Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 septembre 2017


Le train de sept heures vingt-quatre venant du Havre arrive, comme presque toujours, à l’heure ce mercredi. En revanche il ne repart pas. Un message du chef de bord l’annonce « retenu en gare en conséquence d’un animal ». Cette raison absconse enclenche un concert de « Oh putain » chez mes voisin(e)s de voiture. Un second message précise qu’un train a heurté un sanglier vers Oissel.
Nous partons avec vingt minutes de retard. Le chef de bord déclare que le conducteur compte en rattraper la moitié. Allez fonce, Alphonse ! Cette bonne intention est vite mise à mal. Un nouvel arrêt a lieu à Sotteville, de peu de durée, puis le train repart lentement.
A l’arrivée dans la capitale, le retard est de vingt minutes. Je l’annule en prenant les métros Trois et Huit au lieu du bus Vingt. A la sortie Ledru-Rollin, il fait soleil. Alors que j’attends l’ouverture de Book-Off, est-ce Edwy Plenel qui passe sur une bicyclette ou l’un qui lui ressemble étonnamment ? Je me suis réjoui le jour où il n’est plus intervenu dans Les Matins de France Culture. Etonnant comme je me suis habitué à Guillaume Erner qui les anime cette année encore. La rentrée de cette radio voit quelques changements que je n’ai pas encore eu le temps d’apprécier, mais je regrette le renvoi de Philippe Meyer dont j’aimais L’Esprit public. Certes, il aura soixante-dix ans au Noël prochain et il faut faire de la place aux jeunes, mais Christine Ockrent est toujours là et elle a soixante-treize ans.
Je passe la matinée à chercher des livres puis déjeune au Palais de Pékin où une septuagénaire cardiaque, qui ne sort jamais sans son dossier médical dans son sac, raconte à un couple d’amis la fin de son frère mort à soixante-six ans en hôpital psychiatrique après une carrière de bibliothécaire jeunesse :
-On a réussi à avoir un créneau au Père Lachaise pour la crémation, un coup de bol inouï.
Sorti de là, par la rue du Chemin-Vert, malgré mon dos et mes genoux douloureux depuis quelques semaines, je me dirige à pied vers la courte rue où un marchand de journaux propose des livres à un euro sur son trottoir. Lorsque j’arrive, c’est pour trouver le rideau baissé et un mot manuscrit : « Ouverture à 15h30 ».
                                                      *
Une lycéenne à ses copines, juste avant de descendre à Opéra, les autres restant dans le métro :
-Au fait, j’ai fait vingt-trois heures de garde à vue à Londres.
Les autres en chœur et les yeux ronds :
-Mais pourquoi ?
Elle, depuis le quai pendant que les portes se referment :
-Pour complicité de vol à l’étalage.
Les autres :
-Et elle nous dit ça comme ça !
                                                      *
Parmi les livres à un euro rapportés de la capitale : Lettres près du cœur, la correspondance entre Clarice Lispector et Fernando Sabino (Editions des Femmes) et La cérémonie des adieux suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre de Simone de Beauvoir (Folio Gallimard) avec en couverture un double portrait dessiné hideux, dans la veine réaliste, de l’écrivaine et de l’écrivain ; il est dû à Marc Taraskoff.
 

7 septembre 2017


D’abord, le mariage des révolutionnaires pur jus et du riche poujadiste Marcel Campion. Dans le dernier numéro de Lundi Matin, l’organe officieux des Invisibles, le « roi des forains » appelle à la guerre sociale : « Le temps est venu de défendre nos culs. Nous le ferons en première ligne de toutes les manifestations de colère sociale : avec les syndicats et les insoumis, les bonnets rouges et les blacks blocs, les agriculteurs faillis et les anarchistes. » Le douze septembre, lors des manifestations de la Cégété, il demande à ses troupes de bloquer les rues avec les camions et les remorques « A Paris, mais également à Lyon et à Marseille, au Havre et à Rouen comme dans toutes les grandes villes où les arts populaires sont menacés ».
Ensuite, la rentrée, lundi matin, « dans une ambiance très festive » des élèves de l'école Jean-Macé de Bihorel grâce à des musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen qui les ont accompagnés jusque dans leur classe selon la volonté de Catherine Morin-Desailly, Présidente dudit Opéra et Sénatrice (Centriste de Droite tendance Morin), accompagnée de son ami Pascal Houbron, Maire de Bihorel (Centriste de Droite tendance Morin), cela pour obéir aux instructions de Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education Nationale (Centriste de Droite tendance Macron).
Enfin, la proposition des adhérents de Sabine, l’association pro vélo locale, de jouer les tâcherons au profit de l’Office du Commerce et de l'Artisanat de Rouen lors de la Braderie du prochain ouiquennede. Il s’agira de « porter vos achats à vélo jusqu’à votre moyen de transport (lieu de stationnement, arrêt de bus/métro, gare) », « Vélo et commerce peuvent et doivent faire bon ménage, tous deux ont à y gagner ! » Des écolos qui se mettent au service de la société de consommation, cela s’appelle pédaler dans la semoule, ce me semble.
On vit une époque formidable.
                                                             *
Et pendant ce temps-là, les travaux avancent dans l’ancien magasin Eurodif de la rue de la Champmeslé devenu Bouchara. Gaffe en passant par là de ne pas se faire renverser par une camionnette immatriculée en Pologne.
                                                             *
Un Invisible, mais pas inaudible, à la terrasse du Sacre l’autre semaine avec un de ses informateurs qui rentre de Tunisie. Il est question d’un lieu où les gens réfléchissent ensemble, de voir ce qu’on peut faire ensemble, la rengaine, de la rédaction de Lundi Matin aussi. Rien que ne sache déjà la Direction Générale de la Sécurité Intérieure.
 

6 septembre 2017


Une récente lecture du soir : Le Prolifique et le Dévoreur, recueil de réflexions écrit par Wystan Hugh Auden au cours du printemps et de l’été de mil neuf cent trente-neuf, puis abandonné. Il ne sera publié aux Etats-Unis qu’en mil neuf cent soixante-seize, trois ans après la mort de celui qui est surtout connu comme poète. La version française est sortie chez Anatolia/Les Editions du Rocher en deux mille trois. J’en retiens une partie de ce qu’il dit des artistes et des politiciens :
Nous ne reprochons pas aux artistes du passé d’avoir nourri des croyances religieuses ou politiques différentes des nôtres. En revanche, nous en faisons grief aux artistes d’aujourd’hui, parce que notre époque nous déroute et que, désespérément désireux de trouver les réponses à nos problèmes, nous blâmons sans distinction tous ceux qui sont incapables de nous les fournir, oubliant que l’artiste ne se targue nullement de fournir une réponse à quoi que ce soit. (…)
Le prolifique et le dévoreur : l’artiste et le politique. Qu’ils comprennent bien qu’ils sont ennemis, c’est-à-dire que chacun a une vision du monde qui restera forcément incompréhensible à l’autre. (…)
Quand il rencontre un inconnu, l’artiste se demande : « Est-ce que je le trouve sympathique ou antipathique ? »
Le politicien se demande : « Est-il démocrate ou républicain ? »
Les écrivains qui, tel D. H. Lawrence, dans Le Serpent à plumes, s’efforcent de bâtir leurs propres systèmes politiques, se couvrent immanquablement de ridicule, parce qu’ils les forgent d’après leur propre expérience, traitant l’Etat moderne comme s’il s’agissait d’une minuscule paroisse et la politique comme si c’était une affaire de rapports personnels, alors  que la politique moderne a trait presque exclusivement aux rapports qui sont impersonnels.
Ainsi, la formule de Lawrence : «  La colère est parfois juste, la justice ne l’est jamais », laquelle est un admirable conseil donné aux amoureux, ne peut, appliquée à la politique, vouloir dire qu’une seule chose : « Cassez la figure à tous ceux qui ne sont pas de votre avis. »
Un des plus puissants attraits de Fascisme, c’est de laisser entendre que l’Etat est une grande famille : en insistant sur le Sang et la Race, il s’efforce de duper le quidam ordinaire et de lui faire croire que les rapports politiques sont personnels. (…) L’une des meilleures raisons de savoir que le Fascisme est une fumisterie, c’est qu’il ressemble beaucoup trop aux espèces d’utopies que les artistes imaginent autour d’une table de café, aux petites heures de la nuit. (…)
Mais si les artistes se fourvoient en matière de politique, les politiciens en font autant en matière d’art. (…)
L’Etat moderne protecteur des Arts. Quoi de plus atroce ? Songez un peu aux bâtiments de Washington. Songez aux statues colossales, érigées à travers le monde entier, représentant le Travailleur, le Triomphe du Fascisme, la Liberté de la Presse. Songez aux Hymnes nationaux.
                                                               *
La vie scolaire m’enseigna que j’étais un anti-politique. Je voulais qu’on me laissât tranquille, afin de pouvoir écrire de la poésie, choisir mes propres amis et mener ma vie sexuelle à ma guise. L’ennemi était, et il l’est toujours, la politique, c’est-à-dire la personne qui veut organiser la vie des autres et les obliger à filer doux. (Wystan Hugh Auden Le Prolifique et le Dévoreur)
 

5 septembre 2017


Ce dimanche commence par une longue marche nocturne au long de la Seine sur la voie cyclo-pédestre avec comme point de mire une lueur rouge qui fait penser à un incendie. Seul un coureur à pied est aussi matinal que moi. Sa motivation est la dépense physique. Le mien est de trouver de quoi me plaire au vide grenier d’Amfreville-la-Mivoie qui a l’avantage de se tenir depuis quelques années au bord du fleuve. J’y ai toujours été déçu.
Quand j’arrive à proximité, je constate que l’illusion de feu était créée par l’ensemble des feux arrière des voitures des vendeurs pas encore installés. Cet embouteillage se résorbe assez vite cependant que le jour se lève. Il est sept heures dix. Je parcours deux fois la grande longueur d’exposants. Il en sera comme par le passé car on ne lit rien d’intéressant ici. J’achète quand même quelques poches que leur vendeuse me propose à dix centimes avant même que je lui en demande le prix. Cela me permettra de ne pas revenir bredouille.
Un petit panneau vert destiné aux cyclistes indique Rouen à quatre kilomètres. C’est autant pour le piéton que je suis. En chemin, je n’ai comme distraction que des pompiers en manœuvre avec leur « fourgon mousse grande puissance » devant les silos d’Uni-Béton. Les marches en bordure de fleuve font toujours naître dans mon esprit des idées noires. Les avancées métalliques au-dessus de l’eau m’apparaissent comme des plongeoirs placés là pour aider à en finir le jour où l’on sera trop déglingué.
Les pieds cuits, je passe au marché du Clos Saint-Marc afin de me procurer une part de couscous que je mange dès onze heures. A midi, je prends le premier bus Teor jusqu’à la basilique du Sacré-Chœur d’où sortent habillés en Normands d’antan des participants à la messe de la Saint-Fiacre (fête des jardiniers, maraîchers, horticulteurs et paysagistes).
Un petit vide grenier est organisé à cette occasion derrière l’église, rue de la Croix-d’Yonville. Cela fait des années que je n’y suis venu. J’en repars désappointé et pédestrement par la longue rue du Renard afin de rejoindre la rue Cauchoise en bas de laquelle je compte m’asseoir en terrasse au Sacre. Las, l’estaminet qui devrait être ouvert depuis midi et demi ne l’est pas à une heure moins cinq.
Au Son du Cor, on est ouvert depuis midi. J’y trouve place au soleil. Un bicycliste de ma connaissance vient me voir avec son smartphone.
-J’ai mis la main sur un livre qui peut-être t’intéressera, me dit-il en me montrant l’image de couverture de l’Histoire des rues de Louviers par l’abbé Delamare, tu connais ?
-Oui, c’était l’un des deux livres de mon père. L’autre, c’était La Bible.
-Ah, c’est un succès local alors ?
-Oui, et un traumatisme personnel.
-Bon alors je vais le déposer dans une boîte à livres.
                                                                  *
Le sans-gêne du dimanche : rue du Père-Adam, devant son restaurant L’Anticonformiste, il passe ses tables à la ponceuse électrique à l’heure du déjeuner, bruit et poussière garantis pour les clients en terrasse de la crêperie voisine.
                                                                 *
Un prof devant une bière avec un ancien prof :
-Une moyenne par définition, t’en as la moitié qui sont au-dessus, la moitié qui sont en dessous.
L’autre ne conteste pas. Espérons que le premier n’est pas prof de maths.
                                                                 *
Des lycéennes cherchant à se consoler de la rentrée du lendemain : « Bon, au moins, on sait qu’avec le prof d’économie, on pourra foutre le bordel. »
                                                                 *
L’anticonformisme est encore un conformisme contrairement au non conformisme. Soyons non conformiste.
 

4 septembre 2017


Une pointe de tristesse quand je passe devant le numéro vingt de la rue Alsace-Lorraine en constatant qu’avancent dans les locaux qui furent ceux de l’Ubi (lieu artistique mutualisé) les travaux d’extension de l’entreprise Brainscape (jeu d’évasion). Pas de problèmes financiers pour les nouveaux occupants contrairement à ce qu’il en était pour les précédents (les affaires vont bien pour les amuseurs : soixante quinze mille entrées depuis l’ouverture en mai deux mille quinze). Tout est fait dans les normes. Les voisins des étages ne pourront plus utiliser la commission de sécurité quand ils s’estimeront victimes de nuisances (sonores ou autres).
L’autre voisin de rez-de-chaussée de l’Ubi a connu un sort tragique. L’ancien dirigeant du foute local qui tenait la cave à vin/restaurant Le Sens des Vins y a été tué à coups de couteau par un individu dérangé au mois de mai dernier. J’ai suivi ça de loin, j’étais en Loire-Atlantique. L’idée m’a traversé que si l’Ubi avait encore été ouvert, le meurtrier aurait tout aussi bien pu y entrer.
                                                            *
Des faits divers de ce type, il y en a eu plus d’un ces derniers dix ans dans l’hyper centre de Rouen. Je me souviens du jeune homme ayant tué à coups de ciseaux dans l’escalier de son immeuble rue Saint-Romain l’apprenti coiffeur qui lui aurait fait des avances homosexuelles, de la jeune femme ayant noyé son enfant de deux ans dans une baignoire de l’Hôtel Mercure rue de la Croix-de-Fer, du cinglé ayant étranglé un jeune homme et une jeune femme qu’il a d’abord violée après les avoir aidés (elle et lui avaient trop bu) à rentrer chez elle place de la Pucelle, de l’ancien patient ayant poignardé un psychiatre devant l’entrée de son immeuble rue du Beffroy. J’en oublie peut-être.
                                                           *
Dans les quartiers périphériques rouennais mal réputés, il ne s’en est pas passé autant, loin de là.
 

1er septembre 2017


« Les poux meurent. Les cheveux respirent », est-il affiché sur les abribus parisiens au profit d’une lotion magique. Une preuve parmi d’autres que ce mercredi précède de peu la rentrée scolaire. C’est déjà la rentrée au Café du Faubourg où la serveuse et son collègue ont réussi à bronzer un peu en quinze jours.
Le risque d’averse orageuse est sans doute responsable de l’absence des deux principaux vendeurs de livres du marché d’Aligre. Un autre marchand en a des caisses et des caisses, en vrac, des livres mais aussi des revues, des photos, des dossiers, tous consacrés au cinéma. Le mort de la semaine devait être professeur, critique ou journaliste dans ce domaine, lequel ne m’intéresse pas.
Je trouve en revanche quelques livres à acheter chez Book-Off, dont les Mémoires d’un chef de la Police de Sûreté sous le second Empire de Monsieur Claude (Texto/Tallandier). Après un passage chez Emmaüs, je rejoins la place de la Bastille par un chemin inhabituel qui me fait passer dans une rue où sur le trottoir se trouvent trois présentoirs de livres à un euro. J’en pioche et entre les payer non pas à un bouquiniste mais à un sympathique marchand de journaux qui me dit qu’il en aura d’autres.
C’est au Petit Saint Paul de la rue Saint-Paul que je déjeune d’un honnête poulet fermier pommes sautées (douze euros) accompagné d’un verre de bon pinot noir (quatre euros). Dehors tombent quelques gouttes. Le patron occupe la place d’un client au comptoir. Il houspille l’apprenti, renvoie d’une manière déplaisante un jeune Noir venu lui proposer de laver les vitres, s’informe dans Le Parisien de l’heure et de l’endroit des obsèques de Mireille Darc auxquelles il songe à aller vendredi. Il fait trop chaud dans sa brasserie malgré la porte du fond ouverte sur une cour.
Quand j’en sors, la petite averse a cessé, ce qui me permet d’aller lire dans le port de l’Arsenal assis sur le muret face à L’air du temps, une péniche de mil neuf cent trois. L’Amour mendiant (Notes sur le désir) de Richard Millet est un livre décevant. On y trouve des niaiseries comme celle-ci : Désirer, c’est chercher à authentifier l’image de soi sur laquelle l’amour a déposé sa buée. Sur le même thème, mieux vaut relire La Mécanique des femmes de Louis Calaferte.
C’est encore la pagaille à Saint-Lazare au moment du retour à Rouen. Le dix-sept heures cinquante est subitement annoncé avec trente minutes de retard. Le dix-sept heures vingt-trois n’est pas encore parti bien qu’il soit la demie. J’en trouve le chef de bord qui m’autorise à le prendre bien que mon billet me l’interdise. Je gagne au change, il est confortable et climatisé. Je partage un compartiment avec une femme qui lit Pandemia de Franck Thilliez, un vieux qui lit Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson et un homme à la peau noire qui ne lit rien mais indique au téléphone qu’il a changé de destination et rappellera à l’arrivée. Je finis mon Millet. Il pleut fort sur la banlieue parisienne et jusqu’à Vernon.
A Rouen, je n’ai pas besoin d’ouvrir le parapluie, l’averse est passée. L’homme à la peau noire est encombré d’une valise que l’on traîne avec un cordon derrière soi et qui tombe à chaque changement de direction.
                                                                  *
Qu’il y ait encore des écrivains à avoir peur des mots, Richard Millet le montre avec ses trois petits points dans son Amour mendiant :
« Tu sais, me prévient-elle, je suis clitoridienne ; je n’aime pas embrasser sur la bouche, ni qu’on me morde dans le cou ; j’adore en revanche qu’on me… »
Je lui donne néanmoins un bon point, et même deux. Il évoque La Négresse blonde et sait qu’à la suite d’« après que », on n’emploie pas le subjonctif, et cela dans la même phrase :
Nulle n’incarne mieux à mes yeux le titre de Georges Fourest, La Négresse blonde, que cette jeune métisse aux cheveux défrisés et décolorés, d’un blond évoquant l’or terni, que je vois monter dans le bus depuis quelques mois, à l’aube, après qu’elle a quitté dans une voiture allemande son amant de la nuit…
 

31 août 2017


Ce mardi vers dix-huit heures trente un homme qui m’a tout l’air d’un travailleur arpente le jardin, prends des notes sur un cahier, déplace les poubelles et n’hésite pas à se coller à la vitre pour regarder à l’intérieur de mon appartement. Je sors lui demander ce qu’il fait là.
-Je travaille pour l’entreprise Avenel. Nous sommes sous-traitant de Orange et mandatés par le syndic pour installer la fibre.
Pensant qu’il n’en est qu’à faire des relevés, je ne lui pose pas d’autres questions, mais un peu plus tard je le vois manipuler un rouleau de fil jaune. Il soulève même en jurant une lourde plaque dans la ruelle. L’installation semble en train.
Evidemment, je n’ai reçu aucune information préalable sur cette nouveauté, ni du syndic, ni de sa représentante dans la copropriété, ni de l’agence qui gère ma location.
Mon fournisseur d’accès à Internet étant la maison Orange, je sens venir le jour où l’on voudra me faire passer à cette fibre dont je n’ai nul besoin, cela avec augmentation de cinq euros de l’abonnement mensuel et tous les ennuis qu’apportent des travaux dans un appartement.
« Peut-on refuser la fibre ? «  tapé-je illico dans la barre Gougueule. Le forum des utilisateurs d’Orange ne m’apporte pas de réponse claire. Quiconque emménage dans un appartement fibré est obligé de l’accepter, apprends-je, mais les autres ?
Quand Orange m’avait obligé à remplacer ma boxe par une autre prétendument plus performante, une bonne fée était venue à mon secours. Désormais, elle vit à l’autre bout de la France.
                                                        *
Au Sacre, un sexagénaire buvant une bière avec une quinquagénaire connue via un site de rencontre :
-Non mais, même si tu fais des kilos de plus, tu es quand même bien.
Un peu plus tard :
-Mon beauf, d’emblée je l’ai pas aimé, mais quand j’ai vu que c’était un prof de droite, ça a été mieux.
Revenant à elle :
-Intérieurement, je te connais pas encore assez.
                                                       *
Au Son du Cor, une fille à sa copine :
-En fait, j’ai été conne parce que tu sais la soirée où on est allé en boîte, Hugo, il avait essayé de me pécho. J’aurais dû dire oui direct, et pas essayer d’abord avec Jérémy.
                                                       *
Bicyclistes à Rouen, déboulant à fond les rues pentues de la Jeanne ou de la Rép,  bien décidés à ne pas s’arrêter pour laisser les piétons traverser aux passages protégés. Lorsqu’il s’agit de moi, je leur offre la frayeur de leur vie. Ça s’appelle la pédagogie.
 

30 août 2017


Impossible cette année de prendre le car siglé Département de l’Eure à six heures trente pour me rendre à Evreux où se tient l’évènement nommé Les Bouquinistes de l’Iton, l’équivalent du Quai aux Livres rouennais, il est supprimé. Le premier permettant d’aller dans la capitale de l’Eure le dimanche est à dix heures, c’est-à-dire trop tard. De plus, ce car affrété par le Conseil Départemental (de Droite) ne dessert plus le centre de la ville où coule l’Iton. Il va directement à la gare d’où il faut ensuite descendre en bus ou à pied. C’est ainsi que ces politiciens favorisent les transports en commun.
Je me rabats sur le vide grenier organisé par les commerçants du quartier Grand Pont Savonnerie où je vais pédestrement dès sept heures sonnées. Le quartier est animé par le claque-son d’une voiture de fêtards coincée par l’embouteillage créé par des vendeurs pas encore installés. Parmi ces derniers, certains sont venus sans avoir réservé une place.
-C’est plein, il faut repartir chez vous ou aller ailleurs, leur explique l’un des organisateurs qui se fait insulter par un énervé.
Le calme revenu, je me demande ce que je vais bien pouvoir trouver. La bonne surprise vient vite : Le Grand Duduche, l’intégrale de ce cher Cabu aux Editions Vent d’Ouest, un pavé pesant trois kilos quatre (six cent quarante pages dont plus de deux cents inédites) et coûtant quarante-neuf euros.
Son vendeur me le propose à cinq. Je saute sur l’occasion (comme on dit), trop content de retrouver dans sa totalité cette bédé que je lisais en feuilleton dans Pilote quand j’étais collégien. La Bibliothèque Municipale de Louviers y était abonnée et j’étais amoureux des deux filles de sa directrice qui ne se seraient jamais abaissées à jeter un regard sur moi.
C’est l’occasion d’avoir une pensée pour Cabu et pour Charlie Hebdo dont la couverture de la semaine, « Islam, religion de paix… éternelle » légendant un dessin de corps écrasés par une camionnette, a suscité les cris d’indignation des naïfs et des bien-pensants, à qui Coco, survivante de l’attentat dans lequel Cabu fut tué, a répondu « J’ai entendu « Allah akbar » et « On a vengé le Prophète », pas « Elles sont fraîches, mes moules ! ».
                                                              *
Un peu plus tard, je passe au marché du Clos Saint-Marc où une vendeuse interpelle l’un de ses collègues :
-J’ai vu ta femme hier, elle m’a dit que tu n’allais plus à la braderie de Lille ?
-Non c’est fini tout ça. On peut plus garder son camion. Avant on restait quatre jours. On dormait sur place dans le camion. Maintenant le camion, faut aller le garer je ne sais où. Encore heureux si tu le retrouves.
                                                             *
Dimanche soir, le regard consterné d’un couple d’anciens habitants de la copropriété sur le jardin qu’ils ont connu comme moi au temps de sa splendeur quand une entreprise spécialisée s’en occupait et dont ils découvrent l’état actuel : pelouse non tondue, herbes envahissant les plantations survivantes, haie hors de contrôle, jardinières privées où plus rien n’est planté, pots de fleurs privés dépareillés disposés un peu partout dans lesquels végètent des plantes hétéroclites.
                                                             *
Le beau temps étant assuré, je décide d’aller passer ce lundi à Sainte-Marguerite-sur-Mer. Pour ce faire, je vais à la gare afin de prendre le train de neuf heures douze pour Dieppe. Oui mais celui-ci a vingt minutes de retard, le car à prendre à l’arrivée sera parti depuis dix minutes et il n’y en a pas d’autre avant l’après-midi. C’est mort.
                                                             *
Ere Macron : il y a la Première Dame et il y a le Premier Opposant. Le second n’a pas encore de statut. Ça va venir.
 

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