Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

7 avril 2022


Ce mercredi, c’est dans le bus Sept que je grimpe, précisément dans l’un de ceux, peu nombreux, qui vont jusqu’à Chef de Baie, pas loin de la Pallice. S’y trouve le port de pêche et une petite plage. L’arrivée se fait devant le restaurant Tonton Louis, le seul présent ici.
Je le contourne pour m’approcher des bateaux de pêche et fais le tour de ce port trop moderne pour être totalement attrayant (hélas le temps n’est plus du Bassin des Chalutiers). Je prends aussi quelques photos de hangars colorés quand aucune voiture n’est garée devant.
J’emprunte ensuite le sentier qui mène à la plage. Celle-ci est dominée par un Bar de la Plage fermé. Au-delà, le sentier douanier mène à la pointe de Chef de Baie puis se poursuit. On peut aller ainsi jusqu’au Vieux Port. Je m’arrête près d’une tour carrée, contemple au loin celles dites de la Rochelle et fais demi-tour.
Un banc est bienvenu au-dessus de la plage où je sors Choses vues tout en regardant une intrépide en maillot se livrer à des exercices de méditation sur le sable. Vite rhabillée, elle s’en va et lui succèdent des marcheurs dans la mer en combinaison. D’autres marcheurs, à bâtons, font du bruit sur le chemin.
Il fait gris et doux mais vers onze heures cela fraîchît un peu. Je retrouve Tonton Louis, y entre réserver une table et demande à la patronne si je peux rester au chaud à une table de l’entrée en attendant l’heure du déjeuner. Elle accepte et me sert un café. Je lis à nouveau Hugo jusqu’à ce qu’une des serveuses vienne me chercher pour me conduire à une table avec vue sur le port.
Je suis venu là pour le buffet de fruits de mer à volonté. Il est proposé au prix de trente-six euros quatre-vingt-dix. J’ajoute huit euros pour six huîtres de Ré et sept euros vingt pour le vin blanc charentais.
Depuis le Covid, on ne se sert plus seul ici. D’aimables serveuses le font à votre place. Dans mes choix successifs : crevettes, écrevisses, bulots, demi-tourteau, couteaux servis chauds et aussi des praires, amandes, clams et palourdes qu’à ma demande on m’apporte ouvertes. Tout est en direct de la criée.
D’autres viennent ici pour les plats de poissons ou pour le homard. A la table voisine un trio déjeune au champagne, dont l’une qui annonce que c’est la première fois depuis deux ans qu’elle ose revenir au restaurant. De temps en temps un bateau entre dans le port.
Il est presque quatorze heures quand pour moi c’est assez.  C’est aussi l’heure du bus du retour (le suivant dans trois heures). J’en suis le seul voyageur au départ. Un peu plus loin deux branlotins échappés d’un lycée y grimpent à leur tour. Ils parlent d’une fille. « Je la suis plus sur Insta, dit l’un, mais sa mère, elle est magnifique. Un jour, elle est venue la chercher au lycée et toute la classe était Ouaouh, c’est qui cette femme ? »
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Ambiance maritime dans les toilettes de Tonton Louis : sirènes de bateaux et cris de goélands.
 

6 avril 2022


Ce mardi matin alors qu’une sorte de brouillasse m’oblige à utiliser mon vêtement de pluie pour la première fois, les arcades rochelaises prouvent leur utilité et c’est peu mouillé que j’arrive à hauteur de la place de Verdun au Café de la Paix.
Cet établissement classé Monument Historique est quasiment désert à mon entrée. Aussi puis-je, avec l’accord des garçons, en photographier l’intérieur, murs à miroirs, grands lustres rococos, plafonds décorés de stucs et peintures florales, avant de commander un café verre d’eau à deux euros. Peu après arrivent des habitué(e)s à café et des couples de passage à petit-déjeuner. Tandis que l’un des garçons sert, l’autre fait briller.
Le Café de la Paix a été construit en mil huit cent cinquante-deux à l'emplacement d'un établissement hospitalier édifié en mil sept cent douze sur les plans de l'ingénieur militaire Claude Masse et de diverses maisons dont une partie servait déjà de café militaire depuis le début du dix-neuvième siècle. Il a été réaménagé vers mil neuf cent par le dénommé Carache. La salle du café, avec son décor Belle Epoque, a été restaurée en mil neuf cent trente et un.
L’un de ses clients célèbres fut Georges Simenon, quand, à l’âge de vingt-neuf ans, il loua près de là, à Marsilly, une gentilhommière nommée La Richardière où il resta deux ans.  A cette époque, il possédait deux loups qu’il promenait en laisse comme des chiens dans le village, jusqu’à ce qu’il soit obligé de s’en débarrasser.
C’est en sulky, tiré par un cheval, et traversant les champs de blé et de colza, ce qui lui causait des soucis avec les paysans, que Simenon se rendait à La Rochelle. On a rescellé un anneau sur le mur du Café de la Paix à l’endroit où il avait l'habitude d'attacher son cheval, mais le vrai est entre les mains de la fille du propriétaire.
L’écrivain laissait traîner ses oreilles sous les lustres. Je fais de même mais sans succès car mes voisins sont trop loin. De plus, une radio couvre les paroles des uns et des autres. Elle permet à l’un des garçons de chanter L’amour à la machine avec Alain Souchon.
Dans ce cadre enchanteur, je lis longuement Choses vues de Victor Hugo, espérant une éclaircie qui ne vient pas. Il semble que l’on soit parti pour passer la journée dans un brumisateur.
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Et ce crachin est toujours de mise quand je rejoins L’Ardoise pour y déjeuner de son menu du jour : petite salade grecque, boudin noir aux deux pommes et tarte abricot amandes. Ma surprise est de découvrir que la petite serveuse à queue de cheval est la fille des jeunes tenanciers. Elle est aujourd’hui vêtue de son ticheurte noir Opération Requiem de défenseuse des animaux marins.
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Je suis un homme qui pense à autre chose. (Victor Hugo, Choses vues)
 

5 avril 2022


Ma carte Yélo dix voyages étant restée vierge depuis l’incident de la Gare où elle fut avalée par un automate, il est temps de l’utiliser. Ce que je fais ce lundi matin en montant dans le bus Illico numéro Un qui a pour but le lointain port de commerce de La Pallice. J’en descends au terminus, Magasins Généraux, sur un long boulevard arboré, au milieu de nulle part.
Je vais du côté où je devine une grue, sans illusions sur la possibilité de m’en approcher car depuis plusieurs années l’ensemble de la zone portuaire est bouclée, hauts grillages, caméras, portillons tournants, badges obligatoires.
C’est bien une grue. Au loin j’entrevois des bateaux. En face est un ancien hôtel jouxté de bâtiments abandonnés et graffés. Une jeune femme qui sort des cartons me dit que je ne verrai rien de plus. Je lui demande si elle sait où est le restaurant Hangar Vingt-Sept. A l’autre bout du boulevard, vers la place du Marché où je ne verrai pas de marché.
En chemin je m’arrête pour photographier un curieux bâtiment en forme de carapace quand arrive celui que je devine être son responsable. J’apprends qu’il s’agit de la Scène de Musiques Zactuelles de La Rochelle. Je lui dis que c’est curieux qu’elle soit aussi excentrée. « Elles le sont toutes », me répond-il. « Je suis de Rouen et ce n’est pas le cas. »  Il connaît le Cent Six, qu’il prétend loin du centre. « On peut y aller à pied, ici ce n’est pas possible. ». Ce têtu ne veut pas l’admettre. Je lui demande où est le Hangar Vingt-Sept. Plus loin. Près du marché. En contrebas.
Il me faut l’aide d’une troisième personne pour le trouver, coincé qu’il est entre des bâtiments protégés par des grillages et des pylônes à haute tension. J’y entre pour réserver une table à midi et m’y installe pour boire un café à un euro cinquante.
C’est un beau bâtiment à la structure en bois. Au comptoir s’affaire une dame chaleureuse et gouailleuse qui pourrait s’appeler Annie. Quand j’ai appris à celle qui travaille à Paris que j’allais à La Rochelle, elle m’a tout de suite dit « Chouette, tu vas pouvoir retourner chez Annie ». « Tu es sûre que c’était à La Rochelle ? Ce n’était pas plutôt à Saint-Nazaire ? » Chez Annie est le nom d’un restaurant routier où nous avons passé un très bon moment. Renseignement pris, c’est elle qui avait raison, Annie et son restaurant étaient dans le port de la Pallice, étaient car c’est fini hélas, la faute au bouclage du port. « Chez Annie à l’agonie », a titré Sud-Ouest en deux mille onze. « Pris au piège dans la zone portuaire, privé de sa clientèle, le restaurant d'Annie Marchesseau est condamné. »
Ce Hangar Vingt-Sept, dont j’ai eu vent par Tripadvisor, est donc une sorte de succédané. « Difficile à trouver », précisent les critiques. J’y lis Hugo un bon moment en écoutant la fausse Annie discuter avec les routiers et autres qui viennent boire un café. « Faut voter pour les petits, leur dit-elle, faut voter Arthaud, faut voter Poutou, pour qu’ils soient remboursés de leurs frais. » Au bout d’un moment, j’en suis certain, cette fausse Annie est la vraie. J’en ai la confirmation. Elle fait partie du personnel qui a été embauché pour ce nouveau restaurant créé par Port Atlantique La Rochelle.
Vers onze heures, je tente à nouveau de voir ce qui se passe dans ce foutu port où des panneaux souhaitent la bienvenue en toutes les langues mais où ne peuvent entrer que les professionnels. Impossible de voir la queue d’un bateau de ce côté-là, alors je parcours les rues du quartier, passe près de l’esthétique bâtiment du marché, découvre un pittoresque Café Populaire « alimentation » casse-croûte » (fermé pour travaux jusqu’au deux mai) et termine par l’Intermarché tout neuf construit près d’une ancienne cheminée d’usine en briques rouges.
A midi une table m’attend au Hangar Vingt-Sept. Annie a cédé la place à une équipe de femmes rodées au service du déjeuner. J’opte pour le menu complet : buffet d’entrées, andouillette sauce aux cèpes avec frites et dessert en libre-service, avec un quart de vin rouge, tout cela pour seulement quinze euros quatre-vingt-dix. Le Hangar Vingt-Sept est vite complet, des camionneurs, des ouvriers du port, des employés d’ailleurs. Mon voisin mange avec son ordinateur.
Pour rentrer j’attends le bus Illico numéro Un à l’arrêt Air Liquide et à quatorze heures pile je m’installe au soleil à la terrasse du Bistro du Gabut où mon café et mon verre d’eau ne mettent pas trente secondes à m’être livrés.
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« Mon lit n’est pas fait, j’te préviens, et y a du bordel partout », entends-je ma voisine dire à l’homme qu’elle ramène chez elle à onze heures du soir ce dimanche. Une fois la porte fermée je n’entends plus rien, hormis les aboiements de son chien, un petit modèle qui gueule dès qu’il y a un imprévu.
 

4 avril 2022


Rochefort, ville chargée d’Histoire, est mon étape dominicale. Je descends du car Neuf devant sa belle Gare située place Françoise-Dorléac. Par la rue Henri-Laborit (il fut ici médecin à l’Hôpital de la Marine, tout comme Victor Segalen), je rejoins l’ancienne Ecole de Médecine Navale, un bâtiment devenu privé dont je fais une photo à travers les grilles. Après le cours d’Ablois, j’arrive à l’endroit où se tient chaque premier dimanche du mois une brocante de professionnels à laquelle s’adjoignent des particuliers. J’aperçois quelques livres mais il y a trop de monde pour que j’aie envie d’en faire le tour.
Une rue perpendiculaire (elles le sont quasiment toutes les unes aux autres) me permet de rejoindre le bord de la Charente où devrait être amarrée l’Hermione mais celle-ci, gravement atteinte par un champignon, est en cure au Pays Basque. Un périscope géant se montre un peu là. Longeant cette paisible rivière, j’arrive à la Corderie Royale qu’il est impossible de faire entrer dans une seule photo.
Dans un beau bâtiment à proximité d’icelle, qui autrefois accueillait les soldats surveillant l’Arsenal est un restaurant nommé Les Longitudes et comme il est midi et qu’il y a de petites tables dehors sous les arcades, je demande à occuper l’une d’elles au grand étonnement du personnel qui trouve qu’il fait froid. Il y a pourtant un peu de soleil. Et une belle vue sur l’entrée de la Corderie, la Charente, les familles du dimanche et une tour penchée. Je mange là un burgueur basique à douze euros cinquante, accompagné d’un quart de bordeaux rouge à cinq euros, et le fait suivre d’un café à un euro quatre-vingts.
Après ce repas sommaire, je continue le long de la Charente, passe à côté de la Médiathèque Erik Orsenna (un honneur que je juge immérité) et arrive au port de plaisance. Les nuages se faisant de plus en plus présents, je regagne le centre de la ville par le plus court chemin, dédaignant la maison de Pierre Loti, un auteur qui ne m’a jamais enthousiasmé.
Un autochtone m’apprend que des cafés, j’en trouverai près de l’Hôtel de Ville. En effet, deux grosses brasseries se font face sur la place dont les jets d’eau sont absents, Colbert et Les Demoiselles (celle-ci datant du film de Jacques Demy).
Pour une raison de lumière, je choisis Colbert. La bourgeoisie locale est en plein repas, mais on me laisse occuper une table pour un café à un euro soixante. Je reste longtemps, au chaud, à lire Victor Hugo, dans cette ville synonyme pour lui de malheur, puis, avec dix minutes d’avance, je vais attendre le car du retour à l’arrêt Roy Bry, pas loin de la brocante qui remballe avant l’heure.
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Moyennant finances, on peut visiter la Corderie Royale en long et en large, surtout en long : trois cent soixante-quatorze mètres.
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On trouve aussi à Rochefort le Conservatoire du Bégonia (il en abrite la plus grande collection au monde).
Le bégonia doit son nom à Michel Bégon. Grand intendant de Colbert et assainisseur de Rochefort, il finança l’expédition du père Plumier qui rapporta d’Amérique cette nouvelle plante. Une information que j’aurai vite oubliée.
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Outre Pierre Loti, qui donne son nom à un collège (est-ce bien raisonnable ?), sont nés à Rochefort Maurice Merleau-Ponty et Dominique Aury (cette circonstance est-elle responsable de son goût pour le masochisme ?). Maurice Renard y est mort, banalement, d’une congestion pulmonaire.
 

3 avril 2022


A la hauteur de la plage de la Concurrence et perpendiculairement à celle-ci s’étend un vaste espace plus ou moins naturel qui remonte jusqu’à une gare secondaire. Cette sorte de coulée verte rochelaise s’appelle le Parc Charruyer et est malheureusement traversé dans sa largeur par des routes à voitures. J’y entre ce samedi matin, à l’abri du vent et sous un ciel bleu.
Je croise d’abord quelques animaux, dont des poules de Marans et un baudet du Poitou qui a envie d’être mon ami. Je caresse son nez blanc avant de voir l’écriteau qui annonce que ça mord. Il braie quand je m’éloigne pour longer une petite rivière dont j’ignore le nom. Près d’icelle sont les locaux de la Boule Rochelaise et du Palet Rochelais, ainsi qu’une statue d’un très ancien Maire, Pierre Doriole. Les garde-fous des ponts sont en béton imitation bois. Ils me rappellent ceux du jardin public de Louviers, un des rares lieux de sortie familiale lorsque j’étais enfant.
Avant d’atteindre la gare, je reviens sur mes pas puis, à partir de la Concurrence, suis le bord de la mer jusqu’à la tour de la Chaîne et le cours des Dames connu pour ses restaurants de piètre qualité. Un échappe à la mauvaise réputation, un italien nommé La Storia, où je réserve une table pour le déjeuner avant d’aller lire au Bistro du Gabut orienté plein sud et à l’abri du vent.
A midi je prends place sous l’auvent de La Storia où il fait presque froid. La serveuse qui apporte mon quart de vin rouge charentais me trouve courageux.
-Je vous sers votre vin ? me demande-t-elle
-Si vous me le proposez, allez-y.
-Vous voulez m’exploiter jusqu’au bout, c’est ça ? Je ferais comme vous.
Le reste du personnel est masculin et également jeune et sympathique. Je commande une pizza nommée La Truffée composée de crème de champignons truffée et échalotes, fior di latte, champignons frais, speck (jambon italien), burrata, noix torréfiées et huile de truffe. Elle a belle allure et est fort bonne. Pour dessert, ce sera le tiramisu di Sabrina, l’authentique (biscuit au café, mascarpone, amaretto). Celui-ci est bon sans être remarquable.
Les tables sous l’auvent sont maintenant toutes occupées. Près de moi sont quatre garçons et deux filles. Il est question de commander des pizzas. Qui est pour ? « Moi je suis chaud », dit l’une des filles. Aucune fille ne fera l’accord au féminin dans ce cas. Pour ma part, j’ai moins froid quand je quitte cette bonne adresse après avoir réglé vingt-sept euros cinquante.
Sur le Cours des Dames sont installées les guérîtes où l’on vend les billets pour les excursions en mer. Constatant que pour aller à l’Ile d’Aix, c’est trente euros si l’on veut y rester plus que quelques heures, alors que l’on doit déjà se fader le tour de Fort Boyard (vu à la télé) et subir le baratin d’un commentateur durant toute la traversée, je renonce à mon idée d’employer ce moyen pour revoir cette délicieuse petite île dont il me restera un souvenir lointain et confus.
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Le baudet du Poitou, très brun, très poilu, un mètre cinquante, quatre cent cinquante kilos, a failli disparaître. Il n’en restait que quarante-quatre en mil neuf cent soixante-dix-sept. Ils sont maintenant deux mille quatre cent quarante.
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Ce baudet du Poitou me fait penser, malgré moi, à ce baudet de Poutou. Ce qui n’est pas gentil. « Si l’Otan avait été dissolu », l’entends-je dire à la télé dans l’après-midi.
 

2 avril 2022


La briocherie Sicard, ce premier avril, n’a pas loupé le début de la haute saison en passant son petit-déjeuner « détente » de quatre euros cinquante à cinq euros trente, une augmentation de dix-huit pour cent, que l’on m’annonce une fois la commande posée sur le plateau, bien obligé d’obtempérer.
Sorti de là, je me dirige vers la Gare et attends cette fois le car numéro Quatre. Il conduit à Surgères. Son terminus est Place du Château. C’est précisément celui-ci qui m’attire dans cette petite ville de l’intérieur que j’ai traversée avec le Tégévé.
Le ciel est bleu à l’arrivée mais il fait frais. Je suis seul pour découvrir le mur d’enceinte et les bâtiments construits à l’intérieur à des époques ultérieures et différentes, dont le logis seigneurial de la famille de La Rochefoucauld qui abrite aujourd’hui la Mairie et l’église Notre-Dame dont la façade émerveillait Prosper Mérimée.
Quand arrive un groupe de retraités masqués en visite guidée, il est temps de repasser le pont-levis qui ne peut plus être relevé. Les quelques rues piétonnières de ce bourg austère sont en gros travaux. Je vais jusqu’à la Halle du Marché puis prends la fuite devant le bruit de la pilonneuse.
En bas du Château coule la Gères, petite rivière qui donne son nom à Surgères. Un chemin champêtre permet de la suivre un moment. Ce que je fais, puis le vent froid soufflant de plus en plus fort, je reviens en ville et entre au Victor Hugo, place de l’Europe (cette adresse lui aurait plu), pour me réchauffer d’un café à un euro quarante, mais je ne peux y rester pour lire Choses vues car ce troquet est étroit et très fréquenté par les locaux. J’y crains le Covid.
Je passe au restaurant Le Manuel, face au Château, et obtiens de la sympathique patronne de venir y déjeuner dès midi moins le quart afin d’être sûr d’attraper le car de treize heures pour La Rochelle. En attendant, malgré le froid, sur un muret un peu abrité, je lis Hugo dans le parc du Château.
A l’heure dite, je pousse la porte de ce restaurant au mobilier démodé et à la décoration désuète. On y propose un menu du jour à treize euros cinquante. C’est d’autant plus méritoire qu’il n’y a aucune concurrence. J’opte pour le hareng pommes tièdes, la brandade de morue et la tarte au citron maison. La liaison avec la cuisine se fait par le biais d’un passe-plat dans lequel la patronne et son serveur passent la tête pour donner leurs ordres. Peu à peu, la salle se remplit de couples ou de duos qui ont l’air eux aussi d’être des années soixante-dix ou quatre-vingt. Avec le quart de vin blanc et le café, mon addition ne s’élève qu’à dix-huit euros.
Evidemment je suis en avance sous l’abribus et je me pèle en attendant le Quatre.
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Prosper Mérimée, de passage à Surgères : Bien que blasé, j’ai trouvé à m’extasier devant son église ; je ne trouve rien de plus beau que sa façade.
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Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle ! »
Ce sonnet fut écrit pour Hélène de Fonsèque, fille du baron de Surgères.
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
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Ces noms de lieu qui vous font rêver quand vous les lisez sur un horaire de car et qui sont ceux de villages sans âme. Exemple, entre Surgères et La Rochelle : Aigrefeuille d’Aunis.
                                                                         *
Ouverture de la haute saison, L’Amiral Café et le Bistro du Gabut ont installé leurs extensions de terrasses de l’autre côté du quai Georges-Simenon, juste au-dessus des bateaux, des tables qui restent inoccupées en raison d’une température de basse saison.
 

1er avril 2022


Ce jeudi, dès que le soleil pointe un peu ses rayons, je décide de faire le tour du Bassin des Chalutiers, entièrement visible de ma fenêtre et rebaptisé sur le plan distribué à l’Office du Tourisme, Bassin des Grands Yachts, puisqu’il est devenu le lieu de garage des plus grands bateaux de plaisance depuis la mise en service du port de Chef de Baie pour les pêcheurs, loin du centre de la Rochelle.
De ma fenêtre ouverte, je fais une première photo avec en arrière-plan l’Aquarium puis descendu sur le quai Georges Simenon, je marche vers ce bâtiment plein d’animaux marins où je n’ai pas envie d’entrer. Après le parvis Eric Tabarly le quai longe d’anciens hangars reconvertis en lieu culturel et conduit au Musée Maritime dont l’architecture m’évoque une chenille colorée. Une partie de ce Musée est à flot sous forme de bateaux d’un autre temps.
Je traverse le bassin par une passerelle dont la partie centrale peut se lever afin de laisser passer les grands yachts, puis je reviens par le quai d’en face qui mène au pont-levant du Gabut et voilà le circuit accompli.
Les tables du Bistro du Gabut sont au soleil quand j’y prends place et un café verre d’eau. Pour démentir mon propos de la veille, on y parle réchauffement climatique et montée des eaux. Un client vient de voir le Maire qui parle là derrière. Il a mis sa cravate rouge. Y a des caméras et tout le bordel. « C’est pour un exercice de submersion », explique le patron qui est bien renseigné. Une partie de La Rochelle est menacée par la montée des eaux prévue dans quelques décennies et au moins la moitié de l’Ile de Ré doit être noyée, celle où prolifèrent les célébrités.
Trois employés des espaces verts arrivent pour nettoyer le pied de l’arbre qui fait le coin de la terrasse. Pour quatre mètres carrés à désherber, ils utilisent un coupe herbe à fil et une souffleuse. Le calme revenu, je retrouve Victor Hugo.
Il fait un peu trop frais pour déjeuner dehors près de la Gare, aussi est-ce à l’intérieur de L’Ardoise que je me présente à midi pile. Je fais bien car de nombreuses tables sont réservées. Ce restaurant mal situé est apprécié pour son menu du jour qui en est vraiment un, pas comme les plats du jour de certains restos du Gabut qui sont en réalité des plats de tous les jours : filet de merlu ou faux filet.
La décoration intérieure de L’Ardoise est agréable et le jeune couple qui le tient est chaleureux, tout comme leur petite serveuse. Aujourd’hui, c’est œuf mollet florentine, lasagnes de poisson salade verte et charlotte au citron et morceaux de fraise, à quoi j’ajoute un quart de vin blanc charentais. La sono diffuse les tubes anglo-saxons des années cinquante et soixante. Une musique tout à fait appropriée. La Sweet Little Sixteen à queue de cheval qui me demande si tout va bien pourrait s’appeler Peggy Sue.
A l’issue de ce bon moment, je prends le café sous le soleil au Bistro du Gabut. Quand apparaissent les nuages gris et que les premières gouttes tombent, j’apprécie de résider au-dessus du bar.
                                                                     *
Pendant ce temps-là Macron n’était pas loin, apprends-je sitôt rentré. A Fouras, un lieu où j’envisageais d’aller en train pour ensuite rejoindre la pointe de la Fumée et prendre le bac pour l’Ile d’Aix, mais hormis l’été aucun transport collectif ne fait la liaison entre la gare et l’embarcadère, distants de huit kilomètres. Il m’a fallu renoncer.
Si je l’avais pu, cela aurait été en ce mois de mars, pendant la basse saison, où le bateau est à dix euros. Dès le premier avril, début officiel de la haute saison, il passe à quinze euros.
                                                                    *
Il n’y a pas de moyenne saison à La Rochelle et ses environs.
 

31 mars 2022


Ce mercredi, en attendant de voir comment le temps tourne, j’organise peu ou prou la suite de mes pérégrinations puis quand il s’avère que ce sera meilleur que prévu, je fais le tour d’un Vieux Port de plus en plus touché par les travaux. Passé sous la Grosse Horloge, je remonte la rue aux arcades jusqu’à la laide Cathédrale devant laquelle ont également lieu des travaux. En face d’elle sont deux tirettes du Crédit à Bricoles où je me procure du liquide (comme on dit).
Revenu au Vieux Port, je constate que le restaurant où je songeais à déjeuner est fermé exceptionnellement jusqu’au premier avril. Je passe alors au pied de la Tour de la Chaîne pour effectuer la promenade de peu d’effort baptisée balade Jean-Louis Foulquier.
En contre-bas des remparts, elle est malheureusement jouxtée d’un parquigne qui n’aurait pas lieu d’être. On y rencontre un bâtiment de bois (fermé quand je passe devant) où peuvent s’exprimer des artistes en devenir dans la perspective d’un passage aux Francofolies puis une école de voile également en bois (fermée elle aussi). Le chenal interdit d’aller plus loin. Je boucle la boucle en revenant vers la Tour de la Chaîne et assiste à la courte traversée de la navette électrique Yélo qui va et vient, pour le prix d’un ticket de bus, entre cette Tour et l’Aquarium.
C’est à pied que je vais de son point de départ à son point d’arrivée, contournant le port pour revenir vers mon logis temporaire et m’installer face à l’Aquarium au Bistro du Gabut pour un café lecture. Près de moi sont deux artistes dont le jargon m’exaspère : « La copine qui nous a accompagnés sur le début de la créa ». Ils portent des bonnets qui donnent une tête de gland.
A midi, je retourne déjeuner au japonais à volonté nommé Cusine Yuzi. J’ai derrière moi trois femmes que je suppose être des enseignantes. Elles organisent un futur évènement culturel dont le point culminant sera une conférence gesticulée. « C’est bien, t’apprends des trucs et en plus tu rigoles. »
Le soleil est toujours là quand j’en sors, certes un peu voilé par des nuages. Je retrouve la terrasse du Bistro du Gabut. Après un couple d’Allemands venu manger une omelette, c’est un jeune homme qui s’installe à ma gauche, lisant Big Sur de Jack Kerouac dans la collection Folio, tandis que le patron derrière nous raconte les faits divers dont il a été la victime : cambriolages de son bar et de sa maison, voiture retrouvée sans roues et sur cales, etc.
                                                                     *
Il y a tous ces zonards à chiens, la voix mielleuse quand ils demandent un brin de monnaie, ceux-là tu sais ce qu’ils pensent de toi, que tu donnes ou pas. Il y a aussi les mendiants classiques assis sous les arcades, dont l’un près des tirettes du Crédit à Bricoles, bien poli quand il demande une pièce ou une cigarette, puis insultant à voix basse ceux qui passent sans donner : « Connard » « Enculé ».
                                                                     *
De passage dans le port, conduit par un barbu chevelu, diffusant une musique tonitruante, un campigne car sur la cloison duquel est inscrit à la peinture sommaire : « Service de musicothérapie universel et poivre ».
                                                                      *
Guerre, pandémie, sècheresse, réchauffement, pénuries, tout va mal. Dans les conversations de la vie quotidienne, personne n’en parle.
 

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