Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

10 mars 2016


Après une bonne nuit dans le lit d’environ deux mètres sur deux de l’Appart’City Hôtel, je descends dès six heures trente dans la salle de petit-déjeuner où je côtoie des ouvriers et une ouvrière des pays dits autrefois de l’Est. L’un a si peu de temps pour manger qu’il le fait sans enlever ni sa veste ni son sac à dos. Je suis le seul à pouvoir traîner et j’en profite au point que l’employée me croit parti et débarrasse ma table prématurément alors que je suis occupé à me faire une bonne assiette de fromages. Dehors, il pleut bien et le vent souffle fort.
J’affronte ce foutu temps vers neuf heures et demie et constate que, malgré ses baleines renforcées, mon parapluie newyorkais ne résistera pas si je persiste à vouloir l’utiliser. C’est déjà bien mouillé que j’entre au centre commercial Les Eléis. N’ayant pas réussi à comprendre comment on met les piles dans mon nouvel appareil photo, je demande de l’aide à l’employé de chez Carrefour qui me l’a vendu. Il n’y arrive pas davantage, ce qui me rassure sur mon cas. En désespoir, il interroge un forum d’aide sur Internet.
-On n’est pas les seuls à ne pas trouver, constate-t-il.
La solution est là, faire glisser la façade de l’appareil. Me voici paré pour photographier mais, vu le temps, ce sera pour un autre jour. Je passe courageusement de l’autre côté du port de pêche par le pont tournant et me réfugie au Café de l’Etoile. J’y lis Plouk Town de Ian Monk pendant un long moment tandis qu’autour de moi on parle cave inondée et électricité coupée par branche tombée.
A onze heures, je subis un nouveau trempage pour atteindre la Brasserie du Commerce. Cet endroit est vaste et constitué d’une enfilade de salles. On m’y installe dans la troisième, au chaud, loin de la perturbation qui s’infiltre par la porte d’entrée. Pour le même prix que la veille, j’y déjeune de côtes d’agneau grillées à la crème d’ail avec frites et d’une crêpe fourrée aux pommes sauce caramel, avec un quart de vin rouge et un café. Près de moi est un couple de quinquagénaires qui doit recevoir ce ouiquennede :
-Ça va être joli la baraque, y viennent à trois, avec le chien à Serge en plus.
Je replonge dans la tourmente pour aller une nouvelle fois m’abriter au Café de l’Etoile et poursuivre ma lecture tout en regardant comment se débrouillent les quelques Cherbourgeois dans les rues (la plupart sont mieux équipés que moi, avec des manteaux à capuche).
Ici, c’est à seize heures trente, devant la Mairie, qu’ont rendez-vous les opposants à la loi dite travail et chacun est d’accord au Café de l’Etoile pour prévoir qu’il va y avoir personne, cent ou deux cents pas plus, avec ce temps.
Quand arrive sur les téléphones une alarme « risque de submersion » pour certains coins de la ville, je me lance une dernière fois dehors. Il pleut toujours autant et le vent fort est devenu tempête. Passer le pont tournant sans décoller est un exploit que je réussis mais quand j’arrive à l’Appart’City Hôtel, je ressemble à Hollande, Président, draché sur l’île de Sein.
                                                               *
Je voulais profiter de ce sale temps pour visiter le Musée Thomas-Henry mais celui-ci est en travaux « se terminant fin deux mille quinze ».  
-Il y a eu du retard à cause d’un problème d’étanchéité, l’inauguration est le dix-neuf mars, m’apprend la sympathique hôtesse de l’Office de Tourisme.
Dommage, j’aurais pu y voir des primitifs religieux et flamands dont Fra Angelico et Van Dyck, ainsi que Greuze, David, Millet, Poussin, Murillo et Boudin.
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Quand la pluie tombe à Cherbourg, elle ne fait pas les choses à demi (ma blagounette du jour)
 

9 mars 2016


Qui qui réveille la ville de Rouen avec sa valise à roulettes à cinq heures et demie du matin ce mardi ? C’est moué.
Mon train est à six heures quatre, moderne et composé de deux voitures seulement. Il m’emmène à Caen où je dois changer pour Cherbourg. Je voyage avec des lycéens bien calmes à cette heure matutinale, même ceux à perruques orange. C’est le Carnaval des Etudiants aujourd’hui dans ce qui fut la capitale de Basse-Normandie. J’y passe d’un quai à l’autre pour m’asseoir dans un deuxième train identique au premier. Y voyagent d’autres lycéens et quelques travailleurs. Nous passons par Bayeux dont j’aperçois la Cathédrale puis Valognes où sont stockés des wagons de transport de combustible irradié.
A neuf heures treize, je suis à Cherbourg et vais à pied jusqu’à l’Appart’City Hôtel qui a la bonne idée de se situer près de la rue Jacques-Rouxel, le créateur des Shadoks, né dans cette ville. J’y laisse ma valise puis rejoins le port proche. Lorsque je veux photographier un premier bateau de pêche, mon appareil m’annonce que la carte mémoire est verrouillée. Une aimable photographe proche du pont tournant se penche sur mon problème, bidouille, essaie une autre carte. Rien à faire, c’est le lecteur de carte qui ne répond plus, me dit-elle.
Je bois un café au Bar de l’Etoile, situé à un carrefour stratégique, où se croise la population locale. Un habitué s’entretient avec le serveur du prix de la réparation de sa voiture : mille cinq cents euros. Tous deux pestent contre la bagnole et son coût mais, disent-ils, on ne peut pas s’en passer. La Presse de la Manche s’inquiète de ce que quatre-vingt-dix-neuf commerces soient vacants dans cette ville.
A onze heures et demie, sur le conseil du Guide du Routard, je suis déjà à table à la Brasserie du Commerce, pas loin de la Mairie. Elle est surtout fréquentée par de nombreux habitués. Assis face à un miroir, j’ai l’impression de déjeuner avec moi-même, ce qui ne m’est pas agréable. J’ai choisi rognons de bœuf au porto et tagliatelles, tarte normande, quart de vin rouge et café. Cela fait dix-sept euros quarante.
Une promenade me mène du côté du port de plaisance jusqu’à des toilettes dont l’entrée est filtrée par deux travestis pas de première fraîcheur. Je préfère arroser un buisson un peu plus loin puis fais demi-tour. Avant d’accéder à ma chambre-appartement, je passe chez Carrefour, lequel est niché dans le centre commercial Les Eléis, aussi horripilant que les autres quand on est à l’intérieur, mais le bâtiment signé Arte Charpentier + Calq Architecture sort du lot, en forme de coque translucide flottant au-dessus du bassin portuaire. J’y achète un appareil photo premier prix.
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Dans la marine, on ne fait pas grand-chose mais on le fait de bonne heure. (maxime Shadok)
 

8 mars 2016


Michel, la « nouvelle revue culturelle normande de qualité » (ça fait beaucoup), invite ce dimanche onze heures à une rencontre au sein du salon Microphasme dans l’ancienne école Victor-Hugo, rue du même nom.
Je m’y pointe donc à l’heure dite, qui est celle du petit-déjeuner pour la plupart des exposant(e)s regroupé(e)s autour d’une table dans une salle étroite. Les artistes n’aiment rien tant que ces moments collectifs.
J’ai pris le mien à six heures, ai ensuite écrit mon texte d’hier, fait le tour du marché du Clos Saint-Marc lu longuement au café du même nom avant de passer à la boulangerie puis chez U Express.
Sur une table basse entourée d’une dizaine de chaises est posée une pile du numéro zéro de Michel. Ce dispositif formel n’est pas fait pour moi.
Ne me voyant pas assis sur l’une des chaises à feuilleter distraitement la première mouture tout en écoutant l’un des responsables de la nouvelle revue culturelle normande de qualité expliquer le pourquoi du comment, je ressors.
A onze heures dix, je suis à la maison.
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Aventurier, pionnier, chercheur, fabricant de chimères, prophète ou révolutionnaire n’empruntent aucun couloir, si insolite soit-il, qui ne débouche sur un comptoir de vente. (Raoul Vaneigem en mil neuf cent quatre-vingt-dix)
 

7 mars 2016


Après une sérénade au piano venant d’en face, Galerie La Page Blanche, entendue à travers mes murs, juste avant dix-neuf heures ce vendredi, je mets le pied dehors pour me rendre à l’inauguration de Microphasme (troisième Salon de la Microédition), rue Victor-Hugo, dans les anciens locaux annexes de l’Ecole des Beaux-Arts.
A la vérité, plus que le Salon, ce sont les locaux qui me font bouger, car j’ai souvent eu envie d’y entrer sans pouvoir le faire lorsqu’on y fabriquait de l’artiste contemporain. J’aime les vieilles écoles primaires et ce lieu en fut une, il y a encore plus longtemps. Je ne suis pas déçu, on y trouve de gros radiateurs en fonte qui diffusent une chaleur confortable.
Les artistes éditeurs venus d’un peu partout (Rouen, Porto, Bruxelles, Strasbourg, Angoulême, Toulouse, Paris, etc.) occupent des tables tout autour de deux salles du rez-de-chaussée. Une troisième est réservée aux affiches dont celles du collectif portugais Oficina Arara, Je regarde un peu ce que publie chacun sans me laisser aller à parler avec l’un ou l’autre. Il serait malvenu de leur dire « C’est intéressant ce que vous faites mais je ne vais rien acheter, le ferais-je que je rangerais çà dans un placard et oublierais jusqu’à son existence. »
Je croise quelques connaissances qui n’ont rien à me dire et réciproquement. Sur certaines tables un carton blanc posé sur le tissu noir indique qui l’occupera mais n’est pas encore arrivé, ainsi Le Quetton du légendaire Rocking Yaset (de Cherbourg, où je serai bientôt).
On trouve aussi dans la première salle une sorte de boîte parallélépipédique dans laquelle deux joueurs se faisant face enfilent une jambe pour taper bruyamment dans un ballon. Cela s’appelle l'Unijamball. On aura beau réduire le foute à sa plus simple expression, cela n’en reste pas moins une activité des plus stupides.
A dix-neuf heures quinze, je suis de retour chez moi.
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Parmi les présents à Microphasme, bien que ne relevant pas de la microédition, Biscoto, le « journal plus fort que costaud ! » à destination des enfants réalisé à Strasbourg dont les responsables publient un premier livre : Francis Saucisson contre l’âge bête de Nicolas Pinet. Un travail de qualité dont je ne peux plus avoir l’usage.
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Impossible de laisser passer ce samedi matin sans retourner à la vente de livres du Secours Pop au Pathé ! Docks. Je fais bien car je mets la main sur un livre que j’estimais très difficile à trouver d’occasion : Plouk Town de Ian Monk, publié aux éditions Cambourakis.
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Rouen fête le Printemps des Poètes dans l’aître Saint-Maclou, ancien cimetière de pestiférés. Il y a quelques animations alentour. Rue Martainville déambulent des parapluies arc-en-ciel auxquels sont accrochés des plastiques faisant isoloirs. On peut s’y faire murmurer un poème à l’oreille. Je change prudemment de trottoir.
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Je préfère écouter les poèmes lus par Jacques Bonnafé, de garde sur France Culture pour ce Printemps des Poètes. C’est par lui que j’ai découvert Ian Monk et son Plouk Town dont il a lu, le huit janvier dernier, de la manière encolérée qui le caractérise et fait ma joie, un texte narrant la vie humaine de la naissance à la tombe.
 

5 mars 2016


«D’humeur souvent inégale, Robert le Brochet avait, qui plus est, la dent carnassière. Autant dire que ses amis se comptaient sur les phalanges d’un doigt.», puis-je lire sous un dessin représentant l’animal dans l’une des toilettes du centre commercial des Docks où m’a conduit un bus Teor ce vendredi matin.
Le Secours Populaire rouennais y organise une vente de livres d’occasion au cinéma Pathé ! dont les rideaux sont encore baissés. Je suis rejoint par deux connaissances, l’un prénommé Pierre, le bouquiniste du marché que j’ai croisé un mercredi récent à Paris chez Emmaüs, l’autre prénommé Jean-Jacques, relieur et bouquiniste à la retraite. Qu’est-ce qu’on se raconte ? Des histoires de brochets.
Ils tentent de me faire croire qu’ils ne vendent pas de livres sur Internet. Nous sommes entourés d’une foule d’autres frétillards et quand, à dix heures et demie, les rideaux se lèvent, c’est la ruée. Pierre et Jean-Jacques sont parmi les plus redoutables. Je m’en écarte, mets quelques livres qui pourraient m’intéresser dans mon sac sans même le vérifier, et ai tout à coup l’œil attiré par deux pavés rouges: Romans de Charles Bukowski et Journal, Souvenirs et Poèmes du même (Bibliothèque Grasset), mille soixante treize et mille cinq cent vingt-cinq pages. Je m’en empare.
Partout cela vibrionne. J’évite ceux qui semblent prêts à mordre. Pierre a tant de livres qu’il doit en mettre en réserve sur la table des vendeuses. Jean-Jacques garde sa pile en équilibre dans une main tandis qu’il fouille fébrilement de l’autre. J’ôte les premiers livres de mon sac et décide d’en rester là.
-C’est tout ? Vous nous avez habituées à mieux, me dit la dame du Secours Pop à qui je donne quatre euros pour mes deux pavés rouges.
Profitant d’une belle éclaircie, je rentre à pied par le quai bas, longeant la Seine, satisfait de ma trouvaille et d’avoir encore une fois sauvé mes doigts.
 

4 mars 2016


Je n’attends pas un grand plaisir esthétique de l’exposition Gérard Fromanger lorsque je descends les marches de l’escalier qui mène au quatrième étage du Centre Pompidou, ce mercredi en début d’après-midi, car j’ai souvenir de ses toiles des années soixante-dix quand il était maoïste et un peu connu.
L’exposition de ce représentant de la Figuration Narrative occupe un angle de l’étage « Art Contemporain » dont les salles sont provisoirement fermées au public pendant qu’on s’y affaire à un nouvel accrochage. L’un des premiers tableaux colorés que l’on y voit est En Chine, à Hu-Xian. Il montre un groupe de paysans chinois vus de face et a été peint suite à un voyage d’intellectuels compromis avec la dictature maoïste organisé par le cinéaste Joris Ivens. Viennent ensuite les notoires tableaux à silhouettes colorées et des portraits de Prévert, Foucauld, Deleuze, Guattari, qui me font penser à ceux que faisait Raymond Moretti pour les couvertures du Magazine Littéraire, donc peu à mon goût.
Je passe rapidement devant les tableaux évoquant l’assassinat du maoïste Pierre Overney, les dérives inspirées des Situationnistes ou la Guerre du Golfe, ne m’attardant que devant celui qui s’oppose aux autres par un refus de la couleur. 
Noir, nature morte date du milieu des années quatre-vingt-dix. Sur fond noir, Fromanger a écrit en capitales blanches, par ordre alphabétique, le nom des artistes qui sans doute comptent pour lui, de Hans von Aachen à Francisco von Zurbaran, celui-ci étant suivi d’une dizaine d’autres, des oubliés repêchés, parmi lesquels Bellmer, Brauner, Chaissac, Kahlo et Oppenheim. On peut, assis sur une banquette passer un certain temps à lire toute la liste puis chercher qui n’y est pas, par exemple Balthus.
Je ne sais si c’est par hasard que cette exposition est surveillée par des gardiens d’origine chinoise.
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Ceux qui courent dans les escaliers quand ils entendent le métro qui arrive et, parvenus sur le quai, découvrent que c’est celui d’en face.
                                                          *
Les Dada East, salon de coiffure parisien, rue Trousseau. Voilà qui nous change des Diminu’Tif et autres Imagin’Hair.
 

3 mars 2016


L’averse vient de se terminer ce mercredi matin lorsque je rejoins pédestrement la gare de Rouen. Peu après dix heures, sous le ciel bleu parisien, je pousse la porte du Book-Off de la Bastille d’où je ressors avec peu.
Les bouquinistes ayant pour la plupart désertés le marché d’Aligre pour cause de vacances ou de mauvais temps annoncé, je me rabats sur l’Emmaüs de la rue de Charonne puis par la rue Manuel-Valls, je rejoins la Bastille et poursuis jusqu’à Beaubourg.
Je déjeune dans l’impasse du même nom, chez New New, chinois à volonté, observant comment s’en sortent Papy et Mamie avec le petit Romain. Celui-ci ne voulant pas d’un nem le rejette avec la main dans le buffet. Mamie se fâche et le reprend pour le mettre dans son assiette à elle. Papy fait un bisou sur la main du coupable. A ma droite mange un trio d’employé(e)s de la Ville de Paris qui parle boulot. L’une fait tomber mon écharpe en allant se resservir, un autre la ramasse et est choqué que je ne lui dise pas merci. A ma gauche un jeune barbu mange d’une main tout en tenant avec l’autre un roman policier tout près de ses yeux. Je n’ai aucun souci avec lui.
Sorti de là, j’entre au Centre Pompidou, fais un tour rapide de l’étage « Art Moderne » où je suis autant intéressé par le nombre élevé de jolies filles que par les œuvres exposées puis je descends au quatrième pour voir l’exposition Gérard Fromanger.
Je passe ensuite chez Boulinier, place Joachim-du-Bellay, avec une intention précise : trouver un Guide du Routard Normandie plus récent que celui que je possède et qui date du siècle dernier. Les dieux sont avec moi car dans le bac « tout venant » à vingt centimes, le seul livre franchement apparent est ce guide dans sa version deux mille trois. Me voilà paré pour Cherbourg.
Un bus Vingt et Un me rapproche du quartier Opéra Garnier. J’en descends à Palais Royal pour finir le trajet à pied bien que le ciel soit devenu très gris mais je ne peux entrer dans le jardin. Une affichette annonce que s’y déroule un choutigne photo pour le magazine Vogue US. Je contourne donc le bâtiment, prends un café à la Clef des Champs puis entre au deuxième Book-Off
Un quinquagénaire y demande à consulter des livres de la collection Fleuve Noir Anticipation non encore mis en rayon. Une employée refuse, mais il insiste lourdement : « Je vous en prie, je suis un collectionneur, j’ai mon carnet là avec moi où sont notés les numéros que j’ai déjà, je ne peux pas revenir plus tard. » Elle maintient son refus. « Je vous en supplie, je veux bien me mettre à genoux devant vous, je peux vous donner mes papiers, ma carte bancaire, tout ce que vous voulez. » Cela dure un moment jusqu’à ce qu’elle cède. Il énonce le numéro de chaque livre à voix haute. Sa femme, carnet en main, lui dit s’il l’a ou non. J’imagine que ce ne doit pas être drôle tous les jours pour elle.
A peine sont-ils partis qu’un coup de tonnerre se fait entendre. Il est suivi par une chute de neige du plus bel effet.
-C’est pas juste, s’exclame l’employée blonde, je devais pas travailler ce mercredi, j’aurais pu jouer dans la neige… enfin sous la neige.
Je reste donc un peu plus longtemps que nécessaire dans la boutique, mettant un livre supplémentaire dans mon panier : Soliloques de l’exil de Samuel Brussell (Grasset), dont l’un des chapitres est intitulé « Mais où est le parapluie ? ». Il est dans mon sac et je n’en ai pas besoin car la neige cesse.
Ayant rejoint Saint-Lazare, je m’installe dans le train de dix-huit heures cinquante  La voix du chef de bord s’y fait entendre :
-Trois toilettes sur cinq sont indisponibles à bord de ce train, nous vous souhaitons néanmoins un agréable voyage.
 

2 mars 2016


N’ayant pas cette année été chercher le programme du Conservatoire de Rouen, j’aurais presque pu manquer la présentation des travaux de mi-année de la classe d’art dramatique que dirige Maurice Attias, si celui-ci ne m’en avait averti.
-On vous a réservé une place numérotée, me dit-il ce lundi lorsque j’arrive trop tôt comme d’habitude au Théâtre de la Chapelle Saint Louis.
Je le remercie mais préfère ma place habituelle, au milieu du quatrième rang. Avant de pouvoir y poser les fesses, je rentre au chaud et me poste près de l’entrée de la salle. Je suis bientôt obligé de m’employer comme portier, le nombre de personnes s’imaginant qu’une porte qu’elles ont ouverte doit se refermer automatiquement derrière elles étant important.
-Cela va durer combien de temps ? demande un septuagénaire.
-Deux heures pour la première pièce, puis un entracte et encore à peu près une heure pour la deuxième. C’est pour ça que ça commence à dix-neuf heures.
Il s’effraie de devoir rentrer si tard (vingt-deux heures trente).
Je suis évidemment le premier à pénétrer dans la salle et m’installe là où j’aime. À ma droite est bientôt une jolie fille et à ma gauche la mère d’un comédien ou d’une comédienne. Elle ne veut pas être plus près, craignant un croisement de regard. C’est vite plein, et même davantage pour cause de réservation cafouilleuse.
-On a dû renvoyer quelques personnes en leur promettant une place demain, annonce Maurice Attias. On verra.
Il présente rapidement les deux pièces : Innocence de Dea Loher et Martyr de Marius von Mayenburg, deux auteurs allemands contemporains (inconnus de moi) qui évoquent des sujets d’actualité puis indique que ce soir les élèves seront soumis à la notation d’un jury composé de gens du métier. « Le théâtre, c’est bien », conclut il. On va voir.
Pour Innocence, le plateau incliné est bord de mer, toit de la tour des suicidés, intérieur familial ou tout autre lieu. S’y succèdent le temps de courts tableaux des immigrés qui laissent une femme se noyer, un jeune couple chez qui la mère de la femme, diabétique amputée, vient s’installer tout en rêvant du jour où elle allumera une cigarette près d’une cuve d’essence (le mari ayant trouvé un travail comme croque-mort se prendra de passion pour cette activité au point d’en négliger sa femme), deux jeunes hommes qui sautent du toit en se donnant la main, une autre femme prête à tout pour exister jusqu’à se faire passer pour la mère de l’assassin de la fille d’un couple qu’elle vient harceler, une jeune aveugle qui danse quasi nue pour les hommes dans un bar du port (l’un des deux immigrés du début ayant trouvé Dieu dans un sac en plastique sous forme d’un gros tas de billets le dépensera inutilement dans l’espoir de lui redonner la vue), je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’un livre titré La non fiabilité du monde est évoqué à plusieurs reprises. Cette plongée dans un univers déglingué ressemblant au nôtre est à mon goût et les deux heures sont vite passées.
Le dispositif est le même pour Martyr mais cette fois les apprentis comédiens attendent leur tour sur les côtés, faisant à la fois les spectateurs de leurs camarades et les élèves d’un gymnasium où l’un, Benjamin, par une trop forte lecture de la Bible devient intégriste. Il refuse de se déshabiller à la piscine à cause des filles en bikini, se met nu pour protester contre un cours sur le préservatif, se transforme en singe quand il est question de la théorie de l’évolution, en arrive à songer à exterminer qui ne pense pas comme lui. La Bible possédant autant de ressources que le Coran pour transformer un esprit fragile en terroriste, elle permet à Marius von Mayenburg d’évoquer le danger du moment sans attaquer directement la religion concernée. Je n’ai pas trop le goût du théâtre à message mais ici je trouve quand même mon compte car sont bien montrés la mère dépassée, les profs qui font face mais dont l’action est sabotée par un chef d’établissement prêt à tous les compromis, le prêtre en visite tout aussi lâche.
Cette année, il y a davantage de garçons que de filles chez les seize apprentis comédiens et on en trouve plusieurs qui sont issus de la diversité (comme il convient de dire). Je les trouve tous bons ou très bons. ils n’ont pas fait d’erreur en s’engageant dans cette voie. Après une chorégraphie finale due à leur professeure Aline Mottier, ils font le plein d’applaudissements et de bravos. J’espère qu’ils auront eu une bonne note.
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Chopé dans le texte de Martyr, cette sentence non dénuée de fondement : La puberté est une maladie mentale temporaire.
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Entre les tableaux d’Innocence : Float chanté par Sandy Dillon (autre découverte).
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Dans la liste des remerciements : les Pompes funèbres Eco Plus (pour un prêt d’urnes funéraires).
 

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