Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 novembre 2016


La harpe est à l’honneur ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen. Il s’agit de fêter la sortie du cédé d’Anaïs Gaudemard « enregistré l’an dernier ici même ». J’ai une bonne place à l’avant-dernier rang d’orchestre derrière une dame qui en arrivant s’est excusée d’être devant moi.
-Il en faut bien une, lui ai-je dit.
L’Orchestre est dirigé par le jeune Jamie Phillips, boursier à la Phil Gustavo Dudamel de Los Angeles et chef associé du Hallé Orchestra, La courte Schrumpf-Sinfonie de Kurt Schwertsik ouvre la soirée, œuvre tonique et allègre, puis la harpe est roulée sur scène avec précaution. « Anaïs joue sur une harpe Style 23 Gold, offerte par la maison Lyon & Healy, Chicago », précise le livret programme.
-C’est un bel instrument, observe une femme derrière moi.
Il ne manque pas de dorures. Notre harpiste en a tenu compte dans le choix de sa robe.
Ce sont d’abord les Danses sacrée et profane de Claude Debussy puis le Concerto pour harpe et orchestre en ut majeur de François-Adrien Boieldieu.
Anaïs Gaudemard joue à merveille. De plus, elle est jolie, avec un faux air de Sophie Marceau. Lorsqu’elle est inoccupée, elle pose sa joue contre le corps de sa harpe. Derrière elle, l’Orchestre est mené avec précision par Jamie Phillips. A l’issue c’est un triomphe. En bonus, Anaïs nous offre une sonate de Scarlatti.
Pendant l’entracte deux spectateurs viennent me serrer la main. « Nous sommes de ces Centristes de Droite qui buvaient le champagne la semaine dernière. », me disent-ils. Ce sont aussi des animateurs de l’association et du blog Publics de l’opéra de Rouen. Le plus jeune m’explique que la bouteille est arrivée un peu par hasard et qu’il ne s’agissait pas de fêter la victoire de Trump. J’en profite pour les remercier du lien qui sur leur blog envoie vers mon Journal.
En seconde partie, c’est la célèbre Symphonie numéro sept en la majeur de Ludwig van Beethoven. L’Orchestre, mené par un Jamie Phillips clair et expressif, l’interprète avec fougue et précision devant un public très concentré. Il est des soirs où il n’y a rien à redire.
                                                            *
A peine cette symphonie est-elle terminée, avant même les applaudissements, que le spectateur du milieu de rangée oblige tout le monde à se lever. Il veut sortir au plus vite afin de récupérer sa voiture au parquigne avant les autres. Il y a souvent des casse-pieds les soirs de spectacle à l’Opéra de Rouen, celui-là est de première catégorie.
 

18 novembre 2016


Un peu décevant mon repas à dix-neuf euros soixante boisson comprise Chez Céleste ce mercredi, une salade de morue trop sèche et un almondigas (boulettes de bœuf, frites, riz) trop boulette. Ma pêche aux livres ne me donne guère plus de satisfaction. Qu’importe, un bus Quatre-Vingt-Six bondé m’emmène jusqu’à Cluny d’où pédestrement je rejoins l’imposant bâtiment de la Monnaie de Paris, face au square du Vert-Galant. On y expose une sélection d’œuvres du controversé Maurizio Cattelan.
Je montre mes quelques livres au vigile, paie douze euros à une caissière à qui je reproche d’utiliser le sans contact de ma carte bancaire avant de m’en avoir demandé la permission, trouve un euro pour enfermer mon sac à dos dans un casier puis grimpe l’escalier à tapis rouge qui mène à l’étage que se partagent le lieu d’exposition et le restaurant Guy Savoy, trois étoiles au Michelin, premier menu dans les trois cent quatre-vingts euros, à la carte compter deux cents euros hors boisson.
Certains critiques dénigrent Maurizio Cattelan, artiste autodidacte et plein de fric, le qualifient de charlot et de petit malin. Peu me chaut, j’aime ce qu’il fait, ce qu’il a fait est-il plus exact d’écrire car il s’est asséché.
L’une de ses pièces les plus connues occupe la grande salle par où on entre. Jean-Paul le Deuxième, Pape, gît sur la moquette, une météorite lui ayant broyé les jambes. Régulièrement, un petit Maurizio à tambour s’en réjouit, assis sur la rambarde de pierre de l’étage supérieur, faisant lever la tête aux visiteurs et déclencher quasi automatiquement la prise d’une photo.
Dans les salles suivantes, plus petites mais à miroirs, sont visibles le cheval fixé en haut d’un mur par la tête, celle-ci invisible scellée dans la pierre (« Il n’a pas de sexe », constate une jeune femme glissée dessous), l’écolier aux mains clouées dans la table par des crayons, les gisants de marbre blanc représentant des corps d’immigrants enveloppés dans un sac, le sosie de Massimo à échelle réduite accroché à une patère, le même allongé sur un lit avec son double ou lui encore accroché au plancher, le sol s’étant ouvert sous ses pieds. Le meilleur est pour la fin, c’est Him, déjà vu autrefois. A genoux, en prière, le touchant personnage, lorsqu’on en fait le tour, révèle sa moustache et sa grande mèche.
Les notices explicatives sont signées de diverses autorités de l’art et d’ailleurs. L’une d’elles, due à Massimo de Carlo, galeriste, habille pour l’hiver Augustin Trapenard (ce fâcheux sévissant autrefois sur France Culture) qui dans un article s’en est pris à l’artiste exposé.
Une douzaine d’œuvres pour douze euros, cela vous met l’œuvre à un euro le regard, aussi est-il raisonnable de les voir plusieurs fois. Pour ce faire, je regagne la salle papale et découvre dans une annexe un sans abri sous une couverture sale dont ne dépasse qu’un pied. Le cartel suggère qu’il pourrait s’agir de l’artiste lui-même.
Assis sur l’un des bancs, j’observe les arrivant(e)s. Un trentenaire tient à faire savoir au gardien qu’il l’a déjà vu, ce pape écrasé, dans une série télé. Un trois ans, venu avec ses grands-parents et sa sœur de cinq, en a peur. A force de le regarder ce Jean-Paul renversé, je réalise qu’il est impossible d’être fauché à hauteur des jambes par une météorite.
Revenu voir Him, je trouve les deux moutards, le trois ans et sa sœur de cinq, à genoux en prière près de lui. Quand leur grand-père s’en aperçoit, il fait une photo. La grand-mère est un peu choquée : « Quand même, il a tué des millions d’hommes ! »
Eux partis, je demande au gardien, qui comme tous les autres a la peau noire, si c’est difficile pour lui de cohabiter avec ce personnage.
-Ah non, me dit-il, ça reste une œuvre d’art.
En ressortant, je découvre deux autres œuvres imposantes que je n’avais pas vues en montant : le cheval suspendu par des sangles au-dessus du grand escalier et sur le mur de celui-ci la femme crucifiée de dos emballée dans une caisse de transport d’œuvre d’art dont il ne reste plus qu’à mettre le couvercle.
Alors que je suis là à contempler par en dessous le canasson suspendu, je vois sortir une tête connue du restaurant Guy Savoy, un avocat petit et trapu dont le nom m’échappe. Il est suivi d’une autre, François Baroin, le second de Sarkozy (il a choisi le mauvais cheval). Une femme se précipite, lui serre la main :
-Je voulais vous dire que dimanche, je vais aller voter Sarkozy à la Primaire.
-Merci madame, lui répond-il.
L’avocat petit et trapu a pris de l’avance. Baroin descend l’escalier à tapis rouge devant moi sans que le sol ne s’ouvre sous ses pieds ni qu’un cheval dont les cordages céderaient ne l’écrabouille.
                                                                 *
Rentré à la maison, j’enquête sur Internet et retrouve le nom de l’avocat : Francis Szpiner. Sa page Ouiquipédia est éloquente.
                                                                 *
Il semble qu’un certain nombre d’électeurs de la Droite aient fini par comprendre que s’ils ne veulent pas de Juppé, il ne faut pas qu’ils votent Sarkozy au premier tour de la Primaire, lequel serait forcément battu au second, mais qu’ils doivent voter Fillon.
 

17 novembre 2016


Danse ce mardi soir à l’Opéra de Rouen avec Yatra d’Andrés Marín et Kader Attou, je suis au bout de rangée en corbeille.
-Vous savez où vous êtes ?, demande une placeuse à un arrivant.
-Je suis mon épouse, lui répond-il.
C’est la meilleure façon de ne pas se perdre.
Derrière moi, on étudie le livret programme :
-La musique risque d’être curieuse, entends-je.
La largeur de vue d’une grande partie du public de l’honorable maison n’est plus à démontrer.  
Les musiciens de l’Ensemble Divana, venus du Rajasthan et adeptes du qawwali, sont assis en tailleur en fond de scène. Leur musique est à mon goût. Le chant de leur meneur, Anwar Khan Manghanyiar, me rappelle celui de Nusrat Fateh Ali Kahn mais ne l’égale pas (Nusrat est irremplaçable).
Andrés Marín est le danseur de flamenco type : un coq dressé sur ses ergots. Sa rencontre avec les deux hip-hopeurs, qui ont du mal à exister près à lui, se déroule essentiellement sur le thème de l’affrontement, comme on pouvait le craindre.
Le conflit est également de mise lorsque Gazi Khan Barna, le joueur de kartâl (les castagnettes indiennes), se lève et fait face à Andrés Marín. Ce dernier (qui ne peut être que le premier) tente même de combattre Anwar Khan Manghanyiar de la voix.
Kader Attou a fait de ce macho à claquettes un énervant présomptueux. La musique est là pour me faire quand même passer une bonne soirée.
-Inattendu mais extraordinaire, claironne la dame assise devant moi à l’issue. C’est très exagéré.
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Mettre ensemble sur une scène des hip-hopeurs, un danseur de flamenco et des musiciens venus d’Inde, le genre d’idée que l’on a quand on n’a plus d’idée.
 

16 novembre 2016


Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, s’est engagé avant son élection à faire arriver les trains à l’heure et que ceux-ci soient confortables. Dans ce but, il entend acheter quarante trains Bombardier à étage.
Comme le racontent Le Figaro et Le Monde, ces nouveaux trains sont plus larges que les actuels, d’où une incertitude lors des croisements à l’approche de la gare Saint-Lazare et une étude préalable.
« Cette étude a révélé que ça passe, et que ça passe juste », annonce il y a quelques jours la Senecefe.
« Plus rien ne s’oppose à la commande des trains. Nous allons signer le vingt-quatre novembre », déclare aussitôt Morin.
Pourtant, indique aussi le rapport, la marge est si faible « qu’il faudra vérifier régulièrement que des travaux ou des circulations ne modifient pas la position de la voie ».
« Le risque, même très minime, d’une catastrophe ferroviaire dans la gare immortalisée par Monet n’était évidemment pas envisageable. », conclut Le Monde.
Convaincu du contraire, je ne serai pas tranquille lorsque ces nouveaux trains seront mis en service.
Voyager côté couloir et dans le sens opposé à la marche deviendra impératif. C’est déjà ce que je fais dans les trains qui se croisent à l’aise. J’espère que dans les trains de Morin ces places ne seront pas prises d’assaut.
                                                         *
Munir les sièges d’une ceinture de sécurité, une idée que je lance
                                                         *
Impossible d’acheter des trains Alsthom à étage, a précisé Morin. Ils sont moins larges mais ils ne passeraient pas dans les tunnels de la gare de Rouen.
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Il faut se rendre à l’évidence (comme on dit), l’expression « con comme une valise sans poignée » n’a pas été remplacée par « con comme une valise sans roulettes ».
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Je songeais à ça l’autre mercredi à la gare de Rouen en regardant un quidam qui voyageait à l’ancienne, avec une valise à poignée.
                                                        *
« Voyager c'est découvrir que tout le monde a tort «  ai-je lu samedi dernier au stand de Joseph Trotta sur le Clos Saint-Marc en quatrième de couverture du Tour du monde d’un sceptique d’Aldous Huxley (Petite Bibliothèque Payot).
J’achèterai ce livre quand je le trouverai à un euro.
 

15 novembre 2016


Le public est inhabituel ce samedi soir à l’Opéra de Rouen, le Conservatoire à Rayonnement Régional y donne sa soirée d’ouverture, Parade satierik, début d’une semaine consacrée à Erik Satie dont c’est le cent cinquante anniversaire de la naissance.
Le placement étant libre, je m’offre un bon fauteuil de corbeille et à la lecture du programme constate que ce sera avant tout de la danse, la musique étant reléguée dans la fosse. Elle sera jouée par l’Orchestre Symphonique Franco-Allemand qui mêle des musicien(ne)s de l’Orchestre Pro Artibus de Hanovre et de l’Orchestre Symphonique du Conservatoire de Rouen. À la direction musicale se succéderont Hans-Christian Euler et Claude Brendel..
En effet, c’est le cinquantième anniversaire du jumelage Rouen Hanovre. Cela nous vaut un double discours du Maire de Rouen et du Bourgmestre de Hanovre. Entre les deux hommes, une sténo-interprète s’active à la compréhension mutuelle. Claude Brendel qui est aussi le nouveau Directeur du Conservatoire assure sa propre traduction.
C’est d’abord un pas de deux sur la Première Gymnopédie d’Erik Satie orchestrée par Claude Debussy, puis une évolution de groupe sur La Création du monde de Darius Milhaud avec déboulage dans la salle ce qui me vaut au passage un bisou virtuel d’une jolie demoiselle, puis une chorégraphie trop néo classique à mon goût sur la Pastorale d’été d’Arthur Honegger et enfin Parade d’Erik Satie avec un cheval bien réussi dans lequel se cachent deux filles.
Finalement, je passe quand même une bonne soirée, d’autant que contrairement à ce qui se passe régulièrement à l’Opéra de Rouen, dans ce public attentif, moutards y compris, aucune toux ne vient troubler l’écoute.
                                                                 *
Impossible encore une fois pour moi de voir un amoncellement de corps sur scène, comme c’est le cas ce soir au début de La Création du monde, sans songer à ceux du Bataclan.
Demain, cela fera un an.
                                                                *
France Culture toujours sinistrée par les bondieuseries le dimanche matin. Encore plus qu’avant depuis qu’a été ajoutée au programme une émission consacrée à l’islam. J’essaie France Musique. On y passe de la musique liturgique. Tentons France Inter. On y donne les résultats sportifs.
                                                                *
Ecœuré(e)s sont les ami(e)s américain(e)s de celle grâce à qui j’ai séjourné à New York. Certain(e)s s’emploient à changer de banque ou de fournisseur d’énergie, les leurs ayant soutenu Trump en loucedé.
 

14 novembre 2016


Du soleil, du ciel bleu, l’après-midi du onze novembre incite à la promenade. Le chemin piétonnier qui longe le Robec jusqu’à Darnétal est tout indiqué. Au bout, dans les locaux de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Normandie, les élèves sortant(e)s de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design Le Havre Rouen exposent. Celles et ceux qui étudiaient l’art dans les Hauts de Rouen et les autres qui étudiaient le disagne graphique au Havre sont ainsi réunis dans un troisième lieu. Ça donne un but au marcheur que je suis.
Près du ruisseau aux roues à aube je croise familles agglomérées, coureurs essoufflés, cyclistes pressés et branlotins inoccupés. L’atmosphère est automnale avec cancanements de colverts. A hauteur de l’Ecole d’Archi (comme on dit), je rejoins la route puis descends dans le parc en suivant les flèches Prenez soin de nous.
Un imposant vigile marqué Sécurité est devant la porte. Il me regarde passer sans rien me demander. La grande fille à talons de l’accueil fait de même. La salle est belle et vaste, très éclairée. Une musique lancinante sort d’un ordinateur qui diffuse une vidéo. Le soleil bas gêne pour la voir.
Je vais d’œuvre en œuvre. Le vigile me suit comme si on était dans un supermarché. La fille montre à quel point ma présence lui est indifférente et bidouille son téléphone. Ce que je vois m’intéresse peu, même les maquettes de livres dues aux disagneurs. Quand même, je m’arrête un moment devant les dessins de la série Mytho Logis signés Caroline Laguerre, en raison des textes qui accompagnent chacun d’entre eux.
J’en note deux :
« Le temps passe, je vois le soleil se lever, se coucher, je mens quand je dis que ça va. »
« C’est sûr que si tu n’aimes que toi, bah tu ne seras jamais jaloux. »
Souvent, dans les expos où je vais, le moindre bout de texte me paraît plus intéressant que les peintures, dessins, vidéos ou autres installations.
Du soleil, du ciel bleu, il y en a encore lorsque je reviens de ma promenade en cette après-midi de onze novembre, une journée attristée par la mort de Leonard Cohen.
« Je n'ai pas peur de la mort, ce sont les préliminaires qui m'inquiètent », avait-il déclaré dans un récent entretien.
                                                                 *
Une idée de titre pour l’exposition des sortant(e)s de l’Esadhar l’an prochain : « Ce à quoi vous pouviez vous attendre ».
                                                                 *
« Prenez soin de nous », le message sera entendu par les politicien(ne)s élu(e)s de Droite ou de Gauche. Appels à projet, subventions, résidences feront de ses débutant(e)s des représentants de l’art local officiel, comme le sont devenus beaucoup des précédent(e)s, les diplômé(e)s de disagne graphique ayant une chance d’échapper à cette malédiction.
 

12 novembre 2016


En corbeille, décentré, ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen, j’ai devant moi trois vieilles bavardes et derrière moi un couple avec deux moutards. Autant dire que je suis cerné. Si j’en avais le pouvoir, je ferais appel aux vigiles pour les évacuer de la salle.
Le photo du livret programme montre la clarinettiste de l’Orchestre, Yoshimura Naoko, son instrument derrière le dos, car le concert est en l’honneur du lauréat du Concours Jacques Lancelot, lequel couronne tous les deux ans, en alternance à Rouen et au Japon, un(e) jeune clarinettiste. Le nouveau lauréat est Coréen, il a vingt ans, est élève de Sabine Meyer à la Musikhochschule de Lübeck et s’appelle Han Kim. L’Orchestre de l’Opéra de Rouen est dirigé par Roberto Forès Veses, Directeur Musical et Artistique de l’Orchestre d’Auvergne, déjà vu plusieurs fois ici.
Le jeune Han Kim montre qu’il est aussi à l’aise que professionnel quand il attaque sa partie dans Sommerwind V écrit par Tanada Fuminori pour le Concours d’il y a deux ans. La relative modernité de cette œuvre fait pousser des soupirs aux vieilles de devant.
Après les applaudissements mérités, Han Kim revient sans partition pour le Concerto pour clarinette en la majeur de Wolfgang Amadeus Mozart.
-C’est mieux, commente l’une des vieilles, qui s’y connaît en musique.
La marmaille chuchote et gigote. Des glaireux expectorent.  Il est quand même possible d’apprécier le jeu du jeune virtuose. Un triomphe lui est fait à l’issue. Voilà une carrière qui semble assurée. En bonus, il offre un solo.
-Si je fais un malaise ici, constate un spectateur à l’entracte, j’aurai le choix du médecin qui se portera à mon secours.
Il y a aussi des Centristes de Droite. Ils font cercle autour de la Sénatrice, Présidente de la Maison. L’un d’eux, candidat malheureux à la Mairie de Rouen, y va de sa bouteille de champagne. Peut-être fêtent-ils la victoire de Trump (Je plaisante, comme on dit).
A la reprise, ma voisine de gauche fait taire d’un chut impérieux les vieilles de devant et les moutards de derrière s’endorment. Je peux donc apprécier tranquillement l’ouverture de La Belle Mélusine de Felix Bartholdy Mendelssohn puis la Symphonie numéro six en do majeur de Franz Schubert.
Plus question en rentrant de traverser le parvis de la Cathédrale en diagonale. Depuis le sept novembre s’y déploie le Village de Noël, ce vulgaire marché annuel.
                                                                  *
Je constate les dégâts : des arbres jouxtant l’église Saint-Maclou « joyau du gothique flamboyant » ont été coupés bien que ne figurant pas sur la liste de ceux à abattre.
Aucune manifestation d'individus contestant la « gestion du patrimoine arboré » ne fut donc à déplorer. De quoi réjouir les soutiens indéfectibles de Robert, Maire, Socialiste. Au premier rang desquels celui qui autrefois prétendait faire de l’information autrement, aujourd’hui employé chez Ouest France et qui pour évoquer les remous suscités par les abattages, parle d’hystérie.
 

11 novembre 2016


Par temps pluvieux, quoi de mieux à faire que visiter une exposition consacrée à un artiste que l’on aime peu. Me voici donc au sixième étage du Centre Pompidou où se tient Magritte : La trahison des images, me souvenant de la visite faite au Musée Magritte à Bruxelles en deux mille onze, lorsque j’étais bien accompagné.
Il y a du monde mais sans excès.
-C’est intrigant, constate une visiteuse devant Ceci n’est pas une pomme.
Ce fantastique, cet onirisme, ce surréalisme ne suscitent en moi qu’un intérêt relatif, d’autant que certaines toiles sont trop connues, ayant servies à illustrer des couvertures de romans ou autres.
Un gardien s’est endormi sur sa chaise. Des presbytes font des photos en regardant par-dessus leurs lunettes. Des sexagénaires s’instruisent avec un guide humain qui leur parle dans l’oreillette. A l’issue celui-ci récupère son matériel en leur disant :
-Si vous avez des questions, sachant que c’est inexplicable.
Un bon moyen de n’en avoir pas et de pouvoir tracer.
Quand même je retiens, pour son obscénité, un tableau des débuts, La Lampe philosophique montrant, près d’une bougie serpenteuse, un homme (lui-même ?), de profil, l’œil gêné, son gros et long nez plongé dans sa pipe, et vers la fin Les promenades d’Euclide à la perspective trompeuse.
En sortant de là, conséquence du sale temps de novembre, une douleur me prend dans la gorge et l’oreille droite qui nuit à mon exploration du deuxième Book-Off. Je suis content de pouvoir m’asseoir dans le train du retour avant même qu’il soit affiché. Le dix-huit heures trente part toujours de la voie dix-huit.
Un peu avant son départ, une fille s’installe à côté de moi, c’était la dernière place libre de la voiture. Elle lit La Fille du train de Paula Hawkins. Ce train avance bien, du moins jusqu’à Gaillon Aubevoye où il est « retenu par un problème de signalisation », ce qui nous vaut cet exquis message du chef de bord :
-Le train risque de repartir d’un moment à l’autre.
Il repart, mais un nouveau message nous annonce vingt minutes de retard à l’arrivée « suite à un problème d’adhérence dû aux conditions atmosphériques » Il drache sévèrement, c’est vrai, et notre pauvre petit train patine dans la semoule, ce qui fait sourire ironiquement les quelques voyageurs qui vont jusqu’à Rouen, sauf la fille du train qui ne décolle pas les yeux de sa lecture.
A l’arrivée, l’averse redouble et la douleur dans mon oreille également. Malgré le parapluie new-yorkais, je suis dégoulinant avant d’être à la maison. « Ouaip, today was a fucking sad day... », m’écrit celle qui me l’a offert.
                                                                  *
René Magritte peignait bien les nus, il eut pu en faire davantage.
                                                                  *
Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître. Et dans ce clair obscur, surgissent des monstres... Certain(e)s cherchent à se rassurer en citant le marxiste Gramsci, un propos tenu avant la Deuxième Guerre Mondiale et donc anachronique, par ailleurs empreint d’un optimisme illusoire.
Il n’y a pas de vieux monde, ni de nouveau monde à venir. Il n’y en qu’un qui va de catastrophe en catastrophe.
- Les hommes naissent mauvais, dit Mangeclous. Et la société les rend pires. (Albert Cohen)
                                                                  *
J’écris ce texte jeudi après-midi à l’Ubi, il sera lisible le onze novembre deux mille seize, jour du dixième anniversaire de ce Journal qui commença ainsi :
Onze novembre deux mille six, jour anniversaire de la fin de la Grande Boucherie, je sors du bois. Désormais libéré du joug du travail et libre d'apparaître pour ce que je suis sans craindre de fâcheuses retombées professionnelles.
 

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