Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
10 novembre 2016
Il pleut à fond lorsque je sors dans la nuit ce mercredi matin, protégé par mon parapluie new-yorkais, avec le mince espoir qu'au lever du jour, à mon arrivée à Paris, Trump ne sera pas Président. Cette journée s’annonce mal. Ce que confirme mon arrivée à la gare de Rouen. Le train de sept heures vingt-huit est annoncé avec trente minutes de retard pour une histoire d’aiguillage. J’obtiens du chef de bord de celui de sept heures douze, qui s’arrête dans toutes les gares intermédiaires, l’autorisation d’y grimper malgré mon billet Prem’s.
A l’arrivée, je reste à l’abri en prenant le métro Neuf et en descends à Bonne Nouvelle car j’ai deux livres lourds à livrer à proximité. Avant cela, je bois un café au premier bar venu et apprends que c’est foutu. Qui va chercher le peuple trouve la populace, me dis-je. Je serais mort de trouille si j’étais Ukrainien ou Balte, me dis-je encore.
Quand j’ai proposé à mon acheteur de lui remettre en mains propres (comme on dit) les livres qu’il m’a achetés, il m’a donné son adresse professionnelle, le siège social d’une grande banque et m’a précisé : « bien emballés ». En effet, il s’agit de The Complete Reprint Of John Willie's « Bizarre », une réédition Taschen en deux volumes de cette revue mythique consacrée au bondage et au sadomasochisme.
Assis dans un confortable fauteuil du rez-de-chaussée, je vois arriver à moi, descendu des étages, un homme qui assurément ressemble à un banquier. Je lui remets les livres bien emballés puis rejoins Bonne Nouvelle qui devrait ce matin être rebaptisé Bad News. J’y prends le Huit jusqu’à Ledru-Rollin et entre chez Book-Off.
Le premier livre à un euro que je trouve est Georges Bataille La Fascination du Mal de Pascal Louvrier (Editions du Rocher). Personne ne commente le résultat de l’élection américaine, mais globalement les gens que je côtoie sont d’humeur sombre. La pluie peut aussi expliquer cela.
Elle m’amène à reprendre le métro pour Beaubourg. Je visite rapidement l’exposition How to be Brave (in pictures) de l’artiste indienne Anju Dodiya dans l’annexe de la Galerie Templon (des peintures inspirées des tapisseries médiévales ou des estampes japonaises), puis déjeune chez New New où parmi les habitués sont un pré-branlotin, sa mère et sa grand-mère qui se donne beaucoup de mal pour ressembler à sa fille.
-C’est ta maman ?
-Non, c’est la maman de ma maman.
-Waouh !
A la fin du repas, c’est la vieille qui paie. J’en fais autant puis ouvre à nouveau mon parapluie et cours au Centre Pompidou afin d’y voir l’exposition Magritte, La trahison des images.
*
Ce mercredi à Paris : la fascination du mal, la trahison des images, comment faire preuve de courage. Ou encore, en deux mots : trempé et trumpé.
A l’arrivée, je reste à l’abri en prenant le métro Neuf et en descends à Bonne Nouvelle car j’ai deux livres lourds à livrer à proximité. Avant cela, je bois un café au premier bar venu et apprends que c’est foutu. Qui va chercher le peuple trouve la populace, me dis-je. Je serais mort de trouille si j’étais Ukrainien ou Balte, me dis-je encore.
Quand j’ai proposé à mon acheteur de lui remettre en mains propres (comme on dit) les livres qu’il m’a achetés, il m’a donné son adresse professionnelle, le siège social d’une grande banque et m’a précisé : « bien emballés ». En effet, il s’agit de The Complete Reprint Of John Willie's « Bizarre », une réédition Taschen en deux volumes de cette revue mythique consacrée au bondage et au sadomasochisme.
Assis dans un confortable fauteuil du rez-de-chaussée, je vois arriver à moi, descendu des étages, un homme qui assurément ressemble à un banquier. Je lui remets les livres bien emballés puis rejoins Bonne Nouvelle qui devrait ce matin être rebaptisé Bad News. J’y prends le Huit jusqu’à Ledru-Rollin et entre chez Book-Off.
Le premier livre à un euro que je trouve est Georges Bataille La Fascination du Mal de Pascal Louvrier (Editions du Rocher). Personne ne commente le résultat de l’élection américaine, mais globalement les gens que je côtoie sont d’humeur sombre. La pluie peut aussi expliquer cela.
Elle m’amène à reprendre le métro pour Beaubourg. Je visite rapidement l’exposition How to be Brave (in pictures) de l’artiste indienne Anju Dodiya dans l’annexe de la Galerie Templon (des peintures inspirées des tapisseries médiévales ou des estampes japonaises), puis déjeune chez New New où parmi les habitués sont un pré-branlotin, sa mère et sa grand-mère qui se donne beaucoup de mal pour ressembler à sa fille.
-C’est ta maman ?
-Non, c’est la maman de ma maman.
-Waouh !
A la fin du repas, c’est la vieille qui paie. J’en fais autant puis ouvre à nouveau mon parapluie et cours au Centre Pompidou afin d’y voir l’exposition Magritte, La trahison des images.
*
Ce mercredi à Paris : la fascination du mal, la trahison des images, comment faire preuve de courage. Ou encore, en deux mots : trempé et trumpé.
8 novembre 2016
Les rediffusions pour cause de manque de moyens financiers, ce n’est pas seulement chez France Culture, voici que l’Opéra de Rouen propose une deuxième fois Dido and Aeneas par le Poème Harmonique de Vincent Dumestre. La précédente représentation est de deux mille quatorze. Même mise en scène, même chorégraphie, mêmes décors, mêmes costumes, dus à Cécile Roussat et Julien Lubek. Je me souviens comme ils m’avaient déplu.
La distribution en revanche a changé. De plus, explique un papillon glissé dans le livret programme, Mireille Delunsch, souffrante, sera remplacée par Eva Zaïcik dans le rôle de Didon. Cela ne réjouit pas mes voisines de derrière :
-Ah, c’est décevant.
-Moi qui me faisais une joie de l’entendre.
Ne connaissant pas davantage la première chanteuse que la seconde, je reste serein, observant les entrées des spectateurs dans la salle depuis mon siège de corbeille, ce dimanche après-midi.
-Vous êtes ensemble ? demande une placeuse à un homme et une femme qui se présentent à la porte.
-Ah non, pas du tout ! s’exclament-ils en chœur, choqués d’une telle hypothèse.
Le rideau se lève sur le décor en carton pâte, des tissus bleus sont agités pour faire croire à la mer dans laquelle s’ébrouent des naïades à la limite du ridicule, un monstre marin agite des tentacules qui ont l’air de ne pas lui appartenir, des acrobates font des cabrioles, un trapéziste va de gauche et de droite, de droite à gauche. S’ajoutant à la musique de Purcell, ce balancement répétitif contribue à m’ensommeiller.
J’aurais besoin d’une perfusion de caféine. Pourtant musicalement cela me va. Le chœur accentus est au meilleur niveau, tout comme l’Orchestre du Poème Harmonique, et Eva Zaïcik chante parfaitement. Mes voisines ne s’expriment pas sur ce dernier point lorsqu’on en est aux applaudissements. Ceux-ci sont nourris, montrant que mon point de vue est très minoritaire. Quand Vincent Dumestre, sorti de la fosse, fait son apparition, un frisson parcourt une partie du public féminin.
*
Rentrant par le parvis de la Cathédrale, je constate que les oiseaux piailleurs ont trouvé refuge dans les tilleuls comme chaque automne. Des années que le voisinage s’en plaint. Il va être satisfait. Ces arbres seront abattus et pas remplacés, ai-je appris du compte-rendu d’une réunion tenue en Mairie le deux novembre dernier.
Une moitié des platanes de la place de la Rougemare subiront le même sort pour cause de réaménagement.
Egalement coupés et non remplacés seront les arbres de l’aître Saint-Maclou qui nuiraient au centre commercial pour artisans que les Socialistes locaux veulent y créer.
*
Je revois l’air étonné de Kader Chekhemani, Adjoint de Quartier, rue d’Amiens, lorsqu’on lui avait posé la question de la disparition des arbres de l’aître Saint-Maclou. Il n’en était pas question. Il ne savait pas d’où pouvait venir cette rumeur.
La distribution en revanche a changé. De plus, explique un papillon glissé dans le livret programme, Mireille Delunsch, souffrante, sera remplacée par Eva Zaïcik dans le rôle de Didon. Cela ne réjouit pas mes voisines de derrière :
-Ah, c’est décevant.
-Moi qui me faisais une joie de l’entendre.
Ne connaissant pas davantage la première chanteuse que la seconde, je reste serein, observant les entrées des spectateurs dans la salle depuis mon siège de corbeille, ce dimanche après-midi.
-Vous êtes ensemble ? demande une placeuse à un homme et une femme qui se présentent à la porte.
-Ah non, pas du tout ! s’exclament-ils en chœur, choqués d’une telle hypothèse.
Le rideau se lève sur le décor en carton pâte, des tissus bleus sont agités pour faire croire à la mer dans laquelle s’ébrouent des naïades à la limite du ridicule, un monstre marin agite des tentacules qui ont l’air de ne pas lui appartenir, des acrobates font des cabrioles, un trapéziste va de gauche et de droite, de droite à gauche. S’ajoutant à la musique de Purcell, ce balancement répétitif contribue à m’ensommeiller.
J’aurais besoin d’une perfusion de caféine. Pourtant musicalement cela me va. Le chœur accentus est au meilleur niveau, tout comme l’Orchestre du Poème Harmonique, et Eva Zaïcik chante parfaitement. Mes voisines ne s’expriment pas sur ce dernier point lorsqu’on en est aux applaudissements. Ceux-ci sont nourris, montrant que mon point de vue est très minoritaire. Quand Vincent Dumestre, sorti de la fosse, fait son apparition, un frisson parcourt une partie du public féminin.
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Rentrant par le parvis de la Cathédrale, je constate que les oiseaux piailleurs ont trouvé refuge dans les tilleuls comme chaque automne. Des années que le voisinage s’en plaint. Il va être satisfait. Ces arbres seront abattus et pas remplacés, ai-je appris du compte-rendu d’une réunion tenue en Mairie le deux novembre dernier.
Une moitié des platanes de la place de la Rougemare subiront le même sort pour cause de réaménagement.
Egalement coupés et non remplacés seront les arbres de l’aître Saint-Maclou qui nuiraient au centre commercial pour artisans que les Socialistes locaux veulent y créer.
*
Je revois l’air étonné de Kader Chekhemani, Adjoint de Quartier, rue d’Amiens, lorsqu’on lui avait posé la question de la disparition des arbres de l’aître Saint-Maclou. Il n’en était pas question. Il ne savait pas d’où pouvait venir cette rumeur.
7 novembre 2016
Ayant manqué le premier jour du désherbage de la Médiathèque de Canteleu pour cause d’information tardive, je prends ce samedi matin un bus Teor Trois afin de me rendre dans cette ville de banlieue haut perchée que je ne connais guère. Livres, cédés, dévédés et jeux sont annoncés à un euro pièce.
Je descends à l’Hôtel de Ville. Cette Médiathèque nichée dans l’Espace Culturel François-Mitterrand dans lequel sont aussi un Cinéma et une Salle de Concert que j’ai autrefois fréquentée (venu là en voiture, seul ou bien accompagné) semblait loin sur le plan. Or, m’apprend un autochtone, elle est au bout de la courte rue commerçante.
En attendant dix heures, je me chauffe au soleil devant les portes closes. J’y suis rejoint par un amateur de livres et un amateur de disques. Ils n’ont pu venir hier et ne connaissent pas mieux les lieux que moi. Les personnes suivantes sont des Cantilien(ne)s, surtout des familles.
A l’ouverture, nous montons à l’étage et sommes immédiatement déçus par le peu à vendre. Parmi les livres, on ne trouve que quelques dizaines de romans, un peu plus de bédés, des guides pratiques et des ouvrages pour enfants.
A dix heures dix, je suis dehors et ai la chance de voir immédiatement arriver un Teor Trois qui me redescend à Rouen par la corniche d’où l’on domine la foire Saint-Romain endormie.
J’en descends au Mont Riboudet et rejoins le cinéma Pathé des Docks afin de me consoler en furetant une nouvelle fois dans les livres du Secours Populaire où il y a toujours l’espoir de piocher.
C’est néanmoins peu chargé que je rentre pédestrement par le quai de Seine ensoleillé.
*
Impossible d’accuser les responsables de la Médiathèque de Canteleu de dilapider les ouvrages de référence, on y pratique le désherbage à la pince à épiler.
*
Une femme, rue Martainville : « C’est un bel appartement avec une grande pièce à vivre. » Expression curieuse qui fait se demander à quoi servent les autres pièces.
*
Sortie de boulangerie rue Saint-Nicolas, un père à son trois ans :
-Je t’ai dit : on va manger le pain à la maison.
Cinq mètres plus loin :
-T’en veux un petit bout ?
Je descends à l’Hôtel de Ville. Cette Médiathèque nichée dans l’Espace Culturel François-Mitterrand dans lequel sont aussi un Cinéma et une Salle de Concert que j’ai autrefois fréquentée (venu là en voiture, seul ou bien accompagné) semblait loin sur le plan. Or, m’apprend un autochtone, elle est au bout de la courte rue commerçante.
En attendant dix heures, je me chauffe au soleil devant les portes closes. J’y suis rejoint par un amateur de livres et un amateur de disques. Ils n’ont pu venir hier et ne connaissent pas mieux les lieux que moi. Les personnes suivantes sont des Cantilien(ne)s, surtout des familles.
A l’ouverture, nous montons à l’étage et sommes immédiatement déçus par le peu à vendre. Parmi les livres, on ne trouve que quelques dizaines de romans, un peu plus de bédés, des guides pratiques et des ouvrages pour enfants.
A dix heures dix, je suis dehors et ai la chance de voir immédiatement arriver un Teor Trois qui me redescend à Rouen par la corniche d’où l’on domine la foire Saint-Romain endormie.
J’en descends au Mont Riboudet et rejoins le cinéma Pathé des Docks afin de me consoler en furetant une nouvelle fois dans les livres du Secours Populaire où il y a toujours l’espoir de piocher.
C’est néanmoins peu chargé que je rentre pédestrement par le quai de Seine ensoleillé.
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Impossible d’accuser les responsables de la Médiathèque de Canteleu de dilapider les ouvrages de référence, on y pratique le désherbage à la pince à épiler.
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Une femme, rue Martainville : « C’est un bel appartement avec une grande pièce à vivre. » Expression curieuse qui fait se demander à quoi servent les autres pièces.
*
Sortie de boulangerie rue Saint-Nicolas, un père à son trois ans :
-Je t’ai dit : on va manger le pain à la maison.
Cinq mètres plus loin :
-T’en veux un petit bout ?
5 novembre 2016
La lecture des ouvrages de Philippe Muray m’est toujours jouissive. Ici, les quelques notes prises lors de celle de L’Empire du Bien, livre publié par Les Belles Lettres dans sa série Iconoclastes (il porte le numéro sept et date de mil neuf cent quatre-vingt-onze).
Un :
Il n’existe pas de mafia sans famille, ni sans idéalisation de la famille (le danger guette, les traîtres pullulent, la famille seule ne ment pas), et le « retour de la famille » dont on nous gargarise dans le journalisme n’est que l’un des symptômes du triomphe, dans tous les domaines imaginables, de l’esprit mafieux avec ses traits quintessenciels (protection, clientélisme enragé, culte grotesque de l’ « honneur », vengeance des offenses, loi du silence).
Deux :
Il y a même des émissions de radio, le matin, pour discuter de celles du soir à la télé ; on a vraiment pensé à tout.
Trois, d’actualité :
Les moindres évènements sont si bien téléphonés, des années à l’avance parfois, qu’ils ont l’air de leur propre commémoration quand ils osent se présenter. Par la grâce anticipante des sondages, une élection présidentielle n’est plus qu’un gag minable réchauffé, une histoire drôle éculée.
Egalement tirées de cet Empire du Bien deux citations.
L’une d’Honoré de Balzac :
On se distingue à tout prix par le ridicule, par une affectation pour la cause polonaise, pour le système pénitentiaire, pour l’avenir des forçats libérés, pour les mauvais sujets au-dessus ou au-dessous de douze ans, pour toutes les misères sociales. Ces diverses manies créent des dignités postiches, des présidents, des vice-présidents et des secrétaires de sociétés dont le nombre dépasse à Paris celui des questions sociales que l’on cherche à résoudre.
L’autre de Louis-Ferdinand Céline et d’actualité :
Quand nous serons devenus moraux tout à fait au sens où nos civilisations l’entendent et le désirent et bientôt l’exigeront, je crois que nous finirons par éclater tout à fait aussi de méchanceté. On ne nous aura laissé pour nous distraire que l’instinct de destruction.
Un :
Il n’existe pas de mafia sans famille, ni sans idéalisation de la famille (le danger guette, les traîtres pullulent, la famille seule ne ment pas), et le « retour de la famille » dont on nous gargarise dans le journalisme n’est que l’un des symptômes du triomphe, dans tous les domaines imaginables, de l’esprit mafieux avec ses traits quintessenciels (protection, clientélisme enragé, culte grotesque de l’ « honneur », vengeance des offenses, loi du silence).
Deux :
Il y a même des émissions de radio, le matin, pour discuter de celles du soir à la télé ; on a vraiment pensé à tout.
Trois, d’actualité :
Les moindres évènements sont si bien téléphonés, des années à l’avance parfois, qu’ils ont l’air de leur propre commémoration quand ils osent se présenter. Par la grâce anticipante des sondages, une élection présidentielle n’est plus qu’un gag minable réchauffé, une histoire drôle éculée.
Egalement tirées de cet Empire du Bien deux citations.
L’une d’Honoré de Balzac :
On se distingue à tout prix par le ridicule, par une affectation pour la cause polonaise, pour le système pénitentiaire, pour l’avenir des forçats libérés, pour les mauvais sujets au-dessus ou au-dessous de douze ans, pour toutes les misères sociales. Ces diverses manies créent des dignités postiches, des présidents, des vice-présidents et des secrétaires de sociétés dont le nombre dépasse à Paris celui des questions sociales que l’on cherche à résoudre.
L’autre de Louis-Ferdinand Céline et d’actualité :
Quand nous serons devenus moraux tout à fait au sens où nos civilisations l’entendent et le désirent et bientôt l’exigeront, je crois que nous finirons par éclater tout à fait aussi de méchanceté. On ne nous aura laissé pour nous distraire que l’instinct de destruction.
4 novembre 2016
Il pleuvouille ce vendredi matin quand je longe la Seine à pied en direction du cinéma Pathé sis dans le centre commercial des Docks. Au loin sont visibles les manèges et les attractions de la foire Saint-Romain pour laquelle des dizaines de platanes et des bâtiments portuaires ont été sacrifiés. Les restaurants et les salles de sport s’en protègent en cernant leurs parquignes de barrières. Vue de l’endroit où je quitte le bord du fleuve pour entrer dans le bâtiment à boutiques, cette fête foraine semble se tenir dans un camp retranché.
Je passe par la case toilettes, délaissant Robert le Brochet au profit d’Arthur le Silure qui « parade derrière ses moustaches ». Il existe aussi des brochets à moustache, du moins j’en connais un. Il ne fait pas partie des porteurs de sacs en plastique qui attendent impatiemment que montent les rideaux du cinéma derrière lesquels se cachent les livres d’occasion du Secours Populaire. D’autres humains sont là pour voir un film à dix heures quarante.
Dix minutes avant cet horaire, les rideaux se lèvent. Chacun va vers son intérêt. La chance étant avec moi, mon sac se remplit peu à peu. Quand je me mets dans la file pour payer mon dû, deux femmes bourgeoises sont devant moi. Elles n’ont acheté que des livres pour leurs petits-enfants. Elles ne savent pas quel est le nom de l’association qui les vend. L’une se recule, regarde la banderole :
-Ah, le Secours Populaire, dit-elle d’un air mi-figue, mi-raisin (comme on dit).
-Je n’ai même pas eu le temps de vous dire bonjour, me dit la dame bénévole qui tient la caisse, stressée comme elle est toujours. Aujourd’hui, c’est parce que le cinéma leur a ouvert les portes avec retard et que tout n’a pu être bien installé.
Il pleuvouille toujours quand je sors, aussi est-ce avec le premier bus Teor que je rentre, pas mécontent de ma matinée.
*
De la foire Saint-Romain, je n’entends parler que pour s’en plaindre. Son nouvel emplacement génère des embouteillages conséquents qui dissuadent la clientèle habituelle des restaurants du bord de Seine.
Il n’a pas été difficile de se débarrasser des forains en surnombre qui occupaient les lieux. Un procès en référé puis la menace de ne pas ouvrir la foire tant qu’ils seraient présents ont eu raison de leur envie d’en découdre.
Cela a réjoui Robert, Maire, Socialiste, et Fourneyron, Députée, Socialiste, que des photos ont montré ensemble dans la nacelle d’un manège pour enfants, s’amusant comme des petits fous. Yvon et Valérie sont dans un bateau, vieille histoire.
*
On les retrouvera peut-être à jouer ensemble dans le Donjon où Jeanne d’Arc fut menacée de la torture puis des Résistants enfermés par la Gestapo qui avait son siège à proximité.
Celui-ci va être transformé en lieu d’attraction selon le désir de Sanchez, Chef de la Matmutropole, Socialiste, qui a une haute idée de la politique culturelle. Te v’là coincé dans l’Donjon, trouve moyen d’en sortir en répondant aux questions qu’on va te poser sur la Pucelle.
Cette animation festive sera confiée à la société privée Brainscape qui sévit déjà dans ses propres locaux, rue Alsace-Lorraine, à proximité de ceux de l’Ubi, lieu artistique mutualisé, où j’écris ce jour, encouragé par un bruit d’aspirateur.
Je passe par la case toilettes, délaissant Robert le Brochet au profit d’Arthur le Silure qui « parade derrière ses moustaches ». Il existe aussi des brochets à moustache, du moins j’en connais un. Il ne fait pas partie des porteurs de sacs en plastique qui attendent impatiemment que montent les rideaux du cinéma derrière lesquels se cachent les livres d’occasion du Secours Populaire. D’autres humains sont là pour voir un film à dix heures quarante.
Dix minutes avant cet horaire, les rideaux se lèvent. Chacun va vers son intérêt. La chance étant avec moi, mon sac se remplit peu à peu. Quand je me mets dans la file pour payer mon dû, deux femmes bourgeoises sont devant moi. Elles n’ont acheté que des livres pour leurs petits-enfants. Elles ne savent pas quel est le nom de l’association qui les vend. L’une se recule, regarde la banderole :
-Ah, le Secours Populaire, dit-elle d’un air mi-figue, mi-raisin (comme on dit).
-Je n’ai même pas eu le temps de vous dire bonjour, me dit la dame bénévole qui tient la caisse, stressée comme elle est toujours. Aujourd’hui, c’est parce que le cinéma leur a ouvert les portes avec retard et que tout n’a pu être bien installé.
Il pleuvouille toujours quand je sors, aussi est-ce avec le premier bus Teor que je rentre, pas mécontent de ma matinée.
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De la foire Saint-Romain, je n’entends parler que pour s’en plaindre. Son nouvel emplacement génère des embouteillages conséquents qui dissuadent la clientèle habituelle des restaurants du bord de Seine.
Il n’a pas été difficile de se débarrasser des forains en surnombre qui occupaient les lieux. Un procès en référé puis la menace de ne pas ouvrir la foire tant qu’ils seraient présents ont eu raison de leur envie d’en découdre.
Cela a réjoui Robert, Maire, Socialiste, et Fourneyron, Députée, Socialiste, que des photos ont montré ensemble dans la nacelle d’un manège pour enfants, s’amusant comme des petits fous. Yvon et Valérie sont dans un bateau, vieille histoire.
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On les retrouvera peut-être à jouer ensemble dans le Donjon où Jeanne d’Arc fut menacée de la torture puis des Résistants enfermés par la Gestapo qui avait son siège à proximité.
Celui-ci va être transformé en lieu d’attraction selon le désir de Sanchez, Chef de la Matmutropole, Socialiste, qui a une haute idée de la politique culturelle. Te v’là coincé dans l’Donjon, trouve moyen d’en sortir en répondant aux questions qu’on va te poser sur la Pucelle.
Cette animation festive sera confiée à la société privée Brainscape qui sévit déjà dans ses propres locaux, rue Alsace-Lorraine, à proximité de ceux de l’Ubi, lieu artistique mutualisé, où j’écris ce jour, encouragé par un bruit d’aspirateur.
3 novembre 2016
L’affluence est inhabituelle et le train de Paris plus long ce mercredi à huit heures douze. Le jour de la fête des morts est aussi celui de la fin des vacances de la Toussaint. Il est temps pour les pères divorcés de ramener les enfants à leurs mères. Le plus proche de moi parle de lui à la troisième personne et en s’appelant lui-même « Papa », comme ils le font presque tous (divorcés ou pas) :
-Ne t’en fais pas, Papa va t’aider.
Peu de livres m’attendent chez Book-Off ; et au marché d’Aligre, pour une raison que j’ignore, les vendeurs de livres à bas prix font les morts. Je mets le cap sur l’Emmaüs de la rue de Charonne sans plus de succès.
A midi, je déjeune avenue Parmentier, face à un bâtiment des Petits Frères des Pauvres, dans une gargote nommée Onzième Avenue, un lieu assez peu new-yorkais où l’on sert le bœuf bourguignon qui s’impose quand le temps se rafraîchit. Puis, je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la ressourcerie La Petite Rockette.
A l’ouverture, j’y trouve le catalogue de l’exposition Djamel Tatah au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne et L’Idiot du Vieil-Age de Jean-Pierre Verheggen (L’Arbalète/Gallimard).
La récolte est moins bonne dans l’autre Book-Off, près du restaurant Drouant où c’est le calme avant le Goncourt. J’y achète néanmoins Disparitions bucoliques, qui fut publié par Le Promeneur/Gallimard en collaboration avec le Musée de la Chasse et de la Nature à l’occasion de l’exposition de Gianni Burattoni. Le texte est signé Michèle Lesbre, une fiction sans grand intérêt, mais l’exemplaire est dédicacé par l’auteure : « Disparitions bucoliques et rendez-vous intimes, pour vous Colette, très sincèrement ».
Acheter des livres pour des raisons futiles est un plaisir que je ne me refuse pas. C’est aussi pour cela, qu’après l’avoir ouvert au hasard et lu F. et son amie ont fait des portraits d’écrivains dans l’atelier de photographie qu’elles viennent d’ouvrir, rue du Chemin-Vert. Depuis, quand elles parlent de l’un d’eux, elles l’appellent par son prénom, à la manière des groupies de « Johnny », qu’elles méprisent pourtant : « Le livre d’Yves marche bien, on est contentes pour lui. » que je rachète le Journal du dehors d’Annie Ernaux (Gallimard). Je le considère pourtant comme son livre le moins bon, alourdi qu’il est par des considérations sociologiques à la Bourdieu.
Je ne sais pas qui est Yves, aucun écrivain portant ce nom ne me vient, hormis Yves Simon qui n’en est pas un, mais de Johnny il est question dans ce Book-Off du Quatre-Septembre. Les employé(e)s évoquent le Top Cinq des chansons diffusées lors des crémations. Allumez le feu en fait partie, mais la championne est Céline Dion.
-Quand mon père est mort, conclut l’une, c’était Ascenseur pour l’échafaud de Miles Davis, c’est quand même plus classe.
*
A l’entrée du marché d’Aligre, des militants de Greenpeace et leurs tablettes à pétitions. Aujourd’hui, c’est contre la disparition des arbres de la forêt équatoriale. J’accepte de signer même si je pense que ça ne sert à rien, mais avant de pouvoir le faire il faudrait écouter, écran à l’appui, les arguments et propositions de l’association. Désolé, dis-je à celui qui m’a arrêté, signer oui mais s’il faut subir le catéchisme, non.
*
Deux jeunes au café, l’un :
-Hier, il était chez moi, du coup on a boulé sur Paris.
-Ne t’en fais pas, Papa va t’aider.
Peu de livres m’attendent chez Book-Off ; et au marché d’Aligre, pour une raison que j’ignore, les vendeurs de livres à bas prix font les morts. Je mets le cap sur l’Emmaüs de la rue de Charonne sans plus de succès.
A midi, je déjeune avenue Parmentier, face à un bâtiment des Petits Frères des Pauvres, dans une gargote nommée Onzième Avenue, un lieu assez peu new-yorkais où l’on sert le bœuf bourguignon qui s’impose quand le temps se rafraîchit. Puis, je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la ressourcerie La Petite Rockette.
A l’ouverture, j’y trouve le catalogue de l’exposition Djamel Tatah au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne et L’Idiot du Vieil-Age de Jean-Pierre Verheggen (L’Arbalète/Gallimard).
La récolte est moins bonne dans l’autre Book-Off, près du restaurant Drouant où c’est le calme avant le Goncourt. J’y achète néanmoins Disparitions bucoliques, qui fut publié par Le Promeneur/Gallimard en collaboration avec le Musée de la Chasse et de la Nature à l’occasion de l’exposition de Gianni Burattoni. Le texte est signé Michèle Lesbre, une fiction sans grand intérêt, mais l’exemplaire est dédicacé par l’auteure : « Disparitions bucoliques et rendez-vous intimes, pour vous Colette, très sincèrement ».
Acheter des livres pour des raisons futiles est un plaisir que je ne me refuse pas. C’est aussi pour cela, qu’après l’avoir ouvert au hasard et lu F. et son amie ont fait des portraits d’écrivains dans l’atelier de photographie qu’elles viennent d’ouvrir, rue du Chemin-Vert. Depuis, quand elles parlent de l’un d’eux, elles l’appellent par son prénom, à la manière des groupies de « Johnny », qu’elles méprisent pourtant : « Le livre d’Yves marche bien, on est contentes pour lui. » que je rachète le Journal du dehors d’Annie Ernaux (Gallimard). Je le considère pourtant comme son livre le moins bon, alourdi qu’il est par des considérations sociologiques à la Bourdieu.
Je ne sais pas qui est Yves, aucun écrivain portant ce nom ne me vient, hormis Yves Simon qui n’en est pas un, mais de Johnny il est question dans ce Book-Off du Quatre-Septembre. Les employé(e)s évoquent le Top Cinq des chansons diffusées lors des crémations. Allumez le feu en fait partie, mais la championne est Céline Dion.
-Quand mon père est mort, conclut l’une, c’était Ascenseur pour l’échafaud de Miles Davis, c’est quand même plus classe.
*
A l’entrée du marché d’Aligre, des militants de Greenpeace et leurs tablettes à pétitions. Aujourd’hui, c’est contre la disparition des arbres de la forêt équatoriale. J’accepte de signer même si je pense que ça ne sert à rien, mais avant de pouvoir le faire il faudrait écouter, écran à l’appui, les arguments et propositions de l’association. Désolé, dis-je à celui qui m’a arrêté, signer oui mais s’il faut subir le catéchisme, non.
*
Deux jeunes au café, l’un :
-Hier, il était chez moi, du coup on a boulé sur Paris.
2 novembre 2016
La météo annonçant une journée ensoleillée ce dernier jour d’octobre, j’ai en poche un billet pour Saint-Valéry-en-Caux, première partie du voyage en train jusqu’à Yvetot, le car ensuite.
Las, quand j’arrive à la gare de Rouen, c’est pour apprendre que le train de huit heures cinq aura quinze minutes de retard, suite à « des difficultés de préparation ». Il ne pourra pas être arrivé à Yvetot quand le car en partira à huit heures quarante-cinq.
Je demande aux gilets rouges si ce car est susceptible d’attendre. Ils n’en savent rien. J’insiste. L’un se renseigne à l’aide de sa technologie portative. Non, il n’attendra pas. Le retard annoncé est maintenant de vingt minutes et le car suivant me ferait rester une grande partie de la matinée à Yvetot (charmante perspective). J’échange donc mon billet pour Saint-Valéry contre un pour Dieppe, en train, sans car, départ neuf heures onze.
Je l’attends au Bar Tabac de la Gare, lisant le Journal inutile de Paul Morand. Admirable journée d’octobre, sans un nuage, comme nous les aimons tant, ici., écrivait celui-ci le deux octobre mil neuf cent soixante-quinze, quelques mois avant sa mort.
Un ciel sans nuage, c’est ce que je trouve à l’arrivée à Dieppe, ville dont heureusement je ne me lasse pas. Contrairement à lundi dernier, le port est plein de bateaux de pêche et les quais emplis de visiteurs. « Y a du monde, quand même, oh la la », dit-on au Tout Va Bien, « Avec ce soleil de mois d’août, on se croirait pas à la Toussaint ».
Le soleil chauffe bien mais il est bas. Déjeuner en terrasse m’obligerait à l’avoir dans les yeux, aussi j’opte pour une place à l’ombre sous la véranda du Nautic : assiette de fruits de mer, choucroute de la mer, creumebeule banane chocolat, accompagnés de chardonnay. Avec le café, cela fera vingt-six euros. Les mangeurs sous le soleil ont bientôt la couleur de l’écrevisse. Le serveur sue. Vers midi et demi se forme la file de celles et ceux qui doivent attendre qu’une table se libère et qui font la tête. Il en est ainsi devant chaque restaurant du port.
Après le repas, je me balade au Pollet, empruntant la rue où se tient une maison d’hôtes dont les propriétaires m’ont à plusieurs reprises invité à passer les voir mais la haute porte fermée m’empêche d’oser appuyer sur la sonnette.
C’est donc à la terrasse du Café de l’Escale, quai Henri le Quatrième, que je profite de l’après-midi de beau temps du dernier jour d’octobre dont on se réjouit alentour : « Ah bah oui ça va, avec ce beau soleil, pourvu que ça dure, même jusqu’à Noël on veut bien ».
Quand le rond jaune disparaît derrière les maisons du quai Duquesne, il est l’heure de mon train de retour d’où je peux admirer les arbres au feuillage automnal d’une campagne cauchoise déserte.
*
Au Nautic, une femme qui fait glisser dans son sac les rince-doigts non utilisés.
*
Des groupes de moutards maquillés quêtant des bonbons rappellent que c’est Allo Ouine. Ils sont tous sous la surveillance des mères. Comme si les pères travaillaient pendant ce ouiquennede de quatre jours.
*
Beau succès pour le bateau qui emmène les familles faire un petit tour sur l’eau, lequel peut aussi être loué pour la dispersion des cendres.
*
L’impossibilité d’aller passer cette admirable journée d’octobre à Saint-Valéry-en-Caux est une coproduction de Guillaume Pepy (Chef de la Senecefe, avec ses trains régulièrement en retard) et d’Hervé Morin (Duc de Normandie, avec ses cars qui partent à l’heure quoi qu’il arrive).
*
Changement d’ambiance en ce mardi matin de Toussaint à Rouen. Personne dans les rues, que ce soit à pied, à vélo ou en voiture. Le contraste est rude avec le grouillement dieppois de la veille et pourrait vite me déprimer. Heureusement, le soleil donne encore sur le banc du jardin entre onze heures trente et treize heures trente. J y termine le Journal inutile de Paul Morand pendant que le carillonneur de la Cathédrale montre ce qu’il sait faire avec son instrument.
Las, quand j’arrive à la gare de Rouen, c’est pour apprendre que le train de huit heures cinq aura quinze minutes de retard, suite à « des difficultés de préparation ». Il ne pourra pas être arrivé à Yvetot quand le car en partira à huit heures quarante-cinq.
Je demande aux gilets rouges si ce car est susceptible d’attendre. Ils n’en savent rien. J’insiste. L’un se renseigne à l’aide de sa technologie portative. Non, il n’attendra pas. Le retard annoncé est maintenant de vingt minutes et le car suivant me ferait rester une grande partie de la matinée à Yvetot (charmante perspective). J’échange donc mon billet pour Saint-Valéry contre un pour Dieppe, en train, sans car, départ neuf heures onze.
Je l’attends au Bar Tabac de la Gare, lisant le Journal inutile de Paul Morand. Admirable journée d’octobre, sans un nuage, comme nous les aimons tant, ici., écrivait celui-ci le deux octobre mil neuf cent soixante-quinze, quelques mois avant sa mort.
Un ciel sans nuage, c’est ce que je trouve à l’arrivée à Dieppe, ville dont heureusement je ne me lasse pas. Contrairement à lundi dernier, le port est plein de bateaux de pêche et les quais emplis de visiteurs. « Y a du monde, quand même, oh la la », dit-on au Tout Va Bien, « Avec ce soleil de mois d’août, on se croirait pas à la Toussaint ».
Le soleil chauffe bien mais il est bas. Déjeuner en terrasse m’obligerait à l’avoir dans les yeux, aussi j’opte pour une place à l’ombre sous la véranda du Nautic : assiette de fruits de mer, choucroute de la mer, creumebeule banane chocolat, accompagnés de chardonnay. Avec le café, cela fera vingt-six euros. Les mangeurs sous le soleil ont bientôt la couleur de l’écrevisse. Le serveur sue. Vers midi et demi se forme la file de celles et ceux qui doivent attendre qu’une table se libère et qui font la tête. Il en est ainsi devant chaque restaurant du port.
Après le repas, je me balade au Pollet, empruntant la rue où se tient une maison d’hôtes dont les propriétaires m’ont à plusieurs reprises invité à passer les voir mais la haute porte fermée m’empêche d’oser appuyer sur la sonnette.
C’est donc à la terrasse du Café de l’Escale, quai Henri le Quatrième, que je profite de l’après-midi de beau temps du dernier jour d’octobre dont on se réjouit alentour : « Ah bah oui ça va, avec ce beau soleil, pourvu que ça dure, même jusqu’à Noël on veut bien ».
Quand le rond jaune disparaît derrière les maisons du quai Duquesne, il est l’heure de mon train de retour d’où je peux admirer les arbres au feuillage automnal d’une campagne cauchoise déserte.
*
Au Nautic, une femme qui fait glisser dans son sac les rince-doigts non utilisés.
*
Des groupes de moutards maquillés quêtant des bonbons rappellent que c’est Allo Ouine. Ils sont tous sous la surveillance des mères. Comme si les pères travaillaient pendant ce ouiquennede de quatre jours.
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Beau succès pour le bateau qui emmène les familles faire un petit tour sur l’eau, lequel peut aussi être loué pour la dispersion des cendres.
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L’impossibilité d’aller passer cette admirable journée d’octobre à Saint-Valéry-en-Caux est une coproduction de Guillaume Pepy (Chef de la Senecefe, avec ses trains régulièrement en retard) et d’Hervé Morin (Duc de Normandie, avec ses cars qui partent à l’heure quoi qu’il arrive).
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Changement d’ambiance en ce mardi matin de Toussaint à Rouen. Personne dans les rues, que ce soit à pied, à vélo ou en voiture. Le contraste est rude avec le grouillement dieppois de la veille et pourrait vite me déprimer. Heureusement, le soleil donne encore sur le banc du jardin entre onze heures trente et treize heures trente. J y termine le Journal inutile de Paul Morand pendant que le carillonneur de la Cathédrale montre ce qu’il sait faire avec son instrument.
1er novembre 2016
Suite et fin de mes notes de relecture du Journal (1879-1939) de l’abbé Mugnier paru au Mercure de France dans la collection Le Temps retrouvé), une édition contestée par A. d’Esneval dans un article du Bulletin de la Société J. K. Huysmans intitulé Le " Journal " de l'abbé Mugnier. Un document très expurgé, parfois remodelé, peut-il encore être tenu pour authentique?
Dans cette étude de l'édition du Journal par Marcel Billot pour le Mercure de France, A. d’Esneval regrette des coupures maladroites ou mal intentionnées et une simplification abusive du style et du caractère de l’abbé Mugnier. L'écrémage du manuscrit tel qu'il a été pratiqué est très préjudiciable à l'authenticité documentaire du Journal, conclut-il.
Quoi qu’il en soit, retrouvons Arthur Mugnier au début de la guerre de Quatorze, il mourra pendant la suivante à l’âge de quatre-vingt onze ans :
Seules les cartes de la guerre intéressent. On y pique de petits drapeaux. Une guerre, occasion d’apprendre sa géographie ! Le malheur instruit. (dix septembre mil neuf cent quatorze)
Quel courage il faut pour être soi ! On a contre soi la masse des autres qui ont abdiqué d’avance. Ils se regardent, ils se copient, ils se singent mutuellement. (douze septembre mil neuf cent quatorze)
Pour moi, le grand mal c’est de vivre en société. Le mensonge est une nécessité sociale. On ne peut être soi, au milieu des hommes. Ils vous engagent, vous enrégimentent, vous solidarisent, mettent la main sur votre liberté intérieure et extérieure. Toutes les institutions font main basse sur le moi humain. (treize octobre mil neuf cent quinze)
Mme Bourget rappelait avoir entendu Mme Zola dire à son mari : « Minet, veux-tu un chocolat ? » Zola, minet ! (vingt-neuf février mil neuf cent seize)
On parle du Bois Fumin, du côté de Verdun. Des morceaux de terre sortent de leur anonymat, connus des seuls oiseaux, de quelques fleurs ; les voilà illustrés par la violence, le feu, le sang. L’humanité est folle et tout ce qu’elle fait est discrédité par elle-même. (vingt-trois juin mil neuf cent seize)
Les gens de la bonne société transforment leurs habitudes en principes. Ils ne mettent rien dans leur vie, et c’est ce qu’ils appellent la correction et le « comme il faut ». Ils consacrent le vide et l’ennui, et l’inertie en mettant sur tout cela l’étiquette divine. (trente et un juillet mil neuf cent dix sept)
Descaves m’a parlé de Méry Laurent qui n’avait pas voulu être la maîtresse de Mallarmé parce qu’elle ne le trouvait pas assez propre. (vingt-six février mil neuf cent dix-huit)
Encore une allocution de mariage à préparer, jamais, jamais de repos et je suis fait cependant pour une paresse intelligente. (six juin mil neuf cent vingt)
Nous devions avoir Picasso et Colette, mais Picasso attend un bébé et Colette se fait remonter le visage. (cinq janvier mil neuf cent vingt et un)
Ce soleil de janvier est déconcertant. Faudra-t-il l’expier ? C’est comme la jeunesse des désirs que ne calme pas la soixantaine. (dix janvier mil neuf cent vingt et un)
Quand Oscar Wilde mourut, dit Berthelot, nous fûmes 9 à son enterrement. Il n’y avait qu’une couronne, de la part d’un locataire. On le conduisit au cimetière de Pantin. (même jour)
Oh ! les attentats contre l’individu, c’est-à-dire contre la vie ! On vous momifie, enfant, dans une croyance : maintenant vous croyez, ne bougez plus ! (onze mai mil neuf cent vingt-quatre)
Je ne tiens pas pour le moment à être chanoine prébendé. (vingt et un novembre mil neuf cent vingt-quatre)
Alphonse Daudet plein de charme mais faux. Il écrivait de belles lettres charmantes pour recommander les auteurs à Charpentier et il avait fait un signe mystérieux qui avertissait l’éditeur de n’en rien faire. (dix-neuf février mil neuf cent vingt cinq)
Notre époque peut se résumer ainsi : usines, banques, cinémas, dancings, palaces, enseignes lumineuses, réclames, automobiles, téléphonages, etc. C’est-à-dire matérialisme, argent, plaisir et tout le contraire de la simplicité et de la modestie. (huit octobre mil neuf cent vingt-six)
Curel citait ce mot de Toulouse-Lautrec qui était petit, bossu : « Quand je bande, je suis un trépied. » (huit août mil neuf cent vingt-sept)
Cueilli chemin faisant Paul Léautaud, qui habite 24 rue Guérard, à Fontenay-aux-Roses. C’est un homme qui, avec ses lunettes, sa figure maigre, sombre, mal rasée, sa voix et ses gestes de cabotin, ressemble ou à un prêtre défroqué ou à un homme de théâtre dans la débine. En réalité, un timide, un nerveux, un malheureux. (sept août mil neuf cent trente)
J’ai fait signer deux exemplaires du Voyage au bout de la nuit. Céline s’y prête avec très bonne grâce, sur la table de la salle à manger, le premier destiné à la comtesse de Castries, le second pour moi avec ces mots : « A M. le Chanoine Mugnier, notre compagnon d’infini, bien amicalement et respectueusement. » (dix-huit janvier mil neuf cent trente-trois)
Dans cette étude de l'édition du Journal par Marcel Billot pour le Mercure de France, A. d’Esneval regrette des coupures maladroites ou mal intentionnées et une simplification abusive du style et du caractère de l’abbé Mugnier. L'écrémage du manuscrit tel qu'il a été pratiqué est très préjudiciable à l'authenticité documentaire du Journal, conclut-il.
Quoi qu’il en soit, retrouvons Arthur Mugnier au début de la guerre de Quatorze, il mourra pendant la suivante à l’âge de quatre-vingt onze ans :
Seules les cartes de la guerre intéressent. On y pique de petits drapeaux. Une guerre, occasion d’apprendre sa géographie ! Le malheur instruit. (dix septembre mil neuf cent quatorze)
Quel courage il faut pour être soi ! On a contre soi la masse des autres qui ont abdiqué d’avance. Ils se regardent, ils se copient, ils se singent mutuellement. (douze septembre mil neuf cent quatorze)
Pour moi, le grand mal c’est de vivre en société. Le mensonge est une nécessité sociale. On ne peut être soi, au milieu des hommes. Ils vous engagent, vous enrégimentent, vous solidarisent, mettent la main sur votre liberté intérieure et extérieure. Toutes les institutions font main basse sur le moi humain. (treize octobre mil neuf cent quinze)
Mme Bourget rappelait avoir entendu Mme Zola dire à son mari : « Minet, veux-tu un chocolat ? » Zola, minet ! (vingt-neuf février mil neuf cent seize)
On parle du Bois Fumin, du côté de Verdun. Des morceaux de terre sortent de leur anonymat, connus des seuls oiseaux, de quelques fleurs ; les voilà illustrés par la violence, le feu, le sang. L’humanité est folle et tout ce qu’elle fait est discrédité par elle-même. (vingt-trois juin mil neuf cent seize)
Les gens de la bonne société transforment leurs habitudes en principes. Ils ne mettent rien dans leur vie, et c’est ce qu’ils appellent la correction et le « comme il faut ». Ils consacrent le vide et l’ennui, et l’inertie en mettant sur tout cela l’étiquette divine. (trente et un juillet mil neuf cent dix sept)
Descaves m’a parlé de Méry Laurent qui n’avait pas voulu être la maîtresse de Mallarmé parce qu’elle ne le trouvait pas assez propre. (vingt-six février mil neuf cent dix-huit)
Encore une allocution de mariage à préparer, jamais, jamais de repos et je suis fait cependant pour une paresse intelligente. (six juin mil neuf cent vingt)
Nous devions avoir Picasso et Colette, mais Picasso attend un bébé et Colette se fait remonter le visage. (cinq janvier mil neuf cent vingt et un)
Ce soleil de janvier est déconcertant. Faudra-t-il l’expier ? C’est comme la jeunesse des désirs que ne calme pas la soixantaine. (dix janvier mil neuf cent vingt et un)
Quand Oscar Wilde mourut, dit Berthelot, nous fûmes 9 à son enterrement. Il n’y avait qu’une couronne, de la part d’un locataire. On le conduisit au cimetière de Pantin. (même jour)
Oh ! les attentats contre l’individu, c’est-à-dire contre la vie ! On vous momifie, enfant, dans une croyance : maintenant vous croyez, ne bougez plus ! (onze mai mil neuf cent vingt-quatre)
Je ne tiens pas pour le moment à être chanoine prébendé. (vingt et un novembre mil neuf cent vingt-quatre)
Alphonse Daudet plein de charme mais faux. Il écrivait de belles lettres charmantes pour recommander les auteurs à Charpentier et il avait fait un signe mystérieux qui avertissait l’éditeur de n’en rien faire. (dix-neuf février mil neuf cent vingt cinq)
Notre époque peut se résumer ainsi : usines, banques, cinémas, dancings, palaces, enseignes lumineuses, réclames, automobiles, téléphonages, etc. C’est-à-dire matérialisme, argent, plaisir et tout le contraire de la simplicité et de la modestie. (huit octobre mil neuf cent vingt-six)
Curel citait ce mot de Toulouse-Lautrec qui était petit, bossu : « Quand je bande, je suis un trépied. » (huit août mil neuf cent vingt-sept)
Cueilli chemin faisant Paul Léautaud, qui habite 24 rue Guérard, à Fontenay-aux-Roses. C’est un homme qui, avec ses lunettes, sa figure maigre, sombre, mal rasée, sa voix et ses gestes de cabotin, ressemble ou à un prêtre défroqué ou à un homme de théâtre dans la débine. En réalité, un timide, un nerveux, un malheureux. (sept août mil neuf cent trente)
J’ai fait signer deux exemplaires du Voyage au bout de la nuit. Céline s’y prête avec très bonne grâce, sur la table de la salle à manger, le premier destiné à la comtesse de Castries, le second pour moi avec ces mots : « A M. le Chanoine Mugnier, notre compagnon d’infini, bien amicalement et respectueusement. » (dix-huit janvier mil neuf cent trente-trois)
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