Michel Perdrial . Textes en revues

Michel Perdrial




Loïc Boyer
On trouvera ici de mes textes courts publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).

Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.

Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.

Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième chez L’Imprimante.

Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.








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Texte publié dans la revue Diérèse n°24 en hiver 2003/2004


            Dans le train qui mène à Paris, la fillette juive chante d’une voix limpide de vieux airs en yiddish sous l’œil attendri de sa mère qui la couvre de baisers. Puis, elle se tait, suce son pouce pendant quelques minutes, pour ensuite changer de place et s’installer, seule, sur l’une des banquettes qui se font face au centre de la voiture.
            A l’arrêt de Mantes-la-Jolie, une foule s’engouffre dans le train et le quai, où patrouillent quelques gardes mobiles, est brusquement désert. Trois jeunes femmes papillonnantes et papotantes s’assoient près de la fillette qui se les approprie des yeux et des oreilles. L’homme brun, lui aussi, regarde et écoute. C’est ce qu’il fait de mieux ; ce pour quoi il est peut-être né : voir et entendre ceux qui, pense-t-il, font semblant de vivre ou qui, peut-être, vivent réellement.
            Les trois élégantes analysent les avantages et les inconvénients du body à pressions et du body à boutons. Et comme elles n’arrivent pas à les départager, le train arrive à Saint-Lazare et tout le monde descend. L’homme brun cherche dans la foule le visage de la fillette afin de ne pas l’oublier trop vite. Puis, il marche jusqu’à la Madeleine pour vérifier que la clientèle des magasins de luxe se porte bien, disparaît sous terre aidant une jolie fille à franchir le tourniquet sans payer et attend le prochain métro pour le Quartier Latin. Il ressort à Odéon, va d’une librairie à la suivante, d’un magasin de disques d’occasion à un autre, pressé et compressé par celles et ceux qui comme lui n’ont rien de mieux à faire que d’acheter les mots des autres. Près de Jussieu, il passe entre les membres des Compagnies Républicaines de Sécurité, la matraque au côté, et pénètre dans un café à multiples recoins. Il se réfugie le plus loin possible du bar, à proximité d’une étudiante qui parcourt un livre d’économie en rêvant à la musique que diffusent les écouteurs nichés dans ses oreilles délicates. Il commande un café et regarde le couple qui s’installe à la table voisine.
            La jeune femme blonde enlève ses gants et son compagnon se libère d’une sacoche d’où dépassent les extrémités d’un trépied de photographe. Elle dit qu’elle ne sait pas quel genre de photo désire son éditeur mais qu’elle aimerait que ce soit au bord de la Seine au soleil couchant. Il répond qu’il va falloir faire vite, que la nuit tombe rapidement en automne. Elle voudrait bien être prise en pied mais il lui explique que son visage serait ridiculement petit sur la couverture du livre. Il s’inquiète de la place du titre et d’autres détails techniques mais elle ne sait rien. Simplement que l’éditeur exige une photo d’elle sur la couverture.
             -De quoi parlent vos poèmes ? demande le photographe, en agitant sa queue de cheval.
             -Oui, cela aurait été mieux si vous aviez pu les lire avant. Cela parle du mal de vivre, du temps qui passe, de l’amour déçu, de la mort. Le problème avec cette photo, c’est que je n’ai pas la tête d’une angoissée. J’ai une bille de clown. Ça ne va pas du tout avec ce que racontent mes poèmes. Peut-être pourrais-je prendre un air cynique et désabusé ?
            -Oui, peut-être, répond le photographe.
            -Parce qu’elle est malheureuse ; elle est seule, incomprise et elle a peur.
            C’est d’elle dont elle parle soudain à la troisième personne. Comment faire autrement. Comment dire je suis malheureuse, je suis incomprise, je suis seule, j’écris des poèmes pour me rassurer et l’éditeur m’impose de lui remettre une photo de moi pour la couverture et le bon de souscription de mon livre mais je ne sais pas ce qu’il veut, ni pourquoi il le veut.
            Le photographe ajuste ses lunettes rondes et parle à son tour mais l’homme brun se désintéresse de la suite de la conversation. Il pense que la jeune femme blonde est en train de se faire avoir, que la photo ne servira qu’à lui facturer plus cher le contrat à compte d’auteur qu’elle a dû signer, que cela vaudrait mieux pour ses économies, et peut-être aussi pour la littérature, qu’elle cesse d’écrire.
            Et puis, il prend un stylo et une feuille blanche dans son sac et commence à raconter un train qui roule vers Paris avec à son bord une petite fille juive qui chante.
 

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