Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
2 octobre 2015
Ce mercredi comme à l’accoutumée le Centquatre vibre de l’énergie des jeunes gens experts en danse urbaine et autres activités artistiques. J’y achète un billet pour l’exposition Follia Continua ! qui célèbre les vingt-cinq ans de la Galleria Continua sise à San Gimignano et ayant des ramifications à Beijing, Les Moulins et Habana, que je paie neuf euros n’étant pas assez vieux pour le tarif réduit. On m’entoure le poignet droit d’un ruban rose afin que je puisse errer dans tous les lieux où sont disséminées les œuvres.
En attendant l’heure d’ouverture des salles réservées, je fais le tour des œuvres en libre accès dont l’imposante accumulation de vélos d’Ai Weiwei et les vitraux circulaires de Daniel Buren puis regarde un moment deux jolies filles filmées par un jeune homme. Minirobes noires, collants noirs, talons aiguille, elles répètent une chorégraphie de combat de tigresses. Un peu plus loin, une autre fille apprend seule un rôle de théâtre.
A quatorze heures, je peux franchir la barrière qui entoure Stacked, l’installation d’Ai Weiwei, et l’observer de tous côtés y compris par-dessous puis une jeune personne me dit que je ne peux pas encore passer au Cabinet du psychanalyste de Leandro Erlich car le ménage n’y est pas terminé. Elle m’envoie dans la spirale qui cache l’Ascension d’Anish Kapoor, un ouragan de fumée crachée du plafond par un gros tuyau et que l’on peut troubler de la main. Sorti de là, je passe par d’autres salles dont l’une montre deux vasques emplies des peaux des mille bananes mangées par les présent(e)s au vernissage, une installation dont je ne note pas le nom de l’auteur. Il y a aussi dans ce secteur deux impressionnants chevaux pendus par les jambes que l’on découvre en franchissant un noir rideau (nom de l’artiste pas davantage noté). Un escalier mène à l’étage où sont visibles, notamment dans le couloir des locaux de stockage, d’autres œuvres moins percutantes. Un autre permet de redescendre au bas duquel m’attend la vidéo de Kan Xuan Looking looking looking for… On y voit en plan rapproché une grosse araignée noire se baladant dans les recoins les plus intimes de deux corps nus.
Je repasse sous les vélos d’Ai Weiwei et entre dans l’autre bloc où sont massés moult œuvres dont Mondo Kane de Kendell Geers, cube en béton serti de tessons de bouteille, et Still song de Jorge Macchi, espace aux cloisons percées par les balles que l’on traverse pour poursuivre la visite. Je croise par là quelques autres visiteuses et visiteurs mais suis seul pour méditer assis sur le banc de béton du Secret Garden de Hans Op De Beeck, arbre mort et pièce d’eau noire aux nénuphars blancs entourés de murs en fibrociment.
A l’extérieur du bâtiment, côté rue Curial, je m’attarde encore autour de Vacanze romane de Moataz Nasr, cercle de huit Vespa blanches soudées, et d’Invisible forms de Zhanna Kadyrova qui matérialise en béton l’angle de vue des caméras de surveillance. Enfin j’entre au bas de l’escalier où me reçoivent Angel de Sun Yan et Peng Yu et son gardien d’origine africaine.
-C’est l’ange déchu. Il fait peur hein ?, me dit-il.
Cet ange est peut-être déchu, ce qui est sûr c’est qu’il a chu et s’est tué, vieil ange barbu aux jambes poilues et aux ailes brisées face contre terre, suicidé des plus réalistes.
L’homme qui veille ce corps m’invite à prendre l’escalier métallique grimpant dans ce qui ressemble à une tour carrée. D’en haut, j’ai belle vue sur les hauts immeubles à l’architecture remarquable du voisinage. Me penchant par-dessus la rambarde j’aperçois en contrebas le corps de l’ange et tout à coup une face noire hilare :
-Ah ah ah, il est tombé de là-haut.
Redescendu, je lui demande si ce n’est pas trop dur de cohabiter avec le cadavre. Il me dit que ce n’est que l’après-midi, s’il devait être avec lui toute la journée peut-être qu’il péterait les plombs.
*
Le métro Sept me conduit au deuxième Book-Off. Je songe alors que je ne suis pas passé au Cabinet du psychanalyste. C’est analyse remise. Le billet d’entrée de l’exposition donne droit à une seconde visite à un euro.
En attendant l’heure d’ouverture des salles réservées, je fais le tour des œuvres en libre accès dont l’imposante accumulation de vélos d’Ai Weiwei et les vitraux circulaires de Daniel Buren puis regarde un moment deux jolies filles filmées par un jeune homme. Minirobes noires, collants noirs, talons aiguille, elles répètent une chorégraphie de combat de tigresses. Un peu plus loin, une autre fille apprend seule un rôle de théâtre.
A quatorze heures, je peux franchir la barrière qui entoure Stacked, l’installation d’Ai Weiwei, et l’observer de tous côtés y compris par-dessous puis une jeune personne me dit que je ne peux pas encore passer au Cabinet du psychanalyste de Leandro Erlich car le ménage n’y est pas terminé. Elle m’envoie dans la spirale qui cache l’Ascension d’Anish Kapoor, un ouragan de fumée crachée du plafond par un gros tuyau et que l’on peut troubler de la main. Sorti de là, je passe par d’autres salles dont l’une montre deux vasques emplies des peaux des mille bananes mangées par les présent(e)s au vernissage, une installation dont je ne note pas le nom de l’auteur. Il y a aussi dans ce secteur deux impressionnants chevaux pendus par les jambes que l’on découvre en franchissant un noir rideau (nom de l’artiste pas davantage noté). Un escalier mène à l’étage où sont visibles, notamment dans le couloir des locaux de stockage, d’autres œuvres moins percutantes. Un autre permet de redescendre au bas duquel m’attend la vidéo de Kan Xuan Looking looking looking for… On y voit en plan rapproché une grosse araignée noire se baladant dans les recoins les plus intimes de deux corps nus.
Je repasse sous les vélos d’Ai Weiwei et entre dans l’autre bloc où sont massés moult œuvres dont Mondo Kane de Kendell Geers, cube en béton serti de tessons de bouteille, et Still song de Jorge Macchi, espace aux cloisons percées par les balles que l’on traverse pour poursuivre la visite. Je croise par là quelques autres visiteuses et visiteurs mais suis seul pour méditer assis sur le banc de béton du Secret Garden de Hans Op De Beeck, arbre mort et pièce d’eau noire aux nénuphars blancs entourés de murs en fibrociment.
A l’extérieur du bâtiment, côté rue Curial, je m’attarde encore autour de Vacanze romane de Moataz Nasr, cercle de huit Vespa blanches soudées, et d’Invisible forms de Zhanna Kadyrova qui matérialise en béton l’angle de vue des caméras de surveillance. Enfin j’entre au bas de l’escalier où me reçoivent Angel de Sun Yan et Peng Yu et son gardien d’origine africaine.
-C’est l’ange déchu. Il fait peur hein ?, me dit-il.
Cet ange est peut-être déchu, ce qui est sûr c’est qu’il a chu et s’est tué, vieil ange barbu aux jambes poilues et aux ailes brisées face contre terre, suicidé des plus réalistes.
L’homme qui veille ce corps m’invite à prendre l’escalier métallique grimpant dans ce qui ressemble à une tour carrée. D’en haut, j’ai belle vue sur les hauts immeubles à l’architecture remarquable du voisinage. Me penchant par-dessus la rambarde j’aperçois en contrebas le corps de l’ange et tout à coup une face noire hilare :
-Ah ah ah, il est tombé de là-haut.
Redescendu, je lui demande si ce n’est pas trop dur de cohabiter avec le cadavre. Il me dit que ce n’est que l’après-midi, s’il devait être avec lui toute la journée peut-être qu’il péterait les plombs.
*
Le métro Sept me conduit au deuxième Book-Off. Je songe alors que je ne suis pas passé au Cabinet du psychanalyste. C’est analyse remise. Le billet d’entrée de l’exposition donne droit à une seconde visite à un euro.
1er octobre 2015
Deux mondes se heurtent dans la voiture du train qui me conduit à Paris ce mercredi matin. D’un côté, les jeunes habitué(e)s qui aimeraient y terminer leur nuit. De l’autre, des retraité(e)s réjoui(e)s originaires d’Etretat en vadrouille. L’une des deux femmes derrière moi est la cheffe de ce qu’elle nomme le Groupe. Elle en organise les multiples activités et discute à voix haute avec les autres de la prochaine : une randonnée à Corneville (Eure). Faut-il emprunter le car de la commune ? Qu’en pensent Nicole, Daniel, Solange et René ? Elle interroge Jacqueline par téléphone. Deux hommes du Groupe se désintéressent de la question mais font autant de bruit qu’elle en discutant voitures. Le jeune homme assis devant eux leur demande de parler moins fort. C’est ensuite une jeune femme qui se lève pour faire de même en direction de la cheffe du Groupe. Celle-ci obtempère à demi, médisant de ces jeunes urbains, puis elle augmente à nouveau le volume. On saura tout de la récente Foire aux Harengs et du journal qu’édite le Groupe. Je réussis néanmoins à commencer Refus de témoigner de Ruth Klüger (Editions Viviane Hamy), une auteure découverte récemment chez Book-Off où quand j’arrive à dix heures et quelques minutes, je trouve immédiatement Perdu en chemin, autre récit autobiographique de la même paru également chez Viviane Hamy.
Le midi, je déjeune à l’intérieur Chez Céleste d’une langue de bœuf vinaigrette suivie du cassoulet aux haricots rouges nommé feijoada près d’un duo à cheveux blancs dont la conversation, indigente, a pour sujet le quartier :
-Il y a de très jolies boutiques avec de très jolies choses. Il y a des ébénistes qui travaillent très bien. Et c’est pas plus cher qu’ailleurs.
J’ai vraiment besoin de me rafraîchir l’esprit. Pour ce faire, je prends les métros Cinq et Sept et sors de terre à Riquet près du Centquatre.
*
Rouen : jeunes gens qui sortis de la gare dévalent la rue de la Jeanne sur leur planche à roulettes, à qui je souhaite de ne pas finir dans la Seine comme icelle.
*
Eloge par une femme du Groupe d’un livre « passionnant » sur la maladie d’Alzheimer emprunté à la bibliothèque. Sa voisine :
-Comment il s’appelle ?
-Je sais plus.
*
Saint-Lazare, annonce Senecefe : « Ce train est à destination du garage. »
*
Refus de témoigner, livre fort intéressant et bien écrit, est préfacé par Alain Finkielkraut.
Ruth Klüger a survécu, ce n’est pas une survivante. (…) Tout en racontant son histoire, elle adresse une intraitable fin de non-recevoir à ceux qui s’empressent de la définir par ce qui lui est arrivé. écrit Finkie.
Le midi, je déjeune à l’intérieur Chez Céleste d’une langue de bœuf vinaigrette suivie du cassoulet aux haricots rouges nommé feijoada près d’un duo à cheveux blancs dont la conversation, indigente, a pour sujet le quartier :
-Il y a de très jolies boutiques avec de très jolies choses. Il y a des ébénistes qui travaillent très bien. Et c’est pas plus cher qu’ailleurs.
J’ai vraiment besoin de me rafraîchir l’esprit. Pour ce faire, je prends les métros Cinq et Sept et sors de terre à Riquet près du Centquatre.
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Rouen : jeunes gens qui sortis de la gare dévalent la rue de la Jeanne sur leur planche à roulettes, à qui je souhaite de ne pas finir dans la Seine comme icelle.
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Eloge par une femme du Groupe d’un livre « passionnant » sur la maladie d’Alzheimer emprunté à la bibliothèque. Sa voisine :
-Comment il s’appelle ?
-Je sais plus.
*
Saint-Lazare, annonce Senecefe : « Ce train est à destination du garage. »
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Refus de témoigner, livre fort intéressant et bien écrit, est préfacé par Alain Finkielkraut.
Ruth Klüger a survécu, ce n’est pas une survivante. (…) Tout en racontant son histoire, elle adresse une intraitable fin de non-recevoir à ceux qui s’empressent de la définir par ce qui lui est arrivé. écrit Finkie.
30 septembre 2015
Ce lundi matin, vers neuf heures et quart, plutôt inquiet, je monte à pied jusqu’à la place du Boulingrin où se trouve le cabinet au sein duquel exerce mon médecin. Quatre semaines de traitement n’ont pas résolu mon problème de santé et, au vu des symptômes, j’en suis venu à craindre la présence de ganglions annonciateurs d’un cancer qui pourrait être foudroyant.
Je prends place dans la salle d’attente où je regarde passer les jouvencelles en chemin vers le lycée Jeanne d’Arc. A l’accueil, la secrétaire se multiplie entre ses deux téléphones et les malades qui arrivent, annonçant à l’un de ses interlocuteurs que celui qui est officiellement mon médecin traitant ne prend plus de nouveaux patients, ce que j’interprète comme un gage de qualité.
A l’heure exacte du rendez-vous, j'explique mes inquiétudes à ce docteur. « Je vois, me dit-il, je vais regarder ça ». Il ausculte attentivement mes enflures et me rassure : pas de ganglions. Quant au résultat de l’analyse de sang dépassant un peu la norme, il est d’accord avec moi pour juger qu’on peut attendre de savoir ce qu’il en sera dans un an.
Pour l’instant, comme je ne suis pas guéri, il me donne trois semaines supplémentaires d’antibiotique.
-Vous avez besoin d’autre chose ? me demande-t-il comme à chaque fois avant d’imprimer l’ordonnance. Je crois entendre la boulangère et son « Et avec ceci ? »
-Non merci.
Je lui dis que je repars rassuré, que je m’étais fait des films. Nous nous serrons la main.
A la pharmacie du Drugstore, on m’apprend que l’antibiotique prescrit est de ceux qui nécessitent d’éviter le soleil. « Il aurait pu me le dire », me dis-je, sachant que je ne pourrai jamais me plier à une telle discipline, pas envie de me priver des derniers beaux jours.
*
Effectivement, c’est au soleil, en terrasse au Son du Cor, mais lui tournant le dos, que je lis, ce mardi midi, Les joies du plein air d’Albert t’Serstevens (Arléa), recueil de textes sur ses voyages à travers l’Europe, en auto-roulotte avec la belle Marie-Jeanne et le chat Puma, que l’écrivain rédigea à Paris entre mil neuf cent quarante et quarante-deux, son auto-roulotte bloquée au garage et lui-même empêché de voyager par la Deuxième Guerre Mondiale.
*
Un homme, après tout, un homme en lutte avec lui-même, et sur qui pèse la mélancolie de la maturité.
Continuer seul la route du voyage…
Albert t’Serstevens, Les joies du plein air.
Je prends place dans la salle d’attente où je regarde passer les jouvencelles en chemin vers le lycée Jeanne d’Arc. A l’accueil, la secrétaire se multiplie entre ses deux téléphones et les malades qui arrivent, annonçant à l’un de ses interlocuteurs que celui qui est officiellement mon médecin traitant ne prend plus de nouveaux patients, ce que j’interprète comme un gage de qualité.
A l’heure exacte du rendez-vous, j'explique mes inquiétudes à ce docteur. « Je vois, me dit-il, je vais regarder ça ». Il ausculte attentivement mes enflures et me rassure : pas de ganglions. Quant au résultat de l’analyse de sang dépassant un peu la norme, il est d’accord avec moi pour juger qu’on peut attendre de savoir ce qu’il en sera dans un an.
Pour l’instant, comme je ne suis pas guéri, il me donne trois semaines supplémentaires d’antibiotique.
-Vous avez besoin d’autre chose ? me demande-t-il comme à chaque fois avant d’imprimer l’ordonnance. Je crois entendre la boulangère et son « Et avec ceci ? »
-Non merci.
Je lui dis que je repars rassuré, que je m’étais fait des films. Nous nous serrons la main.
A la pharmacie du Drugstore, on m’apprend que l’antibiotique prescrit est de ceux qui nécessitent d’éviter le soleil. « Il aurait pu me le dire », me dis-je, sachant que je ne pourrai jamais me plier à une telle discipline, pas envie de me priver des derniers beaux jours.
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Effectivement, c’est au soleil, en terrasse au Son du Cor, mais lui tournant le dos, que je lis, ce mardi midi, Les joies du plein air d’Albert t’Serstevens (Arléa), recueil de textes sur ses voyages à travers l’Europe, en auto-roulotte avec la belle Marie-Jeanne et le chat Puma, que l’écrivain rédigea à Paris entre mil neuf cent quarante et quarante-deux, son auto-roulotte bloquée au garage et lui-même empêché de voyager par la Deuxième Guerre Mondiale.
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Un homme, après tout, un homme en lutte avec lui-même, et sur qui pèse la mélancolie de la maturité.
Continuer seul la route du voyage…
Albert t’Serstevens, Les joies du plein air.
29 septembre 2015
Voiture indispensable pour passer d’une vide grenier à l’autre ce dimanche, je gare la mienne grâce à sa petite taille pas loin de l’entrée de celui de La Madeleine qui doit son nom a une église aussi laide que la parisienne. Devant cet édifice s’ouvrait la belle perspective s’achevant sur les deux grues jaunes du Cent Six, perspective saccagée par l’érection du Cylindre Asisi, dont la laideur se révèle peu à peu dans le jour levant. Ce vide grenier fait chaque année une gagnante : la fourrière. Elle est à l’œuvre, guidée par la Police.
Le déballage est vaste. Il court dans un réseau de rues que je parcours les unes après les autres, trouvant assez vite un livre pour me satisfaire : Fragments (poèmes, écrits intimes, lettres) de Marilyn Monroe (Le Seuil), que l’on me propose à deux euros, mais rien ensuite. Le circuit bouclé, je constate qu’il m’a fallu une heure et quart. Plutôt qu’un second tour, je choisis de retrouver ma voiture pour me rapprocher, à l’autre bout de Rouen, du quartier Jouvenet.
Je me gare sur le trottoir, route de Neufchâtel, afin de poursuivre à pied, demande à une habitante du quartier si je dois prendre à gauche. « Oui, me dit-elle, et à la moitié de la rue, vous trouvez un petit chemin qui y descend tout droit ». Ce petit chemin est un raidillon terreux qui mène à un rude escalier façon Montmartre. Celui-ci descendu je suis chez les riches, reconnaissant au passage parmi les vendeurs un bistrotier de la rue d’Amiens, bohême en semaine, bourgeois le ouiquennede. Cet environnement permet d’obtenir des prix bas, mais je n’y trouve pas de livre qui me soit indispensable.
-Ça sent la frite, s’inquiète soudain une vendeuse.
C’est qu’un gargotier a installé sa cuisine itinérante sur la petite place, là où l’on hume habituellement l’odeur du gazon fraîchement tondu.
Après avoir vaillamment remonté les marches en pierre et le raidillon terreux, je reprends la route jusqu’à la proche banlieue nommée Bihorel, me garant à proximité du cimetière. Bihorel est semblable au dix-septième arrondissement de Paris, moitié de fauchés, moitié de rupins. Le vide grenier est situé alternativement chez les uns et chez les autres. Cette année, il est sur le Plateau des Provinces, autrement dit chez les pauvres. Je le rejoins par les allées piétonnières, entre les immeubles et l’école Coty. Il est fréquenté par trop de monde, mais par aucun riche. « Papa, qu’est-ce qu’on fait là ? », demande un moutard. Je me pose la même question. Quand un livre me tente, on en exige plus que je ne veux y mettre. Je fais quand même tout le circuit avant de redescendre à Rouen par le tunnel de la Grand-Mare.
Après déjeuner, je récupère mes forces en lisant De Léopold à Constance, Wolfgang Amadeus de Maurice Barthélemy (Babel Actes-Sud), en terrasse au soleil du Son du Cor, puis effectue ce que l’un que j’y croise appelle « un repassage » au vide grenier de La Madeleine où des voitures que la fourrière n’a pas eu l’envie ou le temps d’emporter sont utilisées comme présentoirs par certains vendeurs. Les affaires ne sont pas prospères, cependant déclare une vendeuse, « le soir quand on compte, on est content ».
Au retour, sous le Gros-Horloge, je frôle une poignée d’optimistes : « Méditons ensemble » « Une minute pour la paix ». Chacun fait ce qu’il veut de son dimanche.
*
En fin d’après-midi, je suis à la gare de Rouen où, peu de temps avant l’heure de son train pour Paris, apparaît celle qui doit voir Tomi Ungerer au Musée des Arts Décoratifs le jour de ma fête. Elle espère lui faire signer ses Trois Brigands. Bien que je doute de sa réussite, je lui confie à cette même fin mon Géant de Zéralda.
*
Le Cylindre Asisi, officiellement nommé Panorama Ixe Ixe Elle, change de programme ce ouiquennede. Après la Rome antique, l’Amazonie. Une attraction foraine chasse l’autre. La Sénatrice Morin-Desailly, Centriste de Droite, conviée à l’inauguration a refusé de se rendre dans ce bâtiment « qui dénature le paysage rouennais » et « est un petit scandale lorsqu'on songe aux équipements culturels de base qui manquent à notre agglomération, aux difficultés dans lesquelles se débattent nos théâtres et nos scènes, nos conservatoires, nos bibliothèques, certains de nos musées pour boucler cette année leur budget ».
Ces propos auraient été tenus autrefois par tous les politicien(ne)s de la Gauche locale.
Aujourd’hui, l’un d’eux, Sanchez, Socialiste, Chef de la Métropole, se réjouit que ce Panorama fasse plus d’entrées que le Musée.
Le déballage est vaste. Il court dans un réseau de rues que je parcours les unes après les autres, trouvant assez vite un livre pour me satisfaire : Fragments (poèmes, écrits intimes, lettres) de Marilyn Monroe (Le Seuil), que l’on me propose à deux euros, mais rien ensuite. Le circuit bouclé, je constate qu’il m’a fallu une heure et quart. Plutôt qu’un second tour, je choisis de retrouver ma voiture pour me rapprocher, à l’autre bout de Rouen, du quartier Jouvenet.
Je me gare sur le trottoir, route de Neufchâtel, afin de poursuivre à pied, demande à une habitante du quartier si je dois prendre à gauche. « Oui, me dit-elle, et à la moitié de la rue, vous trouvez un petit chemin qui y descend tout droit ». Ce petit chemin est un raidillon terreux qui mène à un rude escalier façon Montmartre. Celui-ci descendu je suis chez les riches, reconnaissant au passage parmi les vendeurs un bistrotier de la rue d’Amiens, bohême en semaine, bourgeois le ouiquennede. Cet environnement permet d’obtenir des prix bas, mais je n’y trouve pas de livre qui me soit indispensable.
-Ça sent la frite, s’inquiète soudain une vendeuse.
C’est qu’un gargotier a installé sa cuisine itinérante sur la petite place, là où l’on hume habituellement l’odeur du gazon fraîchement tondu.
Après avoir vaillamment remonté les marches en pierre et le raidillon terreux, je reprends la route jusqu’à la proche banlieue nommée Bihorel, me garant à proximité du cimetière. Bihorel est semblable au dix-septième arrondissement de Paris, moitié de fauchés, moitié de rupins. Le vide grenier est situé alternativement chez les uns et chez les autres. Cette année, il est sur le Plateau des Provinces, autrement dit chez les pauvres. Je le rejoins par les allées piétonnières, entre les immeubles et l’école Coty. Il est fréquenté par trop de monde, mais par aucun riche. « Papa, qu’est-ce qu’on fait là ? », demande un moutard. Je me pose la même question. Quand un livre me tente, on en exige plus que je ne veux y mettre. Je fais quand même tout le circuit avant de redescendre à Rouen par le tunnel de la Grand-Mare.
Après déjeuner, je récupère mes forces en lisant De Léopold à Constance, Wolfgang Amadeus de Maurice Barthélemy (Babel Actes-Sud), en terrasse au soleil du Son du Cor, puis effectue ce que l’un que j’y croise appelle « un repassage » au vide grenier de La Madeleine où des voitures que la fourrière n’a pas eu l’envie ou le temps d’emporter sont utilisées comme présentoirs par certains vendeurs. Les affaires ne sont pas prospères, cependant déclare une vendeuse, « le soir quand on compte, on est content ».
Au retour, sous le Gros-Horloge, je frôle une poignée d’optimistes : « Méditons ensemble » « Une minute pour la paix ». Chacun fait ce qu’il veut de son dimanche.
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En fin d’après-midi, je suis à la gare de Rouen où, peu de temps avant l’heure de son train pour Paris, apparaît celle qui doit voir Tomi Ungerer au Musée des Arts Décoratifs le jour de ma fête. Elle espère lui faire signer ses Trois Brigands. Bien que je doute de sa réussite, je lui confie à cette même fin mon Géant de Zéralda.
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Le Cylindre Asisi, officiellement nommé Panorama Ixe Ixe Elle, change de programme ce ouiquennede. Après la Rome antique, l’Amazonie. Une attraction foraine chasse l’autre. La Sénatrice Morin-Desailly, Centriste de Droite, conviée à l’inauguration a refusé de se rendre dans ce bâtiment « qui dénature le paysage rouennais » et « est un petit scandale lorsqu'on songe aux équipements culturels de base qui manquent à notre agglomération, aux difficultés dans lesquelles se débattent nos théâtres et nos scènes, nos conservatoires, nos bibliothèques, certains de nos musées pour boucler cette année leur budget ».
Ces propos auraient été tenus autrefois par tous les politicien(ne)s de la Gauche locale.
Aujourd’hui, l’un d’eux, Sanchez, Socialiste, Chef de la Métropole, se réjouit que ce Panorama fasse plus d’entrées que le Musée.
28 septembre 2015
Ce samedi, à dix heures, je suis à la gare de Rouen pour accueillir celle qui vient me voir tirant derrière elle un chariot empli des livres que je n’ai pu rapporter de Paris quand j’étais chez elle pendant son voyage de travail à Pékin. S’y ajoute mon sac à dos qu’elle n’a pu faire réparer. Nous posons tout ça à la maison, passons par le marché et buvons une boisson chaude au soleil à la terrasse du Clos Saint-Marc en parlant de nos vies respectives et du monde tel qu’il va mal.
A midi, nous prenons l’apéritif au jardin où je réussis à renverser mon verre de pommeau avant même d’en avoir bu une goutte puis déjeunons de sa bonne cuisine dans un grand et long tintamarre de cloches de la Cathédrale dont la flèche fend un ciel d’un bleu estival (l’Archevêque Descubes y célèbre sa dernière messe).
Quand le moment est venu pour elle d’aller chez ses parents, je prends le métro afin d'aller une seconde fois au désherbage de la bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen. J’y côtoie des jeunes acheteurs et acheteuses qui hier travaillaient et n’ont pu profiter de l’aubaine du premier jour mais les responsables ont remplacé les livres déjà vendus par d’autres tout aussi intéressants et je suis étonné encore une fois que cette bibliothèque, comme d’autres, juge bon de vendre des livres de fonds, qui ne sont plus édités, et manqueront un jour à un(e) étudiant(e). Mes deux sacs s’emplissent. S’y trouvent notamment Du fond de l’abîme (Journal du ghetto de Varsovie) de Hillel Seidman (Terre Humaine Plon), La Foire à L’Homme (Ecrits et dits dans les camps du système nazi de 1933 à 1945) de Michel Reynaud (Tirésias, deux volumes dans un coffret illustré par Robert Combas), Mes soldats de papier (Journal 1933-1941) de Victor Klemperer (Le Seuil), Le Livre idolâtre de Bruno Schulz (Denoël) et Les Cahiers noirs (Journal 1905-1922) de Marcel Sembat (Viviane Hamy).
Au moment de payer, la bibliothécaire apercevant ce dernier livre, m’annonce qu’elle ne peut me le laisser :
-Il y a quelqu’un qui me l’a demandé.
Je proteste :
-Ce n’est pas correct.
Elle cède :
-Bon, eh bien, tant pis, on le rachètera.
Je paie, remets mes livres dans mes sacs et ai droit à un « au revoir » glacial.
*
Ces Cahiers noirs, comme tous les livres désherbés porte le cachet « Supprimé de l’inventaire ». Il ne pouvait pas être remis en circulation sur les rayonnages de la bibliothèque. Il est donc probable qu’une connaissance de cette bibliothécaire lui avait demandé de le mettre de côté à son intention.
*
Autre livre désherbé : Les mots croisés de Georges Perec (P.O.L.), comprenant trois cent quarante-neuf grilles, acheté vingt-huit euros par cette bibliothèque, alors qu’évidemment aucun(e) abonné(e) ne pouvait prendre son crayon pour les faire.
*
L’Archevêque Descubes part à la retraite (comme on dit). Il restera dans la mémoire des Rouennais(e)s grâce à sa chute dans la Seine lors de l’Armada deux mille huit. Son successeur Lebrun a cinquante-huit ans. Première fois que l'Archevêque est plus jeune que moi. Pas rassurant.
A midi, nous prenons l’apéritif au jardin où je réussis à renverser mon verre de pommeau avant même d’en avoir bu une goutte puis déjeunons de sa bonne cuisine dans un grand et long tintamarre de cloches de la Cathédrale dont la flèche fend un ciel d’un bleu estival (l’Archevêque Descubes y célèbre sa dernière messe).
Quand le moment est venu pour elle d’aller chez ses parents, je prends le métro afin d'aller une seconde fois au désherbage de la bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen. J’y côtoie des jeunes acheteurs et acheteuses qui hier travaillaient et n’ont pu profiter de l’aubaine du premier jour mais les responsables ont remplacé les livres déjà vendus par d’autres tout aussi intéressants et je suis étonné encore une fois que cette bibliothèque, comme d’autres, juge bon de vendre des livres de fonds, qui ne sont plus édités, et manqueront un jour à un(e) étudiant(e). Mes deux sacs s’emplissent. S’y trouvent notamment Du fond de l’abîme (Journal du ghetto de Varsovie) de Hillel Seidman (Terre Humaine Plon), La Foire à L’Homme (Ecrits et dits dans les camps du système nazi de 1933 à 1945) de Michel Reynaud (Tirésias, deux volumes dans un coffret illustré par Robert Combas), Mes soldats de papier (Journal 1933-1941) de Victor Klemperer (Le Seuil), Le Livre idolâtre de Bruno Schulz (Denoël) et Les Cahiers noirs (Journal 1905-1922) de Marcel Sembat (Viviane Hamy).
Au moment de payer, la bibliothécaire apercevant ce dernier livre, m’annonce qu’elle ne peut me le laisser :
-Il y a quelqu’un qui me l’a demandé.
Je proteste :
-Ce n’est pas correct.
Elle cède :
-Bon, eh bien, tant pis, on le rachètera.
Je paie, remets mes livres dans mes sacs et ai droit à un « au revoir » glacial.
*
Ces Cahiers noirs, comme tous les livres désherbés porte le cachet « Supprimé de l’inventaire ». Il ne pouvait pas être remis en circulation sur les rayonnages de la bibliothèque. Il est donc probable qu’une connaissance de cette bibliothécaire lui avait demandé de le mettre de côté à son intention.
*
Autre livre désherbé : Les mots croisés de Georges Perec (P.O.L.), comprenant trois cent quarante-neuf grilles, acheté vingt-huit euros par cette bibliothèque, alors qu’évidemment aucun(e) abonné(e) ne pouvait prendre son crayon pour les faire.
*
L’Archevêque Descubes part à la retraite (comme on dit). Il restera dans la mémoire des Rouennais(e)s grâce à sa chute dans la Seine lors de l’Armada deux mille huit. Son successeur Lebrun a cinquante-huit ans. Première fois que l'Archevêque est plus jeune que moi. Pas rassurant.
25 septembre 2015
Alerté il y a plusieurs semaines par un lecteur inconnu (qu’il en soit remercié), je prends le métro rouennais direction Technopôle ce vendredi midi pour me rendre à Sotteville où la bibliothèque municipale se débarrasse contre monnaie des livres qu’elle estime désormais inutiles pour son lectorat. Descendu à Hôtel de Ville, je repère la Poste comme m’a dit de faire hier au téléphone une aimable Stéphanie : « Nous sommes à côté ». Effectivement, je vois foule devant la porte d’un bâtiment voisin et, collés contre cette porte, plusieurs de mes concurrents habituels. J’entre avant eux car c’est une porte latérale qui s’ouvre pour nous permettre d’accéder au désherbage. Les moins rapides restent dehors à faire file d’attente. Délaissant les livres d’art vendus cinq ou dix euros, je m’intéresse aux documents vendus à deux et en tire de quoi remplir deux sacs dont Autoportrait d’Helmut Newton, Mémoires sans mémoire de Jacques-Henri Lartigue et des biographies de Pialat, Giacometti et Duchamp (deux : celle de Judith Housez et celle de Bernard Marcadé).
Alerté ce jour par l’ami Masson de la même opportunité depuis la veille à la bibliothèque François-Truffaut du Petit-Quevilly (qu’il en soit remercié mais qu’il mange son chapeau pour le retard), à peine mes sacs vidés à la maison, je reprends le métro direction Le Grand-Quevilly et descends au Petit. Là, nous ne sommes que quatre à attendre l’ouverture de quatorze heures. C’est heureux car l’annexe où sont proposés les livres (tous à deux euros) n’est pas grande. J’imagine la bousculade le premier jour du désherbage et suis content de l’avoir manqué (que l’ami Masson cesse de manger son chapeau). J’en repars sous un ciel noir avec un seul sac dans lequel se trouvent notamment une biographie de Perec, celle de Tina Modotti par Margaret Hooks Amour, Art et Révolution et le Journal de deuil de Barthes.
*
Revu à Sotteville le restaurant japonais Wasabi puis au Petit-Cul le chinois Au Bon Accueil où je fus avec celle qui vient me voir ce samedi (j’ai aussi rapporté un livre pour elle).
*
Mœurs de boulanger : la farine augmente, le pain augmente (c’était avant) ; la farine baisse, le pain augmente (c’est maintenant, de cinq centimes).
*
Il faut croire que nombreux sont les déçus de la nouvelle saison de France Culture, notamment de la matinale confiée à Guillaume Erner, pour que le médiateur en fasse l’objet de sa première chronique ce jeudi midi. Evoquant des plaintes d’auditeurs, il répond en signalant la grande qualité des invités de l’émission, alors que le problème ce sont les questions insipides que leur pose l’animateur. A l’un qui regrette France Culture d’il y a vingt ans, ce médiateur répond que les temps ont changé, la station a beaucoup plus d’auditeurs qu’alors, il faut en tenir compte. Bel exemple de ce qu’on appelle le nivellement par le bas.
Alerté ce jour par l’ami Masson de la même opportunité depuis la veille à la bibliothèque François-Truffaut du Petit-Quevilly (qu’il en soit remercié mais qu’il mange son chapeau pour le retard), à peine mes sacs vidés à la maison, je reprends le métro direction Le Grand-Quevilly et descends au Petit. Là, nous ne sommes que quatre à attendre l’ouverture de quatorze heures. C’est heureux car l’annexe où sont proposés les livres (tous à deux euros) n’est pas grande. J’imagine la bousculade le premier jour du désherbage et suis content de l’avoir manqué (que l’ami Masson cesse de manger son chapeau). J’en repars sous un ciel noir avec un seul sac dans lequel se trouvent notamment une biographie de Perec, celle de Tina Modotti par Margaret Hooks Amour, Art et Révolution et le Journal de deuil de Barthes.
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Revu à Sotteville le restaurant japonais Wasabi puis au Petit-Cul le chinois Au Bon Accueil où je fus avec celle qui vient me voir ce samedi (j’ai aussi rapporté un livre pour elle).
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Mœurs de boulanger : la farine augmente, le pain augmente (c’était avant) ; la farine baisse, le pain augmente (c’est maintenant, de cinq centimes).
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Il faut croire que nombreux sont les déçus de la nouvelle saison de France Culture, notamment de la matinale confiée à Guillaume Erner, pour que le médiateur en fasse l’objet de sa première chronique ce jeudi midi. Evoquant des plaintes d’auditeurs, il répond en signalant la grande qualité des invités de l’émission, alors que le problème ce sont les questions insipides que leur pose l’animateur. A l’un qui regrette France Culture d’il y a vingt ans, ce médiateur répond que les temps ont changé, la station a beaucoup plus d’auditeurs qu’alors, il faut en tenir compte. Bel exemple de ce qu’on appelle le nivellement par le bas.
24 septembre 2015
Téléphoner plusieurs fois à un autre pour lui dire où on est assis dans le train, lui expliquer comment faire pour se retrouver dans la même voiture, se retourner à chaque fois que la porte bat, pour rien, finir par renoncer et à l’arrivée à Paris, par un nouvel appel téléphonique, comprendre que celui qu’on a attendu en vain était dans le train de huit heures sept, c’est ce qui arrive à l’un qui comme moi arrive à Paris par le sept heures cinquante-neuf ce mercredi.
Il fait soleil dans la capitale. Je prends donc le bus Vingt pour me rapprocher du Book-Off de la Bastille. J’y entre cinq minutes après l’ouverture et suis accueilli cette fois encore par la voix de Léo Ferré. De Jolie Môme et Thank you Satan à Avec le temps et La Solitude, je fais mon marché et oublie les idées noires qui me trottent dans la tête.
Celles-ci reviennent tandis que je rejoins à pied le quartier Beaubourg afin de déjeuner chez New New. Trois semaines de pommade puis une semaine d’antibiotiques sans que disparaisse ce qui est peut-être le symptôme d’autre chose. Que va m’annoncer mon médecin quand je le reverrai la semaine prochaine, quels examens va-t-il m’imposer ? Ou bien ai-je tort de m’alarmer ?
Il y a du monde dès midi dans le restaurant chinois à volonté pour neuf euros quatre-vingts de l’impasse Beaubourg. Certains se jettent sur le buffet sans prendre le temps d’ôter leur manteau. Un groupe d’une dizaine de stagiaires, dans lequel chacun semble surpris de côtoyer les autres, découvre la nourriture asiatique. Tous mélangent dans une même assiette les nems, les viandes et les nouilles à la chinoise, les sushis et les makis. Ils ne sont pas les seuls à se préparer une telle mixture. Un couple répugnant que je vois ici toutes les fois où j’y mange fait de même (et je les soupçonne d'en mettre dans un sac en plastique pour leur repas du soir).
Derrière moi, deux femmes collègues discutent travail : le problème en France, l’obligation d’avoir des diplômes ; l’ennemi, le chef de service ; le faux ami, le psychologue qui te dira « Apprenez à respirer » ou bien « Ecrivez » ; le moyen de se défendre, le congé de maladie ; l’ultime recours, aller aux prud’hommes.
J’ai encore bien des occasions pour penser à ce qui m’obsède pendant que je fais le tour des librairies de Châtelet : Boulinier, Gilda, Le Gai Rossignol (celle-ci entièrement rénovée où j’ouvre une carte de fidélité en matière d’antidote) puis je traverse la Seine à pied pour revoir le Quartier Latin et fureter dans les bacs de trottoir des deux Gibert.
Le bus Vingt-Neuf m’emmène près du Book-Off de l’Opéra. J’y rapporte le petit Taschen sur Lucian Freud acheté deux euros la semaine dernière, m’étant aperçu un peu tard qu’il était en anglais. J’en avais déjà enlevé les étiquettes et je n’ai pas le ticket de caisse, mais on veut bien me l’échanger quand même. « Parce que c’est vous », me dit celle auprès de qui je plaide ma cause.
Dans les rayonnages à deux euros de l’étage, je ne trouve pour le remplacer que Le Havre, Auguste Perret et la reconstruction aux Editions de l’Inventaire, puis je remplis mon panier, au rez-de-chaussée, de livres qui m’intéressent davantage, à un euro, dont Lettres d’une vie, la correspondance de Lucrèce Borgia dans l’édition établie par Guy Le Thiec pour Payot. Ce dernier l’avait envoyé « A Monsieur Jean-Pierre Elkabbach, en respectueux hommage ».
*
Faut-il s’étonner si chez Book-Off à l’intercalaire Sarraute on trouve les livres de Claude, la fille ?
*
Nul soliloqueur ce mercredi au comptoir de la Clé des Champs. L’analyse de l’eau potable par celui de la semaine dernière n’était pas de lui, m’a-t-on appris, mais d’un comique dont la vidéo tourne sur les réseaux sociaux.
J’y découvre la nouvelle serveuse, débutante, pleine de bonne volonté. A un moment, elle vient me voir pour me demander si ça va bien. Je ne sais pas ce qui se passerait si je lui répondais : « Non justement, je suis très inquiet pour ma santé ».
Il fait soleil dans la capitale. Je prends donc le bus Vingt pour me rapprocher du Book-Off de la Bastille. J’y entre cinq minutes après l’ouverture et suis accueilli cette fois encore par la voix de Léo Ferré. De Jolie Môme et Thank you Satan à Avec le temps et La Solitude, je fais mon marché et oublie les idées noires qui me trottent dans la tête.
Celles-ci reviennent tandis que je rejoins à pied le quartier Beaubourg afin de déjeuner chez New New. Trois semaines de pommade puis une semaine d’antibiotiques sans que disparaisse ce qui est peut-être le symptôme d’autre chose. Que va m’annoncer mon médecin quand je le reverrai la semaine prochaine, quels examens va-t-il m’imposer ? Ou bien ai-je tort de m’alarmer ?
Il y a du monde dès midi dans le restaurant chinois à volonté pour neuf euros quatre-vingts de l’impasse Beaubourg. Certains se jettent sur le buffet sans prendre le temps d’ôter leur manteau. Un groupe d’une dizaine de stagiaires, dans lequel chacun semble surpris de côtoyer les autres, découvre la nourriture asiatique. Tous mélangent dans une même assiette les nems, les viandes et les nouilles à la chinoise, les sushis et les makis. Ils ne sont pas les seuls à se préparer une telle mixture. Un couple répugnant que je vois ici toutes les fois où j’y mange fait de même (et je les soupçonne d'en mettre dans un sac en plastique pour leur repas du soir).
Derrière moi, deux femmes collègues discutent travail : le problème en France, l’obligation d’avoir des diplômes ; l’ennemi, le chef de service ; le faux ami, le psychologue qui te dira « Apprenez à respirer » ou bien « Ecrivez » ; le moyen de se défendre, le congé de maladie ; l’ultime recours, aller aux prud’hommes.
J’ai encore bien des occasions pour penser à ce qui m’obsède pendant que je fais le tour des librairies de Châtelet : Boulinier, Gilda, Le Gai Rossignol (celle-ci entièrement rénovée où j’ouvre une carte de fidélité en matière d’antidote) puis je traverse la Seine à pied pour revoir le Quartier Latin et fureter dans les bacs de trottoir des deux Gibert.
Le bus Vingt-Neuf m’emmène près du Book-Off de l’Opéra. J’y rapporte le petit Taschen sur Lucian Freud acheté deux euros la semaine dernière, m’étant aperçu un peu tard qu’il était en anglais. J’en avais déjà enlevé les étiquettes et je n’ai pas le ticket de caisse, mais on veut bien me l’échanger quand même. « Parce que c’est vous », me dit celle auprès de qui je plaide ma cause.
Dans les rayonnages à deux euros de l’étage, je ne trouve pour le remplacer que Le Havre, Auguste Perret et la reconstruction aux Editions de l’Inventaire, puis je remplis mon panier, au rez-de-chaussée, de livres qui m’intéressent davantage, à un euro, dont Lettres d’une vie, la correspondance de Lucrèce Borgia dans l’édition établie par Guy Le Thiec pour Payot. Ce dernier l’avait envoyé « A Monsieur Jean-Pierre Elkabbach, en respectueux hommage ».
*
Faut-il s’étonner si chez Book-Off à l’intercalaire Sarraute on trouve les livres de Claude, la fille ?
*
Nul soliloqueur ce mercredi au comptoir de la Clé des Champs. L’analyse de l’eau potable par celui de la semaine dernière n’était pas de lui, m’a-t-on appris, mais d’un comique dont la vidéo tourne sur les réseaux sociaux.
J’y découvre la nouvelle serveuse, débutante, pleine de bonne volonté. A un moment, elle vient me voir pour me demander si ça va bien. Je ne sais pas ce qui se passerait si je lui répondais : « Non justement, je suis très inquiet pour ma santé ».
23 septembre 2015
Bonne découverte que celle d’Adresses fantômes de Michel Longuet, né en mil neuf cent quarante-cinq, qui fit des études d’architecture avant de devenir illustrateur et réalisateur de courts-métrages d’animation. Dans ce livre publié chez Grasset en deux mille treize, il montre une sélection de dessins tirés de ses carnets, ceux concernant les adresses parisiennes « ici vécut » de Méliès, Lautrec, Marquet, Gauguin, Atget, Calder, Beckett, Michaux et Follain.
J’aime ses dessins mais encore plus les textes d’accompagnement qui narrent les circonstances dans lesquelles ils ont été faits, tout en constituant une sorte d’autobiographie en tranches ou en creux.
Echantillon :
A peine ai-je esquissé mon premier trait du 10 rue Cail, où Gauguin emménagea avec son fils Clovis, qu’une jeune fille en compose le code. Je me précipite. Savoir qu’un peintre habita l’immeuble est pour elle une bonne nouvelle. Elle s’intéresse à la peinture et sa voisine est critique d’art. Montez, me propose-t-elle. Je me retrouve alors dans un appartement des étages supérieurs, tout blanc. C’est peut-être celui de Gauguin ? dit-elle. En fait non, c’était au second. Comme dans ces séries policières à la TV le samedi soir, j’aurais pu lui arracher ses vêtements et la violer sur place, me dis-je une fois dans la rue.
Et de constater à une autre occasion :
A quoi bon une pince-monseigneur si un carnet de croquis ouvre toutes les portes ?
Plus que par les jeunes filles, c’est par les humains de son sexe qu’est séduit Michel Longuet, comme il l’évoque de-ci de-là se souvenant de sa jeunesse :
Un soir qu’on déambulait avec quelques élèves des Beaux-Arts entre les tables, une vieille Américaine nous invita à la sienne. A ses côtés, un petit monsieur avec une perle piquée dans sa cravate restait silencieux. Oh ! mais appelez-le, me dit l’Américaine le lendemain, il aime bien les jeunes gens. C’est ainsi que débuta ma relation avec Adrien.
Manque la porte cochère de l’hôtel du prince de Condé que j’ouvrais 2 fois par jour il y a 40 ans pour monter chez Pepito.
Dans les deux cas, on n’en saura pas plus.
Ceci encore que j’ai noté :
Le film était projeté dans l’entrée, j’en ai profité pour dessiner les spectateurs. Un couple voulut voir mon dessin. Tenez, leur dis-je, vous êtes là avec la rose. Oh ! merci, dirent-ils. Peut-être, êtes-vous un peu célèbre ?
Et pour finir :
Je dessine ce portrait d’Eugène Atget à la Bpi en m’inspirant d’une photo de Berenice Abbott. J’aime son sourire. Etonné qu’une jeune photographe s’intéresse à lui. Quelques jours plus tard, il était mort.
*
Autre lecture, décevante celle-là, les mémoires d’Edna O’Brien publiés chez Sabine Wespieser sous le titre Fille de la campagne après avoir été traduits de l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat. La vieille dame reste dans les généralités et y parle beaucoup trop de ses enfants.
Seul épisode que j’aie envie de sauver, son récit de tentative de première fois :
Je parlai de mes peurs et, les sentant, il me berça dans le creux de son bras, m’appela « Baby » et me dit que je n’avais pas avoir peur car « il pouvait entrer en moi comme dans du beurre ». Carrément choquant.
Montrant du doigt l’horloge murale, je dis qu’elles devaient rentrer à trois heures, ce qui nous laissait onze petites minutes de mamours. Me tenant vigoureusement, il dit qu’il était « un crac » et qu’il pouvait tout boucler en moins que ça. Le rêve d’amour, de ce lien mystique qui rapproche les âmes autant que les corps, était brisé, et je m’arrachai à son étreinte.
*
Et ceci, avant de ranger A travers le vaste monde d’Erika et Klaus Mann (Payot) dans ma bibliothèque :
Quand on a demandé à George Gershwin comment il avait eu l’idée d’écrire sa Rhapsodie, il a répondu : « J’avais vingt et un ans et je vivais à New York. Que pouvais-je faire d’autre ? »
J’aime ses dessins mais encore plus les textes d’accompagnement qui narrent les circonstances dans lesquelles ils ont été faits, tout en constituant une sorte d’autobiographie en tranches ou en creux.
Echantillon :
A peine ai-je esquissé mon premier trait du 10 rue Cail, où Gauguin emménagea avec son fils Clovis, qu’une jeune fille en compose le code. Je me précipite. Savoir qu’un peintre habita l’immeuble est pour elle une bonne nouvelle. Elle s’intéresse à la peinture et sa voisine est critique d’art. Montez, me propose-t-elle. Je me retrouve alors dans un appartement des étages supérieurs, tout blanc. C’est peut-être celui de Gauguin ? dit-elle. En fait non, c’était au second. Comme dans ces séries policières à la TV le samedi soir, j’aurais pu lui arracher ses vêtements et la violer sur place, me dis-je une fois dans la rue.
Et de constater à une autre occasion :
A quoi bon une pince-monseigneur si un carnet de croquis ouvre toutes les portes ?
Plus que par les jeunes filles, c’est par les humains de son sexe qu’est séduit Michel Longuet, comme il l’évoque de-ci de-là se souvenant de sa jeunesse :
Un soir qu’on déambulait avec quelques élèves des Beaux-Arts entre les tables, une vieille Américaine nous invita à la sienne. A ses côtés, un petit monsieur avec une perle piquée dans sa cravate restait silencieux. Oh ! mais appelez-le, me dit l’Américaine le lendemain, il aime bien les jeunes gens. C’est ainsi que débuta ma relation avec Adrien.
Manque la porte cochère de l’hôtel du prince de Condé que j’ouvrais 2 fois par jour il y a 40 ans pour monter chez Pepito.
Dans les deux cas, on n’en saura pas plus.
Ceci encore que j’ai noté :
Le film était projeté dans l’entrée, j’en ai profité pour dessiner les spectateurs. Un couple voulut voir mon dessin. Tenez, leur dis-je, vous êtes là avec la rose. Oh ! merci, dirent-ils. Peut-être, êtes-vous un peu célèbre ?
Et pour finir :
Je dessine ce portrait d’Eugène Atget à la Bpi en m’inspirant d’une photo de Berenice Abbott. J’aime son sourire. Etonné qu’une jeune photographe s’intéresse à lui. Quelques jours plus tard, il était mort.
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Autre lecture, décevante celle-là, les mémoires d’Edna O’Brien publiés chez Sabine Wespieser sous le titre Fille de la campagne après avoir été traduits de l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat. La vieille dame reste dans les généralités et y parle beaucoup trop de ses enfants.
Seul épisode que j’aie envie de sauver, son récit de tentative de première fois :
Je parlai de mes peurs et, les sentant, il me berça dans le creux de son bras, m’appela « Baby » et me dit que je n’avais pas avoir peur car « il pouvait entrer en moi comme dans du beurre ». Carrément choquant.
Montrant du doigt l’horloge murale, je dis qu’elles devaient rentrer à trois heures, ce qui nous laissait onze petites minutes de mamours. Me tenant vigoureusement, il dit qu’il était « un crac » et qu’il pouvait tout boucler en moins que ça. Le rêve d’amour, de ce lien mystique qui rapproche les âmes autant que les corps, était brisé, et je m’arrachai à son étreinte.
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Et ceci, avant de ranger A travers le vaste monde d’Erika et Klaus Mann (Payot) dans ma bibliothèque :
Quand on a demandé à George Gershwin comment il avait eu l’idée d’écrire sa Rhapsodie, il a répondu : « J’avais vingt et un ans et je vivais à New York. Que pouvais-je faire d’autre ? »
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