Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

29 juillet 2023


Depuis quelques mois, c’est comme si le Covid avait disparu. Plus personne n’en parle. Quasiment personne ne porte un masque dans les transports en commun. On s’embrasse. On se serre la main. On ne se les lave plus systématiquement. Il doit y avoir encore des malades, mais où et combien ?
Peu après la révolte des Chinois contre la doctrine zéro Covid, c’était le nouvel an lunaire, la transhumance d’une population innombrable et mal vaccinée. Ce grand mélange aurait dû avoir pour conséquence un nombre effroyable de victimes. Les journaux prévoyaient un million de morts. Il n’en a rien été.
La Guerre du Covid semble s’être terminée là où elle avait commencé, en Chine.
Parmi toutes les âneries que j’ai pu écrire dans ce Journal depuis que je le tiens, il y a celle d’avoir affirmé qu’avec cette maladie, on ne pourrait plus jamais revenir à la vie d’avant, par exemple se côtoyer sans masque de façon proche dans les salles de spectacles ou les trains.
                                                            *
Le grand dadais qui pollue les manifestations parisiennes en se tenant systématiquement devant les caméras les bras en vé avec ses grandes pancartes colorées, parasitant toutes les causes, un jour pseudo boulanger avec les boulangers, le lendemain pseudo infirmier avec les infirmières, s’attaque maintenant aux obsèques de célébrités. Pas une image de la foule venue assister à celles de Jane Birkin sans sa néfaste présence.
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Celui qu’on appelle le petit Émile échappe à la surveillance de ses grands-parents, disparaît et n’est pas retrouvé. Peu après apparaît à la télévision une publicité vantant Tractive, un traceur pour chien. « Cette inquiétude quand notre chien s'échappe, nous la connaissons tous.» Message subliminal aux parents d’enfants en bas âge.
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Darmanin, un Ministre de l’Intérieur aux ordres de sa Police. Lui qui voulait être le Premier Ministre de Macron a désormais toutes ses chances pour être celui de Le Pen en deux mille vingt-sept (celle qui serait déjà au pouvoir si seuls les Policiers votaient).
Ce même Darmanin interdit à la vente aux mineurs un roman pour ado de Manu Causse, paru aux Editions Thierry Magnier, qu’il juge pornographique, Bien trop petit. Un titre qui définit parfaitement ce politicien.
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Les bouquinistes des quais parisiens priés d’enlever leurs boîtes avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (organisée par le navrant Thomas Jolly). Ils se rebellent et c’est tant mieux.
 

27 juillet 2023


Ce mercredi qui me voit une nouvelle fois aller à Paris doit être le meilleur jour de la semaine, pluie avant, pluie après. Le ciel est bleu quand je rejoins la capitale en deux heures avec pour compagnie le Journal de Julie Manet. Le train étant numéroté à l’envers, au lieu d’être en voiture Trois, je suis dans la Treize. Cela ne me porte pas malheur, nous arrivons à l’heure.
Un petit coup de métro Trois (blindé), un peu plus en métro Huit (assis) et je sors de terre à Ledru-Rollin. Je passe par le Marché d’Aligre (pas de vendeurs de livres), le Camélia (un café au comptoir) et suis devant Book-Off pour le lever de rideau.
Le sort m’est favorable. Parmi les livres à un euro deviennent miens Correspondance de Sand et Delacroix (Les Editions de l’Amateur), Pages de Journal d’Edith Thomas (Viviane Hamy), Une vie brève de Michèle Audin (L’Arbalète Gallimard), Journal intime de George Sand (Seuil) et Lettres à sa mère de Jean Cocteau (Mercure de France).
Ayant rejoint Châtelet, je déjeune dès avant midi au petit restaurant chinois à volonté et à micro-onde de la rue de la Verrerie puis descends au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro je m’approprie au rayon Erotisme deux Esparbec qui m’avait échappé ainsi que Contes érotiques russes d’Alexandre Nicolaévitch Afanassiev et La Confirmation de Gianni Segré, ces deux derniers au Cercle Poche et que je possède déjà, ils ne tomberont donc pas dans d’autres mauvaises mains.
Cela fait au moins deux semaines que l’escalier mécanique de la station Pyramides est en panne. Remonter des profondeurs de la ligne Quatorze sans m’arrêter me laisse essoufflé sur le trottoir. Je vois venir le moment où je n’en serai plus capable sans pause. Au Book-Off de Quatre Septembre, parmi les livres à un euro, comme souvent, je trouve trop peu, uniquement Dire son nom de Francisco Goldman (Christian Bourgois). J’ai ensuite le temps d’un café lecture en terrasse au Bistrot d’Edmond.
Mon train de retour, celui de seize heures cinquante-quatre est mis à quai à temps pour qu’il parte sans retard. Durant le trajet de retour, quand je lève les yeux de mon livre, j’ai plus de deux heures pour constater que le ciel est de plus en plus gris et pas loin la pluie.
                                                                         *
Depuis début juillet, le Book-Off de Ledru-Rollin est le seul à ouvrir à dix heures. Pour les deux autres, c’est onze heures. « Nous aussi on va ouvrir à onze heures en août », m’apprend une employée. Manque de personnel, on recrute par affichette.
En septembre, Ledru-Rollin reviendra à dix heures. Saint-Martin et Quatre Septembre resteront à onze heures.
                                                                         *
Une aguiche de Point Rouen dans le Journal de Julie Manet :
Il recommence à pleuvoir ; si cela continue que ferons-nous pendant notre séjour à Rouen avec Mme Normand et Geneviève ? (vendredi vingt-cinq septembre mil huit quatre-vingt-seize)
 

24 juillet 2023


Ce n’est pas moi qui me plaindrais de la douceur qui règne en Normandie alors qu’il est tant d’endroits où l’on est victime d’une chaleur infernale. Aussi, je me satisfais du ciel gris qui est d’actualité ce dimanche. Un peu de pluie au réveil, qui a cessé à l’heure où je vais au marché. Ce mois de juillet à Rouen, c’est ville endormie et afflux de touristes. J’en côtoie quelques-uns quand je prends un café au Son du Cor ou au Sacre. Ils ne sont pas plus malins que les locaux. Je cherche en vain dans mon voisinage un propos intelligent. Le plus souvent c’est une discussion creuse ponctuée de rires forcés. Pas de quoi arrêter ma lecture. Un livre m’a déçu, que j’étais content d’avoir trouvé à un euro chez Book-Off, Lettres à Bettine de Vivant Denon. Des missives ennuyeuses où il est souvent question de lettres qu’on attend et qui n’arrivent pas. J’ai abandonné. Depuis ce samedi, je lis Encore une nuit pourrie dans cette ville de merde. Nick Flynn travaille dans un centre pour sans abris. Un jour, il découvre que son père, qu’il n’avait jamais rencontré avant, en est un. L’épigraphe est tirée de la pièce de Beckett Fin de Partie, ce dialogue entre un fils et son géniteur :
-Salopard ! Pourquoi m'as-tu fait ?
-Je ne pouvais pas savoir.
-Quoi ? Qu'est-ce que tu ne pouvais pas savoir ?
-Que ce serait toi.
                                                                    *
Un mail de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes suite à mon signalement du verre d’eau à vingt centimes au Café de Rouen :
« Malgré nos relances, l'entreprise n'a pas souhaité lire votre signalement. »
« Par contre, les enquêteurs de la répression des fraudes ont bien reçu votre signalement. Ils peuvent décider de contrôler ou de surveiller l'entreprise que vous avez signalée, en fonction des informations que vous avez transmises. »
« Si vous retournez dans cette entreprise et constatez que le problème n'a pas été corrigé, faites un nouveau signalement. Savoir que la situation perdure est un élément important pour les enquêteurs. »
Il n’est pas dans mes intentions de retourner au Café de Rouen.
                                                                      *
Autre entreprise de Rouen : L’Espiguette. Je la pensais fermée. Il semble qu’il n’en est rien, qu’elle n’ouvre désormais que le soir. A une heure où je ne mets plus un pied dehors.
                                                                      *
Exemple de discussion de café rouennaise :
-Je voulais aller au cinéma mais j’ai pas trouvé le temps.
-Pour voir quoi ?
-Bah, je sais pas, un film.
 

20 juillet 2023


Nouveau voyage Rouen Paris en deux heures ce mercredi. Un peu moins, car à l’arrivée le chef de bord nous annonce cinq minutes d’avance. « Le sort nous a été favorable », dit-il. Ce n’est pas suffisant pour que je puisse prendre le bus Vingt-Neuf, pas le temps de musarder jusqu’à la Bastille. Je rejoins Ledru-Rollin en métro et vais au Marché d’Aligre. Ça sent les vacances, les principaux marchands de livres sont absents.
Après un café au comptoir du Camélia, j’entre chez Book-Off. Parmi les livres à un euro j’élis La patience des buffles sous la pluie de David Thomas (Bernard Pascuito), Un été à Baden-Baden de Leonid Tsypkin (Christian Bourgois), De la Conversation d’André Morellet (Rivages poche) et Autrefois, le mois dernier d’Annie Saumont (Editions du Chemin de fer). Ce dernier bénéfice d’un envoi de l’auteure aujourd’hui décédée : « Pour François, en toute amitié avec plein de bises, c’est mon éditeur préféré ».
Le métro me conduit ensuite à Châtelet. Vers onze heures et demie, j’entre chez Templon afin de voir l’exposition Trigger de Will Cotton. Lors de la précédente, il y a plusieurs années, ses tableaux montraient des filles nues dans de la chantilly. Cette fois, ce sont des variations sur le thème du Far West où le cheval est une licorne rose. Des quelques tableaux montrés, je retiens celui du baiser sur la bouche entre l’animal et sa cavalière. Je demande à la jolie jeune femme de l’accueil, si on sait à quelle date Will Coton était à l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen. Il a cinquante-huit ans, donc cela doit être il y a près de quarante ans, c’est tout ce qu’elle peut me dire.
Pour déjeuner, je choisis Au Diable du Lombard, un lieu qui vit surtout la nuit où est proposée une formule entrée plat à quatorze euros cinquante. Je choisis l’avocat crevettes et la dorade haricots verts, que me sert une jeune femme longiligne à petits seins. Un service professionnel, sans plus, elle ne me demande pas si ça m’a plu quand je paie.
Je rejoins le Book-Off de Saint-Martin. La chaleur est supportable dans son sous-sol où l’on a innové. Dans la partie Connaissances, les poches et les grands formats à un euro sont désormais ensemble. Plus embêtant : les rayons Poésie et Théâtre mélangent les ouvrages à un euro et les autres, ce qui me conduit à renoncer. En revanche, divine surprise au rayon Erotisme qui côtoie le rayon Romance. J’y trouve plusieurs Darling Poupée du Vice d’Esparbec (Media 1000) et ils sont à un euro. A cette manne, j’ajoute Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie de Nick Flynn (Gallimard).
Quand je quitte les lieux, une des bretelles de mon sac à dos lâche. Je la rafistole comme je peux puis rejoins le troisième Book-Off. Je n’y trouve pour aggraver mon fardeau que le mince Flirter au Bon Marché et autres faits de civilisation de Gertrude Stein (Phébus Libretto).
Dans l’attente de mon train de retour, je m’installe à la terrasse du Bistrot d’Edmond pour un café verre d’eau à deux euros cinquante. J’y lis le Journal de Julie Manet, un journal de jeune fille des plus intéressants.
C’est avec elle que je reviens à Rouen en près de deux heures. Elle est en vacances à Saint-Quay-Portrieux et me parle de la plage de la Comtesse et de la chapelle Saint-Marc.
                                                                        *
Depuis une première trouvaille il y a des années au Book-Off de Quatre Septembre, je cherchais en vain d’autres Darling Poupée du Vice. Et là, deux fois en une semaine.
 

18 juillet 2023


Dimanche après-midi, annonce de la mort de Jane Birkin et c’est parti pour les hommages et la diffusion de chansons signées Serge Gainsbourg qu’on se garde bien de faire entendre intégralement. Autrefois sur toutes les radios et télévisions, elles sont aujourd’hui condamnées par le nouvel ordre moral. Depuis quelques années, les journaux s’ingénient à faire le procès de Gainsbourg (la seule à le défendre étant sa fille Charlotte qui vient de perdre sa mère). Sûr qu’on ne montrera pas les images que fit le pygmalion de sa muse pour Lui, où elle est attachée nue à un radiateur. On préfère évoquer celle qu’elle devint ensuite, la parole est à l’ennuyeux Etienne Daho.
Personnellement je remercie Jane B de m’avoir si bien fait bander avec ses chansons érotiques et ses rôles plus ou moins déshabillés dans les films (dont des navets) que je voyais certains samedis soirs avec mes copains lycéens dans les années soixante-neuf à soixante et onze au cinéma Eden de Louviers. Oh Jane, toutes ces éjaculations que je te dois et que me procurait mon amante de l’époque : ma main.
                                                                   *
Longiligne avec de petits seins, mon style de fille durant toute ma vie.
                                                                   *
Le même jour est mort à quatre-vingt-trois ans Henri Tachan. Un évènement passé quasiment inaperçu. Je n’ai pas eu d’histoire avec Tachan mais j’avais son trente-trois tours de mil neuf cent soixante-quatorze intitulé La vie. Je l’ai beaucoup écouté avant de me lasser du bonhomme, trop militant à mon goût.
C’est sur ce disque que se trouve la chanson Pas d’enfant qui énumère les raisons de s’abstenir d’en faire. Une aide à la décision dont personnellement je n’avais pas besoin, déjà certain de ne pas.
 

17 juillet 2023


Un ciel bleu au réveil pour ma dernière journée à Montreuil, mon petit-déjeuner pris  en terrasse à La Favorite, je mets le cap sur la Croix de Chavaud. Sous les halles, c’est le marché dominical. Un peu comme celui des Emmurées à Rouen en un peu plus cher. J’entre au Bistrot du Marché où les commerçant(e)s viennent s’abreuver. Beaucoup prennent un thé à la menthe. Moi aussi. Il coûte deux euros et est fort bon.
Revenu au cinquième étage, je fais mon bagage. Le chat me regarde d’un air de dire si tu t’en vas qui va me nourrir. C’est du moins ce que je crois voir dans ses yeux. Ayant laissé la clé sur le petit meuble de l’entrée, je tire la porte derrière moi et, lesté de ma valise, descends prudemment l’escalier, me demandant, comme à chaque fois que je pars de quelque part, si j’y reviendrai. Je suis à un âge où tout peut s’arrêter demain, me dis-je tous les jours.
Au Café de la Plage, on installe la terrasse. Le sympathique garçon aux cheveux jaunes m’invite à m’assoir et me sert sans attendre mon habituel café verre d’eau. Je lui demande s’ils font à manger le dimanche. « Oui, le chef vient d’arriver ». « C’est une bonne nouvelle », lui dis-je. Je lis La belle vie jusqu’à midi puis change de table pour déjeuner.
Mon choix se porte sur les lasagnes au saumon. Elles ne tardent pas à arriver. Elles sont délicieuses. Je les accompagne d’un verre de sauvignon au goût bizarre. La bande son diffuse Jo Jo Johanna (pas sûr que ce soit le titre, ni la bonne orthographe), ce qui me fait penser à quelqu’une. « A une autre fois peut-être », dis-je au jeune homme à cheveux jaunes en payant dix-sept euros cinquante. « Avec plaisir. »
J’ai le temps de rejoindre Saint-Lazare sans me hâter. A l’arrivée, j’apprends que mon train de retour aura du retard; il est en chemin vers la gare. Pour savoir d’où il partira, il suffit de repérer les contrôleurs qui s’impatientent au bout du quai.
Quand ce train se présente, je constate que ce n’est pas celui prévu mais un vieux à sièges colorés. Les réservations tombent, et cela m’arrive encore une fois quand j’ai une place en première. Celles de ce train n’ont que la couleur des sièges qui diffèrent de celles des secondes.
« Bienvenu dans ce magnifique matériel où seulement deux toilettes sont en état de marche, nous dit le chef de bord, le train prévu est tombé en panne. De plus, tous les voyageurs devront descendre à Rouen, ceux allant vers Le Havre continueront avec un autre train. Je vous invite à protester sur le site de Téheuherre Normandie et vous souhaite néanmoins un bon voyage. »
Et nous voilà partis par l’itinéraire bis. J’ai le temps de terminer le livre de souvenirs de Dos Passos.
A l’arrivée à Rouen c’est la pagaille. Non seulement tout le monde doit descendre de ce train mais il y a plein de monde sur le quai prêt à le prendre d’assaut car il repart pour Paris.
Sorti de cette foule, je me hâte vers chez moi. Un nuage noir annonce une bonne averse. Elle s’abat peu après mon arrivée.
                                                                *
Ensuite, j’apprends que Jane Birkin a été trouvée morte chez elle ce dimanche matin à l’âge de soixante-seize ans. Encore un évènement qui me rend triste.
Je me souviens comme celle qui me chantait Barbara, m’effrayait en me chantant aussi Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve. Heureusement, elle ne l’a pas fait.
 

16 juillet 2023


Deuxième nuit d’explosions d’artifices, des engins bien plus puissants que ceux de la veille. Cela met trois voisin(e)s à leurs fenêtres. Elle et eux en viennent à discuter des charges qui ont augmenté. Je ne les vois pas, les persiennes sont fermées à cause du chat. L’idée que je me fais d’un à partir de sa voix n’est pas favorable. La conversation se poursuivant après les bruits de bombes, je ferme la fenêtre pour tenter de dormir. Ce que je réussis à faire, plus ou moins.
Au réveil, après la douche, je donne à manger au chat qui n’a pas de nom. Il est facile à vivre, ni affectueux ni sauvage, souvent couché pas loin de moi. Il ne devient idiot que lorsque c’est l’heure de le nourrir, se mettant dans mes jambes pendant que je vide les étuis de viande et carotte dans son écuelle, m’empêchant presque de la remettre sur le sol. Dans ce moment-là, cet animal manque totalement de dignité.
J’avais caressé deux projets pour ce samedi : Marché aux Livres Georges Brassens (mais trop long et compliqué à rejoindre en métro) et Puces de Montreuil (mais pas vraiment envie). Ayant renoncé, je ne suis pas déçu de voir en ce début de matinée un ciel chargé d’où tombent de courtes et intenses averses. Prudemment, je choisis de rester au centre de Montreuil.
Pour mon pain au chocolat, je teste une troisième boulangerie dont je ne connais pas le nom, place de la Mairie, derrière le manège, au rez-de-chaussée de la résidence Frida Kahlo, un euro vingt dans une machine à sous, et le mange avec mon allongé à La Favorite. Au comptoir, des gars de la ville se réjouissent qu’il n’y ait eu qu’une poubelle brûlée cette nuit. « Ça va se calmer maintenant ».
Des dégâts, il y en a eu beaucoup au plus fort des émeutes là où sont les principales enseignes. Certaines sont encore fermées. C’est rue des Lumières. Ceux qui ont fait ça n’en sont pas.
Je vais revoir la rue de l’Eglise, courte voie piétonnière où l’on trouve l’association Montreuil Féministe et la Maison des Femmes Thérèse Clerc (tante de Thomas). Cette rue mène logiquement à l’église Saint Pierre et Saint Paul agréable à regarder. En montant des marches à droite d’icelle, on entre dans un jardin qui a comme un goût de nature et de zone. Fred Le Chevalier est passé par ici et a collé sur l’un des murs.
Vers dix heures, je m’installe une fois de plus à la terrasse du Bar Tabac de la Mairie en choisissant une table abritée d’une possible averse. Mon café bu, je continue La belle vie. Peu de monde en cette matinée, une fille lit un livre d’Alain Damasio.
A midi, je déjeune en face, au Café Salé, d’un burgueur classique à quinze euros. A chaque merci que je lui dis, la serveuse longiligne me répond « Pas de souci ». Quand j’en ai terminé, je retourne lire de l’autre côté, pas très longtemps car je sens que ça va retomber.
Je rentre par un chemin détourné afin de faire une photo de l’endroit où je dors qui ne donne pas sur l’avenue par où on entre dans le bâtiment. A quinze heures trente, une bonne drache tombe sur Montreuil.
                                                                      *
Bibliothèque Robert Desnos, fermée pour cause de Fête Nationale. Un père à son trois ans : « C’est pas grave. On va faire les autres activités. On va faire la boulangerie. » Voir la journée de son enfant comme une succession d’activités à remplir, je trouve ça effrayant et je soupçonne un enseignant.
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Treize heures place de la Mairie, c’est l’arrivée de la cahute à l’ancienne des Glaces Martinez. A peine installée que l’on s’y précipite.
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Je ne l’aurais pas vu que je n’aurais pas cru ça possible : un couple de jeunes femmes traversant la place de la Mairie main dans la main, l’une en djine et chemise à grands carreaux style camionneuse, l’autre musulmane en hidjab.
 

15 juillet 2023


Le bal des pompiers a beau être un peu loin, je l’entends fort bien. Vers minuit, alors que des feux d’artifice sont envoyés en l’air (du moins je l’espère), je suis dans un état conforme à ce que j’entends Égaré dans la vallée infernale. Quand s’ajoute une conversation sortant d’une fenêtre du voisinage, je ferme celle de ma chambre provisoire.
Au matin, j’achète mon pain au chocolat (un euro vingt) à la Maison Didi en face de cette caserne de pompiers, redevenue calme et rangée. « Bon courage », me dit la boulangère. Sous-entendu : pour être dehors à cette heure-là un jour férié, il faut devoir aller travailler. La Favorite est le bar ouvert. Des travailleurs y prennent un café debout et l’oisif que je suis un allongé assis.
Quand j’ai appris que la ligne Quatre du métro était prolongée jusqu’à Bagneux, je me suis dit qu’un jour j’irais voir la tombe de Barbara. C’est ce vendredi de Fête Nationale. Métro Neuf jusqu’à Nation, Six jusqu’à Denfert Rochereau et Quatre jusqu’à la station Barbara. Celle-ci est enterrée profondément mais de grands ascenseurs permettent de remonter de sous la terre.
L’angle du vaste cimetière parisien de Bagneux est à la sortie, mais personne pour me dire si l’entrée se trouve en allant tout droit ou en tournant à droite. Je vais tout droit, marche un bon moment sans qu’apparaisse une porte dans le haut mur. A une station de lavage de voitures trois hommes nettoient la leur. Je m’adresse à l’un qui m’apprend que c’était à droite, l’entrée principale. « Si vous voulez, je vous y conduis », me dit-il. J’accepte avec plaisir. Retour vers le métro, au rond-point à gauche. « Je devais tourner par-là mais je vous emmène jusqu’à la porte. » Je remercie chaudement cet automobiliste serviable. Il est neuf heures moins cinq. Je lis que les jours fériés, ça ouvre à neuf heures.
Les employés du cimetière sont ponctuels. Je sais que la tombe de Barbara doit être proche et vers la gauche, quatrième division. L’un d’eux me le confirme. « Marchez jusqu’à la petite poubelle là-bas, sa sépulture est tout près. » Je la trouve aisément car je sais que la chanteuse repose (comme on dit) dans le caveau de la famille Brodsky (nom de jeune fille de sa mère). Nous sommes dans ce qu’on appelle « le carré juif ».
Dix-neuf noms figurent sur la pierre tombale, dont celui de Monique Serf dite Barbara. Au pied de cette sépulture, des fleurs ont été mises par l’association Barbara Perlimpinpin. Une boîte à messages en contient un certain nombre. Ce n’est pas dans mes mœurs d’écrire aux morts. J’ai une pensée pour l’artiste et pour celle qui me tenait la main et qui l’aimait beaucoup, me la chantant dans la voiture.
A l’entrée du cimetière est la liste des célébrités enterrées ici, dont trois autres chanteuses : Lucienne Boyer, Frida Boccara et Gribouille. Parmi les autres : Francis Carco, Marcel Dalio, Georges Darien, Izis, Jules Laforgue, Jacqueline Maillan, Jean Paulhan, Claude Piéplu, Rachilde et Vallette, Jehan Rictus, Rosny Aîné et Ambroise Vollard, auxquel(le)s j’aurais aimé faire une petite visite mais c’est trop grand et j’ai déjà chaud.
De retour à Montreuil, je retrouve les terrasses du Bar Tabac de la Mairie (pour boire et lire La belle vie) et du Café Salé (pour manger, aujourd’hui un excellent couscous méchoui). Aucun risque de jalousie entre les deux établissements, un serveur à qui je le demande, voyant le personnel souvent traverser l’avenue, me répond affirmativement : « C’est la même maison ». Il porte un ticheurte de circonstance : « Liberté Egalité Transat ».
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Opération immobilière en cours près du cimetière de Bagneux, soixante-quatre appartements du studio au cinq pièces : Les Terrasses Barbara.
 

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