Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss
Ordinateur en panne et peu d’espoir de le voir redémarrer. Je suis a Saint Quay Portrieux jusqu’a fin octobre. Impossible de me connecter a Facebook avec mon smartphone. On peut toujours m’envoyer un mail si on a des choses a me dire (rubrique Contact). Et si l’on est a Rouen, disposant d’un ordinateur portable inutilisé (sur lequel on peut brancher une souris) et qu’on puisse me le prêter a mon retour (ou me le vendre) …


30 septembre 2025


Il fait froid ce lundi, jour de ma fête, lorsque je prends le bus D de huit heures trente-deux, terminus La Ville Hervy. Je descends au même endroit qu’en début de séjour : Place Bellevue. Il ne s’agit pas cette fois de faire le tour de la Pointe du Roselier mais de longer l’embouchure du Gouët, côté Plérin donc, du Phare au Port du Légué.
Le Géherre est là, que je prends sur la droite. Il est durant peu de temps un chemin de terre. Il faut ensuite suivre le bord de route. Un embranchement permet de faire la promenade au Phare. Lequel a pour nom : Feu de la Pointe de l’Aigle. Remonté sur la voie qui mène au port, j’arrive à la hauteur de la Tour de Cesson qui se dresse sur l’autre rive en haut de la butte. Il s’agissait de protéger l'embouchure du Gouët et la ville de Saint-Brieuc des attaques de pirates et autres agresseurs. Une ruine aujourd’hui, que je n’aurai entrevue que de loin et c’est bien ainsi. Je longe ensuite l’Ile aux Lapins où l’on ne doit pas voir la queue d’un car on y travaille industriellement. C’est ensuite l’avant-port. Quelques voiliers, plus ou moins abandonnés, gisent sur le flanc car c’est marée basse. J’aperçois, toujours dans le quartier de Cesson, la flèche de la Chapelle Saint Yves et j’arrive au Port de Pêche dont beaucoup des bateaux sont sortis en mer.
Il est dix heures quand j’aborde le Bar Les Mouettes. Le froid me conduit à m’installer à l’intérieur. Une table surélevée qui me permet un œil sur l’extérieur tandis que j’ai l’autre sur Paul-Jean Toulet toujours en voyage. Nous arrivons à Canton. L’hôtel est plein. On nous loge dans une ambulance.
Le ciel bleu gagne du terrain mais les nuages font de la résistance. Ils sont impressionnants dans cette Baie, bourgeonnants et noirs, le plus souvent inoffensifs. Je passe côté Saint-Brieuc, en faisant le tour du Port par le Pont de Pierre et attends sur un banc que Le Quai Gourmand veuille bien ouvrir, c’est-à-dire midi pile.
Mon choix se porte sur le poulet noir breton rôtissoire et ses frites. Auparavant, je me sers dans le buffet d’entrées qui vaut le prix, des produits de la mer frais, variés, bien présentés et renouvelés chaque jour. En dessert, je choisis la tarte coco ananas.
Je traverse ensuite le Port par la passerelle qui a été installée pendant mon repas et rentre avec le premier bus D. Il faut songer à faire mon bagage et si possible régler mon souci du jour : impossible de me connecter au site qui permet de propulser mes écritures dans le monde entier.
                                                                        *
J’aurais pu tricher, ne pas payer le bus grâce à mon ticket visé à la main dans les cars BreizhGo mais cela aurait été bête de prendre une amende le dernier jour de mon séjour à Saint-Brieuc. Évidemment, pas de contrôle ni à l’aller ni au retour.

29 septembre 2025


« Nous pouvons vous proposer de venir déjeuner avec nous demain midi ou de prendre un café vers 14h. Nous sommes également disponibles lundi à 18h30 pour vous offrir un verre. », m’écrit ma logeuse hier après-midi. Je lui réponds que le dimanche pour moi c’est Binic mais que je serai ravi de prendre un verre avec elle et son mari lundi soir.
En ce dernier dimanche de septembre, avant de prendre le car BreizhGo de neuf heures trente, je fais une série de photos de la Gare de Saint-Brieuc et de sa passerelle.
Que des solitaires à bord de ce car au départ. Ils ne portent pas la joie de vivre sur le visage. Pas des touristes, assurément. Je n’en vois quasiment pas dans la Baie de Saint-Brieuc. Quand même, aux Champs montent un duo de filles à sac à dos et une femme avec son enfant. Après Pordic, une brouillasse se met à tomber.
J’ai la chance de trouver ma petite table ronde libre au Narval.. Derrière moi une tablée de huit bicyclistes en maillot jaune de Guingamp, moule bite et chaussures qui donnent une démarche de pingouin. Dès qu’il pleut, on préfère le bistrot au vélo.
Mon petit-déjeuner terminé, je fais une bonne balade au-dessus de la plage puis au long de celle-ci, un peu sous le parapluie, davantage sans.
A midi moins trois, j’entre à La Sentinelle où, je l’espère, m’attend la table réservée. On veut me donner la mauvaise table dans l’entrée. Une personne seule, pas d’ici, quand c’est complet, on essaie de la coller au mauvais endroit. Je proteste, indique la table que j’avais choisie et qui devait être notée. J’obtiens satisfaction. Dix minutes plus tard, madame Labrousse hérite de la table dont je n’ai pas voulu et me jette un regard noir.
C’est le dernier jour d’ouverture avant trois semaines de vacances. Le rubicond Dédé est au comptoir avec son verre de blanc. Il en demande un autre car trois semaines, ça va être long. Il ira ailleurs, j’en suis sûr. La très jolie serveuse n’est pas là mais il en est une autre qui me plaît à cause de son air espiègle. Au menu à dix-huit euros : gratiné de poireaux au chèvre, jambon braisé sauce porto champignons et sabayon aux agrumes.
Il y a un poil de ciel bleu quand je sors de La Sentinelle. Je prends le risque d’une table en terrasse au Narval pour le café. Celui-ci bu, j’ouvre Par les routes et lis ceci : De la branlette j’ai pensé, comme il m’arrivait souvent de penser de beaucoup de livres qui font du faux style. Exactement ce que je pense de son livre à Sylvain Prudhomme. Les épisodes sont de plus en plus invraisemblables. Dans le dernier, l’autostoppeur réunit dans une fête improvisée à Camarade, ceux et celles qui l’ont pris en stop. Une chose inimaginable. Qui irait rejoindre un autostoppeur en traversant la moitié de la France sur une simple invitation envoyée par mail. Ensuite il disparaît pour de bon. Pas de l’autofiction donc, comme je le croyais au début, mais de la fiction sans le moindre intérêt. Je me demande ce que font les livres de cet auteur dans la collection L’Arbalète de Gallimard, où l’on trouve de bons livres, que j’ai lus, signés Michèle Audin, Thomas Clerc, Jean Genet, Noël Herpe, Frédéric Pajak, Hervé Guibert. Allez, hop, retour à la boîte à livres de Binic pour ce roman. Je remets aussi Un été avec Colette d’Antoine Compagnon après avoir noté ceci, tiré de Mes Apprentissages :
Elles sont nombreuses, les filles à peine nubiles qui rêvent d’être le spectacle, le jouet, le chef-d’œuvre libertin d’un homme mûr. C’est une laide envie qu’elles expient en la contentant, une envie qui va de pair avec les névroses de la puberté, l’habitude de grignoter la craie et le charbon, de boire l’eau dentifrice, de lire des livres sales et de s’enfoncer des épingles dans la paume des mains.
                                                                            *
A Binic, au-dessus de la plage, une bite turgescente sert de point de repère aux gens de la mer. L’autre jour dans le car, un trio de branlotins :
On va à Binic
La ville où on nique
(les Alfred Jarry d’aujourd’hui)

28 septembre 2025


Le bus Vingt de sept heures quarante et une, terminus Hillion Centre, se présente avec cinq minutes d’avance en bas du boulevard Clemenceau ce samedi. Sa conductrice me laisse monter mais il y fait presque aussi froid qu’à l’extérieur.
Je suis le seul passager durant tout le trajet. Au moins cette fois ai-je payé mon ticket. Nous roulons vers le beau ciel orangé du lever de soleil.
A l’arrivée, direction la boulangerie pour un combo pain au chocolat café allongé à deux euros cinquante que je consomme sur mon banc.
Je descends ensuite à la plage de l’Hôtellerie et cette fois direction Pisse Oison (ou Pissoison) et au-delà Yffiniac par le Géherre qui surplombe la Réserve Naturelle. En face, c’est Langueux et son Boutdeville. Un sentier tranquille où je ne risque pas ma vie et où je rencontre quelques beaux arbres et quelques coureurs. A un moment, il s’élargit pour que des tracteurs puissent circuler. En contrebas de la digue, côté terre, on cultive. Un panneau m’explique que c’est la duchesse de Mercœur qui fit venir ici des paludiers du Poitou. A la fin du dix-neuvième siècle, seules deux familles restaient sur cette zone, un déclin dû à la concurrence des salins de l’Atlantique, à l’envasement et à la poldérisation. Le polder de Pissoison a été créé en mil sept cent quatre-vingt-cinq. On y pratique le maraîchage de plein champ, la culture des céréales et le pâturage. Je vois là des poireaux violets et de forts beaux choux qui me font penser à Alfred Jarry. Des chevaux aussi, ça change des oiseaux. Côté lagune farfouillent trois humains descendus d’une camionnette de la Réserve Naturelle Nationale Baie de Saint-Brieuc. Le chemin s’étrécit à nouveau. Je photographie un petit pommier bien chargé, d’un côté des fruits rouges, de l’autre des fruits jaunes. La greffe explique cela. J’en connais un rayon sur le sujet, rapport à la profession paternelle et grand-paternelle. Malheureusement, il faut finir sur une chaussée goudronnée pour atteindre le bourg d’Yffiniac. La rue des Trois Petits Ponts. Ils sont surtout étroits. Pas question de les emprunter quand passe une voiture. Je sais que je suis arrivé quand j’aperçois le giratoire Bernard-Hinault.
Je réserve une table au jeune homme qui sort la terrasse de la Pizzeria de la Baie puis j’entre à côté au Guillou Café pour un café verre d’eau. Il est dix heures quarante. Un vieil homme à casquette raconte qu’il va recevoir la médaille maritime des mains du Préfet Maritime. A quoi pense la grande fille dans les quatorze ans qui tient compagnie à son père au comptoir tandis qu’il boit son pastis et perd son argent dans des jeux à gratter ? 
J’ai du temps pour lire ce mauvais écrivain nommé Sylvain Prudhomme. Page cent vingt-deux de son Par les routes : il a bu la fin de son café. (ce n’était donc pas un accident). Le chapitre dix-sept commence par Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui partent. Et ceux qui restent. (ça alors !). L’auto-stoppeur de Par les routes est souvent parti bien sûr. Son ami le narrateur couchera-t-il avec sa femme ? Il faut attendre la page cent quatre vingt-quatre pour qu’elle passe à l’acte. Le buisson noir de son sexe que je découvrais pour la première fois. (dans la même phrase, le cliché du buisson et le pléonasme découvrir pour la première fois.)
La formule à dix-sept euros cinquante de la Pizzeria de la Baie, incluant quart de vin et café, a pour plat du jour la joue de porc sauce poivre jardinière de légumes et pour dessert une tarte noix de coco chocolat chaud. A part moi et le couple de la table voisine ne mangent ici que des habitués à qui la mère, la fille et la grand-mère font la bise pour de vrai. Le père ne peut sortir de la cuisine.
Je rentre avec le treize heures vingt-deux et pas tout seul. J’en descends au terminus en bas du boulevard Clemenceau. Peu avant le Bistrot Gourmand où je m’apprête à boire un autre café, je photographie une maison devenue crêperie. Sur son mur une plaque qu’on ne peut pas rater indique que de mil huit cent soixante dix-neuf à mil huit cent quatre-vingt-huit a vécu ici le jeune Alfred Jarry. « Fermeture exceptionnelle pour deuil dans la famille » est-il écrit sur la porte. Merdre.
                                                                      *
A Saint-Brieuc des Choux tout est plus ou moins bête,
Et les bons habitants ont tous perdu la tête.
A deux lieues est la mer, à deux pas les fumiers (…)
(Alfred Jarry en mai mil huit cent quatre-vingt-six, à l’âge de treize ans)

27 septembre 2025


« Eh les garçons, ça fait vingt-quatre ans que je suis dans le bâtiment, me prenez pas pour un con ! » Le calme règne ce vendredi matin à La Passerelle et le jour se lève sur un mixte de ciel bleu et de nuages noirs.
Je repasse par-dessus les voies ferrées pour prendre le car BreizhGo Deux Cent Un de huit heures trente-cinq. J’en descends à Pornic Centre à neuf heures.
« Trois kilomètres », me dit le sympathique patron de l’Hôtel Restaurant Le Perroquet à qui je demande la mer au plus court. Il me donne un plan. C’est la route qui va au Petit Havre, d’où je suis revenu l’autre fois en voiture avec un serviable autochtone. Elle mène aussi à la Pointe de Pordic.
Je me lance. Trois kilomètres, c’est long pour moi. Je m’en rends compte à mi-chemin. Il n’y a là à voir que des maisons individuelles. Une exception : la chapelle Notre-Dame de la Garde. Dire qu’il va falloir faire ces trois kilomètres dans l’autre sens, mon chauffeur n’étant sûrement pas disponible. Soudain, je me souviens qu’un des très rares bus Dix remonte à dix heures. J’accélère, espérant avoir le temps d’arriver à la Pointe avant l’heure de son départ. Il n’en est rien. De peu. Je vois quand même la mer entre le Petit Havre et cette Pointe.
J’utilise ma carte à voyages gratuits. Quel contrôleur se risquerait sur ce bout de ligne ? Je descends à Rue de l’Ic et vais à la Boulangerie Pâtisserie Nina me récompenser d’une pantoufle (un euro cinquante). C’est l’équivalent du chausson aux pommes en meilleur. Arrivé à L’Arrivée, je l’accompagne d’un allongé. La clientèle d’habitué(e)s a l’esprit atteint par ce qu’elle voit à la télé ou sur son smartphone. « Bientôt, on pourra plus sortir de chez nous. » C’est terrible de vivre dans ces villages, l’enfermement mental qui en résulte (loto et ragots).
J’ai avec moi Par les routes de Sylvain Prudhomme. Je vais voir si j’arrive à lire un roman. Peut-être, c’est de l’autofiction ou ça y ressemble. L’auteur y raconte un ami qu’il appelle l’autostoppeur. A ce propos, j’ai lu que la seule région française dans laquelle l’autostop se pratique encore avec une chance de réussite, c’est la Bretagne, région reculée. Par les routes est le genre de livre où je passe mon temps à corriger l’auteur : J’ai bu la fin de mon café. (J’ai fini mon café.) Pourquoi pas : J’ai mangé la fin de mon gâteau ?
« Je suis revenu avec le bus », dis-je au patron du Perroquet. « Ah, vous avez triché ! » « Vous y allez, vous, là-bas, à pied ? » « J’ai un vélo électrique et une trottinette électrique. Remarquez, je me suis calmé, parce que j’ai des copains qui sont morts avec ces engins. »
Le choix au menu est toujours le même. J’opte pour la galette complète (ne suis-je pas en Bretagne ?) J’en ai connu des meilleures mais la tarte du dessert me sied. « A lundi », me dit le patron. Je ne lui dis ni oui ni non.
Direction L’Arrivée pour encore un p’tit café et de la lecture en attendant de rentrer avec le BreizhGo de quatorze heures quatorze (un horaire facile à mémoriser). « Bisou, mon petit Roland », dit la serveuse à l’un qui s’en va. Tous ces bisous qui se disent et ne se font pas.
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Une arrivante à L’Arrivée : « T’es tout seul, Michel ? » « Oui, j’attends madame », répond l’homme derrière moi. Ouf, j’ai eu peur.
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Vous devez être bien ici, j’ai dit à Julien après un silence. (…) C’est beau, j’ai dit. (…) Tu te plais ici, j’ai demandé. (…) Dix-sept ans, Marie s’est exclamée. J’ai horreur de cette façon de dire qu’on dit, qu’on demande, qu’on s’exclame. Son utilisation systématique par Sylvain Prudhomme me conduit à le ranger parmi les mauvais écrivains.
                                                                      *
Ça y est, Marie-Jo est entrée dans les Côtes-d’Armor, une marcheuse de soixante-dix-neuf ans qui fait des dix-huit kilomètres par jour avec son gros sac à dos tout en cherchant des habitants pour l’héberger. J’aime la façon dénuée de fioritures dont elle raconte ça sur le réseau social Effe Bé. Ça s’appelle Les 10 000 km à pied de Marie-Jo.

26 septembre 2025


De l’agitation à La Passerelle ce jeudi un peu après sept heures et demie. Une simplette vient s’y réfugier après qu’un drogué l’a embêtée dans la rue. Ce type arrive à la porte. « Tu rentres pas ou je te casse la gueule ! » lui crie le patron. L’autre part. « Comme j’aurais plaisir à le démonter », renchérit le patron. « Je me suis déjà accroché avec ce bâtard », raconte-t-il ensuite aux deux habitués qui arrivent. Cet homme a le sang chaud (comme on dit), ça pourrait lui jouer des tours. La simplette va prendre son bus, surveillée par la patronne. Un des habitués parle d’autre chose. De celui qui lui a piqué son boulot chez Leclerc et qu’il va emmerder en semant des herbes invasives dans son jardin. C’est un endroit où l’on se fait justice soi-même.
Le ciel est affreusement noir mais je prends le risque de monter dans le bus E direction Cesson, que l’on prend à la Gare Routière devant La Passerelle, celui de huit heures sept qui fait un détour par le Valais. Les suivants n’y vont pas.
Des gouttes se mettent à tomber lorsque j’en descends à l’arrêt Le Valais. Une autochtone m’indique où trouver la Grève du Valais. Une route pentue y mène. Arrivé en bas, la pluie ayant cessé, je replie mon parapluie. Une fille venue ici avec sa voiture munie d’un A d’apprentie est assise à une table, méditant face au lever du soleil. Nous nous bonjourons. Sur la droite de cette plage, je prends l’escalier qui mène à un promontoire d'où l’on surplombe la Baie de Saint-Brieuc et la Réserve Naturelle, en face Hillion et la Pointe du Grouin.
Je me concentre ensuite sur ce qui m’amène ici : les cabanons colorés de la Cité Baby. Leur installation date des congés payés de mil neuf cent trente-six pour les plus anciens. Ce serait peut-être mieux de les voir sous le soleil. Pas sûr. Leurs couleurs ressortent dans la grisaille. Il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut. Ceux d’en bas sont au plus près de la mer. Parfois au-dessus grâce à des pilotis. Au risque d’être emportés par les vagues. Ceux d’en haut, accrochés à la falaise, ne risquent rien. C’est un endroit un peu secret et foutraque comme je les aime. Tous sont fermés ce jeudi matin. L’un a pour nom La Normande et un autre Copa Cabanon. Ces cabanons appartiennent aux descendants de leurs constructeurs. Ils ont failli disparaître. On voulait les faire détruire au profit de la Réserve Naturelle. La résistance l’a emportée.
Après les avoir bien photographiés en bas puis en haut, je prends le Géherre Trente-Quatre. Me voici parti pour une longue marche qui, je l’espère, me fera arriver au Port du Légué. Elle s’avère un peu sportive avec des escaliers à monter et à descendre et un sentier qui penche parfois du côté de l’embouchure du Gouët que l’on surplombe. A travers les branches, j’aperçois le phare côté Plérin et un bateau de pêche qui part en mer.
J’atteins le Port au niveau de l’écluse, après ce bel exploit pendant lequel je n’ai croisé personne, au moment où la franchissent des bateaux de pêche.
Le soleil point quand je passe le Pont Tournant. Au marché est installé un crêpier à qui j’en achète deux pour deux euros. Je découvre qu’il m’en a mis trois quand je les mange avec un allongé aux Mouettes. Alors que le ciel redevient noir et que souffle un vent frisquet, j’ouvre Toulet. Comme tous les petits bourgeois de tous les pays, ils ont chacun une grosse femme et une grande fille.
Pour déjeuner, j’opte encore une fois pour le Quai Gourmand et je l’atteins rapidement grâce à la passerelle déployée. Pas question d’y entrer avant midi, le personnel fume devant, un œil sur son smartphone. « Ah putain, dès qu’on sort, le temps, il passe trop vite. »
Pour plat, je choisis le travers de porc breton caramélisé aux pommes avec frites, puis en dessert, une tarte au citron meringuée. Une arrivante s’adresse à l’homme de l’accueil : « Y a le monsieur avec son cheval qui demande s’il peut manger à une table dehors. » Effectivement, devant l’entrée du restaurant se trouve un sexagénaire accompagné d’un cheval qui porte son bivouac. C’est oui. L’animal est attaché à un poteau de signalisation pendant que son propriétaire déjeune.
Comme il fait un peu frais, je m’installe à l’intérieur des Mouettes pour le café, une salle sympathique qui rappelle l’intérieur d’un navire. Elle est un peu bruyante au comptoir. Dans un coin, un couple, chacun sur son smartphone. Elle devant un tuto (comme ils disent) sur la pose d’un thermostat. Un expresso et retour à Paul-Jean Toulet. La ville de Saïgon se glorifie de trois ou quatre tigres et de quelques employés des Postes. Contre les uns comme aussi contre les autres une administration prudente a protégé le public par un appareil de grilles …
Je rentre avec le bus D en validant correctement ma carte dix voyages. Il n’y a pas de contrôleurs dans les Transports urbains briochins, me disais-je. Jusqu’à ce que ce matin dans le bus E en montent trois pour contrôler les cinq voyageurs. J’ai tendu ma carte de dix voyages à l’un d’eux qui a regardé si je l’avais passé dans le valideur. Il me l’a rendue et j’ai soupiré intérieurement de soulagement car j’étais en fraude. Sur cette carte, outre mes voyages validés dans les bus, il y avait ceux effectués dans les cars BreizhGo où, faute de valideur, le chauffeur inscrit la date au stylo. Avec cette carte, j’en étais déjà à treize voyages. Il n’y a de la chance que pour les crapules, comme disait je ne sais qui.
C’est une façon de me dédommager de n’avoir pu obtenir une carte mensuelle à mon arrivée à Saint-Brieuc.
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Message reçu à mon retour :
« Vigilance – Risque d’éboulement sur le GR34
Suite aux pluies exceptionnelles des 21 et 22 septembre 2025, le trait de côte est fragilisé.
Les sols peuvent être instables : nous vous recommandons la plus grande prudence si vous empruntez le GR34.
Merci d’adopter un comportement responsable pour votre sécurité et celle des autres. »

25 septembre 2025


Mon séjour à Saint-Brieuc va doucement vers la fin. Je quitterai prochainement mon bizarre logis Air Bibi où je suis exposé comme dans une vitrine. Était-ce une boutique avant ? Ou un garage ? Heureusement, personne en passant ne regarde à l’intérieur. C’est un bel endroit avec un mur de pierre et un confort relatif. Ainsi, pas d’évier dans le coin cuisine. Il faut faire la vaisselle dans le lavabo de la salle d’eau. Ce qui se résume pour moi à laver un verre et un couteau. Cependant, tout y est récent et le prix de la nuitée n’est que de vingt-cinq euros.
J’en sors de nuit ce mercredi matin, voulant prendre un bus à huit heures sept. Eh bien non, il se met à pleuvoir peu avant huit heures, ce qui me conduit à ajourner mon projet. A la place, je vais une nouvelle fois à Quintin avec le car Deux Cent Cinq de huit heures quarante.
Comme la pluie s’est provisoirement arrêtée à l’arrivée, je fais le tour de l’étang dans le sens des aiguilles de la montre, longeant le Gouët (car pas de doute c’est bien lui) entre l’heure et la demie.
Aux premières gouttes, je monte dans le bourg, m’arrête à la Pharmacie du Centre pour un renouvellement de médicaments puis au Toujours un P’tit Trou. Il est dix heures moins dix. Après le café, je retrouve Toulet. En mil huit cent quatre-vingt-onze, il voyage en Espagne. Le train s’arrête devant un appareil de toits violemment silhouettés sur un couchant qui saigne. Deux ou trois déprimés cherchent quoi se dire « T’as vu, Claudia Cardinale est morte. » Pas de groupe de sportives et sportifs envahissants comme hier au Légué. Il faut pourtant que l’auteur de la thèse sur la dérive des continents envoyée à l’Onu vienne me saouler : « Pardon monsieur, vous êtes un grand lecteur ? Je suis écrivain local si ça vous intéresse. » Je l’envoie paître.
Dehors, ça pleut ou ça ne pleut pas. Vers onze heures trente, je remballe et descends à La Vallée où, ma table réservée, je reste boire un autre café (un euro quarante) tandis que ça pleut dur. « Un coup de pinard », demande un vieux d’ici au comptoir.
Cette fois, je déjeune à l’intérieur, une grande salle dans laquelle les ouvriers, avant même d’avoir une table et de poser leur veste, foncent sur le buffet d’entrées. Comme plat, j’opte pour les lasagnes à la bolognaise (fort bonnes) et comme dessert, je vais chercher une crème brûlée (décevante).
Quand je sors, une éclaircie me permet un nouveau tour d’étang que j’effectue en passant par l’autre rive du Gouët, ce qui est un peu risqué car la pente est glissante. Mon banc préféré ayant séché grâce au vent, j’y attends sous un soleil intermittent le BreizhGo de treize heures trente-deux.
Je ne suis pas le seul à y monter. Une vingtaine de lycéens font de même, nous sommes mercredi, les cours se terminent plus tôt. Que des garçons qui n’ont pas une tête de bon élève mais n’en sont pas moins calmes et tranquilles.
                                                                        *
La petite polémique du jour : Charlotte Gainsbourg a-t-elle le droit de jouer le rôle de Gisèle Halimi ? Elle ne serait pas assez pro-palestinienne.
Depuis quand une comédienne doit-elle avoir les idées de son rôle ! Faut-il prendre une anarchiste pour jouer Louise Michel ? Une catholique pour jouer Jeanne d’Arc ? Une négationniste pour jouer Leni Riefenstahl ?
Ce siècle de la morale et de la vertu ne cesse de me consterner.

24 septembre 2025


De la pluie toute la nuit et l’incertitude pour ce mardi. Difficile de décider dans quel ordre aller voir ce qu’il me reste à voir à Saint-Brieuc. A La Passerelle, j’attends que le jour se lève pour en décider. Une femme au comptoir est en pétard suite à un évènement entendu à la radio de Bolloré. Je ne sais pas de quoi elle parle mais ça concerne une école Monte et Souris.
Un peu de pluie revenue me conduit à choisir la Chapelle Saint-Yves qu’on atteint dans le quartier de Cesson avec le bus Teo (un toutes les dix minutes). Il dessert le Pôle Universitaire. J’en descends à l’arrêt suivant, son terminus, Avenir. La conductrice m’indique comment trouver ce que je cherche, derrière, au bout, pas loin. C’est l’ancien Grand Séminaire du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, construit en mil neuf cent vingt-sept par Georges-Robert Lefort. Un bâtiment qui a accueilli pendant quarante ans des centaines de séminaristes. Il a été entièrement restructuré en deux mille dix-sept. C’est aujourd’hui la Maison Saint-Yves, une maison diocésaine qui se veut ouverte sur la ville.
J’y arrive quand le soleil commence à poindre. Il est huit heures quarante. Ça ouvre à huit heures trente. Je suis le premier visiteur. La dame de l’accueil vient avec moi de l’autre côté du cloître pour mettre les lumières dans la Chapelle et m’ouvrir la crypte dans laquelle la communauté prie avant huit heures et demie, me dit-elle.
Cette Chapelle, fort belle, est de style Art déco avec des mosaïques d’Isidore Odorico, des peintures à fresco et un riche mobilier inspiré par le mouvement breton Seiz Breur. L’autel et le sol sont composés de milliers de tesselles colorées, dorées, ou en duo de noir et blanc qui évoque le Gwen Ha Du, le drapeau de la Bretagne. Des arabesques partent à l’assaut des portails en fer forgé, des murs et des allées de la nef, en forme de fleurs et de triskells. Les fresques peintes à même le mortier donnent de la densité aux couleurs, de l’ocre et du safran soulignés par du vert.
Je descends dans la crypte, plus sobre, dont la niche du fond comporte une scène peinte par le Seiz Breur Xavier de Langlais : le péché originel, la présentation de Marie au temple, etc.
Je fais ensuite le tour du cloître. En son centre, le jardin paysager graphique reprend des symboliques religieuses. Sur un mur, une immense fresque, due elle aussi à Xavier de Langlais, représente l’arrivée légendaire de Saint Brieuc au Port du Légué.
Le Port du Légué, c’est là où je vais, le soleil réapparu, par un beau sentier qui descend de derrière la Maison Saint-Yves, dans les bois, jusqu’à la station d’épuration. L’eau du Port est marronnasse, complètement boueuse, mais les abords de celui-ci ne gardent pas trace de l’orage de dimanche qui souleva les plaques d’égout.
Une place au soleil au Bar Les Mouettes, un allongé, et me voici lisant mon livre sur Colette tandis qu’un peu plus loin une fille au téléphone règle les détails de sa vie sentimentale. « Tu viens chercher tes affaires et tu dégages. »
Je suis là à lire tranquillement quand arrive un groupe qui ne trouve rien de mieux à faire que de s’asseoir aux tables voisines de la mienne alors qu’il y a de la place partout ailleurs. Sept femmes et trois hommes, des retraités qui sortent de la salle de sport. La plupart en surpoids malgré l’effort. Je les déteste, surtout les femmes avec leurs rires de ménopausées, et déménage à l’autre bout de la terrasse.
Pour déjeuner, je rejoins Rosengart par le Pont de Pierre, la passerelle n’étant pas en service. Au Quai Gourmand, je commande le menu entier (vingt euros cinquante). D’abord le buffet d’entrées, puis un excellent sauté de canard, figues et pommes de terre au four, enfin en dessert, je choisis au buffet une mousse aux trois chocolats.
En retournant de l’autre côté je croise une journaliste à micro poilu qui veut savoir si j’ai vu quelque chose dimanche (ce qui s’appelle arriver après l’inondation). Aux Mouettes, je m’assois à une table contre le mur, à l’abri du vent devenu frisquet, un café, un verre d’eau et je termine Un été avec Colette. Je n’aurai rien appris de nouveau sur sa vie mais c’est joliment écrit.
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Se gourer. Prendre le Gouët pour le Gouédic et réciproquement. A Saint-Brieuc, c’est le Gouët dont l’embouchure abrite le Port du Légué et c’est le Gouédic que l’on suit quand on descend à pied vers ce Port. Et non le contraire comme j’ai écrit plusieurs fois précédemment. Trop compliqué de corriger.

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