Barcelone, perte et fracas


            C’est à Barcelone que je laisse entre les mains d’un petit voyou baratineur mon porte-monnaie et son contenu, quelques billets pliés en quatre. Il me le soustrait habilement cependant que je protège mon appareil photo sur la pellicule duquel Mélo me sourit et bientôt se déshabillera. Un petit porte-monnaie bleu qui me venait de mon frère décédé et qui finira dans un caniveau et des billets pliés en quatre qui ne traîneront pas dans la poche du voleur.
            L’hiver s’achève, le ciel est bleu à Barcelone et nous ne nous apercevons de la disparition du petit porte-monnaie bleu que bien plus tard à la buvette du parc Güell où nous ne pouvons nous abreuver.
            Ce n’est là qu’un évènement de peu d’importance. Il suffit d’aller à la tirette de la première banque venue pour remédier à la perte d’argent. L’essentiel est ailleurs et se cache dans le plaisir mêlé de déception de Mélo alors que nous faisons la queue (la queue) au milieu de clochards avinés sur la place Reial le soir de la Saint-Valentin pour entrer au restaurant Les Quinze Nits. Oui, l’essentiel est ailleurs et se trouve dans les larmes de Mélo, le lendemain matin, dans une ruelle assombrie par les immeubles crasseux aux fenêtres obscurcies de rideaux perpétuellement baissés et où sèchent des vêtements plus sales que propres, près du musée Picasso. Les larmes de Mélo silencieuses et inextinguibles. Et mon mouchoir bien trop petit pour les contenir toutes.
                                                                               Michel Perdrial
(Une première version de ce texte a paru dans la revue Comme ça et Autrement n°24 en décembre 2000)