Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

5 avril 2024


Sept heures, c’est le moment où la laveuse et la balayeuse se font entendre sur la place de la Cathédrale, une nuisance sonore dont se plaignent certains résidents de mon studio Air Bibi dans leur commentaire. Il y a longtemps que je suis debout, c’est l’heure où je rejoins le cours Lafayette pour un petit-déjeuner Paradis Maryland.
Sitôt fait, je rejoins ce jeudi la Gare Routière afin de prendre le bus Soixante-Dix terminus Bonnegrâce, l’une des plages de Six-Fours. En marchant le long d’icelle, je rejoins Sanary, non desservie par les bus Mistral, ayant préféré convoler avec Bandol plutôt qu’avec Toulon, inutile de faire un dessin.
Je traverse le marché et arrive au port.  Hélas, les quais sont en gros travaux. Cela oblige à des détours désagréables. Le pire est le bruit. C’est un concert de meuleuses. « Cette ville est un enfer. » J’en revois néanmoins les jolis bateaux traditionnels, l’église, la jetée, les maisons colorées des rues intérieures mais impossible de prendre un café sur le port.
Je rentre sans tarder avec un bus Soixante-Dix dans lequel tout à coup un jeune homme se précipite vers le composteur. « Ah, les contrôleurs ! », s’écrie la population locale. Ils ne chopent qu’un fraudeur puis plaisantent avec une femme qui transporte un arbre sur un chariot, les branches de celui-ci protégées par un sac poubelle.
Arrivé à Toulon, je descends à Liberté. Je vais au marché du cours Lafayette. J’y achète un kilo de clémentines bio pour un euro aux deux dames qui me rappellent ma mère puis je descends jusqu’à La Gitane. Il est onze heures et mon perchoir est libre. Le temps est beau et chaud, parfait pour ouvrir la Correspondance d’August Strindberg.
Le Mondial Café, troquet de quartier, est à cinquante mètres de mon logis temporaire. J’y retrouve avec plaisir son patron rubicond, sa serveuse joviale et sa clientèle pittoresque. La terrasse est au soleil. La carte propose des tripes pommes vapeur à seize euros. Je me laisse tenter. La cloche  de la cuisine sonne quand c’est prêt puis midi sonne à la Cathédrale. La serveuse me propose une coupelle de piment fait maison, pas trop fort. Il est délicieux. Tout comme les tripes, fort copieuses. Dommage pour cet endroit authentique que je sois le seul à y manger ce jour.
Le patron et cuisinier est réellement content quand je lui fais compliment en réglant l’addition. Tandis que je mangeais, une jeune peintre à chevalet terminait sa rue des Boucheries. Le résultat est conforme au modèle : pas la plus belle rue de la Ville Basse mais dans son jus (comme disent certains).
Je descends par cette rue jusqu’à la Gare Maritime et prends le premier bateau pour Les Sablettes. Là-bas, il souffle un léger vent venu du large qui ne m’empêche pas de lire à la terrasse du Prôvence Plage où le café vaut un euro soixante-dix.
Le bateau bus du retour passe par Tamaris. Il est accueilli à Toulon par des contrôleurs. Trois branlotins cherchent à devenir transparents. Ils sont déjà repérés. Quand on est jeune et en règle, on ne descend pas en dernier.
                                                                      *
Je peux me croire dans une uchronie lorsque la voix du bus (la même qu’à Rouen) annonce : « Prochain arrêt : Pétain ». Il s’agit en fait de Pétin, le nom de je ne sais quoi (inconnu chez Gougueule).
                                                                      *
Je ne me souvenais pas que c’était si bon les tripes. Je ne me souviens d’ailleurs pas de la fois précédente où j’en ai mangé. Ça remonte à loin.
                                                                       *
J’aimerais savoir par quel biais idéologique, à chaque fois que je dicte « la mer » à mon smartphone, il écrit « la mère ». Cet appareil est clairement en faveur du redressement démographique et contre le farniente.
 

4 avril 2024


Après une première nuit plutôt bonne dans mon Air Bibi toulonnais un peu vieillot dont l’entrée est rue des Boucheries mais dont la fenêtre au premier étage donne sur le Comptoir Irlandais place de la Cathédrale, je sors à sept heures sous un ciel moutonneux et retrouve le cours Lafayette où s’installe le marché de Provence.
A la boulangerie pâtisserie Paradis, le pain au chocolat est toujours à un euro. Je le mange avec un allongé à la terrasse du Maryland en bas du marché (un euro soixante-dix).
Mon désir premier est de prendre le bateau et je choisis celui qui va aux Sablettes. Plus de Dixmude à tribord en sortant du port, il est devenu hôpital au large de Gaza. A bâbord, un ferry pour la Corse s'apprête à partir.
Arrivé aux Sablettes après une traversée de rade légèrement secouée, je franchis l’isthme par le Parc Fernand-Braudel et prends à gauche au bord d’une mer agitée jusqu’au mignonnet Port de Saint-Elme. Là commence un sentier du littoral dont le point de départ est bien caché. Après une double montée d’escalier, ce sentier longe des terrains militaires abandonnés où achèvent de se désintégrer des bâtiments en forme de réservoir très photogéniques. Le chemin continue sous les arbres en bordure de falaise jusqu’à atteindre un petit marché. Un peu plus loin, tout au bord de la mer, est le bar tabac Le Mas Sainte-Asile que j’avais trouvé fermé la fois précédente.
Aujourd’hui, il est ouvert, service au comptoir, un euro soixante le café. C’est à sa terrasse ensoleillée que je commence la lecture du premier volume de la Correspondance d’August Strindberg dans une douce odeur de mer que certains locaux n’apprécient pas. L’une, avant d’acheter ses cigarettes, vient se planter à côté de moi, parlant bruyamment au téléphone avec une que j’entends aussi fort grâce au haut-parleur. Je me tourne vers elle :
-Elle ne peut pas se taire celle-là ?
-Ouah l’autre, il me dit « Elle peut pas se taire celle-là. » raconte-t-elle à son interlocutrice.
-Vous vous croyez où là ? Dans votre salon ?
C’est efficace, elle disparaît. Je peux reprendre ma lecture. Je devrais plus souvent exprimer le fond de ma pensée.
Après avoir fait le chemin dans l’autre sens jusqu’aux Sablettes, je choisis Prôvence Plage pour déjeuner, un restaurant que j’ai déjà fréquenté. Sa terrasse domine la plage et les rouleaux de la mer. Je peux obtenir une table tout au bord. La formule plat verre de vin dessert café existe toujours. Elle est à dix-huit euros quatre-vingt-dix. Je choisis le pavé de bœuf et la crème brûlée. J’ai à ma droite un quatuor composé de deux couples de trentenaires dont chaque membre n’est pas dans son smartphone. Elles et eux discutent amicalement et me souhaitent un bon appétit quand arrive mon plat. Pas de quoi cependant manger de façon détendue car rôdent pigeons et goélands. Je sais, pour l’avoir vu à Saint-Quay-Portrieux, qu’un de ces derniers pourrait m’enlever mon pavé et l’avaler d’un coup. Quant aux pigeons, c’est le pain qui les intéresse, raison pour laquelle il est ici servi dans un sac en papier.
Je rentre à Toulon avec le vaporetto de treize heures et m’installe à La Gitane pour un café lecture perché, le ciel redevenu bleu et le vent moindre. Levant parfois les yeux de mon livre, je regarde et écoute qui passe sur le quai. Cela me conduit à me dire qu’il faut être réaliste, si j’énonçais plus souvent le fond de ma pensée, « Il n’a pas fini de brailler votre enfant ? » ou bien « Il est vraiment stupide votre chien pour gueuler comme ça. » ou bien « Qu’est-ce vous faites avec un homme aussi bête ? », ça finirait mal pour moi.
                                                                     *
J'ai croisé aux Sablettes 
une chienne nommée Scarlett.
                                                                     *
Chose bizarre entendue là-bas, une femme : « J’aimerais bien aller à Rouen, moi. »
 

3 avril 2024


Plusieurs trains normands ont du retard ce mardi matin. Le sept heures vingt-trois pour Paris est heureusement à l’heure. A chaque fois  que je dois prendre un second train, j’angoisse. La Senecefe devrait me verser quelque argent pour préjudice d’anxiété.
Arrivé à Paris avec seulement cinq minutes de retard, je me crois tiré d’affaire. Las, le métro Quatorze est en panne et ne va pas plus loin que Madeleine. Je me rattrape avec le Huit et le Un et arrive Gare de Lyon seulement trente minutes avant l’heure de départ de mon Tégévé, le dix heures neuf pour Nice.
Je suis à l’étage de la voiture Sept et c’est un bien car en-dessous s’épanouit un groupe de scolaires. Quand même devant moi sont assis quatre branlotins, des petits bourges, des sportifs à raquette de tennis, des têtes à claques. « Il est où le cadeau pour les darons de Max », demande l’un d’eux. Pour me dédommager, j’ai une jolie jeune femme comme voisine.
D’abord, ce sont des champs, du vert (céréales), du marron (labours), du jaune (colza) et puis des éoliennes qui tournent et ne tournent pas. « Bonjour je suis votre conducteur, nous roulons actuellement à trois cents kilomètres heure. » Ensuite, ce sont des prairies inondées, des collines, des troupeaux, des fermes. « Bonjour, je suis votre barista, je vous invite à découvrir notre nouvelle carte élaborée par Thierry Marx. » Pour ma part, je déjeune de sandouiches en triangle de chez U Express. Au loin, les Alpes d’un côté et le Massif Central de l’autre. Après, des vignes, des rivières boueuses et le ciel bleu, la Sainte-Victoire, la garrigue, un tunnel, la mer, la Bonne Mère, la Friche la Belle de Mai, Marseille Saint-Charles. Toulon n’est plus très loin, que l’on atteint en longeant la mer.
Sorti de la Gare, je trouve tout de suite l’aimable commerçante qui remplace avantageusement une boîte à clés pour mes logeurs. Je suis ensuite capable d’arriver à mon studio Air Bibi sans me référer au plan de la ville. Il est proche du précédent et donc proche de la Cathédrale.
Mes bagages posés, je descends sur le port. Je passe d’abord à la Gare Maritime pour acheter un ticket bateau et bus sept jours en illimité pour neuf euros quatre-vingt-dix. Mon premier café verre d’eau est pour La Gitane où mon perchoir préféré est libre face aux Bateliers de la Rade (un euro quatre-vingts). Il fait beau, presque chaud, mais ça souffle un peu. Toulon me séduit à nouveau.
Je fais ensuite quelques photos de bateaux de pêche quand il arrive droit sur moi :
-Bonjour, tu vas en Corse, me dit-il.
-Non, j’arrive de Normandie.
-Je suis le frère de Momo.
-Je le savais. On s’est déjà vus il y a deux ans.
-À Rouen ?
-Non, au café là-bas.
Je m’y attendais, mais pas si vite.
                                                                      *
« Tu pars le jour de l’anniversaire de tes frères », m’a dit ma sœur au téléphone hier. Je ne me souvenais plus de leur date de naissance mais je n’oublie pas la date de décès de l’un des deux.
                                                                      *
Métro Huit où nous sommes serrés comme des sardines : une grande et jolie fille qui lit debout Zazie dans le métro.
                                                                      *
Il suffisait que j’en émette le souhait. Un Bibliovore va ouvrir prochainement à Rouen, apprends-je de Paris Normandie avant mon départ. Et près de chez moi en plus, rue de la République.
 

2 avril 2024


C’est le hasard qui décide de mes achats de livres chez Book-Off (je ne sais pas ce que je vais y trouver à un euro) et c’est aussi le hasard qui décide de mes choix de livres lus au lit (ceux qui se trouvent en haut de la pile).
Ainsi mes trois dernières lectures de lit ont été La familia grande de Camille Kouchner, Adieu Andromède de Christiane Rochefort et Au diable Pauvert de Brigitte Lozerec’h.
D’abord La familia grande de Camille Kouchner dans lequel celle-ci raconte les agissements incestueux de son beau-père Olivier Duhamel, mais le reste de la famille en prend aussi pour son grade, son père Bernard Kouchner, sa mère Evelyne Pisier et sa tante Marie-France Pisier. La propriété où cela se passe est à Sanary et le livre commence ainsi :
Ma mère est morte le 9 février 2017. Toute seule à l’hôpital de Toulon. Dans son dossier médical, il est indiqué : «  elle décède en présence de ses proches », mais aucun de ses enfants n’était là.
Ensuite Adieu Andromède de Christiane Rochefort qui regroupe les derniers textes de l’écrivaine connue entre autre pour La Porte du fond, récit de son inceste. La quatrième de couverture m’apprend qu’elle vivait entre Hyères et Toulon. L’un de ses textes a pour titre Vie et malheur de la rue Courbe. Il commence ainsi :
A chaque fois que, en mai, j’arrivais à Toulon, je passais rue Courbe, je garais l’auto sur le terre-plein, je sortais.
Je levais le nez, et je restais là à les contempler : virevoltant plongeant à pleine vitesse remontant à la verticale, tournant par centaines entre les hautes maisons ocre, trissant le cri de chasse, faisant un festin de moustiques pour la nichée (le service des citadins en prime), piquant sur les nids, repartant, n’arrêtant jamais.
Elle parle des martinets qui de mai à août travaillent à réparer leurs nids et à en faire de nouveau.  Hélas :
En mai 89, rue Courbe, je me gare comme d’habitude. Le cœur me manque : plus de maisons ocre.
Christiane Rochefort est morte chez elle à La Garde, commune de la rade de Toulon, le vingt-quatre avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.
Enfin Au diable Pauvert de Brigitte Lozerec’h, connue pour L’Intérimaire, roman qui fit son effet à sa parution, racontant son histoire d’inceste avec ses grands frères et cousins. L’écrivaine a partagé la vie de l’éditeur, d’abord amante puis aidante :
J’ai pris le train pour Toulon avec l’intention de rester quelques jours seulement. Il m’attendait sur le quai, sa tête dépassant celle des passagers comme celle de l’échassier dépasse les roseaux. Une petite heure après, nous franchissions le portail de sa propriété. 
Elle restera avec lui et il finira par lui proposer le mariage.
Après son troisième avécé, Pauvert est conduit à l’hôpital militaire Sainte-Anne à Toulon où il est victime d’acharnement thérapeutique. Grâce à un neveu médecin, il en est extrait : 
De l’hôpital militaire il passe à l’hôpital civil de Toulon. L’hôpital Sainte-Musse, comme un paquebot blanc tout neuf, échoué au pied de la vague géante de calcaire du mont Faron que l’on croirait au point de déferler sur la ville, avait été inauguré trois ou quatre ans plus tôt.
C’est là qu’est mort Jean-Jacques Pauvert le vingt-sept septembre deux mille quatorze.
                                                                         *
Ces trois lectures de hasard ont pour point commun Toulon. Cette triple occurrence est une triple coïncidence car juste après, je prends le train pour Toulon.
 

1er avril 2024


« Bon bah voilà, encore un mois qui va bientôt se terminer », constate l’un des vieux retraités du samedi matin au Socrate. Leur conversation comme souvent se porte sur la nourriture : « Les nouveaux jeunes, tu leur présentes une tranche de pâté, non c’est fini. Faut des gens comme nous pour aimer ça. » « Chacun son siècle », conclut l’un.
En cette année deux mille vingt-quatre, la fin du mois de mars est marquée par les fêtes de Pâques et le passage à l’heure d’été. Les premières sont à l’origine de concerts de carillon à la Cathédrale. Le second a pour conséquence la plongée dans le noir de ma ruelle et de toute la ville vers six heures du matin. En effet, les automatismes de l’éclairage public ne sont mis à jour que le lendemain de cet évènement. Il ne fait donc pas bon être dans la rue rouennaise à cette heure-là.
Je ne sors que vers huit heures  le jour bien levé, et ne reviens du marché qu’avec une tradigraines de Chez Catherine. Puis quoi faire de mieux que de passer ce dimanche avec André Robillard en lisant les entretiens de celui-ci quand il avait quatre-vingt-quatre ans avec Françoise Monnin, rédactrice en chef d’Artension, entretiens publiés par l’éditeur suisse La Bibliothèque des Arts, livre dont j’ai trouvé un exemplaire à un euro chez Book-Off mercredi dernier.
-Longtemps, vous avez offert vos œuvres, à des musées ou à des amis. Puis, vous les avez troquées. Puis, vous les avez vendues. Comment est-ce que cela s’est mis en place ?
-Au début je savais pas combien ça valait, ces machins-là. Dix euros, vingt euros… C’était nouveau. Je ne sais pas combien ça vaut. Mais j’ai déjà vendu un fusil pour deux cents. Des fusils, des animaux, des cosmonautes, des comètes, maintenant tout le monde en veut. Oh là là. Je gagne de l’argent. C’est une victoire, ça. Je demande un peu d’argent. Je prends pas tout mais je prends un peu d’argent pour faire mes courses. Et quand je m’en vais assez loin, mettons quinze jours ou trois semaines, ils me donnent quatre cents cinquante euros. Quand je m’en vais, il faut avertir que j’suis parti. Faut savoir où que j’suis parti.
-Comment rencontrez-vous vos collectionneurs ?
-Il y a des collectionneurs qui viennent chez moi. Ils téléphonent, et puis ils viennent acheter des fusils. J’ai plus rien. Je suis obligé d’en construire. Aujourd’hui j’ai fait quatre dessins. Un paon, un cobra et puis un dinosaure. Je fais des animaux, des comètes, tout ça.
J’ai un collectionneur. Il est de la police. On dira ce qu’on voudra, mais la police, la gendarmerie, ils font quand même leur boulot. Et quand il a deux jours de congé, il vient me voir.  Et puis on mange au restaurant. Ben, ça va pas trop mal. Il me fait travailler un peu. Et il me paye. Pour un machin, il me donne cinquante, des fois cent euros. Et puis après, on va manger.
-Comment établissez-vous le prix de vos œuvres ?
-Je vends un fusil deux cents euros. Et deux dessins, cent cinquante euros.
-Avec cet argent vous n’avez jamais eu envie d’aller vivre ailleurs, dans une maison plus grande, acheter des meubles, etc. ?
-Non, ça va. J’achète des chapeaux, des casquettes, des masques.
C’est dans une exposition de la défunte Maison Rouge près de la Bastille que j’ai découvert les fusils pour chasser la misère et les autres œuvres, inspirées par l’espace et la vie animale, de cet artiste qui aura passé presque toute sa vie à l’Hôpital Psychiatrique de Fleury-les-Aubrais, d’abord placé puis choisissant d’y rester.
Aujourd’hui André Robillard a quatre-vingt-douze ans. Ses fusils sont vendus par des galeristes dans les trois mille euros, ses dessins plus de quatre mille euros.
                                                                         *
Découverte d’un autre artiste hors norme en ce dimanche de Pâques, l’invité de l’émission bien nommée Mauvais Genres sur France Culture : Stu Mead, né en mil neuf cent cinquante-cinq ans dans l'Iowa, peintre et illustrateur américain vivant à Berlin, « surtout connu pour ses travaux mettant en scène de grands tabous comme la sexualité adolescente, la pédophilie et la zoophilie. » (comme dit Ouiquipédia)
 

30 mars 2024


Il est onze heures et quart quand j’arrive devant la Galerie Fontaine, rue Damiette. Je me heurte à une porte fermée, alors qu’elle devrait être ouverte. Je commence à pester intérieurement quand surgit un grand homme jeune. Des difficultés à se garer, me dit-il pour justifier le retard.
J’entre à sa suite pour découvrir ce qu’il expose du photographe Jean Rault dont j’ai découvert l’existence il y a quelques années par une affiche sur la porte d’une boutique de la rue du Général-Leclerc, laquelle affiche était celle d’une exposition d’icelui se tenant rive gauche, je ne sais où, mais qui était terminée. Dommage, m’étais-je dit. La femme plus ou moins nue de cette photo de Jean Rault me donnait envie d’en voir plus.
C’est possible cette fois à deux pas de chez moi. L’exposition est en deux parties. Sur le mur de gauche, en noir et blanc, sont des œuvres tirées des séries Unes, Autres, Autres portraits de jeunes filles de 16 à 18 ans, Autres portraits de jeunes gens qui montrent une adolescence marginale ou marginalisée à la mise négligée et à la mine renfrognée. Des photos faites dans les années quatre-vingt dans le parquigne à étages du bas de la rue de la Jeanne où zonait cette jeunesse, m’explique le maître des lieux. En face est la série Diamonds are forever faite dans les années deux mille, en couleur, qui montre des garçons filles d’un Japon « un peu déhanché, un peu mal rasé ». Ces drag-queens japonaises de la troupe des Diamonds are forever rendent hommage en spectacle, depuis vingt ans, à leur meneur Teiji Furuhashi, mort du Sida.
La Galerie Fontaine est ouverte depuis le treize octobre, me dit en réponse à ma question celui qui se lance dans la monstration d’œuvres d’artistes contemporains à Rouen. Sa prochaine exposition sera consacrée aux peintures de Stéphane Montefiore qui fut élève de Jean Rault quand celui-ci donnait des cours à l’Ecole des Beauzarts. Cette nouvelle galerie avance un pas après l’autre. « Je m’appelle Fontaine alors l’histoire de la grenouille et du bœuf, je connais », me dit celui qui m’a accueilli avant que nous nous souhaitions une bonne journée.
                                                                       *
Jean Rault a d’abord été peintre. Après dix ans de pratique, il a jeté le pinceau, son côté « un peu rebelle » le poussant à se consacrer à la photographie alors considérée comme « un art mineur ». C'était un acte coûteux et précieux, courageux aussi, de passer du noble à l'ignoble., écrit-il.
                                                                       *
Il y a de la nudité dans mon traitement du portrait même lorsque le modèle pose habillé. (Jean Rault).
 

28 mars 2024


Le jour est levé désormais quand je quitte mon logis pour aller à Paris mais Rouen n’en est pas moins quasiment déserte. Rue Ganterie, une clocharde à béquilles affalée devant une boutique me demande une cigarette, « Désolé, je ne fume pas » puis l’heure, « Sept heures moins le quart ». Allée Eugène-Delacroix, un laveur de vitre est déjà à l’ouvrage. « Laissez-moi vivre ma vie », chante-t-il. « Vous avez le cœur gai », lui dis-je. « On est en France, me répond-il, on n’a pas le droit d’être triste quand on voit ce qui se passe autour. » C’est un bon argument. Je ne juge pas utile de le contester. Je lui souhaite une bonne journée. « A vous aussi monsieur. »
Elle commence sous un ciel presque bleu et le sept heures vingt-trois est à l’heure. Tandis que mon voisin mange du riz, je poursuis la lecture de Mémoires de ma vie morte de Georges Moore, sous-titré « Galanteries, méditations, souvenirs, soliloques et conseils aux amants avec des réflexions variées sur la vertu et le mérite ». Il manque « et source d’ennui ».
À l’arrivée à Paris, le ciel est gris. Un bus Vingt-Neuf me conduit à Bastille Beaumarchais d’où je marche dans le froid jusqu’au Marché d’Aligre. Émile est absent, et rien pour moi chez Amin, direction le Camélia.
« Je vous ai rapporté votre stylo », dis-je au fils de la maison qui contrôle des cartons de cigarettes. « Vous auriez pu le garder. » « Vous pourrez le prêter à quelqu’un d’autre. » Je bois un café assis puis ouvre Le Parisien.
Un article explique qu’après un énième accident de piétons, le gérant du bar The Labo, rue des Lombards, a fait repaver à ses frais (neuf cents euros) la chaussée devant son bar et pour cela risque une amende. « « Si on devait attendre la mairie, on ne s’en sortirait pas », rit jaune Sébastien Fouqueau, propriétaire de la brasserie Au Diable des Lombards et du bar Les Terrasses. Lui aussi a déjà fait repaver des morceaux de voirie. »   
À dix heures cinquante-cinq, j’ai rendez-vous devant le Café du Faubourg avec une qui m’a acheté des livres.  « Bonjour », me dit une jolie et jeune bicycliste surgit de je ne sais où. La transaction effectuée, nous nous souhaitons une bonne journée.
Je rentre illico chez Book-Off où parmi les livres à un euro je choisis Aux Replis de Benoît Reiss (Cheyne Editeur) et Chansons pour accordéon de Pierre Mac Orlan (La Petite Vermillon).
-Alors, vous faites partie du gang des repaveurs de rue, dis-je au serveur et patron du Diable des Lombards
-Oui, on m’a envoyé l’article. Je ne leur avais pas donné mon nom mais ils l’ont trouvé. Après, il y a eu Le Figaro qui est passé puis BFM. Ils copient les uns sur les autres.
-Je t’ai vu à la télé, lui dit en arrivant un collègue parti à Fréjus et de passage à Paris..
-Ça va être la conversation de la journée, constate le patron et serveur.
Je déjeune de beignets de calamar et d’un pot-au-feu qui s’avère excellent.
Du sous-sol du deuxième Book-Off, je remonte avec trois livres à un euro : Ecrits sur l’art de Charles Baudelaire (Le Livre de Poche), Le méchant comte de Patrick Mauriès (Gallimard) et Textes et textes Etaix de Pierre Etaix (Cherche Midi).
Mon café bu au comptoir du Bistrot d’Edmond, je me rends compte qu’il n’y a plus de terrasse. Je demande pourquoi à celle qui m’a servi. « Ils ne nous l’ont toujours pas rendue », me répond-elle. « Qui donc ? » « La mairie, ils nous l’ont confisquée parce qu’on a un peu exagéré, on s’est un peu étalé. » « Ah, c’est sévère. » « Bah, ils nous l’ont dit une fois, deux fois, trois fois, alors… »
Au dernier Book-Off je poursuis ma quête de livres à un euro et n’en trouve qu’un pour me contenter : André Robillard – La fleur au fusil, des entretiens avec Françoise Monnin ((La Bibliothèque des Arts).
Comme je suis en avance à Saint-Lazare, j’achève, assis dans la galerie marchande, tandis que viennent et vont quatre soldats de l’Opération Sentinelle, l’ennuyeuse lecture des souvenirs de George Moore, dont je ne sauve que ceci (et encore) à propos de Verlaine : grand front glabre tombant comme une falaise sur les sourcils comme un buisson d’ajonc. Pour une fois, il y a au piano quelqu’une qui sait jouer. La Bohème et La Foule sont à son répertoire. Me voyant lire, un homme s’enhardit : « Bonjour monsieur, est-ce que vous voulez lire un dépliant peut-être. C’est des prophéties bibliques. »
                                                                                 *
Il y eut d’abord Anne Hidalgo, Maire de Paris, Socialiste, à propos des Jeux Olympiques : « Paris va être magnifique, ne partez pas de Paris, ce serait une connerie ! ».
Il y a maintenant Valérie Pécresse, Présidente du Conseil Régional d'Île-de-France, Droitiste, au sujet du prix du ticket de métro pendant ces Jeux Olympiques : « Il est fixé à quatre euros pour que personne n’en achète. »
Elles méritent toutes les deux la plus haute marche du podium.
 

26 mars 2024


Hier, vingt-cinq mars, c'était la Journée Mondiale de la Procrastination, une journée dédiée à l'art de remettre au lendemain ce qui peut être fait le jour même, une journée comme les autres pour moi qui passe mon temps à penser « Je verrai plus tard ».
Je verrai plus tard ce que signifient précisément ces mots notés lors de mes lectures : émollient, reîtres, gyrovague, entéléchie, animadversion, hébéphrénique, épitomé, quérulence, vaticiner, mercuriale, philistin, avunculaire, jubilaire, solécisme, délusoire, captieux.
Je verrai plus tard ce que je fais de ces citations notées elles aussi lors de mes lectures :
Je vis dans la terreur de ne pas être incompris. (Oscar Wilde)
Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. (Victor Hugo)
Dans le monde, vous avez trois sortes d'amis : vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent. (Chamfort)
Venir, s’élever, faire grand bruit, s’inquiéter de tout, mesurer l’orbite des comètes ; et, après quelques jours, se coucher là sous l’herbe d’un cimetière : cela me semble assez burlesque pour être vu jusqu’au bout. (Senancour)
La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer. (Vauvenargues)
Pourquoi les hommes combattent-ils pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ? (Spinoza)
Centre ville, centre vide. (Roland Barthes)
Les cannibales n’ont pas de cimetières. (Marcel Mariën) 
Plaisir d’amour n’est dur qu’un instant. (Marcel Mariën)
L’art se vend parce que les gens ont mauvaise conscience. (Marcel Broodthaers) 
Le fait que j’existe prouve que le monde n’a pas de sens. (Cioran)
Je verrai plus tard pour écrire un texte qui demande un peu plus d’effort.
 

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