après la banlieue, c’est une sorte de désert campagnard dont on pourrait croire les habitants confinés. Une poignée d’humains descendent et montent à Yvetot puis à Bréauté-Beuzeville et c’est l’arrivée à la Gare du Havre. Devant celle-ci, je monte dans le tramouais qui arrive et en descends à La Plage son terminus.
De là, la mer à ma gauche, je marche un certain temps et arrive à Sainte-Adresse, ancienne capitale de la Belgique. La promenade y devient plus chic, avec une moitié pour les vélos et une moitié pour les piétons. Cette dernière est hélas polluée par une quantité de coureuses et coureurs qui expectorent à dix mètres.
Je connais peu Sainte-Adresse, et pas du tout ses hauteurs. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais combler cette lacune car j’ai envie de rester au bord de la mer. Elle est haute, c’est jour de grande marée. Toujours marchant j’arrive à une fourche qui donne le choix. La première branche permet de continuer en bas par la digue du Bout du Monde mais celle-ci est effondrée et son accès barré. La seconde invite à monter sur la falaise mais le chemin s’achève par une boucle qui invite à redescendre. Un chemin de terre s’enfonce néanmoins dans les broussailles mais il est officiellement interdit en raison du risque d’éboulement de cette falaise. Je dois donc revenir sur mes pas.
Redescendu en bord de mer, je trouve à m’asseoir sur une structure en bois d’où, le masque ôté, je peux surveiller l’entrée et la sortie des porte-conteneurs dans le port du Havre. Devant moi passent les sempiternels sportifs et des familles plus ou moins masquées.
Comme il fait bon, je sors le livre emporté, Lettres à Věra de Karel Čapek en édition de poche chez Cambourakis. J’en lis une moitié avant de pique-niquer. Mon café bu, je reprends cette lecture attrayante.
Un deux ans et demi marchant sur la structure en bois descend pour me contourner. Remonté de l’autre côté, il se tourne vers moi :
-Monsieur, il est où papa ?
En voilà une question. Avant que je tente d’y répondre, il aperçoit celui qui, resté en arrière, tape ses chaussures de sport sur le sol pour les nettoyer. Le chérubin rejoint vite ce géniteur plus soucieux de ses godasses que de sa descendance.
Comme nous sommes ici en vacances scolaires, j’en vois d’autres passer, des pères divorcés. L’un d’eux a remplacé sa femme par sa mère pour la promenade au bord de la mer. C’est une famille recomposée d’un genre particulier.
Il est quinze heures quand je termine Lettres à Věra. Je rejoins Le Havre, croisant de plus en plus de monde, dont beaucoup de jeunes, mais aussi des vieux qui ne consentent pas à s’auto-isoler. Des branlotins en maillot plongent du haut d’une sorte de belvédère en bois dominant la mer. A quoi ne faut-il pas se résoudre pour éblouir certaines filles.
D’autres jeunes mâles préfèrent s’affronter au parc à skaite. Près de celui-ci est la station de tram. Je monte dans le premier en attente de départ. Après avoir traversé le centre-ville, je descends à l’arrêt Gares. « Pourquoi il y a un s à gares ? » demande à sa mère un moutard. Ferroviaire et routière, pourrait-elle lui répondre si elle se souciait de sa question.
*
Ce mardi marque le trentième anniversaire de la mort de Serge Gainsbourg. Multiples hommages un peu partout. Assortis de multiples critiques sur le personnage et certaines de ses chansons jugées désormais problématiques. Sa fille Charlotte n’entre pas dans ce jeu-là, qui espère que s’il vivait aujourd’hui il les ferait quand même. J’en doute.
De là, la mer à ma gauche, je marche un certain temps et arrive à Sainte-Adresse, ancienne capitale de la Belgique. La promenade y devient plus chic, avec une moitié pour les vélos et une moitié pour les piétons. Cette dernière est hélas polluée par une quantité de coureuses et coureurs qui expectorent à dix mètres.
Je connais peu Sainte-Adresse, et pas du tout ses hauteurs. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais combler cette lacune car j’ai envie de rester au bord de la mer. Elle est haute, c’est jour de grande marée. Toujours marchant j’arrive à une fourche qui donne le choix. La première branche permet de continuer en bas par la digue du Bout du Monde mais celle-ci est effondrée et son accès barré. La seconde invite à monter sur la falaise mais le chemin s’achève par une boucle qui invite à redescendre. Un chemin de terre s’enfonce néanmoins dans les broussailles mais il est officiellement interdit en raison du risque d’éboulement de cette falaise. Je dois donc revenir sur mes pas.
Redescendu en bord de mer, je trouve à m’asseoir sur une structure en bois d’où, le masque ôté, je peux surveiller l’entrée et la sortie des porte-conteneurs dans le port du Havre. Devant moi passent les sempiternels sportifs et des familles plus ou moins masquées.
Comme il fait bon, je sors le livre emporté, Lettres à Věra de Karel Čapek en édition de poche chez Cambourakis. J’en lis une moitié avant de pique-niquer. Mon café bu, je reprends cette lecture attrayante.
Un deux ans et demi marchant sur la structure en bois descend pour me contourner. Remonté de l’autre côté, il se tourne vers moi :
-Monsieur, il est où papa ?
En voilà une question. Avant que je tente d’y répondre, il aperçoit celui qui, resté en arrière, tape ses chaussures de sport sur le sol pour les nettoyer. Le chérubin rejoint vite ce géniteur plus soucieux de ses godasses que de sa descendance.
Comme nous sommes ici en vacances scolaires, j’en vois d’autres passer, des pères divorcés. L’un d’eux a remplacé sa femme par sa mère pour la promenade au bord de la mer. C’est une famille recomposée d’un genre particulier.
Il est quinze heures quand je termine Lettres à Věra. Je rejoins Le Havre, croisant de plus en plus de monde, dont beaucoup de jeunes, mais aussi des vieux qui ne consentent pas à s’auto-isoler. Des branlotins en maillot plongent du haut d’une sorte de belvédère en bois dominant la mer. A quoi ne faut-il pas se résoudre pour éblouir certaines filles.
D’autres jeunes mâles préfèrent s’affronter au parc à skaite. Près de celui-ci est la station de tram. Je monte dans le premier en attente de départ. Après avoir traversé le centre-ville, je descends à l’arrêt Gares. « Pourquoi il y a un s à gares ? » demande à sa mère un moutard. Ferroviaire et routière, pourrait-elle lui répondre si elle se souciait de sa question.
*
Ce mardi marque le trentième anniversaire de la mort de Serge Gainsbourg. Multiples hommages un peu partout. Assortis de multiples critiques sur le personnage et certaines de ses chansons jugées désormais problématiques. Sa fille Charlotte n’entre pas dans ce jeu-là, qui espère que s’il vivait aujourd’hui il les ferait quand même. J’en doute.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante