Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
25 août 2022
Avec un jour d’avance sur ma routine hebdomadaire, je monte dans la voiture Cinq du train Nomad pour Paris. Cela sent la rentrée des navetteurs ce mardi dans le sept heures vingt-quatre. Peu de places restent libres, j’ai une voisine à ma droite. Elle cache ses yeux derrière un masque. Je cache mon nez et ma bouche avec le mien puis entreprends la lecture de Sérotonine de Michel Houellebecq. Mon exemplaire de poche J’ai Lu est un peu abimé, je l’ai trouvé dans une boîte à livres rouennaise.
Un bus Vingt-Neuf me conduit à la Bastille d’où je rejoins pédestrement le Marché d’Aligre. Aucun vendeur de livres ne s’y trouve. Après un café au comptoir d’un bar tabac dont j’oublie de regarder le nom, je rejoins le Book-Off de Ledru-Rollin où des livres à un euro m’attendaient : Une éducation polonaise de Louis Degley (Les Cahiers Rouges / Grasset), le premier tome de Carnets de Léonard de Vinci (Tel / Gallimard), Aquarelles d’Henry Miller (Arléa), La peau dure de Raymond Guérin (Finitude), Un malheur absolu de la mère du révérend Jôjin (Le Promeneur) et Bréviaire des petits plaisirs honteux de Charles Haquet et Bernard Lalanne (JBZ & Cie). J’y ajoute, vendu sept euros, « Chacun cherche son paradis… » Correspondance choisie de Friedrich Glauser (Editions d’en bas).
Il est onze heures quand j’en sors. Sur un banc du boulevard Richard-Lenoir, je poursuis avec grand intérêt la lecture de Sérotonine jusqu’à ce qu’il soit l’heure d’entrer au café restaurant Le Paris. J’y suis accueilli comme un quasi habitué. La patronne me demande d’où vient mon bronzage. « De Normandie », lui réponds-je. Ah, elle aussi est Normande. Oui mais de Lisieux. La formule du jour à treize euros quatre-vingt-dix est copieuse et bonne : bricks de poireaux, salade et filet mignon moutarde à l’ancienne, tagliatelles.
Le temps est lourd ce jour mais on sent que l’orage n’éclatera pas. Je me rends au Port de l’Arsenal où je lis jusqu’à quatorze heures près de jeunes actives et actifs à nourriture saine. L’un se réjouit d’une soirée à venir avec Melocoton, sa peute transgenre.
Un bus Vingt-Neuf me conduit jusqu’à l’Opéra Garnier d’où je rejoins le Book-Off de Quatre-Septembre. Un seul livre à un euro m’y attendait : Journal de Kurt Cobain (Dix/Dix-Huit).
Le temps est toujours lourd quand, à la terrasse du Bistrot d’Edmond, je continue à lire Houellebecq. Ce roman me plaît fort dans lequel l’écrivain revient à son sujet de prédilection, les affres de la vie affective et sexuelle masculine. Près de moi se trouve un jeune trio. L’une des deux filles soudain s’agite, réclamant à grand cri un verre d’eau. Il s’agit de secourir une abeille tombée dans son coquetèle et engluée dans le sucre. Le lavage de l’insecte conduit à sa mort, dont la jouvencelle a du mal à se remettre (m’étonnerait pas que cette abeille ait été une guêpe).
Pour quarante centimes de plus, j’ai une place en première classe dans le train du retour, de quoi poursuivre confortablement ma lecture.
Un bus Vingt-Neuf me conduit à la Bastille d’où je rejoins pédestrement le Marché d’Aligre. Aucun vendeur de livres ne s’y trouve. Après un café au comptoir d’un bar tabac dont j’oublie de regarder le nom, je rejoins le Book-Off de Ledru-Rollin où des livres à un euro m’attendaient : Une éducation polonaise de Louis Degley (Les Cahiers Rouges / Grasset), le premier tome de Carnets de Léonard de Vinci (Tel / Gallimard), Aquarelles d’Henry Miller (Arléa), La peau dure de Raymond Guérin (Finitude), Un malheur absolu de la mère du révérend Jôjin (Le Promeneur) et Bréviaire des petits plaisirs honteux de Charles Haquet et Bernard Lalanne (JBZ & Cie). J’y ajoute, vendu sept euros, « Chacun cherche son paradis… » Correspondance choisie de Friedrich Glauser (Editions d’en bas).
Il est onze heures quand j’en sors. Sur un banc du boulevard Richard-Lenoir, je poursuis avec grand intérêt la lecture de Sérotonine jusqu’à ce qu’il soit l’heure d’entrer au café restaurant Le Paris. J’y suis accueilli comme un quasi habitué. La patronne me demande d’où vient mon bronzage. « De Normandie », lui réponds-je. Ah, elle aussi est Normande. Oui mais de Lisieux. La formule du jour à treize euros quatre-vingt-dix est copieuse et bonne : bricks de poireaux, salade et filet mignon moutarde à l’ancienne, tagliatelles.
Le temps est lourd ce jour mais on sent que l’orage n’éclatera pas. Je me rends au Port de l’Arsenal où je lis jusqu’à quatorze heures près de jeunes actives et actifs à nourriture saine. L’un se réjouit d’une soirée à venir avec Melocoton, sa peute transgenre.
Un bus Vingt-Neuf me conduit jusqu’à l’Opéra Garnier d’où je rejoins le Book-Off de Quatre-Septembre. Un seul livre à un euro m’y attendait : Journal de Kurt Cobain (Dix/Dix-Huit).
Le temps est toujours lourd quand, à la terrasse du Bistrot d’Edmond, je continue à lire Houellebecq. Ce roman me plaît fort dans lequel l’écrivain revient à son sujet de prédilection, les affres de la vie affective et sexuelle masculine. Près de moi se trouve un jeune trio. L’une des deux filles soudain s’agite, réclamant à grand cri un verre d’eau. Il s’agit de secourir une abeille tombée dans son coquetèle et engluée dans le sucre. Le lavage de l’insecte conduit à sa mort, dont la jouvencelle a du mal à se remettre (m’étonnerait pas que cette abeille ait été une guêpe).
Pour quarante centimes de plus, j’ai une place en première classe dans le train du retour, de quoi poursuivre confortablement ma lecture.
24 août 2022
Quand D. sombrera dans la maladie mentale, Teresa deviendra la troisième compagne de Simenon et l’accompagnera jusqu’à sa mort. Une qui ne vivra pas bien cette situation, c’est la fille de l’écrivain :
Je sais que Marie-Jo en est jalouse. Elle me l’avoue indirectement.
-Pourquoi, Dad, ne pourrais-je pas jouer le même rôle qu’elle près de toi ?
Depuis sa plus petite enfance, elle m’a voué un véritable culte auquel elle se raccroche. Elle n’ignore rien des relations humaines, car elle a été élevée librement, comme ses frères, Elle n’ignore pas non plus, car elle a l’œil et l’oreille partout, y compris à l’office, où l’on parle assez crûment, certains aspects de notre vie intime, à Teresa et moi.
Elle répétera souvent, néanmoins, au cours des années, à ma grande gêne :
-Pourquoi pas moi ?
N’a-t-elle pas exigé, à huit ans, que je lui achète une alliance dont elle devait connaître la signification et ne la portera-t-elle pas jusqu’à bout ?
En mil neuf cent soixante-huit, Marie-Jo sera violée :
Elle s’est retirée un moment dans une salle de bains quand un ami de Marc y a pénétré et a abusé d’elle sans toutefois aller jusqu’au bout. Cette scène, Marie-Jo la racontera plus tard dans les cahiers intimes qu’elle m’a confiés.
Le lendemain ou le surlendemain, alors qu’elle se trouve seule dans l’appartement de Marc, le même ami y entrera et, sur le lit de son frère, cette fois, fera complètement d’elle une femme.
Un événement commenté ainsi par l’écrivain :
Tu as eu dix-sept ans. Tu as eu une première expérience sexuelle décevante, dans une salle de bains, avec un homme séduisant, certes, mais qui va de femme en femme en semant des enfants, comme un coucou, au petit bonheur. J’aurais tant souhaité, pour toi, une initiation autre que celle que tu as connue ainsi, par une nuit de folie générale, entre un cabinet et un lavabo alors que vont et viennent des gens plus ou moins ivres !
Le huit février mil neuf cent soixante-quatorze, Marie-Jo revient à la charge :
Comme Teresa nous a laissés seuls, à son habitude, tu me regardes presque durement et j’ai peur de comprendre.
Tu me dis en effet, comme étouffant ta colère :
-Pourquoi elle et pas moi ?
-Tu ne comprends pas, ma petite fille ?
-Comprendre quoi ?
Je te désigne le lit.
-Teresa partage tout de ma vie.
-Et alors ? Tout ce qu’elle fait pour toi, je peux le faire, non ?
J’ai toujours craint ce que je découvre soudain. Tu me montres l’anneau d’or que tu m’as demandé quand tu avais huit ans, que tu as fait élargir plusieurs fois et que tu portes encore, que tu porteras même après que…
Même après que Marie-Jo se tire une balle dans le cœur, le dix-neuf mai mil neuf cent soixante-dix-huit. Elle avait vingt-cinq ans.
*
Une phrase me revient pendant que j’écoute leurs voix au téléphone. Je ne me souviens pas si je l’ai écrite ou si je l’ai lue je ne sais où :
-Chaque fois que nous faisons un enfant, nous nous donnons un juge., écrit aussi Simenon dans son livre confession.
*
Publié en mil neuf cent quatre-vingt-un, Mémoires intimes est un bon exemple de ce que l’autocensure empêche d’écrire aujourd’hui.
Je sais que Marie-Jo en est jalouse. Elle me l’avoue indirectement.
-Pourquoi, Dad, ne pourrais-je pas jouer le même rôle qu’elle près de toi ?
Depuis sa plus petite enfance, elle m’a voué un véritable culte auquel elle se raccroche. Elle n’ignore rien des relations humaines, car elle a été élevée librement, comme ses frères, Elle n’ignore pas non plus, car elle a l’œil et l’oreille partout, y compris à l’office, où l’on parle assez crûment, certains aspects de notre vie intime, à Teresa et moi.
Elle répétera souvent, néanmoins, au cours des années, à ma grande gêne :
-Pourquoi pas moi ?
N’a-t-elle pas exigé, à huit ans, que je lui achète une alliance dont elle devait connaître la signification et ne la portera-t-elle pas jusqu’à bout ?
En mil neuf cent soixante-huit, Marie-Jo sera violée :
Elle s’est retirée un moment dans une salle de bains quand un ami de Marc y a pénétré et a abusé d’elle sans toutefois aller jusqu’au bout. Cette scène, Marie-Jo la racontera plus tard dans les cahiers intimes qu’elle m’a confiés.
Le lendemain ou le surlendemain, alors qu’elle se trouve seule dans l’appartement de Marc, le même ami y entrera et, sur le lit de son frère, cette fois, fera complètement d’elle une femme.
Un événement commenté ainsi par l’écrivain :
Tu as eu dix-sept ans. Tu as eu une première expérience sexuelle décevante, dans une salle de bains, avec un homme séduisant, certes, mais qui va de femme en femme en semant des enfants, comme un coucou, au petit bonheur. J’aurais tant souhaité, pour toi, une initiation autre que celle que tu as connue ainsi, par une nuit de folie générale, entre un cabinet et un lavabo alors que vont et viennent des gens plus ou moins ivres !
Le huit février mil neuf cent soixante-quatorze, Marie-Jo revient à la charge :
Comme Teresa nous a laissés seuls, à son habitude, tu me regardes presque durement et j’ai peur de comprendre.
Tu me dis en effet, comme étouffant ta colère :
-Pourquoi elle et pas moi ?
-Tu ne comprends pas, ma petite fille ?
-Comprendre quoi ?
Je te désigne le lit.
-Teresa partage tout de ma vie.
-Et alors ? Tout ce qu’elle fait pour toi, je peux le faire, non ?
J’ai toujours craint ce que je découvre soudain. Tu me montres l’anneau d’or que tu m’as demandé quand tu avais huit ans, que tu as fait élargir plusieurs fois et que tu portes encore, que tu porteras même après que…
Même après que Marie-Jo se tire une balle dans le cœur, le dix-neuf mai mil neuf cent soixante-dix-huit. Elle avait vingt-cinq ans.
*
Une phrase me revient pendant que j’écoute leurs voix au téléphone. Je ne me souviens pas si je l’ai écrite ou si je l’ai lue je ne sais où :
-Chaque fois que nous faisons un enfant, nous nous donnons un juge., écrit aussi Simenon dans son livre confession.
*
Publié en mil neuf cent quatre-vingt-un, Mémoires intimes est un bon exemple de ce que l’autocensure empêche d’écrire aujourd’hui.
22 août 2022
Lu, ou plutôt relu, pendant mon séjour dans le Finistère, Mémoires intimes a été commencé par Georges Simenon le jour de mes vingt-neuf ans quand il en avait soixante-dix-sept. Il s’agit d’une confession dans laquelle il s’adresse avant tout à sa fille suicidée Marie-Jo et à ses trois fils Marc, Johnny et Pierre.
Mon père est mort alors qu’à Anvers, où la « Gazette » m’avait envoyé, je faisais l’amour avec une arrière-cousine dans un hôtel de passe…, leur apprend-il avant d’évoquer le rôle dans sa vie de la domestique surnommée Boule :
J’avais l’habitude de faire la sieste au premier étage du petit pavillon, près des écuries. A trois heures, Boule venait m’y réveiller en m’apportant mon café. Nous avions, depuis son entrée chez nous, vingt ans plus tôt, des rapports étroits, tant affectifs que sexuels. Rapports furtifs, il est vrai, étant donné la jalousie de ta mère, qui m’avait souvent répété que, si je la trompais, elle n’hésiterait pas à se tuer.
Plus tard, remarié avec une femme qui parfois l’accompagne dans les bordels, il fait une rencontre qu’assurément il tairait s’il vivait aujourd’hui. En mil neuf cent quarante-huit, cette épouse, qu’il nomme D., lui présente en effet une jeune prostituée dans celui de Tucson :
Elle me dit qu’elle a treize ans, mais qu’elle est pubère depuis longtemps.
La petite a d’immenses yeux noirs fixés attentivement sur moi et j’ai l’impression d’y lire une prière que je crois comprendre. C’est une question, pour elle, de ne pas perdre la face devant ses ainées, plus formées qu’elle, qui la regardent en souriant.
Je l’emmène à contrecœur. Je n’ai jamais été attiré vers les filles très jeunes, ni même vers les jeunes filles. Si je suis la petite Indienne, au port déjà très digne, comme celui des Noires de la brousse africaine, c’est afin de ne pas lui faire de peine, mais je sais que nos relations n’iront pas loin.
Dans la chambre blanchie à la chaux, où un Christ tient la place d’honneur, et où on voit, sur la commode, une Vierge sous verre, elle laisse tomber sa robe de coton rouge sous laquelle il n’y a que son petit corps, ses seins bien dessinés, son pubis déjà ombragé par une légère toison noire.
Elle me parle et je ne comprends pas. Elle me fait signe de me déshabiller à mon tour et, comme je ne bouge pas, elle s’approche, à la fois candide et fière, dégage ma verge qu’elle tient à caresser. Gêné, furieux contre moi-même, je ne parviens pas à empêcher l’érection. Alors, triomphante, elle se couche sur le lit, jambes écartées et, de ses doigts bruns et délicats, ouvre les lèvres de son sexe.
Je secoue la tête et sa bouche devient boudeuse. Alors, je me contrains à la caresser et je suis étonné de ses réactions qui sont celles d’une femme faite. Ce n’est pas un rôle qu’elle joue, car j’ai bientôt la main mouillée et elle ne tarde pas à se raidir dans un sursaut de jouissance. Je ne suis pas fier, lui fais signe de se relever et lui tends sa robe. Elle me donne un baiser furtif sur les lèvres avant de refermer la porte, s’avance fièrement vers le cercle de ses compagnes où elle reprend sa place.
Il y retourne seul quelques jours plus tard :
La petite Indienne me regarde fixement et, pour ne pas la décevoir, j’ai soin, cette fois, de l’emmener en même temps qu’une fille aux seins splendides.
A son retour chez lui, sa femme est au lit et l’interroge.
-Et la petite Indienne ?
Je parle, je parle, je la sens excitée, la main sur son bas-ventre. Je comprends aux plis du drap
Plus tard encore, Simenon aggrave son cas en violant une domestique nouvellement arrivée chez lui :
Avant notre départ, il se passera un petit événement qui aura, comme tant de menus faits, des conséquences lointaines.
Un matin que je trouve Teresa seule, penchée sur la coiffeuse du boudoir, un vif désir d’elle me saisit et je la trousse, sans qu’elle bouge ou proteste. Jamais de ma vie, je l’affirme, je n’ai forcé une femme, d’une façon ou d’une autre, à accepter mes avances. Je n’ai pas non plus pratiqué ce que les grands bourgeois appellent les « amours ancillaires » auxquelles ils se livrent d’ailleurs les premiers en s’arrogeant ce que les grands seigneurs de jadis appelaient le « droit de cuissage ».
Pour moi, une femme est une femme, donc digne de respect, quelles que soient ses fonctions ou ce qu’on appelle d’un mot que je déteste, « sa situation sociale ».
J’ignorais le catéchisme que D. avait dû enseigner à la nouvelle venue. Elle m’a entendu entrer, m’approcher, sent ma main sur ses hanches et ne réagit pas quand je relève sa robe. J’en garde le souvenir dans les moindres détails. A peine l’ai-je pénétrée que je sens sa jouissance et, la mienne proche, je me retire à temps. La pilule existe-t-elle déjà ? Je n’en sais rien et l’aurais-je su, j’ignorais si elle l’avait prise.
Elle me regarde ensuite d’un regard sans expression et je sors de la pièce, à la fois confus et heureux. Le soir même, après le « rapport », Teresa s’attardera pour mettre D. fort honnêtement, au courant de ce qui s’est passé.
-Je suis prête à partir dès maintenant si vous le désirez.
D. rit.
-Sachez, ma fille, que si j’étais jalouse de « Monsieur », il y a longtemps que je ne vivrais plus avec lui.
-Et s’il recommence ?
-Si cela ne vous gêne pas… Quant à moi, cela ne me regarde pas et vous pouvez continuer si cela vous amuse…
Marie-Jo est entrée et D. la met au courant.
Mon père est mort alors qu’à Anvers, où la « Gazette » m’avait envoyé, je faisais l’amour avec une arrière-cousine dans un hôtel de passe…, leur apprend-il avant d’évoquer le rôle dans sa vie de la domestique surnommée Boule :
J’avais l’habitude de faire la sieste au premier étage du petit pavillon, près des écuries. A trois heures, Boule venait m’y réveiller en m’apportant mon café. Nous avions, depuis son entrée chez nous, vingt ans plus tôt, des rapports étroits, tant affectifs que sexuels. Rapports furtifs, il est vrai, étant donné la jalousie de ta mère, qui m’avait souvent répété que, si je la trompais, elle n’hésiterait pas à se tuer.
Plus tard, remarié avec une femme qui parfois l’accompagne dans les bordels, il fait une rencontre qu’assurément il tairait s’il vivait aujourd’hui. En mil neuf cent quarante-huit, cette épouse, qu’il nomme D., lui présente en effet une jeune prostituée dans celui de Tucson :
Elle me dit qu’elle a treize ans, mais qu’elle est pubère depuis longtemps.
La petite a d’immenses yeux noirs fixés attentivement sur moi et j’ai l’impression d’y lire une prière que je crois comprendre. C’est une question, pour elle, de ne pas perdre la face devant ses ainées, plus formées qu’elle, qui la regardent en souriant.
Je l’emmène à contrecœur. Je n’ai jamais été attiré vers les filles très jeunes, ni même vers les jeunes filles. Si je suis la petite Indienne, au port déjà très digne, comme celui des Noires de la brousse africaine, c’est afin de ne pas lui faire de peine, mais je sais que nos relations n’iront pas loin.
Dans la chambre blanchie à la chaux, où un Christ tient la place d’honneur, et où on voit, sur la commode, une Vierge sous verre, elle laisse tomber sa robe de coton rouge sous laquelle il n’y a que son petit corps, ses seins bien dessinés, son pubis déjà ombragé par une légère toison noire.
Elle me parle et je ne comprends pas. Elle me fait signe de me déshabiller à mon tour et, comme je ne bouge pas, elle s’approche, à la fois candide et fière, dégage ma verge qu’elle tient à caresser. Gêné, furieux contre moi-même, je ne parviens pas à empêcher l’érection. Alors, triomphante, elle se couche sur le lit, jambes écartées et, de ses doigts bruns et délicats, ouvre les lèvres de son sexe.
Je secoue la tête et sa bouche devient boudeuse. Alors, je me contrains à la caresser et je suis étonné de ses réactions qui sont celles d’une femme faite. Ce n’est pas un rôle qu’elle joue, car j’ai bientôt la main mouillée et elle ne tarde pas à se raidir dans un sursaut de jouissance. Je ne suis pas fier, lui fais signe de se relever et lui tends sa robe. Elle me donne un baiser furtif sur les lèvres avant de refermer la porte, s’avance fièrement vers le cercle de ses compagnes où elle reprend sa place.
Il y retourne seul quelques jours plus tard :
La petite Indienne me regarde fixement et, pour ne pas la décevoir, j’ai soin, cette fois, de l’emmener en même temps qu’une fille aux seins splendides.
A son retour chez lui, sa femme est au lit et l’interroge.
-Et la petite Indienne ?
Je parle, je parle, je la sens excitée, la main sur son bas-ventre. Je comprends aux plis du drap
Plus tard encore, Simenon aggrave son cas en violant une domestique nouvellement arrivée chez lui :
Avant notre départ, il se passera un petit événement qui aura, comme tant de menus faits, des conséquences lointaines.
Un matin que je trouve Teresa seule, penchée sur la coiffeuse du boudoir, un vif désir d’elle me saisit et je la trousse, sans qu’elle bouge ou proteste. Jamais de ma vie, je l’affirme, je n’ai forcé une femme, d’une façon ou d’une autre, à accepter mes avances. Je n’ai pas non plus pratiqué ce que les grands bourgeois appellent les « amours ancillaires » auxquelles ils se livrent d’ailleurs les premiers en s’arrogeant ce que les grands seigneurs de jadis appelaient le « droit de cuissage ».
Pour moi, une femme est une femme, donc digne de respect, quelles que soient ses fonctions ou ce qu’on appelle d’un mot que je déteste, « sa situation sociale ».
J’ignorais le catéchisme que D. avait dû enseigner à la nouvelle venue. Elle m’a entendu entrer, m’approcher, sent ma main sur ses hanches et ne réagit pas quand je relève sa robe. J’en garde le souvenir dans les moindres détails. A peine l’ai-je pénétrée que je sens sa jouissance et, la mienne proche, je me retire à temps. La pilule existe-t-elle déjà ? Je n’en sais rien et l’aurais-je su, j’ignorais si elle l’avait prise.
Elle me regarde ensuite d’un regard sans expression et je sors de la pièce, à la fois confus et heureux. Le soir même, après le « rapport », Teresa s’attardera pour mettre D. fort honnêtement, au courant de ce qui s’est passé.
-Je suis prête à partir dès maintenant si vous le désirez.
D. rit.
-Sachez, ma fille, que si j’étais jalouse de « Monsieur », il y a longtemps que je ne vivrais plus avec lui.
-Et s’il recommence ?
-Si cela ne vous gêne pas… Quant à moi, cela ne me regarde pas et vous pouvez continuer si cela vous amuse…
Marie-Jo est entrée et D. la met au courant.
20 août 2022
Longtemps que je n’ai pas évoqué mes maladies, pas parlé de mon « état de santé ». Ce jeudi, mon médecin traitant est à peine rentré de vacances que je suis un peu avant neuf heures dans sa salle d’attente. Pour la première fois, j’ai noté dans mon carnet les points à évoquer. Ce n’est pas tant que ma mémoire décline, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux.
Quand le docteur me reçoit je commence par l’essentiel, dont je n’ai jamais encore vraiment discuté avec lui : mon problème de tuyauterie. Comme beaucoup de vieux, j’ai trop souvent envie d’uriner, ce qui complique la vie quotidienne. Un problème qui remonte à loin mais qui s’est aggravé. Il y a un mois, jugeant que ce n’était plus tenable, j’ai pris rendez-vous via Doctolib avec un urologue. Mon généraliste m’interroge sur le sujet puis fait de mes réponses un courrier pour ce spécialiste.
Nous faisons ensuite le point sur mon parcours chez le cardiologue où il m’avait envoyé l’an dernier après avoir constaté que mon cœur battait beaucoup trop vite. Cette fois, il le trouve battant sans excès. A la même époque, j’étais extrêmement essoufflé quand je montais un escalier, je ne le suis plus autant. « Je me demande si je n’ai pas été victime d’un Covid caché », lui dis-je. « C’est une bonne hypothèse », me répond-il.
Après avoir écouté mes poumons, il me dit qu’il y a une petite gêne en bas de ceux-ci. Il me demande si j’ai fumé autrefois. A ma réponse négative, il me dit que c’est sûrement dû à l’âge.
Mon médecin me fait ensuite une ordonnance pour la podologue afin qu’elle renouvelle mes semelles orthopédiques en novembre prochain. Depuis presque un an que j’en porte, je n’ai quasiment plus de douleurs aux pieds, il y a parfois des techniques qui me sont profitables.
Pour finir, je lui dis que je n’ai plus de nouvelles de mon hernie interne et il m’apprend que je dois cette année avoir un rappel de la vaccination contre le tétanos. Il faudra aussi faire la prise de sang du contrôle général annuel vers novembre.
Je le quitte muni d’une liasse de courriers et d’ordonnances.
*
L’une des ordonnances me mène ce vendredi un peu avant sept heures au laboratoire d’analyses médicales de la place Saint-Marc. En attendant son ouverture, j’observe comment les premiers vendeurs de drouille du marché sont assaillis au cul de leurs camionnettes par ceux qui espèrent mettre la main sur un objet dont ils tireront bénéfice. Ces besogneux me font penser aux goélands qui assaillent les chalutiers, en moins élégants, et en moins bruyants.
A l’ouverture, je suis le premier à être appelé par l’infirmière. Elle me demande pourquoi cette recherche du taux de Péhessa total. C’est pour un rendez-vous chez l’urologue. « Vous avez un problème ? », me demande-t-elle. « Evidemment, on ne va pas chez un urologue pour le plaisir », lui réponds-je. Si cette jeune femme manque de tact, elle se débrouille fort bien pour trouver ma veine et me piquer sans douleur.
A seize heures trente, je vais chercher mon résultat. Si un taux de Péhessa élevé peut indiquer un cancer de la prostate, le mien peut être considéré comme normal compte-tenu de mon âge, selon Le Figaro.
Quand le docteur me reçoit je commence par l’essentiel, dont je n’ai jamais encore vraiment discuté avec lui : mon problème de tuyauterie. Comme beaucoup de vieux, j’ai trop souvent envie d’uriner, ce qui complique la vie quotidienne. Un problème qui remonte à loin mais qui s’est aggravé. Il y a un mois, jugeant que ce n’était plus tenable, j’ai pris rendez-vous via Doctolib avec un urologue. Mon généraliste m’interroge sur le sujet puis fait de mes réponses un courrier pour ce spécialiste.
Nous faisons ensuite le point sur mon parcours chez le cardiologue où il m’avait envoyé l’an dernier après avoir constaté que mon cœur battait beaucoup trop vite. Cette fois, il le trouve battant sans excès. A la même époque, j’étais extrêmement essoufflé quand je montais un escalier, je ne le suis plus autant. « Je me demande si je n’ai pas été victime d’un Covid caché », lui dis-je. « C’est une bonne hypothèse », me répond-il.
Après avoir écouté mes poumons, il me dit qu’il y a une petite gêne en bas de ceux-ci. Il me demande si j’ai fumé autrefois. A ma réponse négative, il me dit que c’est sûrement dû à l’âge.
Mon médecin me fait ensuite une ordonnance pour la podologue afin qu’elle renouvelle mes semelles orthopédiques en novembre prochain. Depuis presque un an que j’en porte, je n’ai quasiment plus de douleurs aux pieds, il y a parfois des techniques qui me sont profitables.
Pour finir, je lui dis que je n’ai plus de nouvelles de mon hernie interne et il m’apprend que je dois cette année avoir un rappel de la vaccination contre le tétanos. Il faudra aussi faire la prise de sang du contrôle général annuel vers novembre.
Je le quitte muni d’une liasse de courriers et d’ordonnances.
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L’une des ordonnances me mène ce vendredi un peu avant sept heures au laboratoire d’analyses médicales de la place Saint-Marc. En attendant son ouverture, j’observe comment les premiers vendeurs de drouille du marché sont assaillis au cul de leurs camionnettes par ceux qui espèrent mettre la main sur un objet dont ils tireront bénéfice. Ces besogneux me font penser aux goélands qui assaillent les chalutiers, en moins élégants, et en moins bruyants.
A l’ouverture, je suis le premier à être appelé par l’infirmière. Elle me demande pourquoi cette recherche du taux de Péhessa total. C’est pour un rendez-vous chez l’urologue. « Vous avez un problème ? », me demande-t-elle. « Evidemment, on ne va pas chez un urologue pour le plaisir », lui réponds-je. Si cette jeune femme manque de tact, elle se débrouille fort bien pour trouver ma veine et me piquer sans douleur.
A seize heures trente, je vais chercher mon résultat. Si un taux de Péhessa élevé peut indiquer un cancer de la prostate, le mien peut être considéré comme normal compte-tenu de mon âge, selon Le Figaro.
19 août 2022
Retour à l’horaire d’autrefois, sept heures vingt-quatre, pour mon train de mercredi, les travaux d’Eole se poursuivent mais n’obligent plus en semaine au détour de Conflans-Sainte-Honorine. Je retrouve avec plaisir l’autoroute que longe la voie ferrée après la centrale de Porcheville, l’un de mes moments préférés entre Mantes-la-Jolie et Paris.
Après seulement une heure dix-sept de voyage nous sommes à Saint-Lazare. Je peux à nouveau prendre un bus Vingt-Neuf pour rejoindre la Bastille. J’y arrive à neuf heures trente, ce qui me donne le temps d’un long café de comptoir au bar tabac Le Voltigeur avec recherche de ce qui est lisible dans Le Parisien du jour, pas grand-chose.
Un couple de quinquagénaires m’a précédé devant le rideau métallique de Book-Off. A leurs pieds gisent plusieurs énormes cartons emplis de livres et de cédés à vendre. Lui est nerveux à l’idée que je puisse arriver avant eux au guichet des achats.
Mon sac à dos ne contient pas de livres à vendre. Je le pose derrière le comptoir avant de piocher dans les livres à un euro. Dans mon panier se côtoient Le Vide et le Plein (Carnets du Japon) de Nicolas Bouvier (Hoëbeke), Jours de printemps de Bashô (Publications Orientalises de France), La tristesse durera toujours d’Yves Charnet (La Table Ronde), Premier combat de Jean Moulin (Les Editions de Minuit) et Mémoires des maisons closes de Faubert Bolivar (Le Temps des Cerises). Il est onze heures dix quand j’en ai terminé, tout comme la vendeuse de livres et de cédés que son mari a laissé se débrouiller seule avec le fardeau.
Il pleut quand je sors. Je descends sous terre à Ledru-Rollin, l’une des stations qui hier soir était victime d’un fort orage, et avec les métros Huit et Trois atteins Quatre Septembre. Il ne pleut pas dans cet arrondissement mais où déjeuner ?
Les brasseries du quartier sont fermées temporairement ou définitivement. Je n’ai pas le goût des restaurants japonais à nouilles et à vapeur qui y pullulent. Faute d’autre choix, j’entre à la crêperie Chez Suzette dont le personnel est international. Je me contente d’une galette quatre fromages accompagnée d’un bol de pommes rissolées, le tout pour onze euros quarante.
Je n’ai que la rue à traverser pour entrer chez Book-Off. Là aussi je pose mon sac à dos derrière le comptoir avant de piocher dans les livres à un euro. Dans mon panier se côtoient Fou d’amour de Wolinski (Le Cherche Midi), Département des Nains de Martin Melkonian (Librairie Séguier), C’est la guerre de Louis Calaferte (Folio) et Horace à la campagne de Xavier Patier (La Petite Vermillon). Ce qui me fait acheter ce dernier, c’est qu’il est signé par l’auteur avec la dédicace suivante : « Pour Laurent, à garder pour toujours ».
Pour des raisons de prix du billet, je rentre plus tôt à Rouen cette semaine, avec le train Nomad partant à quinze heures quarante, une rame unique emplie d’ex-vacanciers, certains avec moutards braillards. C’est dans cette ambiance pénible que je termine ma lecture du jour : A la ligne (Feuillets d’usine) de Joseph Ponthus (Folio). Quelle vie difficile fut la sienne avant de mourir si tôt, quelle horreur ce travail d’intérimaire dans les usines de crustacés et de viande.
*
Maintenant Les Versets sataniques fait partie des livres neufs les mieux vendus. Pendant des années, j’ai vu des exemplaires du livre de Rushdie à un euro chez Book-Off. Et ne trouvant pas acheteur facilement. Peut-être même, pour certains d’entre eux, envoyés au recyclage.
*
Dans les rames du métro parisien, L’enfer c’est les autres de Sartre corrigé à l’encre rouge en « L’enfer c’est moi-même coupé des autres » et Il est temps de rallumer les étoiles d’Apollinaire en « Il est temps de rallumer les consciences ». Le censeur à stylo rouge est l’abbé Pierre. Encore un religieux qui se mêlait de ce qu’il convient d’écrire.
Après seulement une heure dix-sept de voyage nous sommes à Saint-Lazare. Je peux à nouveau prendre un bus Vingt-Neuf pour rejoindre la Bastille. J’y arrive à neuf heures trente, ce qui me donne le temps d’un long café de comptoir au bar tabac Le Voltigeur avec recherche de ce qui est lisible dans Le Parisien du jour, pas grand-chose.
Un couple de quinquagénaires m’a précédé devant le rideau métallique de Book-Off. A leurs pieds gisent plusieurs énormes cartons emplis de livres et de cédés à vendre. Lui est nerveux à l’idée que je puisse arriver avant eux au guichet des achats.
Mon sac à dos ne contient pas de livres à vendre. Je le pose derrière le comptoir avant de piocher dans les livres à un euro. Dans mon panier se côtoient Le Vide et le Plein (Carnets du Japon) de Nicolas Bouvier (Hoëbeke), Jours de printemps de Bashô (Publications Orientalises de France), La tristesse durera toujours d’Yves Charnet (La Table Ronde), Premier combat de Jean Moulin (Les Editions de Minuit) et Mémoires des maisons closes de Faubert Bolivar (Le Temps des Cerises). Il est onze heures dix quand j’en ai terminé, tout comme la vendeuse de livres et de cédés que son mari a laissé se débrouiller seule avec le fardeau.
Il pleut quand je sors. Je descends sous terre à Ledru-Rollin, l’une des stations qui hier soir était victime d’un fort orage, et avec les métros Huit et Trois atteins Quatre Septembre. Il ne pleut pas dans cet arrondissement mais où déjeuner ?
Les brasseries du quartier sont fermées temporairement ou définitivement. Je n’ai pas le goût des restaurants japonais à nouilles et à vapeur qui y pullulent. Faute d’autre choix, j’entre à la crêperie Chez Suzette dont le personnel est international. Je me contente d’une galette quatre fromages accompagnée d’un bol de pommes rissolées, le tout pour onze euros quarante.
Je n’ai que la rue à traverser pour entrer chez Book-Off. Là aussi je pose mon sac à dos derrière le comptoir avant de piocher dans les livres à un euro. Dans mon panier se côtoient Fou d’amour de Wolinski (Le Cherche Midi), Département des Nains de Martin Melkonian (Librairie Séguier), C’est la guerre de Louis Calaferte (Folio) et Horace à la campagne de Xavier Patier (La Petite Vermillon). Ce qui me fait acheter ce dernier, c’est qu’il est signé par l’auteur avec la dédicace suivante : « Pour Laurent, à garder pour toujours ».
Pour des raisons de prix du billet, je rentre plus tôt à Rouen cette semaine, avec le train Nomad partant à quinze heures quarante, une rame unique emplie d’ex-vacanciers, certains avec moutards braillards. C’est dans cette ambiance pénible que je termine ma lecture du jour : A la ligne (Feuillets d’usine) de Joseph Ponthus (Folio). Quelle vie difficile fut la sienne avant de mourir si tôt, quelle horreur ce travail d’intérimaire dans les usines de crustacés et de viande.
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Maintenant Les Versets sataniques fait partie des livres neufs les mieux vendus. Pendant des années, j’ai vu des exemplaires du livre de Rushdie à un euro chez Book-Off. Et ne trouvant pas acheteur facilement. Peut-être même, pour certains d’entre eux, envoyés au recyclage.
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Dans les rames du métro parisien, L’enfer c’est les autres de Sartre corrigé à l’encre rouge en « L’enfer c’est moi-même coupé des autres » et Il est temps de rallumer les étoiles d’Apollinaire en « Il est temps de rallumer les consciences ». Le censeur à stylo rouge est l’abbé Pierre. Encore un religieux qui se mêlait de ce qu’il convient d’écrire.
18 août 2022
Une de mes lectures brestoises : Lettres à sa femme de Donatien Alphonse François de Sade. De la lettre confession datée du vingt février mil sept cent quatre-vingt-un (le Marquis emprisonné l’appelle « Ma grande lettre »), j’extrais ce passage qui me fait sourire :
… je me suis adressé à Lyon à une maquerelle très en titre, et le lui ai dit : Je veux emmener chez moi trois ou quatre servantes, je les veux jeunes et jolies ; fournissez-les-moi comme cela. Cette maquerelle, qui était Nanon (…) me promet ces filles et me les donne. Je les emmène ; je m’en sers. Au bout de six mois, des parents viennent redemander ces filles, assurant qu’elles sont leurs enfants. Je les rends ; et tout d’un coup voilà contre moi un procès de rapt et de viol ! Mais voilà la plus grande des injustices. (…)
Trois autres filles, d’âge et d’état à ne pas être redemandées par leurs parents, ont habité ou avant ou après, également quelques semaines, le château de La Coste.
Autre moment réjouissant, cette formule tirée d’une missive de début novembre mil sept cent quatre-vingt-trois :
Ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres.
… je me suis adressé à Lyon à une maquerelle très en titre, et le lui ai dit : Je veux emmener chez moi trois ou quatre servantes, je les veux jeunes et jolies ; fournissez-les-moi comme cela. Cette maquerelle, qui était Nanon (…) me promet ces filles et me les donne. Je les emmène ; je m’en sers. Au bout de six mois, des parents viennent redemander ces filles, assurant qu’elles sont leurs enfants. Je les rends ; et tout d’un coup voilà contre moi un procès de rapt et de viol ! Mais voilà la plus grande des injustices. (…)
Trois autres filles, d’âge et d’état à ne pas être redemandées par leurs parents, ont habité ou avant ou après, également quelques semaines, le château de La Coste.
Autre moment réjouissant, cette formule tirée d’une missive de début novembre mil sept cent quatre-vingt-trois :
Ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres.
17 août 2022
De la pluie annoncée pour dimanche à Rouen et à la fin de la journée pas une goutte. De la pluie annoncée sous forme d’averses pour lundi et rien non plus. De la pluie annoncée sous forme d’orages pour mardi et que dalle. Il fait toujours aussi chaud. Une copropriétaire résidente tond la pelouse jaunie. Ah quand même, à dix-neuf heures, comme un seau d’eau jeté du ciel.
*
Une fille devant les livres de trottoir à cinquante centimes du Rêve de l’Escalier à sa copine :
-Je regarde si je trouve pas un livre.
-Tu cherches quoi ?
-Oh, un truc à lire.
*
L’employée du guichet provisoire de la Poste de la rue de la Jeanne (une nouvelle fois en travaux pour plusieurs mois) à un trentenaire qui a un souci :
-On ne prête pas sa carte bancaire à quelqu'un.
-Ce n’est pas quelqu’un, c’est mon frère.
*
Dans la vitrine de Boulanger une ardoise marquée « Bientôt la rentrée ». Les commerçants, ces grands pervers.
*
Une fille devant les livres de trottoir à cinquante centimes du Rêve de l’Escalier à sa copine :
-Je regarde si je trouve pas un livre.
-Tu cherches quoi ?
-Oh, un truc à lire.
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L’employée du guichet provisoire de la Poste de la rue de la Jeanne (une nouvelle fois en travaux pour plusieurs mois) à un trentenaire qui a un souci :
-On ne prête pas sa carte bancaire à quelqu'un.
-Ce n’est pas quelqu’un, c’est mon frère.
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Dans la vitrine de Boulanger une ardoise marquée « Bientôt la rentrée ». Les commerçants, ces grands pervers.
16 août 2022
Bien qu’il me souvienne avoir déclaré (c’était avant la Guerre du Covid) que, faute d’y avoir trouvé des livres pour me plaire, je n’irais plus au vide grenier du Quinze Août au Vaudreuil, sa reprise en deux mille vingt-deux me tente.
Pour y aller, il me faut prendre le train jusqu’à Val-de-Reuil puis marcher longuement au bord de l’Eure jusqu'au rond-point où commence le déballage. Mon désir décroit quand je découvre que bien que possesseur d’une carte de vieux, je dois désormais payer cinq euros soixante pour faire la vingtaine de kilomètres qui sépare Rouen de Védéherre, alors que pour faire Rouen Paris, c’est sept euros en s’y prenant un peu à l’avance. En deux mille dix-neuf, pour le même trajet le même jour, j’avais payé deux euros quatre-vingts, soit deux fois moins.
Cette tarification aberrante me donne à réfléchir. J’hésite. Si j’étais sûr de trouver quelques bons livres ce serait jouable, mais si je ne revenais qu’avec une ramette de papier payée deux euros au lieu de quatre en supermarché, elle m'aurait coûté treize euros vingt, et il me faudrait en supporter le poids durant la longue marche jusqu’à la Gare. La perspective d’averses possibles qu’annonce la météo m’aide à prendre ma décision. Je reste à Rouen.
Aucune averse n’est en vue quand je mets le pied dehors. Comme tous les jours, le ciel est bleu et il fait trop chaud. De quoi me donner envie dès le matin d’un café verre d’eau lecture, mais où ?
Après une longue errance de cafés fermés en cafés non encore ouverts, je suis sauvé par Le Rollon, rue Rollon, un bar tabac ayant une table à l’ombre où je m’installe avec la correspondance de la famille Pollock publiée sous le titre Lettres américaines. Je côtoie là un quidam en plein soleil avec son ordinateur, une vieille qui fume en toussant et des Témoins de Jéhovah ayant garé leur petite charrette pour boire un café. Bientôt, la vieille fumeuse est remplacée par un vieux couple d’hommes que je voyais à l’Opéra quand je le fréquentais. L’un d’eux gratte des jeux de hasard. A chaque fois qu’il perd, c’est-à-dire tout le temps, l’autre a un petit rire nerveux. Un piano se fait entendre dans les étages. En face, un magasin de vêtements pour enfants Okaïdi annonce sa prochaine ouverture. En ce jour férié, deux ouvriers que je devine étrangers y travaillent discrètement, ravitaillés par une camionnette blanche immatriculée dans le Neuf Quatre. Combien de boutiques à l’air respectable j’ai vu se créer ainsi à Rouen.
*
Au sol, près du banc du jardin, quand le jour se lève, des gravats. Durant la nuit, un morceau de l’enduit recouvrant le mur de briques de l’immeuble s’est détaché entre deux pans de bois et a chu, victime de la surchauffe et de la sécheresse. Et chacun, dont moi, et même les chats, de se dire : « Heureusement que je ne passais pas par là au moment fatidique ».
En fin de journée personne n’y a touché et il se passera sans doute plusieurs années avant que le dommage soit réparé.
Pour y aller, il me faut prendre le train jusqu’à Val-de-Reuil puis marcher longuement au bord de l’Eure jusqu'au rond-point où commence le déballage. Mon désir décroit quand je découvre que bien que possesseur d’une carte de vieux, je dois désormais payer cinq euros soixante pour faire la vingtaine de kilomètres qui sépare Rouen de Védéherre, alors que pour faire Rouen Paris, c’est sept euros en s’y prenant un peu à l’avance. En deux mille dix-neuf, pour le même trajet le même jour, j’avais payé deux euros quatre-vingts, soit deux fois moins.
Cette tarification aberrante me donne à réfléchir. J’hésite. Si j’étais sûr de trouver quelques bons livres ce serait jouable, mais si je ne revenais qu’avec une ramette de papier payée deux euros au lieu de quatre en supermarché, elle m'aurait coûté treize euros vingt, et il me faudrait en supporter le poids durant la longue marche jusqu’à la Gare. La perspective d’averses possibles qu’annonce la météo m’aide à prendre ma décision. Je reste à Rouen.
Aucune averse n’est en vue quand je mets le pied dehors. Comme tous les jours, le ciel est bleu et il fait trop chaud. De quoi me donner envie dès le matin d’un café verre d’eau lecture, mais où ?
Après une longue errance de cafés fermés en cafés non encore ouverts, je suis sauvé par Le Rollon, rue Rollon, un bar tabac ayant une table à l’ombre où je m’installe avec la correspondance de la famille Pollock publiée sous le titre Lettres américaines. Je côtoie là un quidam en plein soleil avec son ordinateur, une vieille qui fume en toussant et des Témoins de Jéhovah ayant garé leur petite charrette pour boire un café. Bientôt, la vieille fumeuse est remplacée par un vieux couple d’hommes que je voyais à l’Opéra quand je le fréquentais. L’un d’eux gratte des jeux de hasard. A chaque fois qu’il perd, c’est-à-dire tout le temps, l’autre a un petit rire nerveux. Un piano se fait entendre dans les étages. En face, un magasin de vêtements pour enfants Okaïdi annonce sa prochaine ouverture. En ce jour férié, deux ouvriers que je devine étrangers y travaillent discrètement, ravitaillés par une camionnette blanche immatriculée dans le Neuf Quatre. Combien de boutiques à l’air respectable j’ai vu se créer ainsi à Rouen.
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Au sol, près du banc du jardin, quand le jour se lève, des gravats. Durant la nuit, un morceau de l’enduit recouvrant le mur de briques de l’immeuble s’est détaché entre deux pans de bois et a chu, victime de la surchauffe et de la sécheresse. Et chacun, dont moi, et même les chats, de se dire : « Heureusement que je ne passais pas par là au moment fatidique ».
En fin de journée personne n’y a touché et il se passera sans doute plusieurs années avant que le dommage soit réparé.
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