Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
24 août 2016
A quatre heures et quart, je suis devant la gare de Fécamp en compagnie d’une quinzaine de personnes désireuses de prendre l’autocar pour Bréauté Beuzeville. Dix minutes plus tard, celui-ci qui devrait être là n’y est pas. La guichetière de la gare nous dit qu’il est en route. Bientôt, la correspondance avec le train Le Havre Rouen Paris devient problématique. La guichetière nous dit qu’il nous attendra. Nous ne pouvons que patienter impatiemment en plein soleil.
Ce n’est qu’à seize heure cinquante-cinq qu’arrive ce foutu autocar. Son jeune chauffeur n’explique pas son retard. Je le félicite pour sa ponctualité. Il me jette un regard noir.
A l’approche de la gare de Bréauté, nous voyons le train arrêté qui semble nous attendre et nous soupirons de soulagement. Nous passons sous le viaduc, faisons un détour obligé pour atteindre la rue devant la gare et là le train part sans nous.
Au guichet de la gare, l’employée de la Senecefe nous explique qu’elle n’a pu le faire attendre que deux minutes, au-delà cela aurait mis par terre toute la circulation des trains de la Haute-Normandie, puis elle nous annonce que le prochain train pour Rouen n’est qu’à dix-neuf heures onze et celui pour Paris à dix-neuf heures trente et une.
Nous sommes ravis et le lui faisons savoir. Le ton monte un peu mais l’aveugle à longue barbe et djellaba qui voyage avec son vieux papa nous dit que ce n’est pas bien de s’en prendre à elle qui a fait ce qu’elle a pu. Peut-être, mais elle a peu pu. Des trains circulent chaque jour avec plus de deux minutes de retard sans que cela pose problème aux autres.
Un car étant arrivé pour attendre des voyageurs venant de Paris, je vais voir son chauffeur et lui demande s’il sait pourquoi le précédent était autant en retard.
-C’est la faute du chauffeur, me répond-il, c’est un remplaçant, il ne sait pas lire son planning. Il est venu à Bréauté au lieu d’aller à Fécamp. Ce n’est pas la première fois qu’il fait ça.
Cet aimable chauffeur vérifie avec son téléphone qu’il n’y a pas de train avant dix-neuf heures onze.
-Ça va être long, me dit-il.
-Oui, et il n’y a même pas un distributeur de boissons dans cette gare.
-Si vous voulez, je peux vous remmener à Fécamp et puis après je vous ramène ici à l’heure du train.
Je le remercie mais n’accepte pas sa proposition. J’ai heureusement avec moi Helen Hessel, la femme qui aima Jules et Jim, biographie fort intéressante signée Marie-Françoise Péteuil, parue chez Grasset, dont je poursuis la lecture à l’ombre. Un Parisien jure qu’il ne remettra plus jamais les pieds à Fécamp. Une Lilloise se demande s’il y aura encore un train pour sa ville quand elle arrivera à Paris. L’aveugle et son vieux papa attendent stoïquement sous un abri surchauffé. Certain(e)s envisagent de faire une réclamation auprès de la Senecefe afin d’obtenir le remboursement du billet. Inutile, me dis-je, elle répondra qu’elle n’y est pour rien, l’erreur ayant été commise par le chauffeur d’un car privé (délégation temporaire de service public).
Le train de dix-neuf heures onze est à l’heure. C’est un tortillard qui s’arrête dans toutes les gares et met donc près d’une heure pour atteindre Rouen où nous arrivons à vingt heures dix.
Sur mon billet, l’arrivée à Rouen Rive Droite était annoncée à dix-sept heures cinquante-six.
Ce n’est qu’à seize heure cinquante-cinq qu’arrive ce foutu autocar. Son jeune chauffeur n’explique pas son retard. Je le félicite pour sa ponctualité. Il me jette un regard noir.
A l’approche de la gare de Bréauté, nous voyons le train arrêté qui semble nous attendre et nous soupirons de soulagement. Nous passons sous le viaduc, faisons un détour obligé pour atteindre la rue devant la gare et là le train part sans nous.
Au guichet de la gare, l’employée de la Senecefe nous explique qu’elle n’a pu le faire attendre que deux minutes, au-delà cela aurait mis par terre toute la circulation des trains de la Haute-Normandie, puis elle nous annonce que le prochain train pour Rouen n’est qu’à dix-neuf heures onze et celui pour Paris à dix-neuf heures trente et une.
Nous sommes ravis et le lui faisons savoir. Le ton monte un peu mais l’aveugle à longue barbe et djellaba qui voyage avec son vieux papa nous dit que ce n’est pas bien de s’en prendre à elle qui a fait ce qu’elle a pu. Peut-être, mais elle a peu pu. Des trains circulent chaque jour avec plus de deux minutes de retard sans que cela pose problème aux autres.
Un car étant arrivé pour attendre des voyageurs venant de Paris, je vais voir son chauffeur et lui demande s’il sait pourquoi le précédent était autant en retard.
-C’est la faute du chauffeur, me répond-il, c’est un remplaçant, il ne sait pas lire son planning. Il est venu à Bréauté au lieu d’aller à Fécamp. Ce n’est pas la première fois qu’il fait ça.
Cet aimable chauffeur vérifie avec son téléphone qu’il n’y a pas de train avant dix-neuf heures onze.
-Ça va être long, me dit-il.
-Oui, et il n’y a même pas un distributeur de boissons dans cette gare.
-Si vous voulez, je peux vous remmener à Fécamp et puis après je vous ramène ici à l’heure du train.
Je le remercie mais n’accepte pas sa proposition. J’ai heureusement avec moi Helen Hessel, la femme qui aima Jules et Jim, biographie fort intéressante signée Marie-Françoise Péteuil, parue chez Grasset, dont je poursuis la lecture à l’ombre. Un Parisien jure qu’il ne remettra plus jamais les pieds à Fécamp. Une Lilloise se demande s’il y aura encore un train pour sa ville quand elle arrivera à Paris. L’aveugle et son vieux papa attendent stoïquement sous un abri surchauffé. Certain(e)s envisagent de faire une réclamation auprès de la Senecefe afin d’obtenir le remboursement du billet. Inutile, me dis-je, elle répondra qu’elle n’y est pour rien, l’erreur ayant été commise par le chauffeur d’un car privé (délégation temporaire de service public).
Le train de dix-neuf heures onze est à l’heure. C’est un tortillard qui s’arrête dans toutes les gares et met donc près d’une heure pour atteindre Rouen où nous arrivons à vingt heures dix.
Sur mon billet, l’arrivée à Rouen Rive Droite était annoncée à dix-sept heures cinquante-six.
23 août 2016
Soleil annoncé ; ce lundi, après avoir écouté le portrait sonore de l’ami Sylvain Wavrant, artiste taxidermiste, par Clémence Allezard dans Les Matin d’été de France Culture, je prends le chemin de la gare afin de rejoindre Fécamp, la sœur moins jolie de Dieppe.
Y imprimant mon billet, je découvre que la seconde partie du voyage se fera en autocar. Le train de neuf heures cinq pour Le Havre est à l’heure. J’y grimpe et en descends à Bréauté Beuzeville. La gare de Bréauté est au milieu de pas grand-chose, quelques maisons et beaucoup de parquignes. Après une attente normale de quarante-trois minutes, le car qui remplace le train pour cause de « régénération de la ligne ferroviaire » démarre.
« Après le train, le car, on dirait un vrai voyage », déclare l’une de mes voisines. Nous traversons le bourg situé à trois kilomètres. Une banderole proclame que « Bréauté commune dynamique recherche des professionnels de santé ». Plus loin, c’est Goderville, décrite un jour de marché par Maupassant dans La Ficelle. Aujourd’hui, ce gros bourg ressemble à un endroit où l’on doit s’ennuyer terriblement, bien qu’on puisse y cueillir des fraises (deux euros quatre-vingt-dix le kilo), A sa sortie, on passe devant le « Club des jeunes de Goderville, Club d’informatique ». Après Saint-Léonard apparaissent les éoliennes et c’est la descente vers Fécamp, arrivée à onze heures moins cinq comme prévu.
Je me balade le long du port et de la plage de cailloux, emprunte les estacades, passerelles de bois à l’usage mystérieux où il est interdit d’accéder pendant l’entrée et la sortie des navires de commerce, puis à midi choisis La Marine, maison recommandée par Michelin.
Je m’y offre un plateau de fruits de mer pour célibataire à vingt-huit euros cinquante, un pichet de vin blanc à neuf quatre-vingt-dix et un tiramisu caramel beurre salé à six cinquante. La salle du bas, où je suis, est réservée aux vieux couples. A l’étage sont une bande de vieilles copines et deux groupes avec jeunes parents de bébés pleureurs. Un couple, dont elle copieusement enceinte, aura également place en haut. Cela leur donnera un aperçu de ce qui les attend.
Après ce bon repas, je passe à la Bénédictine mais l’exposition d’été consacrée à un photographe inconnu qui se met en scène dans ses photos me dissuade d’y entrer. Je vais donc boire un café au centre de la ville où ne semblent vivre que des pauvres. Des filles plutôt jolies y traînent avec des garçons qui ne les méritent pas. J’ai envie de leur dire de se tirer de là avant qu’il soit trop tard.
*
Un jeune couple à sac a dos descendant du train à Bréauté et demandant au contrôleur où est la gare routière :
-C’est la rue, là devant.
*
Une femme à son mari au restaurant La Marine :
-Je voulais prendre le lieu, mais comme tu as pris le lieu, j’ai pris le saumon.
Y imprimant mon billet, je découvre que la seconde partie du voyage se fera en autocar. Le train de neuf heures cinq pour Le Havre est à l’heure. J’y grimpe et en descends à Bréauté Beuzeville. La gare de Bréauté est au milieu de pas grand-chose, quelques maisons et beaucoup de parquignes. Après une attente normale de quarante-trois minutes, le car qui remplace le train pour cause de « régénération de la ligne ferroviaire » démarre.
« Après le train, le car, on dirait un vrai voyage », déclare l’une de mes voisines. Nous traversons le bourg situé à trois kilomètres. Une banderole proclame que « Bréauté commune dynamique recherche des professionnels de santé ». Plus loin, c’est Goderville, décrite un jour de marché par Maupassant dans La Ficelle. Aujourd’hui, ce gros bourg ressemble à un endroit où l’on doit s’ennuyer terriblement, bien qu’on puisse y cueillir des fraises (deux euros quatre-vingt-dix le kilo), A sa sortie, on passe devant le « Club des jeunes de Goderville, Club d’informatique ». Après Saint-Léonard apparaissent les éoliennes et c’est la descente vers Fécamp, arrivée à onze heures moins cinq comme prévu.
Je me balade le long du port et de la plage de cailloux, emprunte les estacades, passerelles de bois à l’usage mystérieux où il est interdit d’accéder pendant l’entrée et la sortie des navires de commerce, puis à midi choisis La Marine, maison recommandée par Michelin.
Je m’y offre un plateau de fruits de mer pour célibataire à vingt-huit euros cinquante, un pichet de vin blanc à neuf quatre-vingt-dix et un tiramisu caramel beurre salé à six cinquante. La salle du bas, où je suis, est réservée aux vieux couples. A l’étage sont une bande de vieilles copines et deux groupes avec jeunes parents de bébés pleureurs. Un couple, dont elle copieusement enceinte, aura également place en haut. Cela leur donnera un aperçu de ce qui les attend.
Après ce bon repas, je passe à la Bénédictine mais l’exposition d’été consacrée à un photographe inconnu qui se met en scène dans ses photos me dissuade d’y entrer. Je vais donc boire un café au centre de la ville où ne semblent vivre que des pauvres. Des filles plutôt jolies y traînent avec des garçons qui ne les méritent pas. J’ai envie de leur dire de se tirer de là avant qu’il soit trop tard.
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Un jeune couple à sac a dos descendant du train à Bréauté et demandant au contrôleur où est la gare routière :
-C’est la rue, là devant.
*
Une femme à son mari au restaurant La Marine :
-Je voulais prendre le lieu, mais comme tu as pris le lieu, j’ai pris le saumon.
22 août 2016
Jouant parfois à cache-cache avec les averses ou utilisant l’ombre de l’arbre du jardin, bénéficiant de l’absence prolongée d’Abrutus et d’Aboyus, devant toutefois faire attention lorsque j’installe planche et tréteaux où poser mon ordinateur portatif à ne pas mettre le pied dans l’une des merdes non ramassées par les propriétaires de Moka, l’autre chien, roi du kaka, je rattrape en cette fin d’août mon retard de tapotage des notes prises lors de mes lectures.
Après en avoir terminé avec le Journal de l’abbé Mugnier, je suis dans celui d’Andy Warhol, me disant qu’il est bien dommage que, pour la raison de mort du premier lorsque le deuxième n’était encore qu’un enfant, ils n’aient pu se rencontrer.
Parmi les notes tapotées, celles de ma lecture de La Nuit des Girondins de Jacques Presser, récit romancé ayant pour cadre le camp de Westerbork, paru en mil neuf cent cinquante-sept et publié en France en mil neuf cent quatre-vingt-dix par Maurice Nadeau avec une préface de Primo Levi, deux notes seulement, qui témoignent de l’humour noir de cet auteur néerlandais :
Au moins, de nos jours, un Flaubert n’a-t-il plus besoin de remonter jusqu’à Carthage pour décrire un sacrifice d’enfants (…)
Et celle-ci évoquant les pays de naissance que s’inventaient des Juifs pour échapper aux camps (l’un étant le Honduras) :
Cette dernière nationalité était assez recherchée, mais le père de l’élève Léa Cohen avait eu la malchance, en allant chercher le cachet salvateur à la Zentralstelle allemande, d’être incapable de se souvenir du nom de la capitale de cette lointaine patrie, aussi la famille tout entière est-elle depuis quelque temps à Auschwitz, capitale de la Pologne.
*
Lu aussi Italo Svevo ou l’Antivie, biographie de l’écrivain triestin par Maurizio Serra (Grasset) où est cité, tiré d’Umbertino, ceci:
…terrible est l’adolescence, parce qu’alors on commence à découvrir que la machine est faite pour nous broyer et on ne sait, au milieu de si nombreux mécanismes, où poser le pied sans danger.
En épigraphe à cette bio de Svevo : Tu n’es pas du château, tu n’es pas du village. Tu n’es rien. (Kafka, Le Château)
*
Autre lecture, qui m’a permis d’accroître mon vocabulaire, celle d’Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau (Christian Bourgois), recueil de textes que Linda Lê a consacré à ses écrivains de prédilection, dont beaucoup sont de ceux que j’aime (Walser Perros Landolfi Dazai Rodanski Marai Hrabal Calaferte Dagerman Luca). Elle emploie « il s’amuït » page seize, « un vavasseur » page cinquante, « blandice » page soixante-sept.
S’amuïr : devenir muet (pour une lettre, un phonème).
Vavasseur : Vassal d'un seigneur lui-même vassal.
Blandice : Flatterie pour gagner un cœur ou une faveur.
Après en avoir terminé avec le Journal de l’abbé Mugnier, je suis dans celui d’Andy Warhol, me disant qu’il est bien dommage que, pour la raison de mort du premier lorsque le deuxième n’était encore qu’un enfant, ils n’aient pu se rencontrer.
Parmi les notes tapotées, celles de ma lecture de La Nuit des Girondins de Jacques Presser, récit romancé ayant pour cadre le camp de Westerbork, paru en mil neuf cent cinquante-sept et publié en France en mil neuf cent quatre-vingt-dix par Maurice Nadeau avec une préface de Primo Levi, deux notes seulement, qui témoignent de l’humour noir de cet auteur néerlandais :
Au moins, de nos jours, un Flaubert n’a-t-il plus besoin de remonter jusqu’à Carthage pour décrire un sacrifice d’enfants (…)
Et celle-ci évoquant les pays de naissance que s’inventaient des Juifs pour échapper aux camps (l’un étant le Honduras) :
Cette dernière nationalité était assez recherchée, mais le père de l’élève Léa Cohen avait eu la malchance, en allant chercher le cachet salvateur à la Zentralstelle allemande, d’être incapable de se souvenir du nom de la capitale de cette lointaine patrie, aussi la famille tout entière est-elle depuis quelque temps à Auschwitz, capitale de la Pologne.
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Lu aussi Italo Svevo ou l’Antivie, biographie de l’écrivain triestin par Maurizio Serra (Grasset) où est cité, tiré d’Umbertino, ceci:
…terrible est l’adolescence, parce qu’alors on commence à découvrir que la machine est faite pour nous broyer et on ne sait, au milieu de si nombreux mécanismes, où poser le pied sans danger.
En épigraphe à cette bio de Svevo : Tu n’es pas du château, tu n’es pas du village. Tu n’es rien. (Kafka, Le Château)
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Autre lecture, qui m’a permis d’accroître mon vocabulaire, celle d’Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau (Christian Bourgois), recueil de textes que Linda Lê a consacré à ses écrivains de prédilection, dont beaucoup sont de ceux que j’aime (Walser Perros Landolfi Dazai Rodanski Marai Hrabal Calaferte Dagerman Luca). Elle emploie « il s’amuït » page seize, « un vavasseur » page cinquante, « blandice » page soixante-sept.
S’amuïr : devenir muet (pour une lettre, un phonème).
Vavasseur : Vassal d'un seigneur lui-même vassal.
Blandice : Flatterie pour gagner un cœur ou une faveur.
20 août 2016
Publiée par Arléa, Aphorismes et insultes est une anthologie d’extraits de textes d’Arthur Schopenhauer surtout tirés des Parerga et paralipomena et des Fragments biographiques. Sa lecture fut un petit plaisir de terrasse dont je tire ce florilège personnel :
Les hommes ressemblent aux enfants qui prennent de mauvaises manières dès qu’on les gâte ; aussi ne faut-il être trop indulgent, ni trop aimable envers personne. De même qu’ordinairement on ne perdra pas un ami pour lui avoir refusé un prêt, mais plutôt pour le lui avoir accordé, de même ne le perdra-t-on pas par une attitude hautaine et un peu de négligence, mais plutôt par un excès d’amabilité et de prévenance ; il devient alors arrogant, insupportable, et la rupture ne tarde pas à se produire. (Parerga)
Les coups de marteau, les aboiements des chiens et les cris d’enfants sont épouvantables ; mais le véritable meurtrier de la pensée est le claquement du fouet. (idem)
Honnêtement, on ne pourra jamais dire grand bien d’un caractère national, puisque national veut dire qu’il appartient à une foule. C’est plutôt la petitesse d’esprit, la déraison et la perversité de l’espèce humaine qui, seules, ressortent dans chaque pays sous une forme différente, et c’est celle-ci qu’on appelle le caractère national. (idem)
Prétendre rechercher impartialement la vérité avec l’intention de donner la religion du pays comme résultat, mesure et contrôle de celle-ci, cela est inadmissible ; et une pareille philosophie, attachée à la religion du pays comme un chien de garde à sa chaîne, est seulement la caricature de l’effort le plus haut et le plus noble de l’humanité. (idem)
Si j’étais roi, l’ordre que je donnerai le plus souvent et avec le plus d’insistance par rapport à ma personne serait celui-ci : « Laissez-moi seul ! » (Fragments biographiques)
Dans un monde qui se compose pour les cinq sixièmes au moins de coquins, de fous et d’imbéciles, la règle de conduite de chaque membre du sixième restant doit être de se retirer d’autant plus loin qu’il diffère davantage des autres, et, plus loin il se retire, mieux cela vaut pour lui. (idem)
*
Malheureusement, on trouve aussi chez Schopenhauer quantité de niaiseries à propos des femmes incapables de penser.
Il est aussi obnubilé par le succès de ses collègues philosophes de l’Université de Berlin, Hegel, Schelling et Fichte, sur lesquels il dit des horreurs.
Lui-même, quand il tenta de donner des cours, n’eut que quatre auditeurs : un maître de manèges, un changeur, un capitaine en retraite et un dentiste, explique Didier Raymond dans la préface.
*
En lisant Arthur, j’ai appris que l’ochlocratie est le gouvernement par la foule. Ce mode de gouvernement est particulièrement en vogue en ce début de vingt et unième siècle.
Les hommes ressemblent aux enfants qui prennent de mauvaises manières dès qu’on les gâte ; aussi ne faut-il être trop indulgent, ni trop aimable envers personne. De même qu’ordinairement on ne perdra pas un ami pour lui avoir refusé un prêt, mais plutôt pour le lui avoir accordé, de même ne le perdra-t-on pas par une attitude hautaine et un peu de négligence, mais plutôt par un excès d’amabilité et de prévenance ; il devient alors arrogant, insupportable, et la rupture ne tarde pas à se produire. (Parerga)
Les coups de marteau, les aboiements des chiens et les cris d’enfants sont épouvantables ; mais le véritable meurtrier de la pensée est le claquement du fouet. (idem)
Honnêtement, on ne pourra jamais dire grand bien d’un caractère national, puisque national veut dire qu’il appartient à une foule. C’est plutôt la petitesse d’esprit, la déraison et la perversité de l’espèce humaine qui, seules, ressortent dans chaque pays sous une forme différente, et c’est celle-ci qu’on appelle le caractère national. (idem)
Prétendre rechercher impartialement la vérité avec l’intention de donner la religion du pays comme résultat, mesure et contrôle de celle-ci, cela est inadmissible ; et une pareille philosophie, attachée à la religion du pays comme un chien de garde à sa chaîne, est seulement la caricature de l’effort le plus haut et le plus noble de l’humanité. (idem)
Si j’étais roi, l’ordre que je donnerai le plus souvent et avec le plus d’insistance par rapport à ma personne serait celui-ci : « Laissez-moi seul ! » (Fragments biographiques)
Dans un monde qui se compose pour les cinq sixièmes au moins de coquins, de fous et d’imbéciles, la règle de conduite de chaque membre du sixième restant doit être de se retirer d’autant plus loin qu’il diffère davantage des autres, et, plus loin il se retire, mieux cela vaut pour lui. (idem)
*
Malheureusement, on trouve aussi chez Schopenhauer quantité de niaiseries à propos des femmes incapables de penser.
Il est aussi obnubilé par le succès de ses collègues philosophes de l’Université de Berlin, Hegel, Schelling et Fichte, sur lesquels il dit des horreurs.
Lui-même, quand il tenta de donner des cours, n’eut que quatre auditeurs : un maître de manèges, un changeur, un capitaine en retraite et un dentiste, explique Didier Raymond dans la préface.
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En lisant Arthur, j’ai appris que l’ochlocratie est le gouvernement par la foule. Ce mode de gouvernement est particulièrement en vogue en ce début de vingt et unième siècle.
19 août 2016
Avant le Paris Rouen en trois heures, ma journée parisienne est marquée par une chaleur que j’ai du mal à supporter et un gros ratage : aller à pied de la rue de Charonne, après un excellent rôti de porc aux ananas accompagné d’une épaisse purée mangés à l’intérieur de Chez Céleste pour cause de réfection de l’enrobé (comme toujours ce sont des hommes à peau noire qui manipulent le goudron, ceux à peau blanche organisent), jusqu’au boulevard de Sébastopol dans l’espoir que la Bouquinerie du Centre solde avant sa fermeture, laquelle m’avait été annoncée par le caissier à une date incertaine mais sans doute début septembre, et arrivé sur place, épuisé, découvrir qu’aucun livre n’est bradé.
Sur la vitrine, l’affiche « à louer » est toujours là mais rien à l’intérieur du magasin, où il fait une chaleur à crever, ne montre l’imminence d’une fermeture, il y a même une table « nouvel arrivage ».
Dépité, je me réfugie chez Book-Off où l’air est conditionné et les soldes permanents.
*
Rue de Rivoli, une jeune femme au téléphone :
-Je reçois de lui que des coups de téléphone qui me font chialer. Je lui ai dit : y faut que tu me dises. Y m’a dit : je sais pas, je sais pas, je sais pas.
(L’Amour)
*
Même rue, un peu plus loin, un mendiant dont le gobelet est accroché au bout d’une canne à pêche.
*
Je ne peux passer dans cette rue sans songer aux rudes rêves au lit de Boby.
*
Un quinquagénaire qui tourne les pages de son téléphone comme s’il s’agissait de celles d’un livre et appuie sur les touches de l’écran comme s’il s’agissait de touches de clavier.
*
Rue d’Amsterdam, café L’Atlantique, une jeune femme à une autre :
-J’y ai dit : me touche pas, me touche pas. Bah quoi, qu’est-ce t’arrive ? qu’y me fait. Je fais : ça va, elle était bonne l’autre pétasse, la Stéphanie qui t’a envoyé quatre messages hier.
(L’Amour encore)
Sur la vitrine, l’affiche « à louer » est toujours là mais rien à l’intérieur du magasin, où il fait une chaleur à crever, ne montre l’imminence d’une fermeture, il y a même une table « nouvel arrivage ».
Dépité, je me réfugie chez Book-Off où l’air est conditionné et les soldes permanents.
*
Rue de Rivoli, une jeune femme au téléphone :
-Je reçois de lui que des coups de téléphone qui me font chialer. Je lui ai dit : y faut que tu me dises. Y m’a dit : je sais pas, je sais pas, je sais pas.
(L’Amour)
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Même rue, un peu plus loin, un mendiant dont le gobelet est accroché au bout d’une canne à pêche.
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Je ne peux passer dans cette rue sans songer aux rudes rêves au lit de Boby.
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Un quinquagénaire qui tourne les pages de son téléphone comme s’il s’agissait de celles d’un livre et appuie sur les touches de l’écran comme s’il s’agissait de touches de clavier.
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Rue d’Amsterdam, café L’Atlantique, une jeune femme à une autre :
-J’y ai dit : me touche pas, me touche pas. Bah quoi, qu’est-ce t’arrive ? qu’y me fait. Je fais : ça va, elle était bonne l’autre pétasse, la Stéphanie qui t’a envoyé quatre messages hier.
(L’Amour encore)
18 août 2016
Ce mercredi quand je rejoins une gare Saint-Lazare surchauffée après ma journée parisienne, je constate avec plaisir que le train de dix-sept heures quarante-huit pour Rouen est affiché « à l’heure » alors que certains pour la banlieue sont annulés et que d’autres pour la Normandie sont annoncés avec un retard de « trente minutes ».
Ce train est une bétaillère ne disposant évidemment pas de la climatisation. Toutes les vitres sont baissées. Cela ne sert à rien. A l’heure du départ, le chef de bord nous annonce que « notre train sera retenu en gare pendant dix minutes environ suite à des problèmes de régulation et de fluidité du trafic. »
Dix minutes plus tard, nouveau message : « Tous les trains sont bloqués en gare à cause d’une personne descendue dans les voies ». Une intervention policière est en cours.
Au bout d’un certain temps, la voie féminine de la gare annonce que « la circulation va reprendre très progressivement. »
-Le contrevenant est capturé, commente notre chef de bord.
Rien ne se passe. La voix de la gare nous répète toutes les cinq minutes que tous les trains ont été bloqués par cette personne « dans les voies » puis soudain elle nous annonce la « nécessité de trouver de nouveaux sillons horaires»
Plus tard, tandis que nous suons à grosses gouttes, nous comprenons que la situation ne s’arrange pas.
-Nous sommes en train de réunir toutes les ressources nécessaires afin de vous assurer un départ dans les plus brefs délais.
Le délai se prolonge, aucun train n’a encore quitté la gare. Un nouveau message nous apprend qu’un conducteur de train est parti s’assurer qu’il n’y a plus personne « dans les voies » entre Pont Cardinet et Saint-Lazare. Les voyageurs pour La Défense sont invités à prendre le métro.
On attend le retour du courageux conducteur. A dix-huit heures cinquante, notre chef de bord nous annonce le départ imminent de notre train. Il démarre effectivement, puis s’arrête au bout d’une dizaine de mètres, environ.
« La personne est toujours dans les voie» nous dit la voix de la Senecefe . « Un avitaillement en eau va être effectué pour notre train au plus vite », ajoute le chef de bord.
A dix-neuf heures dix, on nous apprend que « la personne dans les voies a été retrouvée, la circulation va reprendre très progressivement. »
L’eau minérale Saint Benoît arrive à dix-neuf heures vingt-cinq.
« Notre train va partir » nous annonce triomphalement le chef de bord.
-Hey, ça va pas, j’ai pas envie de me retrouver en Normandie, moi, s’écrie la distribueuse de bouteilles à gilet rouge en se précipitant à l’extérieur.
Il est dix-neuf heures vingt-huit. Nous sommes les premiers à partir, avec une heure quarante de retard. Le personnel de bord recense les voyageurs qui avaient une correspondance pour Serqueux et Saint-Valéry-en-Caux. Ils seront convoyés en taxi au frais de la Senecefe.
A vingt heures quarante-huit, nous sommes à Rouen et avons droit à un dernier message du chef de bord : « Nous vous souhaitons une bonne soirée quand même.»
*
La voix féminine de la Senecefe nous répétant toutes les cinq minutes la raison du blocage des trains en gare, on croirait une télé d’information continue sans l’image.
*
Durant l’attente exténuante à Saint-Lazare, silence consterné de tout le monde. Sauf de la part d’une jeune femme blonde qui a chaque rebondissement s’écriait « Oh putain ! » Elle quittera le train avant son départ.
Ce train est une bétaillère ne disposant évidemment pas de la climatisation. Toutes les vitres sont baissées. Cela ne sert à rien. A l’heure du départ, le chef de bord nous annonce que « notre train sera retenu en gare pendant dix minutes environ suite à des problèmes de régulation et de fluidité du trafic. »
Dix minutes plus tard, nouveau message : « Tous les trains sont bloqués en gare à cause d’une personne descendue dans les voies ». Une intervention policière est en cours.
Au bout d’un certain temps, la voie féminine de la gare annonce que « la circulation va reprendre très progressivement. »
-Le contrevenant est capturé, commente notre chef de bord.
Rien ne se passe. La voix de la gare nous répète toutes les cinq minutes que tous les trains ont été bloqués par cette personne « dans les voies » puis soudain elle nous annonce la « nécessité de trouver de nouveaux sillons horaires»
Plus tard, tandis que nous suons à grosses gouttes, nous comprenons que la situation ne s’arrange pas.
-Nous sommes en train de réunir toutes les ressources nécessaires afin de vous assurer un départ dans les plus brefs délais.
Le délai se prolonge, aucun train n’a encore quitté la gare. Un nouveau message nous apprend qu’un conducteur de train est parti s’assurer qu’il n’y a plus personne « dans les voies » entre Pont Cardinet et Saint-Lazare. Les voyageurs pour La Défense sont invités à prendre le métro.
On attend le retour du courageux conducteur. A dix-huit heures cinquante, notre chef de bord nous annonce le départ imminent de notre train. Il démarre effectivement, puis s’arrête au bout d’une dizaine de mètres, environ.
« La personne est toujours dans les voie» nous dit la voix de la Senecefe . « Un avitaillement en eau va être effectué pour notre train au plus vite », ajoute le chef de bord.
A dix-neuf heures dix, on nous apprend que « la personne dans les voies a été retrouvée, la circulation va reprendre très progressivement. »
L’eau minérale Saint Benoît arrive à dix-neuf heures vingt-cinq.
« Notre train va partir » nous annonce triomphalement le chef de bord.
-Hey, ça va pas, j’ai pas envie de me retrouver en Normandie, moi, s’écrie la distribueuse de bouteilles à gilet rouge en se précipitant à l’extérieur.
Il est dix-neuf heures vingt-huit. Nous sommes les premiers à partir, avec une heure quarante de retard. Le personnel de bord recense les voyageurs qui avaient une correspondance pour Serqueux et Saint-Valéry-en-Caux. Ils seront convoyés en taxi au frais de la Senecefe.
A vingt heures quarante-huit, nous sommes à Rouen et avons droit à un dernier message du chef de bord : « Nous vous souhaitons une bonne soirée quand même.»
*
La voix féminine de la Senecefe nous répétant toutes les cinq minutes la raison du blocage des trains en gare, on croirait une télé d’information continue sans l’image.
*
Durant l’attente exténuante à Saint-Lazare, silence consterné de tout le monde. Sauf de la part d’une jeune femme blonde qui a chaque rebondissement s’écriait « Oh putain ! » Elle quittera le train avant son départ.
17 août 2016
Des notes prises en lisant Pages de Journal (1939-1944) d’Edith Thomas publié chez Viviane Hamy, j’ai retrouvé l’ensemble. De quoi lui consacrer un texte pour elle toute seule, élaboré dans le paisible jardin, à l’ombre de son arbre central :
Chez le marchand de journaux ; une dame :
-Monsieur, je voudrais Vogue.
-Vogue paraît en zone libre, le directeur était juif.
La dame :
-Il était juif ? Ah ! je ne l’aurais pas cru. (dix février mil neuf cent quarante et un)
Le docteur P a été l’interne d’Aragon lorsqu’il commençait sa médecine : « Il n’y avait rien à en faire. Il se fichait de tout. Et quel mépris pour les hommes et les malades des services ! C’était un bourgeois qui aimait qu’on parlât de lui, d’où le choix du surréalisme, puis du communisme : un salaud. »
C’est beaucoup plus complexe que P. ne le dit. Mais je souscris entièrement au dernier qualificatif et au mépris d’Aragon pour les hommes. (vingt-sept avril mil neuf cent quarante et un)
La planète brûle. L’Atlantique et le Pacifique sont de grands brasiers ; sur la neige des steppes, se recroquevillent les cadavres.
Et moi je mets en fiches les contrats de mariage du XVIIe siècle. (neuf décembre mil neuf cent quarante et un)
Jamais on n’est allé autant au théâtre, au cinéma. (…)
Dullin jouit enfin d’un grand théâtre somptueux avec des guirlandes, des anges ventrus, des escaliers, des lustres en cristal (le théâtre Sarah Bernhardt). C’est le prix de quelques articles dans La Gerbe. (vingt-quatre février mil neuf cent quarante-deux)
Dimanche d’été : les visages pâles, tirés, fatigués des hommes. Pour les femmes, cela se voit moins à cause du fard. Au Marché aux Oiseaux, les gens achètent millet et chènevis pour le manger. Beaucoup de pêcheurs sur la Seine ; de bicyclistes avec des paniers et des sacs qui filent vers la banlieue. (vingt-cinq juin mil neuf cent quarante-quatre)
L’impression me poursuit que la plus grande partie de la population, sans être hostile à la Résistance, aurait préféré que la libération de Paris ne fût l’œuvre que des Américains. Pas d’histoire, vivre tranquille. Paris est une putain qui attend les jambes ouvertes. (vingt-trois août mil neuf cent quarante-quatre)
La radio de Londres nous annonce que nous sommes libérés. Elle fait très bien de nous l’apprendre car nous n’en savions rien. (même jour)
Edith Thomas travailla ensuite aux Lettres Françaises et quitta le Parti Communiste après Budapest.
Chez le marchand de journaux ; une dame :
-Monsieur, je voudrais Vogue.
-Vogue paraît en zone libre, le directeur était juif.
La dame :
-Il était juif ? Ah ! je ne l’aurais pas cru. (dix février mil neuf cent quarante et un)
Le docteur P a été l’interne d’Aragon lorsqu’il commençait sa médecine : « Il n’y avait rien à en faire. Il se fichait de tout. Et quel mépris pour les hommes et les malades des services ! C’était un bourgeois qui aimait qu’on parlât de lui, d’où le choix du surréalisme, puis du communisme : un salaud. »
C’est beaucoup plus complexe que P. ne le dit. Mais je souscris entièrement au dernier qualificatif et au mépris d’Aragon pour les hommes. (vingt-sept avril mil neuf cent quarante et un)
La planète brûle. L’Atlantique et le Pacifique sont de grands brasiers ; sur la neige des steppes, se recroquevillent les cadavres.
Et moi je mets en fiches les contrats de mariage du XVIIe siècle. (neuf décembre mil neuf cent quarante et un)
Jamais on n’est allé autant au théâtre, au cinéma. (…)
Dullin jouit enfin d’un grand théâtre somptueux avec des guirlandes, des anges ventrus, des escaliers, des lustres en cristal (le théâtre Sarah Bernhardt). C’est le prix de quelques articles dans La Gerbe. (vingt-quatre février mil neuf cent quarante-deux)
Dimanche d’été : les visages pâles, tirés, fatigués des hommes. Pour les femmes, cela se voit moins à cause du fard. Au Marché aux Oiseaux, les gens achètent millet et chènevis pour le manger. Beaucoup de pêcheurs sur la Seine ; de bicyclistes avec des paniers et des sacs qui filent vers la banlieue. (vingt-cinq juin mil neuf cent quarante-quatre)
L’impression me poursuit que la plus grande partie de la population, sans être hostile à la Résistance, aurait préféré que la libération de Paris ne fût l’œuvre que des Américains. Pas d’histoire, vivre tranquille. Paris est une putain qui attend les jambes ouvertes. (vingt-trois août mil neuf cent quarante-quatre)
La radio de Londres nous annonce que nous sommes libérés. Elle fait très bien de nous l’apprendre car nous n’en savions rien. (même jour)
Edith Thomas travailla ensuite aux Lettres Françaises et quitta le Parti Communiste après Budapest.
16 août 2016
Quinze Août, Le Vaudreuil, ce lien m’est automatique et le lieu heureusement accessible grâce au train. Le premier est à sept heures douze. J’y voyage en compagnie d’un couple d’Anglais qui malgré la chaleur ont les jambes couvertes d’un plaid et d’un homme qui regarde des vidéos de barbus sur son téléphone.
De la gare de Val-de-Reuil au centre du Vaudreuil, c’est trois kilomètres à pied le long de l’Eure par un chemin de terre étroit où j’ai de bons souvenirs. Je n’y croise personne. Un abruti de chien dans le jardin d’une maison bourgeoise m’aboie dessus. C’est un plaisir de réveiller ses propriétaires si tôt un jour férié. Quand j’arrive au rond-point gardé par des vigiles ayant mis leur voiture en travers de la rue principale, je passe brutalement de la solitude au bain de foule.
Assez vite, je trouve le numéro dix de la collection des classiques de la littérature libertine publiée par Le Monde il y a quelques années, volume titré La Poésie Erotique, que je cherchais depuis longtemps. Il me manquait pour l’avoir complète et espérer la revendre.
D’autres livres me font signe ici et là, mais rien d’extraordinaire, cependant que le monde se fait de plus en plus compact. L’autre bout de la rue principale, plus vulnérable, est protégé par un énorme tracteur et sa remorque mis en travers.
J’explore ensuite les autres rues et le terrain herbeux où sont installés d’autres vendeuses et vendeurs. Ici, à la « Grande Foire à Tout du Vaudreuil », quand on dit quatre cents exposants, c’est quatre cents. « Tout ce qui était vendable, on l’a vendu il y a deux ans » constate l’un dont les affaires marchent peu.
« Tu sais, plus qu’une dizaine de jours et c’est la rentrée », annonce sadiquement une femme à sa fille. Exactement ce que je me disais chaque année, en ce lieu, à cette date, du temps que je faisais l’instituteur, époque lointaine désormais. Début juillet, j’ai fêté avec moi-même, discrètement, mes dix ans sans travail.
L’une, qui fait la vendeuse, n’en est pas là :
-J’ai bientôt vu tous mes élèves, je vais pouvoir faire cours à la fin de la matinée.
Une autre femme vend À la recherche de l’homme idéal. Je ne sais si elle l’a trouvé ou si elle renonce, comme celles qui se débarrassent de leurs méthodes pour maigrir.
Lorsque l’affluence devient comparable à celle de la rue du Gros un samedi après-midi, j’abandonne et refais le long chemin dans l’autre sens, chargé et un peu accablé par la chaleur.
C’est la première fois que je vois l’intérieur de la gare de Védéherre depuis qu’un architecte et un maître d’œuvre ayant fait leurs études chez les Jivaros l’ont réduite à peu de chose.
*
Lecture le soir dans un jardin où me tiennent compagnie deux merles picoreurs et un chat délaissé essayant parfois d’en choper un, des Lettres à Moune et au Toutounet de Colette (Des Femmes) :
Comment as-tu passé le 15 août ? Comme le 14, je pense, ou le 16. Nous aussi. Sauf que le Jardin a été un admirable désert toute la journée. (seize août mil neuf cent quarante et un)
Le Jardin de Colette est celui du Palais Royal.
*
Ai vendu à un gendarme la moitié des Mémoires du général et baron de Marbot.
De la gare de Val-de-Reuil au centre du Vaudreuil, c’est trois kilomètres à pied le long de l’Eure par un chemin de terre étroit où j’ai de bons souvenirs. Je n’y croise personne. Un abruti de chien dans le jardin d’une maison bourgeoise m’aboie dessus. C’est un plaisir de réveiller ses propriétaires si tôt un jour férié. Quand j’arrive au rond-point gardé par des vigiles ayant mis leur voiture en travers de la rue principale, je passe brutalement de la solitude au bain de foule.
Assez vite, je trouve le numéro dix de la collection des classiques de la littérature libertine publiée par Le Monde il y a quelques années, volume titré La Poésie Erotique, que je cherchais depuis longtemps. Il me manquait pour l’avoir complète et espérer la revendre.
D’autres livres me font signe ici et là, mais rien d’extraordinaire, cependant que le monde se fait de plus en plus compact. L’autre bout de la rue principale, plus vulnérable, est protégé par un énorme tracteur et sa remorque mis en travers.
J’explore ensuite les autres rues et le terrain herbeux où sont installés d’autres vendeuses et vendeurs. Ici, à la « Grande Foire à Tout du Vaudreuil », quand on dit quatre cents exposants, c’est quatre cents. « Tout ce qui était vendable, on l’a vendu il y a deux ans » constate l’un dont les affaires marchent peu.
« Tu sais, plus qu’une dizaine de jours et c’est la rentrée », annonce sadiquement une femme à sa fille. Exactement ce que je me disais chaque année, en ce lieu, à cette date, du temps que je faisais l’instituteur, époque lointaine désormais. Début juillet, j’ai fêté avec moi-même, discrètement, mes dix ans sans travail.
L’une, qui fait la vendeuse, n’en est pas là :
-J’ai bientôt vu tous mes élèves, je vais pouvoir faire cours à la fin de la matinée.
Une autre femme vend À la recherche de l’homme idéal. Je ne sais si elle l’a trouvé ou si elle renonce, comme celles qui se débarrassent de leurs méthodes pour maigrir.
Lorsque l’affluence devient comparable à celle de la rue du Gros un samedi après-midi, j’abandonne et refais le long chemin dans l’autre sens, chargé et un peu accablé par la chaleur.
C’est la première fois que je vois l’intérieur de la gare de Védéherre depuis qu’un architecte et un maître d’œuvre ayant fait leurs études chez les Jivaros l’ont réduite à peu de chose.
*
Lecture le soir dans un jardin où me tiennent compagnie deux merles picoreurs et un chat délaissé essayant parfois d’en choper un, des Lettres à Moune et au Toutounet de Colette (Des Femmes) :
Comment as-tu passé le 15 août ? Comme le 14, je pense, ou le 16. Nous aussi. Sauf que le Jardin a été un admirable désert toute la journée. (seize août mil neuf cent quarante et un)
Le Jardin de Colette est celui du Palais Royal.
*
Ai vendu à un gendarme la moitié des Mémoires du général et baron de Marbot.
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