Loïc Boyer
On trouvera ici de mes textes courts publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième chez L’Imprimante.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième chez L’Imprimante.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Texte paru dans la revue Verso n°118 en septembre 2004
Le premier obus tombait toujours pendant le dessert et le dessert était toujours le même. Un pain dit de Gênes coupé en deux transversalement et recouvert de crème au café décorée à l'aide des dents d'une fourchette qui laissaient à sa surface de jolies petites tranchées bien parallèles. Avec un cure-dent, sur ce gâteau crémeux, ma mère avait écrit le prétexte du jour, qui nous valait d'être réunis dans la salle à manger habituellement inoccupée, grands-parents, parents et enfants, heureux et mécontents à la fois: Bonne année... Joyeux anniversaire... Joyeux Noël... et cætera.
Le premier obus était toujours le bon. Il tombait exactement là où il le fallait. A Verdun et à proximité de celui qui serait mon grand-père, alors jeune homme dans une tranchée, promu défenseur d'une France assiégée. Puis il y avait l'éclat d'obus. Plus important que l'obus lui-même. L'éclat logé dans le pied de ce futur grand-père. Une belle blessure de guerre qui vaudrait à toute une famille, chaque jour dit de fête, de réentendre la même histoire avec les variantes de saison. Nul suspense; à Noël, impérativement, le soldat allemand sortait de la tranchée ennemie un drapeau blanc à la main, à quelques dizaines de mètres de celle où vivait, couvert de poux, mon jeune grand-père et criait: "Joyeux Noël à tous". En français, insistait l'ancien combattant. Mon père faisait répéter: "Joyeux Noël à touches" et posait moult questions destinées à faire oublier qu'il avait été, quant à lui, réformé et avait ainsi échappé à la guerre mondiale suivante, celle que beaucoup s'entêtent à nommer la seconde et qui n'est peut-être que la deuxième, me disais-je déjà à cette époque, en espérant prochaine la fin du repas.
Quel âge avais-je lorsque tout cela me devint intolérable? Entre quatorze et dix-huit ans sûrement. Je venais de prendre une décision. Jamais je ne porterais un uniforme. Jamais je ne marcherais au pas. Jamais je n'obéirais à un ordre galonné. Jamais, jamais, jamais, me répétais-je, cloué à la table familiale, à demi asphyxié, cinquante ans après les faits, par les vapeurs guerrières, les jours de fête, à vous faire détester son dessert, sa famille et la vie toute entière.
Le premier obus était toujours le bon. Il tombait exactement là où il le fallait. A Verdun et à proximité de celui qui serait mon grand-père, alors jeune homme dans une tranchée, promu défenseur d'une France assiégée. Puis il y avait l'éclat d'obus. Plus important que l'obus lui-même. L'éclat logé dans le pied de ce futur grand-père. Une belle blessure de guerre qui vaudrait à toute une famille, chaque jour dit de fête, de réentendre la même histoire avec les variantes de saison. Nul suspense; à Noël, impérativement, le soldat allemand sortait de la tranchée ennemie un drapeau blanc à la main, à quelques dizaines de mètres de celle où vivait, couvert de poux, mon jeune grand-père et criait: "Joyeux Noël à tous". En français, insistait l'ancien combattant. Mon père faisait répéter: "Joyeux Noël à touches" et posait moult questions destinées à faire oublier qu'il avait été, quant à lui, réformé et avait ainsi échappé à la guerre mondiale suivante, celle que beaucoup s'entêtent à nommer la seconde et qui n'est peut-être que la deuxième, me disais-je déjà à cette époque, en espérant prochaine la fin du repas.
Quel âge avais-je lorsque tout cela me devint intolérable? Entre quatorze et dix-huit ans sûrement. Je venais de prendre une décision. Jamais je ne porterais un uniforme. Jamais je ne marcherais au pas. Jamais je n'obéirais à un ordre galonné. Jamais, jamais, jamais, me répétais-je, cloué à la table familiale, à demi asphyxié, cinquante ans après les faits, par les vapeurs guerrières, les jours de fête, à vous faire détester son dessert, sa famille et la vie toute entière.
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