Le Christophe est à genoux sur la scène de l’Abordage. En tendant l’oreille, on l’entend quand même chanter. Malgré les rafales de musique qui couvrent sa voix. Le son pourri ne semble guère gêner la plupart des spectateurs. Cela se passe dans une salle bien sordide dans les sous-sols d’une maison des jeunes. Une survivante de l’époque où il y avait des jeunes et des maisons pour ceux-là. Le Christophe chante et il est question de boire et de baiser. Boire, ceux qui sont là savent comment faire: se traîner jusqu’au bar et en revenir avec un verre en plastique rempli de bière. Mais baiser, où sont les filles ? Quelques-unes ici et là. Pas assez pour tout le monde. Du fond de la salle fusent les insultes : enculé… chanteur de variétoche… Le Christophe est debout mais ne sait que répondre. Il dit : oui oui t’as raison et il passe à une autre chanson. Mélo se serre contre moi et je glisse ma main sous son pull. Je vais à l’abordage mais nous devons refluer vers la droite pour éviter un troupeau d’excités qui sautent sur place menés par un mec au bonnet bien enfoncé sur le crâne ce qui lui donne une belle tête de gland. Le Christophe tient encore debout, une boîte métallique à la main, une lampée pour la route, il attaque la chanson suivante. Je me demande, regardant ce visage bouffi et fatigué, si c’est bien le même que celui que je connais, photographié jeune et beau sur la pochette de ses disques et qui nous a amenés ici. Tout cela pourrait tourner à la baston, me dis-je, et j’ai un peu peur pour Mélo. Mais non. Une dernière chanson et chacun rentre cuver chez soi. Un type me bouscule en sortant et renverse sa bière sur mon jean. Je connais la moralité de l’histoire: tu vas voir Miossec, plus un poil de sec.
Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°15 en septembre 2001.)
Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°15 en septembre 2001.)