Pigeonné


            De rue en rue, Rouen m’attire et m’aspire. Le sourire d’une jeune fille croisée, l’odeur chaude d’un café torréfié, l’écho lointain d’une musique aérée, décident de mes pas.
            J’arrive devant le Ciné-Bijou, unique cinéma porno de la ville. Dans le hall ouvert à tous les vents quelques vieux messieurs gris souris se faufilent s’efforçant de se confondre avec la peinture vieillie des murs où s’affiche le titre du jour. Baise-moi par tous mes trous.
            La caissière sort un instant muni d’un sac de papier kraft. Elle verse de nombreuses graines dans le caniveau qui voit accourir une meute de pigeons affamés. A peine est-elle de retour dans sa cage vitrée qu’un automobiliste, d’un créneau parfait, pose sa voiture sur les graines dans un envol désappointé.
            Là-haut, sur la gouttière, glougloutant d’indignation, les pigeons s’entretiennent d’espoir déçu.
            Je ne les écoute pas.
            Ce matin, elle m’a téléphoné.
                                                                          Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Décharge n°116 en décembre 2002.)