Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
9 juin 2015
Le beau temps aidant, je persiste à me lever très tôt afin de me rendre dans les vide greniers de l’Eure et de la Seine-Maritime.
Samedi, je suis à Val-de-Reuil où le vaste déballage est opérationnel dès six heures trente puis à Saint-Etienne-du-Rouvray où rien n’est prêt à sept heures trente. Leur point commun, c’est que je n’y trouve rien. A mon retour à Rouen, je dérange un couple enivré se tripotant sur le seuil de ma porte.
Dimanche, je suis à Léry où j’achète quelques livres que je revendrai pour me dédommager de mes frais d’essence du ouiquennede. Le prochain me consolera puisqu’il sera parisien, l’un des meilleurs de l’année question vide greniers.
*
Le Métropole, la brasserie de Rouen où le café en terrasse est à un euro soixante-dix, peut-être en l’honneur de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui ont droit à une plaque rappelant qu’ils se donnaient rendez-vous ici. Les toilettes doivent être les mêmes, le robinet du minuscule lavabo encastré dans le mur a lavé des mains plus illustres que les miennes.
*
Au Son du Cor, le café en terrasse est à un euro quarante et lorsque j’oublie le carnet et le stylo me servant à prendre des notes pendant ma réjouissante lecture du Journal d’Andy Warhol, on m’en offre du plus beau jaune siglés Ricard, Andy les aurait adorés.
*
Mediapart publie une enquête décrivant les ressorts de la Fabiusie, ce territoire recoupant la métropole de Rouen et l’excroissance de Val-de-Reuil. On y explique comment, dans le système mis en place par Laurent le Fabuleux, les élus sont les employés d’eux-mêmes.
Cet exercice de journalisme est une humiliation pour la presse locale.
Samedi, je suis à Val-de-Reuil où le vaste déballage est opérationnel dès six heures trente puis à Saint-Etienne-du-Rouvray où rien n’est prêt à sept heures trente. Leur point commun, c’est que je n’y trouve rien. A mon retour à Rouen, je dérange un couple enivré se tripotant sur le seuil de ma porte.
Dimanche, je suis à Léry où j’achète quelques livres que je revendrai pour me dédommager de mes frais d’essence du ouiquennede. Le prochain me consolera puisqu’il sera parisien, l’un des meilleurs de l’année question vide greniers.
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Le Métropole, la brasserie de Rouen où le café en terrasse est à un euro soixante-dix, peut-être en l’honneur de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui ont droit à une plaque rappelant qu’ils se donnaient rendez-vous ici. Les toilettes doivent être les mêmes, le robinet du minuscule lavabo encastré dans le mur a lavé des mains plus illustres que les miennes.
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Au Son du Cor, le café en terrasse est à un euro quarante et lorsque j’oublie le carnet et le stylo me servant à prendre des notes pendant ma réjouissante lecture du Journal d’Andy Warhol, on m’en offre du plus beau jaune siglés Ricard, Andy les aurait adorés.
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Mediapart publie une enquête décrivant les ressorts de la Fabiusie, ce territoire recoupant la métropole de Rouen et l’excroissance de Val-de-Reuil. On y explique comment, dans le système mis en place par Laurent le Fabuleux, les élus sont les employés d’eux-mêmes.
Cet exercice de journalisme est une humiliation pour la presse locale.
8 juin 2015
Pour mon dernier concert de l’année à l’Opéra de Rouen, ce jeudi soir, je suis au premier balcon d’où j’ai vue plongeante sur le plateau où l’on attend beaucoup de monde à en juger par le nombre de pupitres.
Sous la baguette de Leo Hussain cela débute par Passacaille et fugue en do mineur de Leopold Stokowski d’après Johann Sebastian Bach, une réécriture qui me laisse froid, puis Jane Peters est le violon solo du Concerto « A la mémoire d’un ange » écrit par Alban Berg après le décès à dix-huit ans de Manon Gropius, fille d’Alma Mahler, pendant lequel, plus qu’au violon, je porte attention à l’usage de l’énorme sourdine dans le jeu du tuba.
Après l’entracte, c’est la Symphonie numéro quatre en mi mineur de Johannes Brahms, qui me confirme que j’aime peu Brahms.
Ces grosses machines orchestrales à nombreux cuivres, il y a toujours un moment où cela me fait penser à la fanfare.
*
Quatre-vingt-dix euros d’amende, un point de permis en moins, c'est ce qu’il m’en coûte d’avoir été au vernissage de l’exposition Jacques Villéglé, affiche et alphabet au Musée de Louviers le vingt-deux mai dernier, cela pour être entrer à Igoville à cinquante et un kilomètres heure (en fait, j’étais à soixante et un mais la Police offre dix kilomètres heure de rabais),
C’est payer cher ce petit kilomètre en trop (pour le même prix, j’aurais pu rouler jusqu’à soixante-neuf kilomètres heures, soixante-dix-neuf avec le rabais).
Sous la baguette de Leo Hussain cela débute par Passacaille et fugue en do mineur de Leopold Stokowski d’après Johann Sebastian Bach, une réécriture qui me laisse froid, puis Jane Peters est le violon solo du Concerto « A la mémoire d’un ange » écrit par Alban Berg après le décès à dix-huit ans de Manon Gropius, fille d’Alma Mahler, pendant lequel, plus qu’au violon, je porte attention à l’usage de l’énorme sourdine dans le jeu du tuba.
Après l’entracte, c’est la Symphonie numéro quatre en mi mineur de Johannes Brahms, qui me confirme que j’aime peu Brahms.
Ces grosses machines orchestrales à nombreux cuivres, il y a toujours un moment où cela me fait penser à la fanfare.
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Quatre-vingt-dix euros d’amende, un point de permis en moins, c'est ce qu’il m’en coûte d’avoir été au vernissage de l’exposition Jacques Villéglé, affiche et alphabet au Musée de Louviers le vingt-deux mai dernier, cela pour être entrer à Igoville à cinquante et un kilomètres heure (en fait, j’étais à soixante et un mais la Police offre dix kilomètres heure de rabais),
C’est payer cher ce petit kilomètre en trop (pour le même prix, j’aurais pu rouler jusqu’à soixante-neuf kilomètres heures, soixante-dix-neuf avec le rabais).
6 juin 2015
Mercredi, arrivé tôt à Paris et attendu à onze heures trente chez celle qui me prêtera son appartement du dix au dix-sept juin, je vais à pied vers l’Opéra Garnier pour être chez Book Off à l’ouverture. La rue est barrée vers la Madeleine et les lieux de pouvoir qui se cachent derrière, la faute au Roi d’Espagne et à sa femme en visite officielle. Une affiche manuscrite indique que les magasins sont ouverts et qu’il faut demander le passage aux policiers.
Je prends un café à La Clef des Champs, rue des Petits-Champs, y lis Le Parisien où sur deux pages il est question de la Lozère. L’ancien Maire de Marvejols, accusé d’avoir endetté sa ville, s’est pendu.
A dix heures, j’entre chez Book Off et en sors une heure plus tard avec quelques livres, prends le métro jusqu’à la Mairie du Dix-Huitième, achète une baguette aux céréales et arrive chez elle un peu en avance, annoncé par la clochette d’un rémouleur ambulant comme je n’en avais pas vu depuis le vingtième siècle.
Nous déjeunons d’un pain de thon aux petits légumes accompagné de bon vin rouge et devisons de nos vies respectives. Elle me donne quelques consignes pour mon futur séjour puis le travail l’appelle. Je la regarde filer sur son beau vélo noir et reprends le métro à Simplon. Je sors à Château d’Eau, un carrefour où presque tous les présent(e)s ont la peau noire. Beaucoup de jeunes hommes semblent surveiller je ne sais quoi. Des jeunes femmes sont également immobile ici ou là. « Défense de racoler devant la vitrine », est-il écrit sur une boutique.
Je descends à pied cette rue du Château d’Eau qui à un moment devient blanche et bourgeoise. Au numéro quatorze, je cherche la galerie éphémère Nordic Contemporary qui m’a été conseillée depuis Stockholm, trouve une porte cochère rouge. Une petite étiquette invite à sonner. Je monte au premier. La galerie est installée temporairement dans un appartement où m’accueille une jeune femme blonde qui s’ennuie avec son ordinateur mais ne parle pas un mot de français. Elle me remet un document en anglais, met en marche une vidéo montrant de dandinantes fesses féminines cachées par des collants. Je fais le tour des trois grandes pièces au parquet qui grince, chacune munie d’une cheminée surmontée d’un grand miroir, le genre d’endroit où je n’aimerais pas vivre. Les deux œuvres de l’artiste suédois, inspirées des dessins érotiques de Rodin, m’intéressent peu et le reste de l’exposition dénommée Too much of a good thing pas du tout.
Je ressors un peu énervé dans la chaleur de l’après-midi, rejoins la place de la République et m’offre une manifestation de mauvaise humeur jusqu’à la Bastille. Je bois un café au Café du Faubourg en feuilletant Libération qui vient une nouvelle fois de changer de formule. Que des articles de fond, l’actualité est maintenant traitée via Internet. « De l’air », demande la une consacrée à la pollution. J’ai l’impression que c’est aussi la nouvelle typographie du journal, aux lettres trop hautes et trop serrées, qui appelle à l’aide.
Je passe un bon moment au Book Off d’à côté et y retrouve mon calme puis je regagne les parages de la gare Saint-Lazare, en métro, de crainte d’être bloqué dans un bus par la monarchie espagnole.
« Notre périple touche à sa fin », annonce le contrôleur à l’arrivée du train à Rouen.
*
Assis sur un banc du square Louvois, j’assiste à la restructuration du quadrilatère Richelieu et précisément, j’apprends comment on remplace une benne pleine de gravats par une benne vide :
J’arrive avec la benne vide sur le plateau du camion. Je soulève la benne pleine et la mets dans la benne vide. Je soulève les deux bennes et les pose au sol. Je recharge la benne pleine, laissant la vide au sol.
L’ouvrier est malin.
Je prends un café à La Clef des Champs, rue des Petits-Champs, y lis Le Parisien où sur deux pages il est question de la Lozère. L’ancien Maire de Marvejols, accusé d’avoir endetté sa ville, s’est pendu.
A dix heures, j’entre chez Book Off et en sors une heure plus tard avec quelques livres, prends le métro jusqu’à la Mairie du Dix-Huitième, achète une baguette aux céréales et arrive chez elle un peu en avance, annoncé par la clochette d’un rémouleur ambulant comme je n’en avais pas vu depuis le vingtième siècle.
Nous déjeunons d’un pain de thon aux petits légumes accompagné de bon vin rouge et devisons de nos vies respectives. Elle me donne quelques consignes pour mon futur séjour puis le travail l’appelle. Je la regarde filer sur son beau vélo noir et reprends le métro à Simplon. Je sors à Château d’Eau, un carrefour où presque tous les présent(e)s ont la peau noire. Beaucoup de jeunes hommes semblent surveiller je ne sais quoi. Des jeunes femmes sont également immobile ici ou là. « Défense de racoler devant la vitrine », est-il écrit sur une boutique.
Je descends à pied cette rue du Château d’Eau qui à un moment devient blanche et bourgeoise. Au numéro quatorze, je cherche la galerie éphémère Nordic Contemporary qui m’a été conseillée depuis Stockholm, trouve une porte cochère rouge. Une petite étiquette invite à sonner. Je monte au premier. La galerie est installée temporairement dans un appartement où m’accueille une jeune femme blonde qui s’ennuie avec son ordinateur mais ne parle pas un mot de français. Elle me remet un document en anglais, met en marche une vidéo montrant de dandinantes fesses féminines cachées par des collants. Je fais le tour des trois grandes pièces au parquet qui grince, chacune munie d’une cheminée surmontée d’un grand miroir, le genre d’endroit où je n’aimerais pas vivre. Les deux œuvres de l’artiste suédois, inspirées des dessins érotiques de Rodin, m’intéressent peu et le reste de l’exposition dénommée Too much of a good thing pas du tout.
Je ressors un peu énervé dans la chaleur de l’après-midi, rejoins la place de la République et m’offre une manifestation de mauvaise humeur jusqu’à la Bastille. Je bois un café au Café du Faubourg en feuilletant Libération qui vient une nouvelle fois de changer de formule. Que des articles de fond, l’actualité est maintenant traitée via Internet. « De l’air », demande la une consacrée à la pollution. J’ai l’impression que c’est aussi la nouvelle typographie du journal, aux lettres trop hautes et trop serrées, qui appelle à l’aide.
Je passe un bon moment au Book Off d’à côté et y retrouve mon calme puis je regagne les parages de la gare Saint-Lazare, en métro, de crainte d’être bloqué dans un bus par la monarchie espagnole.
« Notre périple touche à sa fin », annonce le contrôleur à l’arrivée du train à Rouen.
*
Assis sur un banc du square Louvois, j’assiste à la restructuration du quadrilatère Richelieu et précisément, j’apprends comment on remplace une benne pleine de gravats par une benne vide :
J’arrive avec la benne vide sur le plateau du camion. Je soulève la benne pleine et la mets dans la benne vide. Je soulève les deux bennes et les pose au sol. Je recharge la benne pleine, laissant la vide au sol.
L’ouvrier est malin.
5 juin 2015
Il entre dans le Guidoline Café comme en terrain conquis, son casque blanc autour du cou, dit bonjour à la responsable du bar comme s’il la connaissait, pose ses multiples sacs, enlève ses nombreux manteaux, se tourne vers moi qui suis occupé, ce mardi après-midi, à tapoter sur mon ordinateur des extraits des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre :
-Vous êtes philosophe ?
-Non.
-Universitaire alors ?
-Non plus.
Il passe dans l’atelier où l’on bichonne les vélos, se renseigne pour en acheter un destiné à sa fille. Celui qu’on lui propose est à réparer, quinze euros.
Il repasse dans le café, demande à laisser ses affaires, déclare qu’il va aller chanter pour gagner les quinze euros, revient cinq minutes plus tard.
-Vous voulez m’acheter un poème un euro ? demande-t-il à la responsable du bar qui décline.
-Et vous monsieur ?
-Non merci.
-Je m’en doutais.
Il va en proposer à cinquante centimes à l’atelier où l’on n’a pas envie de lâcher la clé à molette pour la poésie.
-Bah tant pis, ronchonne-t-il en revenant dans le café, ma petite fille, elle aura pas de vélo, c’est que des sans-cœur.
Il remet tous ses manteaux, récupère tous ses sacs :
-De toute façon, moi le vélo, je m’en branle, y a que les tapettes qui en font, des mecs avec des collants et des petites chaussures.
Il fait une photo, dit qu’il va aller consulter son avocat, puis sort par l’atelier :
-Au revoir, les tapettes.
-On dit les pédales, lui fait remarquer l’un des responsables du lieu.
*
J’ai tout de suite su à quoi m’en tenir avec cet hurluberlu pour l’avoir déjà vu à l’œuvre quatre jours plus tôt. Lors des concerts Rush du Cent Six, il a rendu nerveux certains vigiles.
Avant celui de Sourdure dans l’aître Saint-Maclou, j’étais prés du musicien électro-auvergnat lorsqu’il est apparu, casque blanc sur les oreilles, bouquet de fleurs blanches à la main, s’adressant à l’artiste en ces termes:
-On m’a dit qu’il fallait payer quatre mille euros à la Maison des Artistes et qu’après on était artiste, c’est vrai ?
-Je sais pas, lui a répondu le garçon à caquette jaune, moi je suis inscrit nulle part.
-Comment tu fais alors ?
-J’ai plusieurs activités.
L’hurluberlu a alors sorti son carnet et un stylo.
-Tu peux me donner ton adresse mail. Je donne des cours de méditation zen, c’est trois mille euros, mais pour toi ce sera gratuit.
-Vous êtes philosophe ?
-Non.
-Universitaire alors ?
-Non plus.
Il passe dans l’atelier où l’on bichonne les vélos, se renseigne pour en acheter un destiné à sa fille. Celui qu’on lui propose est à réparer, quinze euros.
Il repasse dans le café, demande à laisser ses affaires, déclare qu’il va aller chanter pour gagner les quinze euros, revient cinq minutes plus tard.
-Vous voulez m’acheter un poème un euro ? demande-t-il à la responsable du bar qui décline.
-Et vous monsieur ?
-Non merci.
-Je m’en doutais.
Il va en proposer à cinquante centimes à l’atelier où l’on n’a pas envie de lâcher la clé à molette pour la poésie.
-Bah tant pis, ronchonne-t-il en revenant dans le café, ma petite fille, elle aura pas de vélo, c’est que des sans-cœur.
Il remet tous ses manteaux, récupère tous ses sacs :
-De toute façon, moi le vélo, je m’en branle, y a que les tapettes qui en font, des mecs avec des collants et des petites chaussures.
Il fait une photo, dit qu’il va aller consulter son avocat, puis sort par l’atelier :
-Au revoir, les tapettes.
-On dit les pédales, lui fait remarquer l’un des responsables du lieu.
*
J’ai tout de suite su à quoi m’en tenir avec cet hurluberlu pour l’avoir déjà vu à l’œuvre quatre jours plus tôt. Lors des concerts Rush du Cent Six, il a rendu nerveux certains vigiles.
Avant celui de Sourdure dans l’aître Saint-Maclou, j’étais prés du musicien électro-auvergnat lorsqu’il est apparu, casque blanc sur les oreilles, bouquet de fleurs blanches à la main, s’adressant à l’artiste en ces termes:
-On m’a dit qu’il fallait payer quatre mille euros à la Maison des Artistes et qu’après on était artiste, c’est vrai ?
-Je sais pas, lui a répondu le garçon à caquette jaune, moi je suis inscrit nulle part.
-Comment tu fais alors ?
-J’ai plusieurs activités.
L’hurluberlu a alors sorti son carnet et un stylo.
-Tu peux me donner ton adresse mail. Je donne des cours de méditation zen, c’est trois mille euros, mais pour toi ce sera gratuit.
4 juin 2015
Assis au premier rang des chaises proches de la scène de l’Opéra de Rouen ce dimanche après-midi, je m’apprête à assister à l’un de ces concerts de musique de chambre comme on n’en verra plus ici pour cause de réouverture de la Chapelle du Lycée Corneille rebaptisée Chapelle Corneille Auditorium de Normandie après neuf millions d’euros de travaux.
Il en est question près de moi où d’autres abonnés échangent leurs informations sur la façon d’obtenir des places là-bas. Il n’y en aura pas pour tout le monde et sans doute pas beaucoup dans celles proposées à demi-tarif aux abonnés à l’année, dont je suis et eux aussi, car elles ne seront disponibles qu’après septembre quand s’enclenchera la nouvelle année d’abonnement. Eux ont donc choisi, par prudence, de prendre d’ores et déjà un abonnement supplémentaire de quatre spectacles.
En plus, dit l’un, il semble qu’il y aura là-bas beaucoup de places réservées aux Très Importantes Personnes. Pour ce qui est des spectacles proposés par l’Opéra, la gestion de cette Chapelle rénovée (dont la première pierre a été posée en mil six cent quinze par Marie de Médicis) a des relents d’Ancien Régime.
Je n’y mettrai pas l’oreille. C’est donc avec en tête la pensée que l’an prochain ce sera fini que j’écoute Souvenir de Florence pour sextuor à cordes de Piotr Ilitch Tchaïkovski et l’Octuor pour cordes de Felix Mendelssohn Bartholdy que jouent certain(e)s des musicien(ne)s de l’Orchestre, deux compositions allègres qui me réjouissent, puis je rentre sous une pluie battante.
*
De plus en plus de rediffusions sur France Culture surtout parmi les documentaires et les feuilletons, conséquence d’un manque de moyens qu’on essaie de cacher car désormais ces nouvelles diffusions ne sont plus signalées comme telles. J’écoute et au bout d’un moment, je me dis : « J’ai déjà entendu ça ! », ce qui me prouve que j’ai encore un peu de mémoire.
Il en est question près de moi où d’autres abonnés échangent leurs informations sur la façon d’obtenir des places là-bas. Il n’y en aura pas pour tout le monde et sans doute pas beaucoup dans celles proposées à demi-tarif aux abonnés à l’année, dont je suis et eux aussi, car elles ne seront disponibles qu’après septembre quand s’enclenchera la nouvelle année d’abonnement. Eux ont donc choisi, par prudence, de prendre d’ores et déjà un abonnement supplémentaire de quatre spectacles.
En plus, dit l’un, il semble qu’il y aura là-bas beaucoup de places réservées aux Très Importantes Personnes. Pour ce qui est des spectacles proposés par l’Opéra, la gestion de cette Chapelle rénovée (dont la première pierre a été posée en mil six cent quinze par Marie de Médicis) a des relents d’Ancien Régime.
Je n’y mettrai pas l’oreille. C’est donc avec en tête la pensée que l’an prochain ce sera fini que j’écoute Souvenir de Florence pour sextuor à cordes de Piotr Ilitch Tchaïkovski et l’Octuor pour cordes de Felix Mendelssohn Bartholdy que jouent certain(e)s des musicien(ne)s de l’Orchestre, deux compositions allègres qui me réjouissent, puis je rentre sous une pluie battante.
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De plus en plus de rediffusions sur France Culture surtout parmi les documentaires et les feuilletons, conséquence d’un manque de moyens qu’on essaie de cacher car désormais ces nouvelles diffusions ne sont plus signalées comme telles. J’écoute et au bout d’un moment, je me dis : « J’ai déjà entendu ça ! », ce qui me prouve que j’ai encore un peu de mémoire.
3 juin 2015
Mille neuf cent quarante-sept est l’année du premier voyage de Simone de Beauvoir aux Etats-Unis où elle est invitée à faire une tournée de conférences. A Chicago, elle croise l’écrivain Nelson Algren, Il devient son amant américain, pour qui elle fera d’autres séjours en Amérique et qui viendra la retrouver en France. Un jour, Algren choisira de retourner avec sa femme.
Ce premier séjour en Amérique donne lieu à des épisodes réjouissants dont profite Jean-Paul Sartre par correspondance :
En la quittant, dîner chez Lévi-Strauss. Vous le connaissez. Mais quelle belle vue de sa fenêtre sur New York illuminé ! et la femme quoique terriblement enceinte est un peu gentille, un peu vivante. (jeudi trente janvier mil neuf cent quarante-sept)
… on est venu me chercher pour me donner en pâture aux vieilles femmes de l’Institut français, j’ai vu là un type sinistre qui s’appelle Bidard et que Camus avec son esprit habituel avait surnommé Bidasse et qui s’est plaint à moi que vous ayez été grossièrement incorrect avec lui. (vendredi trente et un janvier mil neuf cent quarante-sept)
… et une petite gouine très mignonne qui fait des réclames pour Vogue et qui m’est tombée presque sur la bouche, sur la joue en tout cas. (lundi soir trois février mil neuf cent quarante-sept)
Je viens de finir ma conférence devant un parterre de jeunes filles à rendre Camus fou… (vendredi sept février mil neuf cent quarante-sept)
Après ça j’ai été dîner chez la petite Mary Guggenheim qui m’avait invitée avec une fille du Harper Bazaar beaucoup plus gentille qu’elle. Elle est très antipathique, une vieille fille pourrie de complexes. (mardi onze février mil neuf cent quarante-sept)
Ah ! faites circuler qu’il n’y a jamais eu en Amérique de livre appelé J’irai cracher sur vos tombes, ni d’auteur nommé Sullivan. C’est Vian qui a tout fait tout seul. (lundi matin dix-sept février mil neuf cent quarante-sept)
Quand je me suis retrouvée dans la Main Street pour regagner mon hôtel j’ai pensé avec force qu’il valait mieux mourir tout de suite que de passer un an à Buffalo. (vingt-trois février mil neuf cent quarante-sept)
Puis j’ai téléphoné à un nommé Nelson Algren, ami de Wright et bien-aimé de la triste Mary Guggenheim. Il a répondu que j’avais fait un faux numéro, parce que je prononçais mal son nom… (vendredi vingt-huit mil neuf cent quarante-sept)
Il a tout de suite compris où il devait m’emmener : d’abord sur la Bowery de Chicago, à un dancing genre Sammy’s mais plus crapuleux encore et moins commercial, à une petite boîte où des femmes se mettaient nues et dansaient obscènement sous des regards parfaitement indifférents, dans une boite nègre et dans un petit bar polonais. (même date)
Nous nous entendons merveilleusement bien, je m’amuse beaucoup avec lui et lui avec moi. Nous avons été dans une boîte de tapettes déguisées en femmes, et dans une boîte hongroise très gentille. (dimanche neuf mars mil neuf cent quarante-sept)
Nous nous sommes promenées dans la ville noire et les femmes crachaient sur notre passage et les enfants criaient : « Les ennemis ! les ennemis ! » Il y avait partout un poids de haine qui serrait le cœur. (lundi trente mars mil neuf cent quarante-sept à La Nouvelle-Orléans)
… il y avait aussi Cartier-Bresson, sa femme hindoue, sa sœur prêtresse, tout ce monde assommant –elle reçoit Wright, mais plutôt avec des Hindous qu’avec des Américains. (mercredi seize avril mil neuf cent quarante-sept, Richard Wright est l’écrivain noir)
Je dors 4h. par nuit et je ne mange pas et je bois comme un trou. Je vais quand même essayer de vous faire un journal tout sec puisque je sais que ça s’anime pour vous. (jeudi huit mai mil neuf cent quarante-sept)
Le soir, Bernie Wolfe m’a emmenée fumer de la marijuana chez un merveilleux danseur noir en compagnie de pédérastes et de lesbiennes –ils étaient tous « hight » comme ils disent et on m’a dit qu’avec une cigarette je le serais aussi ; j’en ai fumé six en avalant la fumée sans arriver à rien –de fureur j’ai bu plus d’une demi-bouteille de whisky ce qui ne m’a pas saoulée mais j’étais quand même égayée. Je dois dire qu’ils en avaient les yeux ronds. (même date)
Simone fera un livre de sa découverte des Etats-Unis : L’Amérique au jour le jour, très ennuyeux.
Ce premier séjour en Amérique donne lieu à des épisodes réjouissants dont profite Jean-Paul Sartre par correspondance :
En la quittant, dîner chez Lévi-Strauss. Vous le connaissez. Mais quelle belle vue de sa fenêtre sur New York illuminé ! et la femme quoique terriblement enceinte est un peu gentille, un peu vivante. (jeudi trente janvier mil neuf cent quarante-sept)
… on est venu me chercher pour me donner en pâture aux vieilles femmes de l’Institut français, j’ai vu là un type sinistre qui s’appelle Bidard et que Camus avec son esprit habituel avait surnommé Bidasse et qui s’est plaint à moi que vous ayez été grossièrement incorrect avec lui. (vendredi trente et un janvier mil neuf cent quarante-sept)
… et une petite gouine très mignonne qui fait des réclames pour Vogue et qui m’est tombée presque sur la bouche, sur la joue en tout cas. (lundi soir trois février mil neuf cent quarante-sept)
Je viens de finir ma conférence devant un parterre de jeunes filles à rendre Camus fou… (vendredi sept février mil neuf cent quarante-sept)
Après ça j’ai été dîner chez la petite Mary Guggenheim qui m’avait invitée avec une fille du Harper Bazaar beaucoup plus gentille qu’elle. Elle est très antipathique, une vieille fille pourrie de complexes. (mardi onze février mil neuf cent quarante-sept)
Ah ! faites circuler qu’il n’y a jamais eu en Amérique de livre appelé J’irai cracher sur vos tombes, ni d’auteur nommé Sullivan. C’est Vian qui a tout fait tout seul. (lundi matin dix-sept février mil neuf cent quarante-sept)
Quand je me suis retrouvée dans la Main Street pour regagner mon hôtel j’ai pensé avec force qu’il valait mieux mourir tout de suite que de passer un an à Buffalo. (vingt-trois février mil neuf cent quarante-sept)
Puis j’ai téléphoné à un nommé Nelson Algren, ami de Wright et bien-aimé de la triste Mary Guggenheim. Il a répondu que j’avais fait un faux numéro, parce que je prononçais mal son nom… (vendredi vingt-huit mil neuf cent quarante-sept)
Il a tout de suite compris où il devait m’emmener : d’abord sur la Bowery de Chicago, à un dancing genre Sammy’s mais plus crapuleux encore et moins commercial, à une petite boîte où des femmes se mettaient nues et dansaient obscènement sous des regards parfaitement indifférents, dans une boite nègre et dans un petit bar polonais. (même date)
Nous nous entendons merveilleusement bien, je m’amuse beaucoup avec lui et lui avec moi. Nous avons été dans une boîte de tapettes déguisées en femmes, et dans une boîte hongroise très gentille. (dimanche neuf mars mil neuf cent quarante-sept)
Nous nous sommes promenées dans la ville noire et les femmes crachaient sur notre passage et les enfants criaient : « Les ennemis ! les ennemis ! » Il y avait partout un poids de haine qui serrait le cœur. (lundi trente mars mil neuf cent quarante-sept à La Nouvelle-Orléans)
… il y avait aussi Cartier-Bresson, sa femme hindoue, sa sœur prêtresse, tout ce monde assommant –elle reçoit Wright, mais plutôt avec des Hindous qu’avec des Américains. (mercredi seize avril mil neuf cent quarante-sept, Richard Wright est l’écrivain noir)
Je dors 4h. par nuit et je ne mange pas et je bois comme un trou. Je vais quand même essayer de vous faire un journal tout sec puisque je sais que ça s’anime pour vous. (jeudi huit mai mil neuf cent quarante-sept)
Le soir, Bernie Wolfe m’a emmenée fumer de la marijuana chez un merveilleux danseur noir en compagnie de pédérastes et de lesbiennes –ils étaient tous « hight » comme ils disent et on m’a dit qu’avec une cigarette je le serais aussi ; j’en ai fumé six en avalant la fumée sans arriver à rien –de fureur j’ai bu plus d’une demi-bouteille de whisky ce qui ne m’a pas saoulée mais j’étais quand même égayée. Je dois dire qu’ils en avaient les yeux ronds. (même date)
Simone fera un livre de sa découverte des Etats-Unis : L’Amérique au jour le jour, très ennuyeux.
2 juin 2015
Levé tôt, dimanche matin, je suis dans la salle de bain quand j’entends sous mes pieds le bruit caractéristique de la porte d’entrée brusquée d’un coup de poing. « Encore ce voisin qui n’a pas le courage de se servir de sa clé. », me dis-je.
Quelques minutes plus tard, alors que je suis descendu au rez-de-chaussée, la clenche de ma porte donnant sur le jardin est manœuvrée. Celui qui a tenté d’entrer n’insiste pas. Je l’entends ouvrir la porte donnant sur la ruelle, me précipite à l’étage, ouvre discrètement la fenêtre et vois sortir un jeune homme brun vêtu d’un souite à capuche rayé bleu et blanc. Il a en main l’impressionnante cisaille à haie appartenant à la copropriété, un outil capable de couper une tête. Il hésite, l’accroche à la grille métallique de la fenêtre d’en face et s’éloigne vers la rue Saint-Nicolas. Quand il a tourné le coin, je sors récupérer l’objet. Soulevant le rideau de ma porte, je constate que le rôdeur a sorti le vélo de la voisine des parties communes et l’a abandonné dans le jardin.
Je ne juge pas utile d’appeler la Police et prends le chemin de l’île Lacroix où c’est vide grenier. J’en fais le tour sans y voir beaucoup de livres. L’un pourrait me tenter mais le dialogue avec son vendeur tourne court :
-C’est combien vos livres ?
-Ça dépend.
Il m’en montre un et me dit qu’il est à deux euros. Je lui montre celui qui a retenu mon attention. Il m’en demande cinq.
-Vieille technique, lui dis-je, on donne un prix bas pour tenter le chaland puis on demande plus cher pour le livre qui semble l’intéresser.
Il me dit que si je ne suis pas content je peux aller voir ailleurs. Ce que je fais jusqu’à ce que, contre toute attente, il se mette à pleuvoir. Les commerçants amateurs, dépités, couvrent leur marchandise. A part une fois, il a toujours plu le jour de la foire à tout de l’île Lacroix, constate une vendeuse qui a de l’expérience.
Revenu à la maison sous le parapluie, je mets le Journal d’Andy Warhol dans mon sac et vais en lire quelques pages au café Le Clos-Saint-Marc.
Au retour, j’aperçois la voisine dans le jardin. Je vais lui rendre la cisaille à haie, lui narrant ce à quoi j’ai assisté.
-Ce n’est pas tout, me dit-elle, il a aussi uriné et déféqué au bas de l’escalier devant mon entrée, je vais devoir nettoyer.
Je lui souhaite un bon dimanche.
*
Au café Le Clos-Saint-Marc :
-C’est la Fête des Mères aujourd’hui, t’as acheté quoi à ta femme ?
-A ma femme ? A ma mère, tu veux dire?
-Bah non, ta femme, c’est la mère de tes enfants, non ?
Quelques minutes plus tard, alors que je suis descendu au rez-de-chaussée, la clenche de ma porte donnant sur le jardin est manœuvrée. Celui qui a tenté d’entrer n’insiste pas. Je l’entends ouvrir la porte donnant sur la ruelle, me précipite à l’étage, ouvre discrètement la fenêtre et vois sortir un jeune homme brun vêtu d’un souite à capuche rayé bleu et blanc. Il a en main l’impressionnante cisaille à haie appartenant à la copropriété, un outil capable de couper une tête. Il hésite, l’accroche à la grille métallique de la fenêtre d’en face et s’éloigne vers la rue Saint-Nicolas. Quand il a tourné le coin, je sors récupérer l’objet. Soulevant le rideau de ma porte, je constate que le rôdeur a sorti le vélo de la voisine des parties communes et l’a abandonné dans le jardin.
Je ne juge pas utile d’appeler la Police et prends le chemin de l’île Lacroix où c’est vide grenier. J’en fais le tour sans y voir beaucoup de livres. L’un pourrait me tenter mais le dialogue avec son vendeur tourne court :
-C’est combien vos livres ?
-Ça dépend.
Il m’en montre un et me dit qu’il est à deux euros. Je lui montre celui qui a retenu mon attention. Il m’en demande cinq.
-Vieille technique, lui dis-je, on donne un prix bas pour tenter le chaland puis on demande plus cher pour le livre qui semble l’intéresser.
Il me dit que si je ne suis pas content je peux aller voir ailleurs. Ce que je fais jusqu’à ce que, contre toute attente, il se mette à pleuvoir. Les commerçants amateurs, dépités, couvrent leur marchandise. A part une fois, il a toujours plu le jour de la foire à tout de l’île Lacroix, constate une vendeuse qui a de l’expérience.
Revenu à la maison sous le parapluie, je mets le Journal d’Andy Warhol dans mon sac et vais en lire quelques pages au café Le Clos-Saint-Marc.
Au retour, j’aperçois la voisine dans le jardin. Je vais lui rendre la cisaille à haie, lui narrant ce à quoi j’ai assisté.
-Ce n’est pas tout, me dit-elle, il a aussi uriné et déféqué au bas de l’escalier devant mon entrée, je vais devoir nettoyer.
Je lui souhaite un bon dimanche.
*
Au café Le Clos-Saint-Marc :
-C’est la Fête des Mères aujourd’hui, t’as acheté quoi à ta femme ?
-A ma femme ? A ma mère, tu veux dire?
-Bah non, ta femme, c’est la mère de tes enfants, non ?
1er juin 2015
Il y a urgence à sortir ce samedi. Sous l’intitulé Rush le Cent Six organise sa série annuelle de concerts gratuits dans le périmètre Martainville Damiette Eau-de-Robec avec pour thème général un hommage à Alan Lomax dont c’est le centenaire de naissance. Bien longtemps que je n’avais entendu ou lu le nom de l’ethnomusicologue, pas depuis les années soixante-dix où c’était pratique courante pour les musiciens à cheveux longs d’écumer les campagnes afin d’y récolter des rengaines rustiques venues du fond des âges. Il semble que cette pratique soit de nouveau à l’ordre de jour. Le principal invité des concerts, Dick Annegarn, est depuis plusieurs jours à Rouen chez Guidoline pour enregistrer par l’image et le son qui connaît des chansons traditionnelles. Pourtant, tout doit avoir été déjà récolté il y a quarante ans, sur des cassettes audio oubliées au fond des tiroirs.
Un autre baignant dans la musique d’autrefois, mais au goût du jour, c’est le nommé Sourdure, un jeune Auvergnat que j’ai entendu le premier mai sur France Culture dans Les Nouvelles Vagues de Marie Richeux. Il inaugure la série de concerts à seize heures dans le jardin de l’aître Saint-Maclou. C’est un garçon jeune et habillé comme tel, avec une casquette jaune. Il donne une série de bourrées et autres danses du Cantal et du Puy-de-Dôme, jouées au violon, chantées et tapées du pied avec l’appui de boîtiers emplis d’électronique et d’un ordinateur qui à un moment chute sans dommage. En bruit de fond, on peut goûter les coups de marteaux d’une marmaille invitée à fabriquer avec du bois et des boîtes de conserve ses propres instruments de musique sommaire(s).
Le concert de dix-sept heures sur le terrain de boules du Son du Cor est tout autre. Dès le premier morceau certain(e)s se remplissent les oreilles avec des bouchons. King Biscuit Fat Legs est un duo rouennais de musique forte avec un bon batteur et un bon guitariste qui chante parfois dans un micro lui donnant une voix d’autrefois. De la musique pour hocheurs de tête mais j’en vois peu qui se la secouent. Un père mène la poussette de son enfant à proximité de la scène au risque d’en faire un sourd dur. Je quitte assez vite, passant par chez moi boire une menthe à l’eau.
Je retourne à l’aître pour le concert de dix-huit heures, celui de Powerdove, un trio composé d’une chanteuse habillée de blanc et de deux musiciens. Ils ont fait du plateau une sorte de campement. Elle chante des chansons dépressives. L’un joue du banjo à grimaces et l’autre des percussions à simagrées. J’ai soudain la révélation. Elle est l’infirmière des deux autres et à la fin de la prestation, elle les ramènera à l’institution.
A dix-neuf heures, je suis au bout de la rue Damiette où Grand Guru (que je n’ai encore jamais réussi à voir et ouïr) et Ellah A Thaun sous le nom de The Wedding Party lâchent la bride à leur énergie avec en ouverture une belle reprise de Jackson. Pendant que se répand sur la foule leur musique énervée, je vois venir à moi un couple et une jeune fille. Il s’avère que celle-ci est une de mes anciennes élèves mais elle ne veut ou ne peux me reconnaître. Je quitte The Wedding Party avant la fin de la cérémonie car je veux avoir une place correcte au concert de Dick Annegarn.
Le grand Dick est sur scène avant vingt heures, assis sur une chaise, l’air pas commode dans sa parka rouge. Il se livre à quelques réglages de guitare, sourit tout à coup quand ça merdouille :
-Je suis comme les caissières, déclare-t-il, j’aime bien quand y a un problème.
Je me case près de la console et de la caméra du Cent Six sur laquelle veille une sorte de Darroussin avec du papier froissé dans les oreilles. Un spectateur à cheveux blancs sort de son sac deux des vinyles de l’époque de la jeunesse et de la gloire de Dick Annegarn, les lui montre de loin n’osant s’approcher. Le chanteur n’a pas l’intention de les voir. Il ôte sa parka, descend de scène tandis qu’arrive la masse des spectateurs. Les petits se plaignent de ne rien voir quand il revient et s’assoit pour chanter. Des chansons en anglais, annonce-t-il, des standards du folk américain dont il fait pour chaque l’historique un peu longuet. Je ne sais pourquoi en vieillissant les chanteurs deviennent bavards. J’ai des souvenirs de ce genre avec Alan Stivell et William Sheller. Il n’est pas le seul à parler. Mes voisins, un couple de trentenaires, sont rejoints par une troisième.
-Alors quoi de neuf ? lui demande l’homme.
-On s’en fout de ce qui est neuf, lui dis-je, on est là pour écouter, pas pour raconter les petites histoires de sa vie quotidienne.
Je me fais trois amis d’un coup et suis tranquille pour la suite du concert, bien que gêné par les nuisances sonores en provenance du P’tit Bar où l’on se biture avec constance et de la Walsheim où l’on mange en terrasse un menu Jeanne d’Arc dont c’est la fête ce ouiquennede (le dessert est sans doute une crème brûlée).
Vers la fin, Dick Annegarn se lève et passe au français pour Bébé éléphant et deux compositions récentes puis il tente de faire chanter à tout le monde une chanson de ramasseurs de coton :
-Ce serait quand même un beau progrès si vous arriviez à chanter comme des Noirs du dix-septième siècle.
Un peu après vingt et une heures, je suis de retour devant le Son du Cor pour Mr Airplane Man, un duo de filles américaines. Je ne peux voir que la tête d’une qui chante, tellement il y a de monde, dont beaucoup de buveurs de bière qui parlent entre eux et applaudissent mécaniquement à la fin de chaque morceau. N’aimant pas cette ambiance, ni spécialement la musique jouée, déjà entendue mille fois, je décide d’en rester là en rentrant, renonçant aux concerts suivants de Duck Duck Grey Duck et Pokey Lafarge.
Un autre baignant dans la musique d’autrefois, mais au goût du jour, c’est le nommé Sourdure, un jeune Auvergnat que j’ai entendu le premier mai sur France Culture dans Les Nouvelles Vagues de Marie Richeux. Il inaugure la série de concerts à seize heures dans le jardin de l’aître Saint-Maclou. C’est un garçon jeune et habillé comme tel, avec une casquette jaune. Il donne une série de bourrées et autres danses du Cantal et du Puy-de-Dôme, jouées au violon, chantées et tapées du pied avec l’appui de boîtiers emplis d’électronique et d’un ordinateur qui à un moment chute sans dommage. En bruit de fond, on peut goûter les coups de marteaux d’une marmaille invitée à fabriquer avec du bois et des boîtes de conserve ses propres instruments de musique sommaire(s).
Le concert de dix-sept heures sur le terrain de boules du Son du Cor est tout autre. Dès le premier morceau certain(e)s se remplissent les oreilles avec des bouchons. King Biscuit Fat Legs est un duo rouennais de musique forte avec un bon batteur et un bon guitariste qui chante parfois dans un micro lui donnant une voix d’autrefois. De la musique pour hocheurs de tête mais j’en vois peu qui se la secouent. Un père mène la poussette de son enfant à proximité de la scène au risque d’en faire un sourd dur. Je quitte assez vite, passant par chez moi boire une menthe à l’eau.
Je retourne à l’aître pour le concert de dix-huit heures, celui de Powerdove, un trio composé d’une chanteuse habillée de blanc et de deux musiciens. Ils ont fait du plateau une sorte de campement. Elle chante des chansons dépressives. L’un joue du banjo à grimaces et l’autre des percussions à simagrées. J’ai soudain la révélation. Elle est l’infirmière des deux autres et à la fin de la prestation, elle les ramènera à l’institution.
A dix-neuf heures, je suis au bout de la rue Damiette où Grand Guru (que je n’ai encore jamais réussi à voir et ouïr) et Ellah A Thaun sous le nom de The Wedding Party lâchent la bride à leur énergie avec en ouverture une belle reprise de Jackson. Pendant que se répand sur la foule leur musique énervée, je vois venir à moi un couple et une jeune fille. Il s’avère que celle-ci est une de mes anciennes élèves mais elle ne veut ou ne peux me reconnaître. Je quitte The Wedding Party avant la fin de la cérémonie car je veux avoir une place correcte au concert de Dick Annegarn.
Le grand Dick est sur scène avant vingt heures, assis sur une chaise, l’air pas commode dans sa parka rouge. Il se livre à quelques réglages de guitare, sourit tout à coup quand ça merdouille :
-Je suis comme les caissières, déclare-t-il, j’aime bien quand y a un problème.
Je me case près de la console et de la caméra du Cent Six sur laquelle veille une sorte de Darroussin avec du papier froissé dans les oreilles. Un spectateur à cheveux blancs sort de son sac deux des vinyles de l’époque de la jeunesse et de la gloire de Dick Annegarn, les lui montre de loin n’osant s’approcher. Le chanteur n’a pas l’intention de les voir. Il ôte sa parka, descend de scène tandis qu’arrive la masse des spectateurs. Les petits se plaignent de ne rien voir quand il revient et s’assoit pour chanter. Des chansons en anglais, annonce-t-il, des standards du folk américain dont il fait pour chaque l’historique un peu longuet. Je ne sais pourquoi en vieillissant les chanteurs deviennent bavards. J’ai des souvenirs de ce genre avec Alan Stivell et William Sheller. Il n’est pas le seul à parler. Mes voisins, un couple de trentenaires, sont rejoints par une troisième.
-Alors quoi de neuf ? lui demande l’homme.
-On s’en fout de ce qui est neuf, lui dis-je, on est là pour écouter, pas pour raconter les petites histoires de sa vie quotidienne.
Je me fais trois amis d’un coup et suis tranquille pour la suite du concert, bien que gêné par les nuisances sonores en provenance du P’tit Bar où l’on se biture avec constance et de la Walsheim où l’on mange en terrasse un menu Jeanne d’Arc dont c’est la fête ce ouiquennede (le dessert est sans doute une crème brûlée).
Vers la fin, Dick Annegarn se lève et passe au français pour Bébé éléphant et deux compositions récentes puis il tente de faire chanter à tout le monde une chanson de ramasseurs de coton :
-Ce serait quand même un beau progrès si vous arriviez à chanter comme des Noirs du dix-septième siècle.
Un peu après vingt et une heures, je suis de retour devant le Son du Cor pour Mr Airplane Man, un duo de filles américaines. Je ne peux voir que la tête d’une qui chante, tellement il y a de monde, dont beaucoup de buveurs de bière qui parlent entre eux et applaudissent mécaniquement à la fin de chaque morceau. N’aimant pas cette ambiance, ni spécialement la musique jouée, déjà entendue mille fois, je décide d’en rester là en rentrant, renonçant aux concerts suivants de Duck Duck Grey Duck et Pokey Lafarge.
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