Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
6 janvier 2017
Comme chaque année, en ce début janvier, les rues de Rouen, ce centre commercial à ciel ouvert, sont peu fréquentées. Le quidam attend l’ouverture des soldes d’hiver pour se remettre à magasiner, comme on dit au Québec. Quelle n’est donc pas ma surprise ce jeudi vers dix heures et demie de trouver rue des Carmes une file d’attente géante de gens bien mis, si longue qu’elle coupe la rue Saint-Nicolas.
Me portant à son début, je découvre que la bijouterie Lepage est en liquidation.
La dernière fois que j’ai vu une telle file sur un trottoir rouennais, c’était pour l’ouverture de la boutique Free, rue de la Jeanne, il y a quelques années. Là-bas c’étaient les pauvres qui se faisaient remarquer en stagnant sur la voie publique. Ici, ce sont des chaudement vêtus qui pour beaucoup ont de quoi payer le prix fort, mais ne sont pas contre une remise de cinquante pour cent. Quelques arrivants, estimant la durée de l’attente, se découragent. D’autres, passant là par hasard, s’ajoutent à la manifestation (si tant sont là, c’est que ça vaut le coup).
L’or et les pierres précieuses ne m’intéressent pas, je ne suis jamais entré dans une bijouterie digne de ce nom. M’intéresseraient-ils que je ne pourrais me mettre au bout de la file. Je ne supporte pas d’attendre. Seules les expositions d’art m’amènent à dépasser cette phobie.
*
Lors d’une liquidation de librairie, la situation n’est pas la même, on ne filtre pas les entrées.
Je me souviens de celle de la maison Lépouzé au tournant du siècle. J’y ai acheté le Guide Michelin de l’an deux mille, à moins cinquante pour cent. Il m’a peu servi.
*
Deux quinquagénaires rouennais bien mis :
-Et comment va madame votre mère ?
-Très bien. Elle est allée chez Darty, elle a pris une boxe Internet avec un contrat d’un an à trente euros par mois.
-Et alors ?
-Elle n’a pas d’ordinateur.
Me portant à son début, je découvre que la bijouterie Lepage est en liquidation.
La dernière fois que j’ai vu une telle file sur un trottoir rouennais, c’était pour l’ouverture de la boutique Free, rue de la Jeanne, il y a quelques années. Là-bas c’étaient les pauvres qui se faisaient remarquer en stagnant sur la voie publique. Ici, ce sont des chaudement vêtus qui pour beaucoup ont de quoi payer le prix fort, mais ne sont pas contre une remise de cinquante pour cent. Quelques arrivants, estimant la durée de l’attente, se découragent. D’autres, passant là par hasard, s’ajoutent à la manifestation (si tant sont là, c’est que ça vaut le coup).
L’or et les pierres précieuses ne m’intéressent pas, je ne suis jamais entré dans une bijouterie digne de ce nom. M’intéresseraient-ils que je ne pourrais me mettre au bout de la file. Je ne supporte pas d’attendre. Seules les expositions d’art m’amènent à dépasser cette phobie.
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Lors d’une liquidation de librairie, la situation n’est pas la même, on ne filtre pas les entrées.
Je me souviens de celle de la maison Lépouzé au tournant du siècle. J’y ai acheté le Guide Michelin de l’an deux mille, à moins cinquante pour cent. Il m’a peu servi.
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Deux quinquagénaires rouennais bien mis :
-Et comment va madame votre mère ?
-Très bien. Elle est allée chez Darty, elle a pris une boxe Internet avec un contrat d’un an à trente euros par mois.
-Et alors ?
-Elle n’a pas d’ordinateur.
5 janvier 2017
J’ai réussi à obtenir un billet Prem’s à neuf euros pour le direct Rouen Paris de sept heures cinquante-neuf en ce début d’année deux mille dix-sept. Je m’y sens mieux que dans la bétaillère de sept heures vingt-huit, ce train du travail où je crains toujours de ne pas avoir de place assise.
Là, pas de problème, chacun peut voyager sans voisin immédiat. Je lis Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni de Paul Theroux (Cahiers Rouges/Grasset), l’écrivain américain y narre avec humour son tour de la Grande-Bretagne par le bord de mer pendant la guerre des Malouines. Ma voisine de devant, qui n’est plus une enfant, regarde un film d’animation de Noël qui se passe également dans un train.
Le nôtre arrive à l’heure. Les métros Trois et Huit me permettent d’arriver au Café du Faubourg quinze minutes avant l’ouverture de Book-Off. A quelle heure va-t-il se mettre à pleuvoir? C’est la question du jour. Pas avant que j’aie le temps de passer au marché d’Aligre où le renouvellement des livres est en panne.
A midi, je déjeune à volonté au Palais de Pékin, avenue Parmentier. Il pleuvine quand je rejoins la station de métro Père-Lachaise afin de prendre le Trois vers l’autre Book-Off. Celui-ci tombe en panne électrique, pas moyen d’aller plus loin que République où j’attrape le Neuf qui me mène jusqu’à Richelieu-Drouot.
Je prends un café au comptoir d’un bar qui m’est familier mais que je ne nommerai pas cette fois. La barmaid y déclare qu’un jour ou l’autre, il faudra légaliser. Elle connaît des gens qui en font pousser derrière un cimetière. Et d’autres dans un garage, mais là ça coûte cher en électricité. C’est comme l’alcool, l’important c’est de bien gérer. Elle, ça la détend.
Chez Book-Off, j’ai la chance d’être là au moment de la mise en rayon de nouveaux livres à un euro. Néanmoins, ma récolte est raisonnable. A l’extérieur, il s’est enfin mis à pleuvoir.
*
Un quidam au comptoir du Café du Faubourg : « Maintenant à Paris, c’est comme en province, à huit heures tout le monde est devant la télé. »
*
Réassortiment chez Book-Off : « Je drague dans toutes les langues, je le mets dans Humour ou dans Vie quotidienne ? »
*
Musique gare Saint-Lazare. Il y avait le piano en libre-service dans la galerie marchande. Il y a aussi, depuis plusieurs semaines, la diffusion à fort volume de musique classique sur le parvis à toutes les entrées et sorties. J’ai lu que cette pratique avait pour avantage de faire fuir les branlotin(e)s qui stagnent dans des lieux où l’on n a pas envie de les voir. Vivaldi est à la tâche.
*
Parmi les livres rapportés de Paris : Sur le style de Flaubert de Marcel Proust (Edition Sillage), un exemplaire orné d’un portrait tamponné de Gustave accompagné du texte « Ex-Libris de l’Hôtel Littéraire Gustave Flaubert, à l’occasion de son inauguration. Rouen, le 7 octobre 2015 ».
Là, pas de problème, chacun peut voyager sans voisin immédiat. Je lis Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni de Paul Theroux (Cahiers Rouges/Grasset), l’écrivain américain y narre avec humour son tour de la Grande-Bretagne par le bord de mer pendant la guerre des Malouines. Ma voisine de devant, qui n’est plus une enfant, regarde un film d’animation de Noël qui se passe également dans un train.
Le nôtre arrive à l’heure. Les métros Trois et Huit me permettent d’arriver au Café du Faubourg quinze minutes avant l’ouverture de Book-Off. A quelle heure va-t-il se mettre à pleuvoir? C’est la question du jour. Pas avant que j’aie le temps de passer au marché d’Aligre où le renouvellement des livres est en panne.
A midi, je déjeune à volonté au Palais de Pékin, avenue Parmentier. Il pleuvine quand je rejoins la station de métro Père-Lachaise afin de prendre le Trois vers l’autre Book-Off. Celui-ci tombe en panne électrique, pas moyen d’aller plus loin que République où j’attrape le Neuf qui me mène jusqu’à Richelieu-Drouot.
Je prends un café au comptoir d’un bar qui m’est familier mais que je ne nommerai pas cette fois. La barmaid y déclare qu’un jour ou l’autre, il faudra légaliser. Elle connaît des gens qui en font pousser derrière un cimetière. Et d’autres dans un garage, mais là ça coûte cher en électricité. C’est comme l’alcool, l’important c’est de bien gérer. Elle, ça la détend.
Chez Book-Off, j’ai la chance d’être là au moment de la mise en rayon de nouveaux livres à un euro. Néanmoins, ma récolte est raisonnable. A l’extérieur, il s’est enfin mis à pleuvoir.
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Un quidam au comptoir du Café du Faubourg : « Maintenant à Paris, c’est comme en province, à huit heures tout le monde est devant la télé. »
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Réassortiment chez Book-Off : « Je drague dans toutes les langues, je le mets dans Humour ou dans Vie quotidienne ? »
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Musique gare Saint-Lazare. Il y avait le piano en libre-service dans la galerie marchande. Il y a aussi, depuis plusieurs semaines, la diffusion à fort volume de musique classique sur le parvis à toutes les entrées et sorties. J’ai lu que cette pratique avait pour avantage de faire fuir les branlotin(e)s qui stagnent dans des lieux où l’on n a pas envie de les voir. Vivaldi est à la tâche.
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Parmi les livres rapportés de Paris : Sur le style de Flaubert de Marcel Proust (Edition Sillage), un exemplaire orné d’un portrait tamponné de Gustave accompagné du texte « Ex-Libris de l’Hôtel Littéraire Gustave Flaubert, à l’occasion de son inauguration. Rouen, le 7 octobre 2015 ».
4 janvier 2017
Ci-après la première série de prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
Nous avons convenu qu’Avedon était horrible, China a dit qu’il laissait tomber les gens dès qu’il en avait tiré ce qu’il voulait. J’ai opiné du bonnet, tout le monde s’est mis à brailler que je faisais la même chose. (Mercredi premier décembre mil neuf cent soixante-seize)
J’ai discuté avec Mrs Kaiser et j’ai donc pu faire sa connaissance. Elle a environ soixante ans mais en paraît quarante, elle dit qu’elle cherche une bonne baise. Je lui ai répondu qu’elle s’était trompée de ville, que tout le monde ici était homo, et elle a dit qu’elle s’en fichait : « Ils culbutent bien. Je suis parfois bien tombée, ici. »
Oh, j’oubliais : à table, Bianca a retiré son slip, me l’a passé et j’ai fait semblant de le renifler avant de le fourrer dans la pochette de mon costume. Je l’ai encore. (Lundi six décembre mil neuf cent soixante-seize, Bianca : épouse de Mick Jagger)
A l’autre bout de la salle se trouvait Truman Capote nouvelle version, avec seulement la peau sur les os. (Mardi quatorze décembre mil neuf cent soixante-seize)
Vincent est sorti acheter le journal, et c’est là que nous avons vu ce gros titre : « UN METTEUR EN SCENE ACCUSE DE VIOL ». Roman Polanski. Sur une gamine de treize ans qu’il avait emmenée à une soirée chez Jack Nicholson. Quand la police est venue chez Jack le lendemain, sur plainte des parents, ils ont fouillé la maison et Anjelica a été arrêtée pour possession de coke. (Samedi douze mars mil neuf cent soixante-dix-sept)
James Caan était là avec sa femme, un look de petit garçon, une beauté. Ils épousent tous des jeunettes qui ont l’air d’avoir treize ans, c’est la dernière mode à Hollywood. Roman était là, il a été libéré sous caution, après l’histoire de la gamine de treize ans. Il s’est précipité sur le cul d’Alana en disant qu’il allait la violer. (Lundi vingt-huit mars mil neuf cent soixante-dix-sept, Los Angeles)
Coup de téléphone de Brigid : elle est indignée parce qu’elle s’est aperçue que Bad avait été classé X pour violence, uniquement parce qu’un bébé est jeté par une fenêtre ! Et on ne le voit pas atterrir ! (Samedi neuf avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
Mick veut que je fasse la couverture de son prochain album. J’essaie de trouver une idée pour faire des « Rolling Stones », un de ces petits jeux en plastique où il faut faire rouler des pierres dans des trous. (Mardi douze avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
Je suis allé à l’église. Tandis que je demandais à Dieu de l’argent, une bonne femme est venue m’en demander. (Dimanche dix-sept avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
(A suivre)
Nous avons convenu qu’Avedon était horrible, China a dit qu’il laissait tomber les gens dès qu’il en avait tiré ce qu’il voulait. J’ai opiné du bonnet, tout le monde s’est mis à brailler que je faisais la même chose. (Mercredi premier décembre mil neuf cent soixante-seize)
J’ai discuté avec Mrs Kaiser et j’ai donc pu faire sa connaissance. Elle a environ soixante ans mais en paraît quarante, elle dit qu’elle cherche une bonne baise. Je lui ai répondu qu’elle s’était trompée de ville, que tout le monde ici était homo, et elle a dit qu’elle s’en fichait : « Ils culbutent bien. Je suis parfois bien tombée, ici. »
Oh, j’oubliais : à table, Bianca a retiré son slip, me l’a passé et j’ai fait semblant de le renifler avant de le fourrer dans la pochette de mon costume. Je l’ai encore. (Lundi six décembre mil neuf cent soixante-seize, Bianca : épouse de Mick Jagger)
A l’autre bout de la salle se trouvait Truman Capote nouvelle version, avec seulement la peau sur les os. (Mardi quatorze décembre mil neuf cent soixante-seize)
Vincent est sorti acheter le journal, et c’est là que nous avons vu ce gros titre : « UN METTEUR EN SCENE ACCUSE DE VIOL ». Roman Polanski. Sur une gamine de treize ans qu’il avait emmenée à une soirée chez Jack Nicholson. Quand la police est venue chez Jack le lendemain, sur plainte des parents, ils ont fouillé la maison et Anjelica a été arrêtée pour possession de coke. (Samedi douze mars mil neuf cent soixante-dix-sept)
James Caan était là avec sa femme, un look de petit garçon, une beauté. Ils épousent tous des jeunettes qui ont l’air d’avoir treize ans, c’est la dernière mode à Hollywood. Roman était là, il a été libéré sous caution, après l’histoire de la gamine de treize ans. Il s’est précipité sur le cul d’Alana en disant qu’il allait la violer. (Lundi vingt-huit mars mil neuf cent soixante-dix-sept, Los Angeles)
Coup de téléphone de Brigid : elle est indignée parce qu’elle s’est aperçue que Bad avait été classé X pour violence, uniquement parce qu’un bébé est jeté par une fenêtre ! Et on ne le voit pas atterrir ! (Samedi neuf avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
Mick veut que je fasse la couverture de son prochain album. J’essaie de trouver une idée pour faire des « Rolling Stones », un de ces petits jeux en plastique où il faut faire rouler des pierres dans des trous. (Mardi douze avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
Je suis allé à l’église. Tandis que je demandais à Dieu de l’argent, une bonne femme est venue m’en demander. (Dimanche dix-sept avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
(A suivre)
3 janvier 2017
J’ai rencontré Andy Warhol à l’automne 68 – huit ans après qu’il eut peint ses premières toiles pop art et à peine trois mois après qu’une femme, qui avait fait une brève apparition dans l’un de ses films underground, eut tiré sur lui, manquant le tuer. (…)
A l’époque, j’étais étudiante à Barnard, et aller à la Factory voir si Andy Warhol avait besoin d’une dactylo à temps partiel me semblait un bon moyen d’introduire un peu de paillettes dans ma vie universitaire. raconte Pat Hackett dans l’introduction du Journal d’Andy Warhol publié chez Grasset en mil neuf cent quatre-vingt dix, un ouvrage épuisé dont j’ai eu la chance de trouver un exemplaire à un euro chez Book-Off en deux mille seize.
Chaque matin, à partir du mercredi vingt-quatre novembre mil neuf cent soixante-seize et jusqu’au mardi dix-sept février mil neuf cent quatre-vingt-sept, où qu’il soit, Andy Warhol a téléphoné à Pat Hackett afin de lui raconter ses dernières vingt-quatre heures : ce qu’il avait fait, qui il avait vu, cela assorti de commentaires personnels.
Pat Hackett mettait ensuite ces informations par écrit. Ainsi est né ce Journal que j’ai lu avec délectation, Andy m’ayant fait rire à moult reprises, et attendri à d’autres. D’où de nombreux extraits tapotés sur mon ordinateur et donnés à lire dans le mien à partir de demain.
*
Il a fallu qu’un lecteur me le signale pour que je me rende compte que mon texte d’hier était daté du deux janvier deux mille dix-huit. Escamoter deux mille dix-sept, désirer passer directement à la suivante, il doit y avoir de ça.
A l’époque, j’étais étudiante à Barnard, et aller à la Factory voir si Andy Warhol avait besoin d’une dactylo à temps partiel me semblait un bon moyen d’introduire un peu de paillettes dans ma vie universitaire. raconte Pat Hackett dans l’introduction du Journal d’Andy Warhol publié chez Grasset en mil neuf cent quatre-vingt dix, un ouvrage épuisé dont j’ai eu la chance de trouver un exemplaire à un euro chez Book-Off en deux mille seize.
Chaque matin, à partir du mercredi vingt-quatre novembre mil neuf cent soixante-seize et jusqu’au mardi dix-sept février mil neuf cent quatre-vingt-sept, où qu’il soit, Andy Warhol a téléphoné à Pat Hackett afin de lui raconter ses dernières vingt-quatre heures : ce qu’il avait fait, qui il avait vu, cela assorti de commentaires personnels.
Pat Hackett mettait ensuite ces informations par écrit. Ainsi est né ce Journal que j’ai lu avec délectation, Andy m’ayant fait rire à moult reprises, et attendri à d’autres. D’où de nombreux extraits tapotés sur mon ordinateur et donnés à lire dans le mien à partir de demain.
*
Il a fallu qu’un lecteur me le signale pour que je me rende compte que mon texte d’hier était daté du deux janvier deux mille dix-huit. Escamoter deux mille dix-sept, désirer passer directement à la suivante, il doit y avoir de ça.
2 janvier 2017
Chaque matin, écrivait Antonio Gramsci le premier janvier mil neuf cent seize, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc.
Comment ne pas être d’accord avec lui ? Il n’empêche que je n’arrive pas à faire de cette nuit du trente et un décembre au premier janvier, une nuit de tous les autres jours (si je puis dire).
Les voisines et voisins susceptibles de fêter bruyamment cette transition se sont donnés le mot pour aller faire ça ailleurs. A minuit, c’est lointainement que me parvient le bruit des claquesons, braillements et pétardages et cela ne dure pas longtemps pour cause de froid. Je peux dormir tranquillement, mais ce serait tellement mieux de ne pas, en raison de la présence d’une, embrassée sous le gui, me dis-je.
Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. concluait Antonio Gramsci il y a cent un ans.
*
Terminé, ce samedi après-midi, au café Le Grand Saint-Marc, la lecture, dans Ecrire la vie, le Quarto Gallimard à elle consacré, des textes d’Annie Ernaux que je ne connaissais pas, du très bon, du bon, et du moins bon quand elle raconte son histoire avec un diplomate soviétique (une première fois dans Passion simple et une seconde fois avec les extraits de son journal intime dans Se perdre).
Tiré de cette seconde fois ceci, daté du dimanche premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-neuf (Eric est l’un de ses fils) :
Seule, absolument, en ce 1er janvier. Il y a longtemps que cela ne m’était pas arrivé. En 64, j’étais rentrée à la Cité, de Vernon, et j’avais passée la journée seule dans mes huit mètres carrés. Mais cet après-midi, Eric et son amie seront là. De toute manière, je n’en éprouve aucune tristesse.
Il me semble que lorsqu’on précise qu’être seul(e) au Nouvel An vous est égal, c’est que ça ne l’est pas (de toute manière).
*
Deux mille dix-sept sera donc la continuité de deux mille seize. Rien de bon à en attendre. Ce qui est en marche va se poursuivre en s’aggravant. André Markowicz, traducteur bien connu pour son dépoussiérage de Dostoïevski (entre autres), dont je lis avec plaisir et intérêt les chroniques sur le réseau social Effe Bé cite, en ce premier janvier, cette histoire juive d’origine française :
C’est un Juif pessimiste et un Juif optimiste qui discutent.
-Pïre, ça peut pas être, dit le Juif pessimiste.
-Mais si, mais si, dit le Juif optimiste.
Comment ne pas être d’accord avec lui ? Il n’empêche que je n’arrive pas à faire de cette nuit du trente et un décembre au premier janvier, une nuit de tous les autres jours (si je puis dire).
Les voisines et voisins susceptibles de fêter bruyamment cette transition se sont donnés le mot pour aller faire ça ailleurs. A minuit, c’est lointainement que me parvient le bruit des claquesons, braillements et pétardages et cela ne dure pas longtemps pour cause de froid. Je peux dormir tranquillement, mais ce serait tellement mieux de ne pas, en raison de la présence d’une, embrassée sous le gui, me dis-je.
Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. concluait Antonio Gramsci il y a cent un ans.
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Terminé, ce samedi après-midi, au café Le Grand Saint-Marc, la lecture, dans Ecrire la vie, le Quarto Gallimard à elle consacré, des textes d’Annie Ernaux que je ne connaissais pas, du très bon, du bon, et du moins bon quand elle raconte son histoire avec un diplomate soviétique (une première fois dans Passion simple et une seconde fois avec les extraits de son journal intime dans Se perdre).
Tiré de cette seconde fois ceci, daté du dimanche premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-neuf (Eric est l’un de ses fils) :
Seule, absolument, en ce 1er janvier. Il y a longtemps que cela ne m’était pas arrivé. En 64, j’étais rentrée à la Cité, de Vernon, et j’avais passée la journée seule dans mes huit mètres carrés. Mais cet après-midi, Eric et son amie seront là. De toute manière, je n’en éprouve aucune tristesse.
Il me semble que lorsqu’on précise qu’être seul(e) au Nouvel An vous est égal, c’est que ça ne l’est pas (de toute manière).
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Deux mille dix-sept sera donc la continuité de deux mille seize. Rien de bon à en attendre. Ce qui est en marche va se poursuivre en s’aggravant. André Markowicz, traducteur bien connu pour son dépoussiérage de Dostoïevski (entre autres), dont je lis avec plaisir et intérêt les chroniques sur le réseau social Effe Bé cite, en ce premier janvier, cette histoire juive d’origine française :
C’est un Juif pessimiste et un Juif optimiste qui discutent.
-Pïre, ça peut pas être, dit le Juif pessimiste.
-Mais si, mais si, dit le Juif optimiste.
31 décembre 2016
C’est certain qu’il y a beaucoup de morts aux alentours de Noël, comme le faisait remarquer la spectatrice de Dédé mardi dernier (et pas seulement des célébrités plus ou moins célèbres). Des enquêtes le prouvent, dont je viens de lire le compte-rendu sur Slate.fr.
L’un de ces morts de fin d’année est Philippe Cayeux, auteur de quelques livres pour enfants, que je connaissais un peu pour le croiser systématiquement dans les vide greniers autour de Louviers où il vivait (il y fut conseiller d’orientation et brièvement conseiller municipal avant d’en avoir assez de Franck Martin, Maire, Radicule de Gauche). Occupé tout comme moi à chercher des livres d’occasion, il s’intéressait aussi à la brocante et les dernières fois que je l’ai vu tirait derrière lui un chariot à roulettes.
On se contentait de se dire bonjour. La seule fois où l’on a discuté, c’est quand je faisais du stop pour revenir d’un village de la vallée d’Eure, Autheuil-Authouillet il me semble, et qu’il s’est arrêté pour me prendre dans sa voiture. Je ne me souviens pas de ce qu’on s’est dit mais me rappelle que j’avais acheté un livre consacré à Gustav Klimt et un autre consacré à Egon Schiele. Il m’a laissé à Louviers et je ne sais plus par quel moyen j’ai regagné Val-de-Reuil où je vivais à cette époque.
De nombreux humains de sexe masculin meurent brusquement entre soixante et soixante-dix ans, je le sais même si je n’ai vu aucune enquête le confirmant. Philippe Cayeux est mort pendant son sommeil dans la nuit du vingt-six au vingt-sept décembre. Il devait bientôt fêter son soixante-deuxième anniversaire. Ma sœur, qui le croisait aussi dans les vide greniers, trouvait qu’entre lui et moi, en plus du même intérêt pour les livres, il y avait une certaine ressemblance physique.
*
Il m’arrive aussi de penser que mourir une nuit dans son sommeil, en ignorant donc que l’on meurt, est une fin idéale. Et ce qui pourrait m’arriver de mieux.
*
Ultime citation de deux mille seize :
La génialité même est indissolublement liée à la bêtise ; et l'interdiction, sous peine de passer pour bête, de trop parler de soi, l'humanité a su la tourner de façon originale : en inventant l'écrivain. De la bêtise - Robert Musil
L’un de ces morts de fin d’année est Philippe Cayeux, auteur de quelques livres pour enfants, que je connaissais un peu pour le croiser systématiquement dans les vide greniers autour de Louviers où il vivait (il y fut conseiller d’orientation et brièvement conseiller municipal avant d’en avoir assez de Franck Martin, Maire, Radicule de Gauche). Occupé tout comme moi à chercher des livres d’occasion, il s’intéressait aussi à la brocante et les dernières fois que je l’ai vu tirait derrière lui un chariot à roulettes.
On se contentait de se dire bonjour. La seule fois où l’on a discuté, c’est quand je faisais du stop pour revenir d’un village de la vallée d’Eure, Autheuil-Authouillet il me semble, et qu’il s’est arrêté pour me prendre dans sa voiture. Je ne me souviens pas de ce qu’on s’est dit mais me rappelle que j’avais acheté un livre consacré à Gustav Klimt et un autre consacré à Egon Schiele. Il m’a laissé à Louviers et je ne sais plus par quel moyen j’ai regagné Val-de-Reuil où je vivais à cette époque.
De nombreux humains de sexe masculin meurent brusquement entre soixante et soixante-dix ans, je le sais même si je n’ai vu aucune enquête le confirmant. Philippe Cayeux est mort pendant son sommeil dans la nuit du vingt-six au vingt-sept décembre. Il devait bientôt fêter son soixante-deuxième anniversaire. Ma sœur, qui le croisait aussi dans les vide greniers, trouvait qu’entre lui et moi, en plus du même intérêt pour les livres, il y avait une certaine ressemblance physique.
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Il m’arrive aussi de penser que mourir une nuit dans son sommeil, en ignorant donc que l’on meurt, est une fin idéale. Et ce qui pourrait m’arriver de mieux.
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Ultime citation de deux mille seize :
La génialité même est indissolublement liée à la bêtise ; et l'interdiction, sous peine de passer pour bête, de trop parler de soi, l'humanité a su la tourner de façon originale : en inventant l'écrivain. De la bêtise - Robert Musil
30 décembre 2016
Eh bien, Dédé, je te dois une fière chandelle (comme on dit). Sans toi, j’aurais pris le sept heures vingt-huit pour Paris ce mercredi, jour de la pire panne de l’année (un aiguillage bloqué par l’informatique à Mantes-la-Jolie) et je serais arrivé dans la capitale avec quatre heures de retard.
Ce jeudi frisquet, les traumatisés de la veille ne parlent que de ça. « Installez-vous confortablement, dit l’un, cinq heures de voyage c’est long. »
Ce ne sera qu’une heure dix, comme inscrit sur l’horaire. A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt dont le chauffeur est obligé de quitter le volant à chaque arrêt pour fermer manuellement la porte avant. Je m’y chauffe les fesses jusqu’à la Bastille. Au Café du Faubourg, j’apprends par Le Parisien qu’une étudiante japonaise a disparu à Besançon et qu’on soupçonne son ex copain chilien reparti dans son pays de l’avoir tuée. Cela aurait inspiré un beau dessin à Angelo Di Marco, le spécialiste des faits divers criminels, décédé le vingt et un décembre, d’une mort naturelle.
Après Book-Off et le marché d’Aligre, ayant très envie d’un confit de canard pommes rissolées, je me rends au Péhemmu chinois et le trouve fermé pour cause de vacances. Dépité, je me contente d’aller une fois de plus Chez Céleste où je ne peux qu’être déçu par l’avocat crevettes et le poulet sauce arachide. N’y mangent que des gens de passage : deux vieilles lesbiennes qui ne se supportent plus et leur vieux copain homo à moustache (l’une : « Ils sont bons les haricots verts », l’autre : « Et le riz aussi »), deux hommes sexagénaires qui aiment le vin (l’un : « Elle a eu deux enfants avec Mao. T’as connu Mao ? Il est mort. Tu te rappelles pas ? C’était un peintre vietnamien ») et un couple de quadragénaires avec leur fille de vingt ans Coralie et une amie de celle-ci Delphine au charme de laquelle l’homme à catogan n’est pas insensible (lui : « Le Sénégal en ce moment, ça craint. A cause de la religion. C’est pas le moment d’y aller », sa fille un peu énervée par l’intérêt que porte son géniteur à sa copine : « C’est le moment d’aller nulle part », lui se tournant vers cette jolie Delphine : « C’est quoi ce cours d’anglais que tu prends ? ».
Il va falloir que je trouve un autre endroit pour déjeuner, me dis-je en sortant. Il fait toujours aussi froid mais beau. Je décide d’aller à pied au hasard à condition d’être au soleil, longe le port de l’Arsenal puis la Seine par je jardin Tino Rossi, passe près de l’Institut du Monde Arabe, entre dans l’île Saint-Louis en me demandant si Brigitte Fontaine est chez elle et l’imaginant triste de la mort de Pierre Barouh, me voici à Notre-Dame devant laquelle selfisent des masses de touristes et j’arrive au Quartier Latin comme si j’avais voulu le faire.
Le bus Vingt-Sept qui me mène vers l’Opéra Garnier est flambant neuf et fier d’avoir un moteur hybride. Après un café rue du Quatre-Septembre au Royal Bourse Opéra, j’essaie de trouver des livres à mon goût dans l’autre Book-Off, une opération rendue difficile par un afflux de clients inhabituels particulièrement énervants. De plus, la moitié d’entre eux ont l’air d’avoir la grippe.
*
Parmi les livres rapportés de Paris : Lettres de Gertrud Kolmar, poète et cousine de Walter Benjamin, inconnue de moi, dans la collections de poche Titres chez Christian Bourgois.
Ce jeudi frisquet, les traumatisés de la veille ne parlent que de ça. « Installez-vous confortablement, dit l’un, cinq heures de voyage c’est long. »
Ce ne sera qu’une heure dix, comme inscrit sur l’horaire. A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt dont le chauffeur est obligé de quitter le volant à chaque arrêt pour fermer manuellement la porte avant. Je m’y chauffe les fesses jusqu’à la Bastille. Au Café du Faubourg, j’apprends par Le Parisien qu’une étudiante japonaise a disparu à Besançon et qu’on soupçonne son ex copain chilien reparti dans son pays de l’avoir tuée. Cela aurait inspiré un beau dessin à Angelo Di Marco, le spécialiste des faits divers criminels, décédé le vingt et un décembre, d’une mort naturelle.
Après Book-Off et le marché d’Aligre, ayant très envie d’un confit de canard pommes rissolées, je me rends au Péhemmu chinois et le trouve fermé pour cause de vacances. Dépité, je me contente d’aller une fois de plus Chez Céleste où je ne peux qu’être déçu par l’avocat crevettes et le poulet sauce arachide. N’y mangent que des gens de passage : deux vieilles lesbiennes qui ne se supportent plus et leur vieux copain homo à moustache (l’une : « Ils sont bons les haricots verts », l’autre : « Et le riz aussi »), deux hommes sexagénaires qui aiment le vin (l’un : « Elle a eu deux enfants avec Mao. T’as connu Mao ? Il est mort. Tu te rappelles pas ? C’était un peintre vietnamien ») et un couple de quadragénaires avec leur fille de vingt ans Coralie et une amie de celle-ci Delphine au charme de laquelle l’homme à catogan n’est pas insensible (lui : « Le Sénégal en ce moment, ça craint. A cause de la religion. C’est pas le moment d’y aller », sa fille un peu énervée par l’intérêt que porte son géniteur à sa copine : « C’est le moment d’aller nulle part », lui se tournant vers cette jolie Delphine : « C’est quoi ce cours d’anglais que tu prends ? ».
Il va falloir que je trouve un autre endroit pour déjeuner, me dis-je en sortant. Il fait toujours aussi froid mais beau. Je décide d’aller à pied au hasard à condition d’être au soleil, longe le port de l’Arsenal puis la Seine par je jardin Tino Rossi, passe près de l’Institut du Monde Arabe, entre dans l’île Saint-Louis en me demandant si Brigitte Fontaine est chez elle et l’imaginant triste de la mort de Pierre Barouh, me voici à Notre-Dame devant laquelle selfisent des masses de touristes et j’arrive au Quartier Latin comme si j’avais voulu le faire.
Le bus Vingt-Sept qui me mène vers l’Opéra Garnier est flambant neuf et fier d’avoir un moteur hybride. Après un café rue du Quatre-Septembre au Royal Bourse Opéra, j’essaie de trouver des livres à mon goût dans l’autre Book-Off, une opération rendue difficile par un afflux de clients inhabituels particulièrement énervants. De plus, la moitié d’entre eux ont l’air d’avoir la grippe.
*
Parmi les livres rapportés de Paris : Lettres de Gertrud Kolmar, poète et cousine de Walter Benjamin, inconnue de moi, dans la collections de poche Titres chez Christian Bourgois.
28 décembre 2016
Y aller ou ne pas y aller ? Question que je me pose jusqu’au dernier moment à propos de Dédé qui se joue au Théâtre Charles Dullin du Grand-Quevilly en co-accueil avec l’Opéra de Rouen.
Comme j’ai repoussé pour cette opérette mon escapade parisienne du mercredi au jeudi, ce serait bête de renoncer. Je prends donc le métro et arrive là-bas le premier. La photo du spectacle est encore une image qui a peu à voir avec celui-ci mais qui peut donner envie d’y aller. Elle montre deux jolies jambes féminines (dont l’une est chaussée) cadrées des genoux aux pieds, une main invisible tenant un bouquet de pivoines. Cette fois, la photo est créditée. Son auteure est Emmanuelle Brisson. C’est aussi d’elle, ai-je appris d’une recherche, qu’était la photo du jeune homme torse nu jeté sur le matelas illustrant The Rake’s Progress.
J’ai place dans la partie supérieure de la salle. Derrière moi, une femme parle d’un ami à elle qui vient de mourir. Il était en phase terminale. Ce n’est pas une surprise, mais quand même, il y a beaucoup de gens qui meurent vers Noël. « J’ai un oncle, ajoute-elle, qui s’est suicidé la jour de Noël. Il s’est pendu. On y pense forcément à chaque fois ».
L’opérette Dédé créée en mil neuf cent vingt et un est censée chasser les idées noires. Dès le début je sais que ça ne marchera pas avec moi et que j’aurais mieux fait de ne pas. Cette histoire à rebonds et à quiproquos traitant d’adultère dans un magasin de chaussures est d’une niaiserie sans nom. Comme souvent le texte du livret n’est pas mis en avant par l’Opéra de Rouen, mais là je comprends ce souci de discrétion. Il est le fait d’Albert Willemetz (qui aurait pu s’appeler Vermot). La musique est d’Henri Christiné. Elle est jouée par un petit orchestre qui fait songer à une harmonie municipale. Plus ou moins caché derrière des cloisons transparentes, il est dirigé par Jean-Pierre Haeck, ce chef belge que j’avais apprécié dans Offenbach. L’une des chansonnettes sort du lot : Dans la vie faut pas s’en faire, rendue célèbre par Maurice Chevalier qui a créé le rôle de Robert.
Annoncée durer une heure quarante-cinq, l’opérette Dédé me semble bien plus longue. Mon voisin doit penser la même chose, qui regarde l’heure sur son téléphone.
A l’issue je file. Je n’ai pas un caractère à me faire du tracas, mais je crains qu’il n’y ait plus de métro. L’écran de l’arrêt John Fitzgerald Kennedy me rassure. Il en reste un.
Ce dernier métro est à vingt-deux heures quarante-quatre. Dix-neuf minutes à l’attendre dans le froid, que je meuble mentalement en faisant la liste des choses que je n’aurai fait qu’une seule fois dans ma vie: aller à la patinoire, être le passager d’une moto, entrer dans une boîte de nuit, faire du ski de fond, et cætera, et cætera. A quoi s’ajoute désormais : assister à une opérette.
*
Un peu d’immodestie ne peut me faire de mal en cette fin d’année deux mille seize. Ci-après, un sympathique message reçu juste avant Noël, signé de deux personnes dont j’anonymise les noms :
« Bonsoir, nous tenions à vous dire que nous avons passé avant-hier soir dans une brasserie de Cologne une excellente soirée en compagnie de votre journal, dont nous avons lu quelques extraits à haute voix. Il est vrai qu’il y avait aussi de la Kölsch. Bravo pour votre style, vos observations du public de l’opéra, de la bourgeoisie bourgeoisante, de la campagne électorale de 2014 que nous avons vécue de l’intérieur. Ixe Ixe, Zed Zed, centristes de droite. »
*
D’Ygrec Bé, un correspondant plus ancien et inconnu qui s’adresse toujours à moi par un « Cher Maître » :
« J'ai dégusté, avec une jubilation mélancolique, votre paperole récente. »
Comme j’ai repoussé pour cette opérette mon escapade parisienne du mercredi au jeudi, ce serait bête de renoncer. Je prends donc le métro et arrive là-bas le premier. La photo du spectacle est encore une image qui a peu à voir avec celui-ci mais qui peut donner envie d’y aller. Elle montre deux jolies jambes féminines (dont l’une est chaussée) cadrées des genoux aux pieds, une main invisible tenant un bouquet de pivoines. Cette fois, la photo est créditée. Son auteure est Emmanuelle Brisson. C’est aussi d’elle, ai-je appris d’une recherche, qu’était la photo du jeune homme torse nu jeté sur le matelas illustrant The Rake’s Progress.
J’ai place dans la partie supérieure de la salle. Derrière moi, une femme parle d’un ami à elle qui vient de mourir. Il était en phase terminale. Ce n’est pas une surprise, mais quand même, il y a beaucoup de gens qui meurent vers Noël. « J’ai un oncle, ajoute-elle, qui s’est suicidé la jour de Noël. Il s’est pendu. On y pense forcément à chaque fois ».
L’opérette Dédé créée en mil neuf cent vingt et un est censée chasser les idées noires. Dès le début je sais que ça ne marchera pas avec moi et que j’aurais mieux fait de ne pas. Cette histoire à rebonds et à quiproquos traitant d’adultère dans un magasin de chaussures est d’une niaiserie sans nom. Comme souvent le texte du livret n’est pas mis en avant par l’Opéra de Rouen, mais là je comprends ce souci de discrétion. Il est le fait d’Albert Willemetz (qui aurait pu s’appeler Vermot). La musique est d’Henri Christiné. Elle est jouée par un petit orchestre qui fait songer à une harmonie municipale. Plus ou moins caché derrière des cloisons transparentes, il est dirigé par Jean-Pierre Haeck, ce chef belge que j’avais apprécié dans Offenbach. L’une des chansonnettes sort du lot : Dans la vie faut pas s’en faire, rendue célèbre par Maurice Chevalier qui a créé le rôle de Robert.
Annoncée durer une heure quarante-cinq, l’opérette Dédé me semble bien plus longue. Mon voisin doit penser la même chose, qui regarde l’heure sur son téléphone.
A l’issue je file. Je n’ai pas un caractère à me faire du tracas, mais je crains qu’il n’y ait plus de métro. L’écran de l’arrêt John Fitzgerald Kennedy me rassure. Il en reste un.
Ce dernier métro est à vingt-deux heures quarante-quatre. Dix-neuf minutes à l’attendre dans le froid, que je meuble mentalement en faisant la liste des choses que je n’aurai fait qu’une seule fois dans ma vie: aller à la patinoire, être le passager d’une moto, entrer dans une boîte de nuit, faire du ski de fond, et cætera, et cætera. A quoi s’ajoute désormais : assister à une opérette.
*
Un peu d’immodestie ne peut me faire de mal en cette fin d’année deux mille seize. Ci-après, un sympathique message reçu juste avant Noël, signé de deux personnes dont j’anonymise les noms :
« Bonsoir, nous tenions à vous dire que nous avons passé avant-hier soir dans une brasserie de Cologne une excellente soirée en compagnie de votre journal, dont nous avons lu quelques extraits à haute voix. Il est vrai qu’il y avait aussi de la Kölsch. Bravo pour votre style, vos observations du public de l’opéra, de la bourgeoisie bourgeoisante, de la campagne électorale de 2014 que nous avons vécue de l’intérieur. Ixe Ixe, Zed Zed, centristes de droite. »
*
D’Ygrec Bé, un correspondant plus ancien et inconnu qui s’adresse toujours à moi par un « Cher Maître » :
« J'ai dégusté, avec une jubilation mélancolique, votre paperole récente. »
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