Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

6 mai 2021


Si le troisième confinement m’a amené à suspendre ma tchoukovskimania, il n’est cependant pas question que je n’aille pas jusqu’au bout de ma prise de notes effectuée lors de la lecture de son Journal publié chez Fayard.
Pour commencer, ce qui a trait à son intérêt pour le monde anglo-saxon, notamment sa littérature :
Quatorze août mil neuf cent soixante : J’ai lu également – avec effroi et enthousiasme – The Catcher in the Rye de J. D. Salinger. C’est l’histoire d’un gamin de seize ans qui déteste la routine, mais que celle-ci finit par avaler lentement ; bref, c’est son autobiographie. (…) Et quelle écriture ! Quelle ampleur !
Treize janvier mil neuf cent soixante et un : En ce moment je lis Pnine de Vladimir Nabokov. Grand livre à la gloire de l’homme russe, du Juste, plongé dans la vie universitaire américaine C’est une œuvre poétique, intelligente – l’histoire de Timofey Pnine, professeur distrait, immature, ridicule et sublime. Le livre est plein de sarcasmes et d’amour.
Vingt-trois octobre mil neuf cent soixante-quatre : Hier j’ai reçu la visite de John Cheever. Il ressemble énormément à Welles. La même couleur de cheveux, le même sourire, la même taille, le même grain et la même couleur (rose) de peau. Nous sommes restés quatre heures à bavarder, et bien qu’il eût un billet pour aller au Bolchoï, il a préféré manquer les deux premiers actes. Comme j’ai la grippe, j’avais du mal à me tenir assis, j’avais envie de me coucher, mais j’aime tellement Cheever que j’étais content de passer un moment en sa compagnie. En partant, il m’a embrassé.
Douze février mil neuf cent soixante-cinq : Le New Yorker m’a informé que Cheever m’avait abonné à cette publication. Mais je n’ai toujours rien reçu, et je doute de recevoir jamais quelque chose.
Neuf mai mil neuf cent soixante-cinq : Le Times vient de publier un Literary Supplement, petit opuscule reprenant divers articles, dont un sur mon livre Vif comme la vie (qui n’a jamais fait l’objet d’aucune recension en Russie).
Vingt-cinq juillet mil neuf cent soixante-neuf : Nos enseignants apprennent aux élèves que les Américains sont tellement cruels et inhumains qu’ils envoient des gens sur la lune. Vous vous rendez compte, nous, nous envoyons des appareils, de la technique, alors que ces canailles d’Américains envoient des hommes vivants !
Quatre septembre mil neuf cent soixante-neuf : La milice a fait intrusion dans ma datcha pour en chasser les Reeves, qui étaient arrivés avec leurs trois enfants. (James Reeves, auteur notamment de livres pour enfants)
Mercredi dix-sept septembre mil neuf cent soixante-neuf : Une bonne âme américaine m’avait abonné à Life, à Time et à quelques autres revues. J’ai reçu un exemplaire de chaque publication, et depuis – fini. Ceux qui surveillent le courrier à la poste ont bloqué tous les autres numéros.
J’ai fait une petite sieste, et j’ai rêvé de Klara.
 

5 mai 2021


A force de passer, rue Martainville, devant sa porte ouverte, je me décide à entrer dans l’aître Saint Maclou afin de voir à quoi il ressemble maintenant qu’il a été restauré.
C’est bien fait. Il a l’air neuf. Un passage couvert a été créé où sont installés des panneaux racontant l’histoire du lieu, du cimetière de pestiférés à l’école d’art. Il permet d’en sortir ou d’y accéder par la rue Géricault.
Les symboles mortuaires qui décorent les poutres reteintées sont moins visibles qu’avant. En revanche, on ne peut manquer les deux galeries d’art qui s’y nichent désormais, dont la nouvelle ruche de la Reine des Abeilles, aka la Voix de son Maire. Un café nommé Hamlet y est aussi installé, qui aura terrasse je suppose. Ouvrira-t-elle le dix-neuf mai ? Je ne serai pas là pour le voir.
                                                             *
Passage au Crédit à Bricoles où je me plains à la guichetière que l’on ne m’envoie plus mon relevé de compte sur papier mais uniquement via Internet.
-C’est dans le cadre de la campagne de dématérialisation, me dit-elle.
-Vous n’avez pas à prendre ce genre de décision sans mon autorisation, lui réponds-je.
Elle recoche la case me permettant de continuer à le recevoir par la Poste, me considérant comme un vieux con dépassé par la technique quand je lui dis que je n’ai pas de smartphone et que je refuse de consulter mon compte avec mon ordinateur. Comme elle me  vante encore une fois la dématérialisation, je juge utile de la prévenir :
-Dans quelques années, grâce à l’intelligence artificielle, c’est vous qui serez dématérialisée, et vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer.
 

4 mai 2021


Je ne suis pas surpris ce lundi matin de recevoir à l’approche de ma seconde dose d’AstraZeneca un appel de la secrétaire de mon médecin traitant. Elle m’annonce que celui-ci ne sera pas là le jour prévu et me donne un autre rendez-vous une semaine plus tard avec l’un de ses confrères du cabinet médical.
Ce report n’est pas une catastrophe. Il a même l’avantage de me faire passer de la dixième semaine après la première injection à la onzième, ce qui du point de vue de l’efficacité du vaccin est peut-être mieux.
Si toutefois ce vaccin est vraiment efficace. Ce dont je ne suis pas tout à fait sûr, mais comme je voulais être vacciné le plus tôt possible je n’avais que ce choix. Je ne le regrette pas lorsque je vois ce qui est arrivé il y a peu à l’une de ma connaissance, non encore vaccinée.
Retraitée de l’Education Nationale comme moi, vivant seule comme moi, on ne peut plus prudente comme moi, elle a chopé un méchant Covid. Plusieurs jours à trente-neuf de fièvre, un à quarante et un, puis retour à une température normale mais avec une grosse fatigue et la perte de l’odorat. Elle a fait peur à ses ami(e)s.
Où a-t-elle été contaminée ? Elle ne sait pas. Ce qui relativise les dires de ceux recevant du public qui prétendent qu’on ne risque rien chez eux.
 

2 mai 2021


Le troisième confinement s’achève par temps gris et froid. Il est difficile de rester assis sur le banc du jardin. Je ne le fais que peu longtemps, après avoir constaté que la pelouse a été tondue et un certain nombre de plantes ratiboisées, plus aucune fleur, que de la verdure. Je lis, rassemblée en un seul volume, l’entièreté des œuvres de Jean de La Ville de Mirmont, né à Bordeaux et mort au Chemin des Dames en mil neuf cent quatorze à l’âge de vingt-sept ans. Ce volume regroupe ses poésies (sous le titre L’Horizon chimérique, préfacé par son ami François Mauriac), son unique roman Les Dimanches de Jean Dézert et ses nouvelles (sous le titre Contes).
C’est un fac-similé de l’édition mil neuf cent vingt-neuf de la Librairie Bernard Grasset que j’ai acheté avant-guerre un euro chez Book-Off. Avant de le lire, il m’a fallu en couper les pages. Nombreux sont les témoignages d’écrivains d’autrefois se réjouissant d’avoir à couper les pages avant de pouvoir lire. Ce n’est pas mon cas. Tout travail manuel me saoule.
Chassé par quelques gouttes, je prends en compte les dernières décisions gouvernementales, principalement la réouverture des terrasses le dix-neuf mai, en organisant ma prochaine escapade, d’abord réserver une place dans un Tégévé puis trouver chez Airbibi des hébergements avec ouifi.
                                                                *
L’Horizon chimérique a été mis en musique par Gabriel Fauré. Et aussi par Julien Clerc.
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Les Dimanches de Jean Dézert raconte avec une ironie mélancolique la vie routinière d’un employé âgé de vingt-sept ans du Ministère de l'Encouragement au Bien (Direction du Matériel).
Extrait :
Ce fut au Jardin des Plantes que Jean Dézert connut Elvire Barrochet. Il aurait pu, aussi bien, la rencontrer ailleurs. Mais l’histoire ne serait plus la même.
 

30 avril 2021


« Va falloir que tu corriges les inexactitudes de ton compte-rendu de la pub gouvernementale : je te laisse le lien qui va te permettre de la regarder, cette fois attentivement. », m’écrit un fidèle lecteur.
Gasp ! Comment est-ce possible? Contrairement à ce que j’ai écrit hier, on porte le masque dans le spot gouvernemental du cas contact.
Comment ai-je pu penser le contraire ? Je ne sais à quoi attribuer mon erreur. Une hallucination visuelle ? Un ramollissement du cerveau ? Un effet secondaire de la vaccination avec AstraZeneca ?
Je fais amende honorable (comme on dit).
                                                                 *
Un crache d’Airbus tous les jours, entends-je dire encore une fois à propos des trois cents morts quotidiens du Covid en France. On pourrait aussi trouver que c’est peu : à peine plus de trois morts par département. Les mille sept cents morts journaliers d’avant-guerre n’ont jamais été comptés en équivalent catastrophe d’Airbus.
                                                                 *
Ce Maire de Lyon qui prend un congé de paternité pour s’occuper de son quatrième enfant. Etre Ecologiste et avoir quatre enfants. Qui plus est, avoir fabriqué le dernier pendant le Covid.
 

29 avril 2021


Publicité gouvernementale à la télévision : une jeune fille frappe à la porte de son petit ami et le supplie de la laisser entrer. Il refuse. Elle redescend l’escalier rageusement puis arrivée dans la rue se retourne, radieuse, vers la fenêtre du premier étage où lui sourit son chéri. « C’est bien, tu n’as pas craqué, mon bébé », lui dit-elle. « Plus que deux jours », lui répond-il.
Ce garçon est « cas contact » et doit rester enfermé seul. C’est le message.
On peut voir que la fille est sans masque quand elle s’éloigne dans la rue d’une ville où il est obligatoire, De même que la femme arrivant de l’extérieur qui monte l’escalier pendant que l’amoureuse tambourine.
Du côté des publicités commerciales télévisuelles, presque toutes, alors qu’elles montrent des scènes se déroulant actuellement dans des boutiques, des bureaux, des rues animées, ont pour personnages des sans masques.
                                                                *
Vu également la photo de tournage d’un film en cours. Les techniciens sont masqués mais pas les acteurs.
Il doit en être ainsi sur tous les tournages. Aucun film de fiction censé se passer aujourd’hui ne montre tel qu’il est le monde de deux mille vingt et un.
                                                                *
Publicité ou cinéma, dans le monde de l’image animée, le négationnisme règne en maître.
 

27 avril 2021


Passant ce dimanche matin par la Croix de Pierre, je découvre une affiche « A céder » sur la vitrine de La Tonne, cet attachant bar brasserie aux délicieuses frites où eurent lieu plusieurs rencontres Rouen Stockholm.
Le patron n’était pas en forme et son âge estimé peut faire penser à un départ en retraite. A moins que ce soit la conséquence de la fermeture administrative et des difficultés à prévoir la réouverture. L’endroit ne possède pas de terrasse. C’était le dernier café de ce quartier que l’on peut qualifier de populaire, si j’excepte L’Idéale Bar où n’osent entrer que quelques amis du patron.
Y aura-t-il une nouvelle rencontre Rouen Stockholm ? Je n’en suis pas sûr. La situation sanitaire et nos emplois du temps respectifs rendent les choses compliquées. Et puis aussi, le lien avec les amis de là-bas se relâche. Même des lointains la pandémie sépare. Mon dernier mail espérant une réponse date du dimanche vingt-quatre janvier.
                                                                   *
Philippe Sollers invité de Remède à la mélancolie ce dimanche à dix heures sur France Inter. « Je suis résolument hostile à la mélancolie », déclare d’emblée ce bouffon. « Comme je suis innocent, je ne suis pas mélancolique », ajoute-t-il en se revendiquant du bonheur. Quand Eva Bester le titille en lui rappelant qu’il s’est prosterné devant le pape, il répond « J’ai été béni par un saint. J’en ressens les avantages tous les jours ».
                                                                   *
L’après-midi, quatre heures au soleil sur le banc du jardin pour lire d’une traite L’inconnu de la poste de Florence Aubenas. Celle-ci excelle à raconter, d’un ton neutre et par une construction ingénieuse, ce fait divers sorti du lot en raison du rôle qu’on a voulu y faire jouer à Gérald Thomassin, qui fut le rôle-titre du Petit Criminel de Jacques Doillon, aujourd’hui disparu (au sens propre).
 

26 avril 2021


Ce samedi, après avoir achevé sur le banc du jardin ma relecture du Journal de Catherine Pozzi, j’ouvre ma boîte à lettres et ai la surprise d’y découvrir un paquet blanc. Sa forme ne laisse aucun doute sur son contenu : un livre.
Celui-ci est emballé de la même manière que ceux que je réussis à vendre de moins en moins souvent, la faute à une énième augmentation des frais de port en janvier dernier. Il ne peut s’agir du retour de l’un d’eux qui n’aurait pas trouvé son destinataire, pour une raison que je dois taire.
En découvrant l’écriture sur l’emballage, je sais que l’expéditrice travaille à Paris près de la Bastille et j’en devine précisément le contenu.
Il y a quelques jours quand je l’ai avertie de la diffusion sur France Culture d’A voix nue avec Florence Aubenas, laquelle fait partie de son panthéon personnel, elle m’a écrit qu’elle avait envie de lire son dernier livre L’inconnu de la poste. Moi aussi, lui ai-je répondu, songeant que peut-être un jour il me serait possible d’acheter à nouveau des livres à un euro. Ce n’était nullement une suggestion souterraine, mais elle n’a pas laissé passer l’occasion.
« Ce sera sûrement la première fois qu’on lira la même chose en même temps ! », écrit-elle sur la carte accompagnant l’ouvrage.
 

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