Ce sont des images qui sont là, enfouies au plus profond de son être, et qui, pourtant, ne cessent de revenir en surface. Des images qui le hantent certaines nuits lorsqu’il pense à ses enfants qui dorment paisiblement dans leurs chambres dont il a fabriqué chaque meuble dans le meilleur bois.
Le jour n’est pas encore levé. Il est déjà debout. Seuls quelques ronflements troublent la paix du dortoir. Il est grimpé sur une chaise. Il regarde par la fenêtre. Il attend le passage du laitier.
Cela fait trois mois qu’il est interne dans ce collège de Louviers et il sait qu’il ne pourra jamais s’y faire. Ses parents lui ont expliqué que c’était la meilleure solution ; la seule possibilité pour qu’il fasse ses devoirs et apprenne ses leçons loin du tumulte de ses frères et sœurs. Mais il ne les croit pas. Il se demande ce qu’il a bien pu leur faire pour qu’ils l’abandonnent ainsi.
Le laitier ne va pas tarder. Il est toujours à l’heure. Dans le silence hostile de la ville endormie, il entendra ronfler le bruit du moteur. Le camion s’arrêtera derrière le mur du collège. Il en apercevra le toit, seulement le toit. Il ne lui servira à rien de se hisser sur la pointe des pieds, il ne verra rien de plus. Il entendra le bruit des bidons qui s’entrechoquent et frappent le trottoir. Le camion repartira. Ce sera fini. Il retournera se coucher. Comme chaque matin.
Dans son lit, il rêvera à la maison de ses parents, à son village perdu entre prés et bois et à la ferme de sa grand-mère. Il songera qu’il n’est plus là pour entendre sonner, en pleine nuit, le réveil qui appelle son père au travail et qu’il ne trouve plus, à son lever, sa mère dans la cuisine et le bol de lait fumant sur la table recouverte de toile cirée fleurie.
C’est à cela qu’il pense trop souvent et parfois le raconte. Ainsi ce soir où l’écoutent ses deux filles, sa femme, le frère de celle-ci et la fille de ce dernier. Lorsqu’il termine son histoire, il se fait un drôle de silence. Mais il ne l’entend pas.
Il est debout sur une chaise dans le dortoir glacé et de l’eau coule de ses yeux. Il fait encore nuit et, comme chaque matin, il attend que passe le laitier, son père.
Michel Perdrial
(Ce texte a paru en Belgique dans la revue Inédit n°157 en hiver 2001 et en France dans la revue Martobre n°18 en juin 2003.)
Le jour n’est pas encore levé. Il est déjà debout. Seuls quelques ronflements troublent la paix du dortoir. Il est grimpé sur une chaise. Il regarde par la fenêtre. Il attend le passage du laitier.
Cela fait trois mois qu’il est interne dans ce collège de Louviers et il sait qu’il ne pourra jamais s’y faire. Ses parents lui ont expliqué que c’était la meilleure solution ; la seule possibilité pour qu’il fasse ses devoirs et apprenne ses leçons loin du tumulte de ses frères et sœurs. Mais il ne les croit pas. Il se demande ce qu’il a bien pu leur faire pour qu’ils l’abandonnent ainsi.
Le laitier ne va pas tarder. Il est toujours à l’heure. Dans le silence hostile de la ville endormie, il entendra ronfler le bruit du moteur. Le camion s’arrêtera derrière le mur du collège. Il en apercevra le toit, seulement le toit. Il ne lui servira à rien de se hisser sur la pointe des pieds, il ne verra rien de plus. Il entendra le bruit des bidons qui s’entrechoquent et frappent le trottoir. Le camion repartira. Ce sera fini. Il retournera se coucher. Comme chaque matin.
Dans son lit, il rêvera à la maison de ses parents, à son village perdu entre prés et bois et à la ferme de sa grand-mère. Il songera qu’il n’est plus là pour entendre sonner, en pleine nuit, le réveil qui appelle son père au travail et qu’il ne trouve plus, à son lever, sa mère dans la cuisine et le bol de lait fumant sur la table recouverte de toile cirée fleurie.
C’est à cela qu’il pense trop souvent et parfois le raconte. Ainsi ce soir où l’écoutent ses deux filles, sa femme, le frère de celle-ci et la fille de ce dernier. Lorsqu’il termine son histoire, il se fait un drôle de silence. Mais il ne l’entend pas.
Il est debout sur une chaise dans le dortoir glacé et de l’eau coule de ses yeux. Il fait encore nuit et, comme chaque matin, il attend que passe le laitier, son père.
Michel Perdrial
(Ce texte a paru en Belgique dans la revue Inédit n°157 en hiver 2001 et en France dans la revue Martobre n°18 en juin 2003.)