Des études ? Pour quoi faire ? Alors que l’on peut travailler en usine à quatorze ans et que la fabrique de piles électriques voisine embauche. Il lui en avait fallu de la persévérance à cet instituteur pour convaincre mon père de m’inscrire en sixième au collège.
Le collège était loin de la maison familiale et il fallut m’acheter un vélo. Un vélo de fille parce qu’un vélo de garçon c’était dangereux, disait ma mère, et qui pourrait servir à ma sœur plus tard. Aussi me vêtir, au magasin qui acceptait la carte de famille nombreuse. Notamment d’une sorte d’imperméable à la couleur incertaine et complété d’une casquette. Et m’inscrire à la cantine.
A peine dans la rue, je glissais cette foutue casquette dans ma poche. Les jours de pluie, j’arrivais au collège ruisselant, les vêtements trempés car l’imperméable ne l’était pas. L’hiver, c’était un vrai calvaire. Le froid me tétanisait et, un jour, me fit lourdement chuter sur la route gelée. Je me présentais parfois en retard, frigorifié, dégoulinant. Les professeurs à mon entrée continuaient leurs cours avec l’air de ne pas me voir.
J’étais un bon élève. Je travaillais sans me poser de questions. En anglais, j’étais toujours dans les quatre premiers de la classe. Jusqu’aux vacances de Pâques où le professeur emmenait les élèves dont les parents pouvaient payer passer quinze jours en Angleterre. A leur retour, ils m’écrasaient de leur accent british. Je me retrouvais classé neuvième et me faisais engueuler par ma mère. Je m’en souviens comme si c’était hier.
Mon rayon de soleil s’appelait Françoise. C’était une grande perche comme moi mais elle était fille de pédégé. Je la trouvais jolie. Je l’attendais chaque matin devant chez ses parents sous le soleil et sous la pluie. Elle posait son cartable sur le porte-bagages de mon vélo de fille.
Un jour, j’en eus assez de la cantine et de son odeur de chou bouilli. Comme la surveillance était plutôt laxiste, je déclarai à l’intendance que j’étais dorénavant externe. Je passais désormais l’interclasse de midi dans les rues. Avec l’argent des repas, j’achetais des bonbons, les pires cochonneries, dont je me goinfrais lamentablement. C’était mon seul déjeuner. Ensuite, j’allais rêver devant la vitrine du disquaire. C’était l’époque du twist, du yéyé et des idoles. Je regardais les disques que je ne pouvais acheter. Parfois, je ramassais un mégot sur le trottoir et j’essayais de le rallumer, le temps passait au compte-gouttes. Je me demandais ce qu’il fallait faire pour ne plus être moi.
Le midi, Françoise mangeait chez l’une de ses grands-mères qui tenaient chacune un café en centre ville. J’attendais devant l’un ou l’autre qu’elle apparaisse et nous retournions au collège.
La nuit, je rêvais d’elle. Elle était toujours nue sur mes genoux. Moi, je restais habillé. J’étais amoureux d’elle. Je n’ai jamais su si elle tenait à moi ou si simplement elle était contente de me voir toujours là. Chien fidèle.
Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°11 en septembre 2000.)
Le collège était loin de la maison familiale et il fallut m’acheter un vélo. Un vélo de fille parce qu’un vélo de garçon c’était dangereux, disait ma mère, et qui pourrait servir à ma sœur plus tard. Aussi me vêtir, au magasin qui acceptait la carte de famille nombreuse. Notamment d’une sorte d’imperméable à la couleur incertaine et complété d’une casquette. Et m’inscrire à la cantine.
A peine dans la rue, je glissais cette foutue casquette dans ma poche. Les jours de pluie, j’arrivais au collège ruisselant, les vêtements trempés car l’imperméable ne l’était pas. L’hiver, c’était un vrai calvaire. Le froid me tétanisait et, un jour, me fit lourdement chuter sur la route gelée. Je me présentais parfois en retard, frigorifié, dégoulinant. Les professeurs à mon entrée continuaient leurs cours avec l’air de ne pas me voir.
J’étais un bon élève. Je travaillais sans me poser de questions. En anglais, j’étais toujours dans les quatre premiers de la classe. Jusqu’aux vacances de Pâques où le professeur emmenait les élèves dont les parents pouvaient payer passer quinze jours en Angleterre. A leur retour, ils m’écrasaient de leur accent british. Je me retrouvais classé neuvième et me faisais engueuler par ma mère. Je m’en souviens comme si c’était hier.
Mon rayon de soleil s’appelait Françoise. C’était une grande perche comme moi mais elle était fille de pédégé. Je la trouvais jolie. Je l’attendais chaque matin devant chez ses parents sous le soleil et sous la pluie. Elle posait son cartable sur le porte-bagages de mon vélo de fille.
Un jour, j’en eus assez de la cantine et de son odeur de chou bouilli. Comme la surveillance était plutôt laxiste, je déclarai à l’intendance que j’étais dorénavant externe. Je passais désormais l’interclasse de midi dans les rues. Avec l’argent des repas, j’achetais des bonbons, les pires cochonneries, dont je me goinfrais lamentablement. C’était mon seul déjeuner. Ensuite, j’allais rêver devant la vitrine du disquaire. C’était l’époque du twist, du yéyé et des idoles. Je regardais les disques que je ne pouvais acheter. Parfois, je ramassais un mégot sur le trottoir et j’essayais de le rallumer, le temps passait au compte-gouttes. Je me demandais ce qu’il fallait faire pour ne plus être moi.
Le midi, Françoise mangeait chez l’une de ses grands-mères qui tenaient chacune un café en centre ville. J’attendais devant l’un ou l’autre qu’elle apparaisse et nous retournions au collège.
La nuit, je rêvais d’elle. Elle était toujours nue sur mes genoux. Moi, je restais habillé. J’étais amoureux d’elle. Je n’ai jamais su si elle tenait à moi ou si simplement elle était contente de me voir toujours là. Chien fidèle.
Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°11 en septembre 2000.)