Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
29 août 2017
Tu aurais dû venir hier pour notre concert, c’était bien, me dit l’un des musiciens des Ramines qui me trouve auprès de mon arbre dans l’aître Saint-Maclou ce samedi soir. Je sais bien que c’était bien, lui dis-je, mais je suis non grata au Centre André Malraux. Sa directrice m’a radié de la liste de ses amis Effe Bé quand j’ai écrit que c’était une mauvaise idée de transférer l'Ecole Supérieure d'Art et Design Le Havre-Rouen ex Beaux-Arts (que connaît bien celui avec qui je parle) du lieu où nous sommes présentement au quartier de banlieue dit des Hauts de Rouen.
J’ai toujours manqué les concerts des Ramines pour des raisons diverses et je regrette d’autant plus de n’avoir pu être là hier que c’était la dernière opportunité avant longtemps, un autre des musiciens ayant décidé de faire des concerts en solo.
Je ne connais pas King Biscuit qui se produit ici ce soir. J’aurais même ignoré l’existence de cet évènement organisé sur deux jours par la Métropole si l’une de mes connaissances n’était allée hier au premier concert et n'en avait publié une photo sur le réseau social. Je sais seulement qu’il s’agit de blouze nerveux et ai appris que « le spectacle qui devait être initialement proposé dans une forme « concert ciné-dessiné » sera présenté uniquement dans sa forme musicale ».
C’est un plaisir en soi qu’un spectacle se déroule cet été deux mille dix-sept dans cet ancien cimetière de pestiférés où les autres étés se tenait le festival « Un soir à l’aître ». Rebaptisé « Un soir au jardin », ce festival a lieu désormais dans l’Orangerie du Jardin des Plantes. C’en est fini du plein air et c’est loin. Mon désir ne m’y a pas encore conduit.
A vingt et une heures quinze, deux garçons s’installent sur la scène située devant l’ancienne bibliothèque des Beaux-Arts. L’un a une guitare sèche amplifiée et tape du pied sur une plateforme. L’autre s’occupe à la fois d’une grosse caisse et d’un minuscule instrument à cordes tout en supervisant divers appareils à bidouiller le son. C’est peu de dire que ces deux gars assurent. La rythmique est calée, la guitare un poil distordue et le chant éraillé. « On lorgne du côté du blues crado du Mississippi », précise le chanteur et guitariste évoquant les trouvailles de l’ethno-musicologue Alan Lomax qui leur ont été source d’inspiration. Il nous apprend que le garçon qui devait s’occuper de la partie ciné-dessinée a eu des soucis de santé et se trouve dans une chambre du Céhachu d’où il entend peut-être.
Le public pas trop nombreux est particulièrement attentif. Chacun est conquis par cette musique de terroir autant que je le suis.
*
« King Biscuit est loin d’être un groupe de bas du front. » (Les Inrocks, vingt janvier deux mille dix-sept)
J’ai toujours manqué les concerts des Ramines pour des raisons diverses et je regrette d’autant plus de n’avoir pu être là hier que c’était la dernière opportunité avant longtemps, un autre des musiciens ayant décidé de faire des concerts en solo.
Je ne connais pas King Biscuit qui se produit ici ce soir. J’aurais même ignoré l’existence de cet évènement organisé sur deux jours par la Métropole si l’une de mes connaissances n’était allée hier au premier concert et n'en avait publié une photo sur le réseau social. Je sais seulement qu’il s’agit de blouze nerveux et ai appris que « le spectacle qui devait être initialement proposé dans une forme « concert ciné-dessiné » sera présenté uniquement dans sa forme musicale ».
C’est un plaisir en soi qu’un spectacle se déroule cet été deux mille dix-sept dans cet ancien cimetière de pestiférés où les autres étés se tenait le festival « Un soir à l’aître ». Rebaptisé « Un soir au jardin », ce festival a lieu désormais dans l’Orangerie du Jardin des Plantes. C’en est fini du plein air et c’est loin. Mon désir ne m’y a pas encore conduit.
A vingt et une heures quinze, deux garçons s’installent sur la scène située devant l’ancienne bibliothèque des Beaux-Arts. L’un a une guitare sèche amplifiée et tape du pied sur une plateforme. L’autre s’occupe à la fois d’une grosse caisse et d’un minuscule instrument à cordes tout en supervisant divers appareils à bidouiller le son. C’est peu de dire que ces deux gars assurent. La rythmique est calée, la guitare un poil distordue et le chant éraillé. « On lorgne du côté du blues crado du Mississippi », précise le chanteur et guitariste évoquant les trouvailles de l’ethno-musicologue Alan Lomax qui leur ont été source d’inspiration. Il nous apprend que le garçon qui devait s’occuper de la partie ciné-dessinée a eu des soucis de santé et se trouve dans une chambre du Céhachu d’où il entend peut-être.
Le public pas trop nombreux est particulièrement attentif. Chacun est conquis par cette musique de terroir autant que je le suis.
*
« King Biscuit est loin d’être un groupe de bas du front. » (Les Inrocks, vingt janvier deux mille dix-sept)
28 août 2018
Bel arrivage de livres sur l’art au marché du Clos Saint-Marc ce vendredi matin sur le stand d’un marchand qui autrefois ne vendait que rive gauche à celui des Emmurées. En ce temps-là, ses livres étaient à petit prix. Un jour, il a découvert Internet, a augmenté ses exigences et pour vendre a traversé la Seine.
De grosses monographies d’artistes contemporains, des ouvrages de référence (comme Le Détail de Daniel Arasse), d’épais catalogues d’expositions rouennaises et parisiennes et des ouvrages de plus petite taille occupent plusieurs tables. Certains sont couverts de papier cristal. Ce n’est pas donné. America de Tomi Ungerer m’intéresserait mais il est affiché à soixante-cinq euros.
-D’après ce que j’ai vu chez lui, c’était à quelqu’un qui devait être dans nos âges, indique le vendeur à l’une de ses connaissances.
Allant de livre en livre et les feuilletant, j’en ai confirmation en trouvant le nom de celui dont une partie de la bibliothèque se retrouve ainsi sur le marché. En page de garde d’Apartés d’Eric Rondepierre (Filigranes) figure un envoi de l’auteur : « Pour François Lasgi, très cordialement ».
Ces livres intéressent aussi un artiste professeur de l'Ecole Supérieure d'Art et Design Le Havre-Rouen, (anciennement Ecole des Beaux-Arts). Il fait partie de ceux qui me font la tronche. Je ne peux donc lui dire qu’ils appartenaient à son ancien directeur et collègue récemment décédé. Peut-être le sait-il.
*
Ceci n’est pas sans rapport avec ce qui précède :
Tu n’en as pas l’air quand on te voit, mais tu es un sportif, adepte du vélo en fibre de carbonne. Un jour, rentrant d’une virée avec ta bicyclette de course, tu es pris d’un étrange malaise. Tu ne sais pas que c’est une crise d’hypothermie. Tu ne comprends pas que tu es en danger. Tu n’appelles pas les secours. Comme tu vis seul, personne ne le fait à ta place. Tu essaies de lutter contre le froid en enfilant pull sur pull et chaussettes sur chaussettes. Tu t’allonges sur ton lit, Tu perds connaissance. Tu meurs.
Quelques mois plus tard, tu aurais été à la retraite.
Tu aurais pu déjà l’être si tu n’avais choisi d’aller au bout de l’année scolaire.
Supposons que tu te sois arrêté de travailler dès que tu en avais la possibilité, tu aurais eu un autre emploi du temps et ne serais pas mort.
*
Que le sport tue, il y a longtemps que j’en suis convaincu.
De grosses monographies d’artistes contemporains, des ouvrages de référence (comme Le Détail de Daniel Arasse), d’épais catalogues d’expositions rouennaises et parisiennes et des ouvrages de plus petite taille occupent plusieurs tables. Certains sont couverts de papier cristal. Ce n’est pas donné. America de Tomi Ungerer m’intéresserait mais il est affiché à soixante-cinq euros.
-D’après ce que j’ai vu chez lui, c’était à quelqu’un qui devait être dans nos âges, indique le vendeur à l’une de ses connaissances.
Allant de livre en livre et les feuilletant, j’en ai confirmation en trouvant le nom de celui dont une partie de la bibliothèque se retrouve ainsi sur le marché. En page de garde d’Apartés d’Eric Rondepierre (Filigranes) figure un envoi de l’auteur : « Pour François Lasgi, très cordialement ».
Ces livres intéressent aussi un artiste professeur de l'Ecole Supérieure d'Art et Design Le Havre-Rouen, (anciennement Ecole des Beaux-Arts). Il fait partie de ceux qui me font la tronche. Je ne peux donc lui dire qu’ils appartenaient à son ancien directeur et collègue récemment décédé. Peut-être le sait-il.
*
Ceci n’est pas sans rapport avec ce qui précède :
Tu n’en as pas l’air quand on te voit, mais tu es un sportif, adepte du vélo en fibre de carbonne. Un jour, rentrant d’une virée avec ta bicyclette de course, tu es pris d’un étrange malaise. Tu ne sais pas que c’est une crise d’hypothermie. Tu ne comprends pas que tu es en danger. Tu n’appelles pas les secours. Comme tu vis seul, personne ne le fait à ta place. Tu essaies de lutter contre le froid en enfilant pull sur pull et chaussettes sur chaussettes. Tu t’allonges sur ton lit, Tu perds connaissance. Tu meurs.
Quelques mois plus tard, tu aurais été à la retraite.
Tu aurais pu déjà l’être si tu n’avais choisi d’aller au bout de l’année scolaire.
Supposons que tu te sois arrêté de travailler dès que tu en avais la possibilité, tu aurais eu un autre emploi du temps et ne serais pas mort.
*
Que le sport tue, il y a longtemps que j’en suis convaincu.
25 août 2017
Lu il y a fort longtemps dans l’édition qu’en fit Le Livre de Poche, je retrouve le temps d’une escapade à Paris La Négresse blonde suivi de Le Géranium ovipare de Georges Fourest dans l’édition des Cahiers Rouges/Grasset et renouvelle ainsi le plaisir qu’il y a à lire ce marginal de la littérature publié à compte d’auteur, par ailleurs mari sans histoire et bon père de famille, né à Limoges en mil huit cent soixante-quatre, mort à Paris en mil neuf cent quarante-cinq, n’ayant jamais travaillé pour cause de fortune personnelle. Après des études de droit, son seul acte fut de faire imprimer des cartes de visite « Georges Fourest, avocat loin de la cour d’appel ».
De ses poèmes narquois, mon préféré est intitulé Une vie en référence au roman de Maupassant dont une formule est citée en épigraphe L’humble vérité. Ne l’ayant pas trouvé tout écrit sur Internet, je le copie ce jeudi après-midi de mes deux doigts au jardin tandis qu’un voisin musicien répète son nouveau slam qui me parvient par sa fenêtre ouverte et que je ne commenterai pas.
De Georges Fourest donc, Une vie :
Or natif de Quimper-Corentin (Finistère)
cet obscur employé d’un vague ministère
avait connu Salis et monsieur de Lesseps ;
son oncle m’a conté qu’on usa d’un forceps
jadis pour l’extirper du ventre de sa mère.
Il buvait du chiendent et de la douce-amère
pour guérir l’eczéma qu’il avait au menton.
Son ordinaire était de bœuf et de mouton :
pas de veau (le docteur proscrit les viandes blanches)
Dans sa bibliothèque on voyait Thiers, Ballanche,
Henri Martin, Sully-Prud’homme, Paul de Kock
et Marcel Proust. Parfois il allait boire un bock
dans un petit café près du Père-Lachaise ;
tournant bien l’acrostiche et le bâton de chaise,
d’ailleurs, homme du monde, avalant des couteaux
et disant d’un air fin : -« Ce sont là mes gâteaux ! »
Bien que libre-penseur, d’après une promesse
faite à sa sainte mère, il allait à la messe
et se lavait les pieds, le dimanche matin ;
aux jours d’élection prenait part au scrutin,
demeurait au logis pendant la lune rousse
de peur des coryzas et, s’aidant du Larousse,
cherchait des mots croisés, pour causer purement
lisait dans Figaro monsieur Abel Hermant…
Et depuis quarante ans si ce n’est davantage
cet homme vivait chaste à son sixième étage
et, n’étant pas auprès des femmes très hardi
se masturbait pudiquement chaque mardi
après avoir éteint sa lampe : il est mort vierge
sans avoir soupçonné l’amour de sa concierge.
De ses poèmes narquois, mon préféré est intitulé Une vie en référence au roman de Maupassant dont une formule est citée en épigraphe L’humble vérité. Ne l’ayant pas trouvé tout écrit sur Internet, je le copie ce jeudi après-midi de mes deux doigts au jardin tandis qu’un voisin musicien répète son nouveau slam qui me parvient par sa fenêtre ouverte et que je ne commenterai pas.
De Georges Fourest donc, Une vie :
Or natif de Quimper-Corentin (Finistère)
cet obscur employé d’un vague ministère
avait connu Salis et monsieur de Lesseps ;
son oncle m’a conté qu’on usa d’un forceps
jadis pour l’extirper du ventre de sa mère.
Il buvait du chiendent et de la douce-amère
pour guérir l’eczéma qu’il avait au menton.
Son ordinaire était de bœuf et de mouton :
pas de veau (le docteur proscrit les viandes blanches)
Dans sa bibliothèque on voyait Thiers, Ballanche,
Henri Martin, Sully-Prud’homme, Paul de Kock
et Marcel Proust. Parfois il allait boire un bock
dans un petit café près du Père-Lachaise ;
tournant bien l’acrostiche et le bâton de chaise,
d’ailleurs, homme du monde, avalant des couteaux
et disant d’un air fin : -« Ce sont là mes gâteaux ! »
Bien que libre-penseur, d’après une promesse
faite à sa sainte mère, il allait à la messe
et se lavait les pieds, le dimanche matin ;
aux jours d’élection prenait part au scrutin,
demeurait au logis pendant la lune rousse
de peur des coryzas et, s’aidant du Larousse,
cherchait des mots croisés, pour causer purement
lisait dans Figaro monsieur Abel Hermant…
Et depuis quarante ans si ce n’est davantage
cet homme vivait chaste à son sixième étage
et, n’étant pas auprès des femmes très hardi
se masturbait pudiquement chaque mardi
après avoir éteint sa lampe : il est mort vierge
sans avoir soupçonné l’amour de sa concierge.
24 août 2017
« Bonjour Michel. Le ciel s’éclaircit aujourd’hui à Gournay-en-Bray. Profitez du soleil! ». Soit le réseau social Effe Bé localise à la louche, soit il m’invite au voyage dans le Pays de Bray ce mercredi, mais c’est à Paris que je vais me chauffer, après les journées grises de Rouen (la météo n’a jamais vu ça depuis qu’elle fait des statistiques).
Le train de sept heures vingt-huit part désormais à sept heures vingt-quatre afin de ne pas arriver en retard dans la capitale. Cela sent la fin des vacances, peu de valises et retour des travailleurs. L’un à l’autre :
-Ouais, j’ai essayé de t’appeler hier soir. T’as pas répondu. T’étais avec ta femme ?
Les contrôleurs semblent avoir pris de bonnes résolutions. Ils vérifient les billets avant même que le train ait passé Val-de-Reuil. Je relis, dans l’édition des Cahiers Rouges/Grasset, un livre dont le titre, au vu de la couleur de leur peau, pourrait les offusquer : La Négresse blonde de Georges Fourest. Ce livre contient aussi Le Géranium ovipare où figure, dans la réécriture du Cid, le célèbre alexandrin Qu’il est joli garçon l’assassin de papa !
Ce beau et chaud mercredi permet encore une fois aux jolies filles de pédaler court-vêtues, ce dont je me réjouis, occupé que je suis à sillonner le Onzième, du marché d’Aligre à Emmaüs en passant par Book-Off. A midi je déjeune au Rempart. « Un jour en direct ! », claironne le serveur en direction de la cuisine. Ce plat du jour est une tranche de rôti de veau accompagnée de haricots verts que j’ai fait remplacer par un « frites salade » décevant. Le « vin du moment » l’est aussi un peu, du Regnié, domaine de la Ronze, dont je bois un verre à quatre euros, « léger et fruité », sans entrain, bref du beaujolais.
J’ai rendez-vous à treize heures juste en face près de la statue de Beaumarchais avec celle qui travaille dans le quartier. Nous prenons un café à la terrasse de Chez Joséphine sur la jolie petite place du Marché-Sainte-Catherine. Comme souvent, elle est épuisée par le travail. Ce n’est pas la seule raison de notre difficulté à échanger aussi aisément que par le passé. Alors que nous nous écrivions presque chaque jour via Internet, elle m’a annoncé il y a deux mois qu’elle n’en était plus capable.
-A bientôt, me dit-elle quand nous nous séparons.
-Tu devrais plutôt me dire au revoir, lui fais-je remarquer.
*
Au Monop’ de Turbigo : « Livraison à pied en une heure ». En marchant ou en courant ?
*
Par temps de chaleur : optimiser. Dans le métro : suivre la personne qui poussera une porte à votre place, s’asseoir à côté de celle qui utilise un éventail.
*
Spécialité parisienne : les scouteuristes. Jamais moins de cinq au feu rouge. Presque toujours des mâles. Occupés à faire ronfler leur moteur. Dès le passage au feu vert, ça se tire la bourre, à qui giclera le plus fort.
*
Train de retour à Rouen, le chef de bord de la bétaillère surchauffée de dix-sept heures cinquante joue avec les nerfs des voyageurs, annonçant le départ imminent puis sa suspension pour vérification du matériel. Le matériel démarre avec dix minutes de retard mais en rattrape l’essentiel, cependant que je poursuis ma relecture de La Négresse blonde suivi de Le Géranium ovipare de Georges Fourest :
un friselis frivole affole les corolles
des lotus fiers d’avoir Loti pour génitif…
Le train de sept heures vingt-huit part désormais à sept heures vingt-quatre afin de ne pas arriver en retard dans la capitale. Cela sent la fin des vacances, peu de valises et retour des travailleurs. L’un à l’autre :
-Ouais, j’ai essayé de t’appeler hier soir. T’as pas répondu. T’étais avec ta femme ?
Les contrôleurs semblent avoir pris de bonnes résolutions. Ils vérifient les billets avant même que le train ait passé Val-de-Reuil. Je relis, dans l’édition des Cahiers Rouges/Grasset, un livre dont le titre, au vu de la couleur de leur peau, pourrait les offusquer : La Négresse blonde de Georges Fourest. Ce livre contient aussi Le Géranium ovipare où figure, dans la réécriture du Cid, le célèbre alexandrin Qu’il est joli garçon l’assassin de papa !
Ce beau et chaud mercredi permet encore une fois aux jolies filles de pédaler court-vêtues, ce dont je me réjouis, occupé que je suis à sillonner le Onzième, du marché d’Aligre à Emmaüs en passant par Book-Off. A midi je déjeune au Rempart. « Un jour en direct ! », claironne le serveur en direction de la cuisine. Ce plat du jour est une tranche de rôti de veau accompagnée de haricots verts que j’ai fait remplacer par un « frites salade » décevant. Le « vin du moment » l’est aussi un peu, du Regnié, domaine de la Ronze, dont je bois un verre à quatre euros, « léger et fruité », sans entrain, bref du beaujolais.
J’ai rendez-vous à treize heures juste en face près de la statue de Beaumarchais avec celle qui travaille dans le quartier. Nous prenons un café à la terrasse de Chez Joséphine sur la jolie petite place du Marché-Sainte-Catherine. Comme souvent, elle est épuisée par le travail. Ce n’est pas la seule raison de notre difficulté à échanger aussi aisément que par le passé. Alors que nous nous écrivions presque chaque jour via Internet, elle m’a annoncé il y a deux mois qu’elle n’en était plus capable.
-A bientôt, me dit-elle quand nous nous séparons.
-Tu devrais plutôt me dire au revoir, lui fais-je remarquer.
*
Au Monop’ de Turbigo : « Livraison à pied en une heure ». En marchant ou en courant ?
*
Par temps de chaleur : optimiser. Dans le métro : suivre la personne qui poussera une porte à votre place, s’asseoir à côté de celle qui utilise un éventail.
*
Spécialité parisienne : les scouteuristes. Jamais moins de cinq au feu rouge. Presque toujours des mâles. Occupés à faire ronfler leur moteur. Dès le passage au feu vert, ça se tire la bourre, à qui giclera le plus fort.
*
Train de retour à Rouen, le chef de bord de la bétaillère surchauffée de dix-sept heures cinquante joue avec les nerfs des voyageurs, annonçant le départ imminent puis sa suspension pour vérification du matériel. Le matériel démarre avec dix minutes de retard mais en rattrape l’essentiel, cependant que je poursuis ma relecture de La Négresse blonde suivi de Le Géranium ovipare de Georges Fourest :
un friselis frivole affole les corolles
des lotus fiers d’avoir Loti pour génitif…
23 août 2017
Certaines missives de la dernière partie de la correspondance de Robert Musil (Lettres, Le Seuil) montrent que l’âge avançant celui-ci a de plus en plus de mal à supporter son environnement. Elles me réjouissent particulièrement :
Il y a longtemps déjà que je songe à demander une protection contre le fléau des mendiants chanteurs ou musiciens qui s’installent de préférence soit au coin de la rue Rasumofsky et des rues Salm et Geus, c’est-à-dire directement sous mes fenêtres, soit, encore suffisamment près de celles-ci, à l’angle ouest du palais Rasumofsky, où la rue s’élargit de part et d’autre. (…) … je reste souvent des journées entières à devoir garder fermées les fenêtres de mon cabinet de travail ; ce qui est produit là n’ayant qu’un lointain rapport avec le chant et la musique. (…)
Je vous serais infiniment obligé de mettre des limites à cet entêtement et d’assurer, à l’avenir aussi, une amicale protection à mon lieu de séjour et de travail. (Au Commissariat de Police du troisième arrondissement de Vienne, dix septembre mil neuf cent trente-six)
Si bien que je me sente dans votre maison, je dois malheureusement vous informer que le vacarme infernal des enfants dans la Delphingasse m’y rend le séjour impossible. Je me suis plaint déjà plus d’une fois et j’ai tenté d’y remédier par moi-même, maïs cela empire de jour en jour. (…) Si l’on ne peut mettre un terme à ce véritable fléau, il ne me restera plus, à mon grand regret, qu’à interrompre mon séjour plus tôt que prévu. (A Rosa Pohl, Pension Fortuna, Zurich, douze octobre mil neuf cent trente-huit)
… j’ai un métier qui me lie en permanence à ma table de travail et que l’on ne peut exercer en gelant : je suis écrivain, et c’est ainsi que j’assure ma subsistance et celle de ma femme (Permettez-moi d’ajouter que je suis un écrivain considéré dans le monde entier et que je cherche à Genève le rétablissement de ma santé et le calme indispensable au travail.) Dans ces circonstances, je vous prie de m’excuser si les chiffres de mon compteur d’électricité ont un peu grossi ces dernières semaines ; quelques efforts que je fasse, naturellement, pour respecter les prescriptions… (…)
Je profite de l’occasion, puisque des restrictions ont été édictées aussi en ce qui concerne les bains, pour vous demander là encore une tolérance particulière. Je joins à ma lettre un certificat médical qui atteste de leur nécessité pour ma santé. (Au service du gaz et de l’électricité, Genève, onze février mil neuf cent quarante-deux)
Peu de temps après l’envoi de cette lettre, sa femme Martha prend le relais :
J’ai écrit hier à Ilse de quelle façon subite, et sans le moindre pressentiment, la mort a frappé mon mari ; je l’ai trouvé étendu par terre, inanimé, les bras levés au-dessus de la tête et quelques minutes plus tôt je lui parlais comme à un homme en santé et de bonne humeur. Partir ainsi sans souffrances et en souriant passe pour une très grande chance ; mais c’est une tristesse indicible pour un créateur de ne pouvoir achever son œuvre ; et il croyait vraiment être en état de travailler au moins vingt ans encore ! (A Valérie et Franz Zeis, après le quinze avril mil neuf cent quarante-deux, jour de la mort de Robert Musil, à l’âge de soixante et un ans)
Il a vécu ici absolument solitaire. Dans la vie et dans sa mort. A l’incinération, il y avait 8 personnes. Je dois faire une exception pour deux, ou plutôt trois amis, mais l’un habite Zurich, l’autre Zoug, le troisième aux environs de Lausanne, c’est pourquoi nous ne les voyions presque jamais ; et de cette grande solitude, Robert a souvent ressenti de l’amertume. (A Carlo Pietzner, le cinq juillet mil neuf cent quarante-deux)
Il y a longtemps déjà que je songe à demander une protection contre le fléau des mendiants chanteurs ou musiciens qui s’installent de préférence soit au coin de la rue Rasumofsky et des rues Salm et Geus, c’est-à-dire directement sous mes fenêtres, soit, encore suffisamment près de celles-ci, à l’angle ouest du palais Rasumofsky, où la rue s’élargit de part et d’autre. (…) … je reste souvent des journées entières à devoir garder fermées les fenêtres de mon cabinet de travail ; ce qui est produit là n’ayant qu’un lointain rapport avec le chant et la musique. (…)
Je vous serais infiniment obligé de mettre des limites à cet entêtement et d’assurer, à l’avenir aussi, une amicale protection à mon lieu de séjour et de travail. (Au Commissariat de Police du troisième arrondissement de Vienne, dix septembre mil neuf cent trente-six)
Si bien que je me sente dans votre maison, je dois malheureusement vous informer que le vacarme infernal des enfants dans la Delphingasse m’y rend le séjour impossible. Je me suis plaint déjà plus d’une fois et j’ai tenté d’y remédier par moi-même, maïs cela empire de jour en jour. (…) Si l’on ne peut mettre un terme à ce véritable fléau, il ne me restera plus, à mon grand regret, qu’à interrompre mon séjour plus tôt que prévu. (A Rosa Pohl, Pension Fortuna, Zurich, douze octobre mil neuf cent trente-huit)
… j’ai un métier qui me lie en permanence à ma table de travail et que l’on ne peut exercer en gelant : je suis écrivain, et c’est ainsi que j’assure ma subsistance et celle de ma femme (Permettez-moi d’ajouter que je suis un écrivain considéré dans le monde entier et que je cherche à Genève le rétablissement de ma santé et le calme indispensable au travail.) Dans ces circonstances, je vous prie de m’excuser si les chiffres de mon compteur d’électricité ont un peu grossi ces dernières semaines ; quelques efforts que je fasse, naturellement, pour respecter les prescriptions… (…)
Je profite de l’occasion, puisque des restrictions ont été édictées aussi en ce qui concerne les bains, pour vous demander là encore une tolérance particulière. Je joins à ma lettre un certificat médical qui atteste de leur nécessité pour ma santé. (Au service du gaz et de l’électricité, Genève, onze février mil neuf cent quarante-deux)
Peu de temps après l’envoi de cette lettre, sa femme Martha prend le relais :
J’ai écrit hier à Ilse de quelle façon subite, et sans le moindre pressentiment, la mort a frappé mon mari ; je l’ai trouvé étendu par terre, inanimé, les bras levés au-dessus de la tête et quelques minutes plus tôt je lui parlais comme à un homme en santé et de bonne humeur. Partir ainsi sans souffrances et en souriant passe pour une très grande chance ; mais c’est une tristesse indicible pour un créateur de ne pouvoir achever son œuvre ; et il croyait vraiment être en état de travailler au moins vingt ans encore ! (A Valérie et Franz Zeis, après le quinze avril mil neuf cent quarante-deux, jour de la mort de Robert Musil, à l’âge de soixante et un ans)
Il a vécu ici absolument solitaire. Dans la vie et dans sa mort. A l’incinération, il y avait 8 personnes. Je dois faire une exception pour deux, ou plutôt trois amis, mais l’un habite Zurich, l’autre Zoug, le troisième aux environs de Lausanne, c’est pourquoi nous ne les voyions presque jamais ; et de cette grande solitude, Robert a souvent ressenti de l’amertume. (A Carlo Pietzner, le cinq juillet mil neuf cent quarante-deux)
22 août 2017
De Robert Musil, j’ai lu il y a des décennies Les Désarrois de l’élève Törless et Trois femmes suivi de Noces puis j’ai tenté de lire son énorme dernier roman inachevé L’Homme sans qualités sans aller loin.
Je retrouve Musil grâce à l’exemplaire de ses Lettres publiées au Seuil acheté un euro à Paris. De cette lecture, essentiellement faite en terrasse au Sacre et au Son du Cor, j’ai gardé un certain nombre d’extraits (le premier montre que le thème de l’inceste frère/sœur présent dans le second tome de L’Homme sans qualités était déjà dans son esprit au temps de sa jeunesse) :
Quand j’entends parler d’inceste, je ne suis pas obligé de penser à ma propre mère ou sœur ; si je le fais tout de même, je cesse de voir que l’inceste, en certains cas, présente de grandes qualités positives. L’erreur est de généraliser. Pour une évaluation un peu fine, il n’y a pas deux délits semblables. (A Matthias di Gaspero, fin juillet mil neuf cent sept ou plus tard ?)
Comme je n’ai vraiment pas pu décider jusqu’ici ce qu’est une œuvre littéraire, je proposerais : tout homme qui a quelque chose à dire est un écrivain ; si ce quelque chose ne peut se dire que par le moyen de l’écriture. (A Franz Blei, fin mil neuf cent dix-sept ou début mil neuf cent dix-huit)
… d’ailleurs ma situation actuelle au ministère de la Guerre est très agréable, idéale même : salaire de colonel et fonction de conseiller et d’expert peu consulté ; malheureusement, la chose ne semble pas durable. (A Johannes von Allesch, Vienne, premier juin mil neuf cent vingt et un)
En essayant ici, à force de lait de vache et d’excursions psychiques dans les alpages, de recouvrer une certaine candeur, j’ai déjà atteint un degré proprement poétique d’imbécillité qui me facilitera grandement la compréhension critique de mes contemporains. (A Arne Laurin, Steinach, Tyrol, dix-sept juillet mil neuf cent vingt et un)
Ma carte n’était pas une réponse impolie à votre lettre si attentive : je l’avais envoyée un jour avant que celle-ci n’arrive, dans un accès, fréquent chez moi en ce moment, de mauvaise humeur. (A Franz Blei, Vienne, vingt-deux décembre mil neuf cent vingt-trois)
Mais pourquoi Rowohlt ne veut-il tirer qu’à 5 000 ? Pour un roman, cela signifie qu’il ne nourrit guère de grands espoirs ! Et, pour moi, de grosses difficultés du fait des dettes que j’ai chez lui et du problème inéluctable de ma survie. (A Franz Blei, vingt-quatre mars mil neuf cent trente)
Les romanciers de notre génération (Th. Mann, Joyce, Proust, etc.) se sont tous heurtés au même problème : l’insuffisance de l’ancienne naïveté narrative par rapport au développement de l’intelligence. A cet égard, je tiens La Montagne magique pour une tentative complètement ratée ; dans ses parties « intellectuelles », c’est un vrai estomac de requin. Autant que j’ai pu voir, Proust et Joyce se contentent de céder à la dissolution en recourant au style associatif aux contours très flous. (A Johannes von Allesch, Vienne, quinze mars mil neuf cent trente et un)
En tant que personne, j’ai été épargné jusqu’ici par les évènements ; mais que je m’exile ou non, si la situation reste ce qu’elle est, il n’y aura plus aucune possibilité pour moi de survivre dans l’Allemagne nouvelle. Cela m’a déjà été suffisamment difficile dans l’ancienne ; en effet, malgré tout le bluff culturel, l’Allemagne était privée de but et tout à fait mercantile. (A Ziebolz, Karlsbad, onze avril mil neuf cent trente-trois)
Vous devez vous trouver fort bien dans votre froide Espagne, car ici, à Vienne, la chaleur est à couper au couteau, même la nuit ; et il a fallu que je choisisse ce mois pour le passer dans cette ville que j’ai évitée deux ans durant et dont les miasmes littéraires sont difficilement supportables même par température normale ! (A Franz Blei, Vienne, onze août mil neuf cent trente-trois)
Personnellement, je ne suis pas très doué pour la haine, mais je l’apprécie chez les autres ! (A Klaus Pinkus, vingt et un octobre mil neuf cent trente-trois)
Je retrouve Musil grâce à l’exemplaire de ses Lettres publiées au Seuil acheté un euro à Paris. De cette lecture, essentiellement faite en terrasse au Sacre et au Son du Cor, j’ai gardé un certain nombre d’extraits (le premier montre que le thème de l’inceste frère/sœur présent dans le second tome de L’Homme sans qualités était déjà dans son esprit au temps de sa jeunesse) :
Quand j’entends parler d’inceste, je ne suis pas obligé de penser à ma propre mère ou sœur ; si je le fais tout de même, je cesse de voir que l’inceste, en certains cas, présente de grandes qualités positives. L’erreur est de généraliser. Pour une évaluation un peu fine, il n’y a pas deux délits semblables. (A Matthias di Gaspero, fin juillet mil neuf cent sept ou plus tard ?)
Comme je n’ai vraiment pas pu décider jusqu’ici ce qu’est une œuvre littéraire, je proposerais : tout homme qui a quelque chose à dire est un écrivain ; si ce quelque chose ne peut se dire que par le moyen de l’écriture. (A Franz Blei, fin mil neuf cent dix-sept ou début mil neuf cent dix-huit)
… d’ailleurs ma situation actuelle au ministère de la Guerre est très agréable, idéale même : salaire de colonel et fonction de conseiller et d’expert peu consulté ; malheureusement, la chose ne semble pas durable. (A Johannes von Allesch, Vienne, premier juin mil neuf cent vingt et un)
En essayant ici, à force de lait de vache et d’excursions psychiques dans les alpages, de recouvrer une certaine candeur, j’ai déjà atteint un degré proprement poétique d’imbécillité qui me facilitera grandement la compréhension critique de mes contemporains. (A Arne Laurin, Steinach, Tyrol, dix-sept juillet mil neuf cent vingt et un)
Ma carte n’était pas une réponse impolie à votre lettre si attentive : je l’avais envoyée un jour avant que celle-ci n’arrive, dans un accès, fréquent chez moi en ce moment, de mauvaise humeur. (A Franz Blei, Vienne, vingt-deux décembre mil neuf cent vingt-trois)
Mais pourquoi Rowohlt ne veut-il tirer qu’à 5 000 ? Pour un roman, cela signifie qu’il ne nourrit guère de grands espoirs ! Et, pour moi, de grosses difficultés du fait des dettes que j’ai chez lui et du problème inéluctable de ma survie. (A Franz Blei, vingt-quatre mars mil neuf cent trente)
Les romanciers de notre génération (Th. Mann, Joyce, Proust, etc.) se sont tous heurtés au même problème : l’insuffisance de l’ancienne naïveté narrative par rapport au développement de l’intelligence. A cet égard, je tiens La Montagne magique pour une tentative complètement ratée ; dans ses parties « intellectuelles », c’est un vrai estomac de requin. Autant que j’ai pu voir, Proust et Joyce se contentent de céder à la dissolution en recourant au style associatif aux contours très flous. (A Johannes von Allesch, Vienne, quinze mars mil neuf cent trente et un)
En tant que personne, j’ai été épargné jusqu’ici par les évènements ; mais que je m’exile ou non, si la situation reste ce qu’elle est, il n’y aura plus aucune possibilité pour moi de survivre dans l’Allemagne nouvelle. Cela m’a déjà été suffisamment difficile dans l’ancienne ; en effet, malgré tout le bluff culturel, l’Allemagne était privée de but et tout à fait mercantile. (A Ziebolz, Karlsbad, onze avril mil neuf cent trente-trois)
Vous devez vous trouver fort bien dans votre froide Espagne, car ici, à Vienne, la chaleur est à couper au couteau, même la nuit ; et il a fallu que je choisisse ce mois pour le passer dans cette ville que j’ai évitée deux ans durant et dont les miasmes littéraires sont difficilement supportables même par température normale ! (A Franz Blei, Vienne, onze août mil neuf cent trente-trois)
Personnellement, je ne suis pas très doué pour la haine, mais je l’apprécie chez les autres ! (A Klaus Pinkus, vingt et un octobre mil neuf cent trente-trois)
21 août 2017
Prouvons-leur qu’il y a encore des arbres dans le square Verdrel ; en même temps ça animera un peu Rouen au mois d’août, c’est ce qu’a dû se dire l’une des têtes pensantes de la Matmutropole en invitant la Compagnie In Fine à y donner son spectacle Impromptus ce samedi après-midi.
J’y vais pour la première séance, celle de seize heures. Quand j’arrive, pas mal de monde est déjà assis en arc de cercle face au Musée des Beaux-Arts. Je m’approche du garçon de la technique afin de savoir où se placer au mieux. Le malheureux est aux prises avec deux Témoins de Jéhovah particulièrement pugnaces à qui il ne se prive pas de dire le fond de sa pensée : « Vous profitez de la détresse morale des gens pour les embrigader ». Les deux missionnaires finissent par lâcher prise.
-Ce sera d’abord sur la façade du Musée puis dans les arbres, me dit le technicien.
Je m’installe sur un banc en retrait. A l’heure dite, un trompettiste jouant en direct sur de la musique enregistrée entre en action ainsi qu’une danseuse acrobate d’orange vêtue. Elle s’attaque d’abord à l’une des statues du bas de l’escalier, reste un bon moment assise sur ses genoux puis entreprend l’ascension du Musée. Les visiteurs qui sortent de l’exposition Picasso l’ont au-dessus de la tête. Ils se demandent pourquoi toute cette foule regarde vers eux.
Redescendue, la fille orange traverse l’esplanade Marcel-Duchamp et, avec une complice de la même couleur, se lance à l’assaut des arbres, lassant flotter sa belle chevelure blonde. Je suis maintenant près du garçon de la technique et assiste à l’arrivée à la bourre d'un violoncelliste qui n’a que le temps de piétiner les plates-bandes pour se joindre au trompettiste. In fine, ce dernier est envoyé en l’air par les deux filles. Ce qui permet de répondre par l’affirmative à la question : « Est-il possible de jouer de la trompette la tête en bas ? »
*
Je ressors de chez moi vers dix-huit heures pour un autre impromptu, celui organisé par l’ami Georges en son Hôtel de l’Europe. Une première séance a eu lieu la veille où j’ai hésité à aller pour finalement renoncer par crainte d’y trouver certaines qui ne veulent pas me voir ou d’autres que je connais un peu mais que je n’ai pas envie de connaître davantage.
Ce samedi soir, je suis le seul à avoir répondu à l’invitation. Le vin est excellent, les petites choses à grignoter bienvenues. Et c’est toujours un plaisir de discuter avec le maître des lieux.
*
Quand je rentre, la fête bat son plein (comme on dit) chez celui qui a signé de son prénom, Nicolas, l’avertissement collé sur la porte du porche, dans lequel il s’excuse par avance, auprès des « Chers Voisins » du bruit généré par sa soirée d’anniversaire.
Pour dormir j’ai un plan Bé, la petite chambre qui ne donne pas côté jardin, mais je plains celle qui habite en dessous de chez « Nicolas » et celles et ceux qui sont en face.
J’y vais pour la première séance, celle de seize heures. Quand j’arrive, pas mal de monde est déjà assis en arc de cercle face au Musée des Beaux-Arts. Je m’approche du garçon de la technique afin de savoir où se placer au mieux. Le malheureux est aux prises avec deux Témoins de Jéhovah particulièrement pugnaces à qui il ne se prive pas de dire le fond de sa pensée : « Vous profitez de la détresse morale des gens pour les embrigader ». Les deux missionnaires finissent par lâcher prise.
-Ce sera d’abord sur la façade du Musée puis dans les arbres, me dit le technicien.
Je m’installe sur un banc en retrait. A l’heure dite, un trompettiste jouant en direct sur de la musique enregistrée entre en action ainsi qu’une danseuse acrobate d’orange vêtue. Elle s’attaque d’abord à l’une des statues du bas de l’escalier, reste un bon moment assise sur ses genoux puis entreprend l’ascension du Musée. Les visiteurs qui sortent de l’exposition Picasso l’ont au-dessus de la tête. Ils se demandent pourquoi toute cette foule regarde vers eux.
Redescendue, la fille orange traverse l’esplanade Marcel-Duchamp et, avec une complice de la même couleur, se lance à l’assaut des arbres, lassant flotter sa belle chevelure blonde. Je suis maintenant près du garçon de la technique et assiste à l’arrivée à la bourre d'un violoncelliste qui n’a que le temps de piétiner les plates-bandes pour se joindre au trompettiste. In fine, ce dernier est envoyé en l’air par les deux filles. Ce qui permet de répondre par l’affirmative à la question : « Est-il possible de jouer de la trompette la tête en bas ? »
*
Je ressors de chez moi vers dix-huit heures pour un autre impromptu, celui organisé par l’ami Georges en son Hôtel de l’Europe. Une première séance a eu lieu la veille où j’ai hésité à aller pour finalement renoncer par crainte d’y trouver certaines qui ne veulent pas me voir ou d’autres que je connais un peu mais que je n’ai pas envie de connaître davantage.
Ce samedi soir, je suis le seul à avoir répondu à l’invitation. Le vin est excellent, les petites choses à grignoter bienvenues. Et c’est toujours un plaisir de discuter avec le maître des lieux.
*
Quand je rentre, la fête bat son plein (comme on dit) chez celui qui a signé de son prénom, Nicolas, l’avertissement collé sur la porte du porche, dans lequel il s’excuse par avance, auprès des « Chers Voisins » du bruit généré par sa soirée d’anniversaire.
Pour dormir j’ai un plan Bé, la petite chambre qui ne donne pas côté jardin, mais je plains celle qui habite en dessous de chez « Nicolas » et celles et ceux qui sont en face.
18 août 2017
Un nouvel attentat islamiste avec véhicule fonçant dans la foule à Cambrils cette nuit, apprends-je au réveil. Il fait suite à celui ayant fait treize morts et une centaine de blessés ce dix-sept août à Barcelone sur la Rambla.
Très vite hier soir, grâce au Safety Check du réseau social Effe Bé, je suis rassuré sur le sort de celui qui fut mon éditeur pour le seul recueil de mes textes à être parus sur papier, lequel vit dans la capitale de la Catalogne depuis des années et est depuis peu père d’une enfant.
Il pleut ce vendredi matin encore. « Un jour de beau temps, une semaine de pluie, c’est ça la Normandie », clamait un homme d’origine africaine (comme on dit), rue Cauchoise, hier jeudi, quand je prenais un café abrité sous l’auvent du Sacre. En cette année deux mille dix-sept, c’est exact.
Je mets le pied dehors pendant une accalmie. Au bout de la ruelle, des sans-gêne ont jeté du mobilier cassé et un vieux matelas. Tournant à gauche, rue Saint-Romain, afin d’aller au marché, je suis abordé par un quidam qui me serre la main.
-Je suis votre voisin de la cathédrale, me dit-il voyant que je le regarde intrigué.
-Mon voisin ?
-Vous êtes le papa de l’homme de la faïencerie, non ?
-J’ai du mal à reconnaître les gens, lui dis-je, mais je vois qu’il y a encore pire que moi
-Ah, excusez-moi, bonne journée quand même, me dit-il.
*
« Voiture bélier », que disent les journaux, radios et télévisions à propos des véhicules lancés sur la foule par les terroristes islamistes. Un bélier au sens guerrier du mot, cela sert depuis l’Antiquité à enfoncer une porte ou à défoncer un mur. La voiture bélier en est une version moderne plutôt utilisée lors des cambriolages et des braquages. Rien à voir avec les voitures et les camions lancés sur des êtres humains.
*
Le bélier peut être un simple pied humain. Celui d’une locataire de la copropriété lui a ainsi servi ce jeudi à ouvrir violemment la porte du porche alors qu’elle avait les mains occupées par un petit meuble, derrière elle ses père et mère. J’étais en train d’ouvrir ma boite à lettres. Cette porte ne m’est pas passée loin, à l’aller, puis au retour, après avoir rebondi sur la butée.
-Oh pardon, m’a dit cette sans-gêne.
-Bonjour, lui ai-je répondu.
Très vite hier soir, grâce au Safety Check du réseau social Effe Bé, je suis rassuré sur le sort de celui qui fut mon éditeur pour le seul recueil de mes textes à être parus sur papier, lequel vit dans la capitale de la Catalogne depuis des années et est depuis peu père d’une enfant.
Il pleut ce vendredi matin encore. « Un jour de beau temps, une semaine de pluie, c’est ça la Normandie », clamait un homme d’origine africaine (comme on dit), rue Cauchoise, hier jeudi, quand je prenais un café abrité sous l’auvent du Sacre. En cette année deux mille dix-sept, c’est exact.
Je mets le pied dehors pendant une accalmie. Au bout de la ruelle, des sans-gêne ont jeté du mobilier cassé et un vieux matelas. Tournant à gauche, rue Saint-Romain, afin d’aller au marché, je suis abordé par un quidam qui me serre la main.
-Je suis votre voisin de la cathédrale, me dit-il voyant que je le regarde intrigué.
-Mon voisin ?
-Vous êtes le papa de l’homme de la faïencerie, non ?
-J’ai du mal à reconnaître les gens, lui dis-je, mais je vois qu’il y a encore pire que moi
-Ah, excusez-moi, bonne journée quand même, me dit-il.
*
« Voiture bélier », que disent les journaux, radios et télévisions à propos des véhicules lancés sur la foule par les terroristes islamistes. Un bélier au sens guerrier du mot, cela sert depuis l’Antiquité à enfoncer une porte ou à défoncer un mur. La voiture bélier en est une version moderne plutôt utilisée lors des cambriolages et des braquages. Rien à voir avec les voitures et les camions lancés sur des êtres humains.
*
Le bélier peut être un simple pied humain. Celui d’une locataire de la copropriété lui a ainsi servi ce jeudi à ouvrir violemment la porte du porche alors qu’elle avait les mains occupées par un petit meuble, derrière elle ses père et mère. J’étais en train d’ouvrir ma boite à lettres. Cette porte ne m’est pas passée loin, à l’aller, puis au retour, après avoir rebondi sur la butée.
-Oh pardon, m’a dit cette sans-gêne.
-Bonjour, lui ai-je répondu.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante