Loïc Boyer
On trouvera ici de mes textes courts publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième chez L’Imprimante.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième chez L’Imprimante.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Texte paru dans la revue Diérèse n°36 au printemps 2007
C’est dans ce fast-food près des Halles que je l’ai aperçue pour la première fois. J’y mangeais un Bacon Deluxe en attendant midi, l’heure d’ouverture de Beaubourg.
Envie de me mettre de la peinture plein la tête.
Elle est entrée, gracile et gracieuse, filiforme telle une enfant grandie trop vite, vêtue d’un jean élimé et d’un pull flou.
Aux pieds des tennis.
Ses yeux furtivement ont croisé les miens et déjà je savais qu’elle comptait pour moi. Elle était accompagnée d’une amie : une drôle de fille cachée dans une longue jupe plissée, un blouson de pluie et un chapeau de tennis.
On se demandait ce qu’elles faisaient ensemble.
C’est presque par hasard que je suis sorti en même temps qu’elles. Elles aussi allaient vers Beaubourg et en attendant le feu vert pour traverser la rue, ses yeux m’ont retrouvé à travers la foule.
Et puis le temps de m’arrêter pour regarder une reproduction d’Edward Hopper dans une vitrine et toutes deux avaient disparu.
Je me suis attardé près des fontaines mouvantes. J’ai fait le tour du bassin en essayant de ne pas me faire éclabousser par l’éléphant cracheur.
Puis je suis entré et par les escaliers mécaniques suis arrivé au Musée d’Art Moderne. Lorsque j’ai pénétré dans la première salle, je l’ai retrouvée.
Seule.
Ses yeux bleus se sont fixés sur le premier tableau venu, plus vite qu’ils n’auraient dû le faire et mon cœur s’est mis à gonfler. Je savais qu’il me fallait lui parler et je suis passé dans une autre salle.
C’est vrai que je suis timide.
On a commencé comme cela à jouer à cache-cache pendant trop longtemps. Croisements, esquives, rapprochements. Plus le temps passait et plus il m’était difficile de l’aborder. Elle a fini par me planter là et d’un pas rapide a disparu.
Je l’ai cherchée.
Elle était assise dans un des moelleux fauteuils du couloir latéral. Le fauteuil voisin était libre mais je suis allé m’asseoir le plus loin possible d’elle.
Comment faire autrement ?
Elle s’est levée et s’est dirigée vers la sortie. Cette fois, c’était perdu. Je me suis plongé dans la peinture me disant que la liste des filles que j’avais laissé partir était déjà longue. La couleur m’a bercé de tableau en tableau au gré du labyrinthe. Puis, j’ai rebroussé chemin pour revoir une toile de Matisse dans la première salle.
Elle était là.
Ses cheveux blonds ondulants et libres jouaient sur le blanc de son pull. Elle parlait une langue étrangère avec un garçon et une fille aussi jeunes qu’elle. Elle faisait donc partie d’un groupe en visite en France, me suis-je dit. Quel âge pouvait-elle avoir ?
Dix-sept ans ? Vingt ans ?
Je me suis approché. Elle riait en anglais et m’aperçut qui la contemplais. Vite, elle replongea son regard dans les yeux de ses interlocuteurs. J’allais me rasseoir dans un fauteuil profond essayant de fixer mon attention sur les allées et venues des autres visiteurs.
Parfois, on a envie de se traiter de tous les noms.
Quelques minutes plus tard, elle repassa devant moi, me trouva d’un œil vif et entra seule dans la salle située face à mon fauteuil. Je me levai et la suivis.
Et elle le sut.
Elle s’engouffra dans la petite pièce sans issue où sont accrochés les Rouault, sorte de crypte pour tableaux sombres et pesants. Elle semblait une fleur dans un monde d’angoisse.
J’étais près d’elle et nous n’étions que deux.
-You are English girl? m’entendis-je lui demander dans un anglais désastreux.
Elle me sourit. Non, pas Anglaise. Américaine.
-I think you are a very beautiful girl.
Ses yeux brillèrent et elle me dit que c’était gentil de lui dire ça. Moitié anglais, moitié français, elle me parla d’elle, de ses études à l’université, de sa venue en Europe, de sa découverte des cathédrales et des musées, du Sacré-Chœur où elle devait chanter le soir même et de Philadelphie sa ville.
Elle avait vingt-deux ans. J’essayai de lui expliquer qui j’étais et ce qu’était un instituteur d’école maternelle. Je lui demandai si je pouvais la revoir le lendemain. Elle me dit qu’elle n’était pas libre, que ce serait son dernier jour en France, qu’elle devait dire au revoir aux gens chez qui elle logeait et qu’elle était triste de partir. D’une main tremblante, j’inscrivis mon adresse sur une page arrachée de mon carnet de chèques et elle promit de m’écrire avant de courir retrouver ses amis.
Je restai plusieurs minutes dans cette salle, la sentant encore présente près de moi. J’avais oublié de lui demander son nom.
Puis je repris ma déambulation et les tableaux me semblèrent plus colorés, les visiteurs plus gais. Je crus la retrouver dans une peinture de Delvaux : fine jeune fille nue, aux seins menus, le ventre blanc et la toison légère.
Les yeux clairs. Me regardant.
Maintenant, je suis rentré en Normandie et j’ai peur d’oublier son visage. Pense-t-elle encore à moi ?
J’espère le facteur. A-t-on jamais vu plus affreusement sentimental et plus naïf que moi ?
Envie de me mettre de la peinture plein la tête.
Elle est entrée, gracile et gracieuse, filiforme telle une enfant grandie trop vite, vêtue d’un jean élimé et d’un pull flou.
Aux pieds des tennis.
Ses yeux furtivement ont croisé les miens et déjà je savais qu’elle comptait pour moi. Elle était accompagnée d’une amie : une drôle de fille cachée dans une longue jupe plissée, un blouson de pluie et un chapeau de tennis.
On se demandait ce qu’elles faisaient ensemble.
C’est presque par hasard que je suis sorti en même temps qu’elles. Elles aussi allaient vers Beaubourg et en attendant le feu vert pour traverser la rue, ses yeux m’ont retrouvé à travers la foule.
Et puis le temps de m’arrêter pour regarder une reproduction d’Edward Hopper dans une vitrine et toutes deux avaient disparu.
Je me suis attardé près des fontaines mouvantes. J’ai fait le tour du bassin en essayant de ne pas me faire éclabousser par l’éléphant cracheur.
Puis je suis entré et par les escaliers mécaniques suis arrivé au Musée d’Art Moderne. Lorsque j’ai pénétré dans la première salle, je l’ai retrouvée.
Seule.
Ses yeux bleus se sont fixés sur le premier tableau venu, plus vite qu’ils n’auraient dû le faire et mon cœur s’est mis à gonfler. Je savais qu’il me fallait lui parler et je suis passé dans une autre salle.
C’est vrai que je suis timide.
On a commencé comme cela à jouer à cache-cache pendant trop longtemps. Croisements, esquives, rapprochements. Plus le temps passait et plus il m’était difficile de l’aborder. Elle a fini par me planter là et d’un pas rapide a disparu.
Je l’ai cherchée.
Elle était assise dans un des moelleux fauteuils du couloir latéral. Le fauteuil voisin était libre mais je suis allé m’asseoir le plus loin possible d’elle.
Comment faire autrement ?
Elle s’est levée et s’est dirigée vers la sortie. Cette fois, c’était perdu. Je me suis plongé dans la peinture me disant que la liste des filles que j’avais laissé partir était déjà longue. La couleur m’a bercé de tableau en tableau au gré du labyrinthe. Puis, j’ai rebroussé chemin pour revoir une toile de Matisse dans la première salle.
Elle était là.
Ses cheveux blonds ondulants et libres jouaient sur le blanc de son pull. Elle parlait une langue étrangère avec un garçon et une fille aussi jeunes qu’elle. Elle faisait donc partie d’un groupe en visite en France, me suis-je dit. Quel âge pouvait-elle avoir ?
Dix-sept ans ? Vingt ans ?
Je me suis approché. Elle riait en anglais et m’aperçut qui la contemplais. Vite, elle replongea son regard dans les yeux de ses interlocuteurs. J’allais me rasseoir dans un fauteuil profond essayant de fixer mon attention sur les allées et venues des autres visiteurs.
Parfois, on a envie de se traiter de tous les noms.
Quelques minutes plus tard, elle repassa devant moi, me trouva d’un œil vif et entra seule dans la salle située face à mon fauteuil. Je me levai et la suivis.
Et elle le sut.
Elle s’engouffra dans la petite pièce sans issue où sont accrochés les Rouault, sorte de crypte pour tableaux sombres et pesants. Elle semblait une fleur dans un monde d’angoisse.
J’étais près d’elle et nous n’étions que deux.
-You are English girl? m’entendis-je lui demander dans un anglais désastreux.
Elle me sourit. Non, pas Anglaise. Américaine.
-I think you are a very beautiful girl.
Ses yeux brillèrent et elle me dit que c’était gentil de lui dire ça. Moitié anglais, moitié français, elle me parla d’elle, de ses études à l’université, de sa venue en Europe, de sa découverte des cathédrales et des musées, du Sacré-Chœur où elle devait chanter le soir même et de Philadelphie sa ville.
Elle avait vingt-deux ans. J’essayai de lui expliquer qui j’étais et ce qu’était un instituteur d’école maternelle. Je lui demandai si je pouvais la revoir le lendemain. Elle me dit qu’elle n’était pas libre, que ce serait son dernier jour en France, qu’elle devait dire au revoir aux gens chez qui elle logeait et qu’elle était triste de partir. D’une main tremblante, j’inscrivis mon adresse sur une page arrachée de mon carnet de chèques et elle promit de m’écrire avant de courir retrouver ses amis.
Je restai plusieurs minutes dans cette salle, la sentant encore présente près de moi. J’avais oublié de lui demander son nom.
Puis je repris ma déambulation et les tableaux me semblèrent plus colorés, les visiteurs plus gais. Je crus la retrouver dans une peinture de Delvaux : fine jeune fille nue, aux seins menus, le ventre blanc et la toison légère.
Les yeux clairs. Me regardant.
Maintenant, je suis rentré en Normandie et j’ai peur d’oublier son visage. Pense-t-elle encore à moi ?
J’espère le facteur. A-t-on jamais vu plus affreusement sentimental et plus naïf que moi ?
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