Exit


        Il ne restait que le téléphone. Et le lit de la dernière nuit. Les chiffonniers d’Emmaüs étaient des gens comme il faut. Ils ne posaient pas de questions. Une demi-heure leur avait suffi pour enlever tout ce qui restait. Ce qui n’avait pu se vendre. Mon Dieu, ce mal de dos qui lui était revenu. C’était l’âge, il fallait apprendre à vivre avec les rhumatismes. Il en avait de bonnes, ce médecin. Elle ne se souvenait plus de l’objet vendu en premier. Sûrement quelque chose d’inutile. Peut-être un cadeau de Christelle. Christelle, ma fille, tu dois dormir en ce moment. Le décalage horaire, comment était-ce possible ? Le téléphone avait sonné jour et nuit. Une annonce dans le journal gratuit. Et la sonnerie sans cesse. Cela faisait sursauter. Il y avait toujours des gens qui avaient envie d’acheter. Même les objets inutiles. Ils étaient venus dans la cuisine sombre. Ils avaient bu le cidre et parlé avec elle. Ils avaient dit que la cuisine était sombre. C’était la faute de la falaise de craie blanche. Elle avait mis une autre annonce la semaine suivante. Une nouvelle liste d’objets à vendre. Répondre encore au téléphone. Parler avec d’autres gens. Certains qui avaient peur de traverser la cour. Peut-être à cause de la voiture de Christelle qui pourrissait sous le cerisier. Elle aurait dû la vendre quand Christelle l’avait laissée là pour rejoindre son Américain. Et chaque semaine une nouvelle annonce. A vendre meubles, bibelots, vaisselle, vêtements. Ce malade qui avait appelé pour savoir si elle vendait ses petites culottes sales. La maison de plus en plus vide. Le temps passé à la fenêtre. Regarder les cars en route pour la maison de Monet à Giverny. Essayer de reconnaître parmi les passagers ceux qui venaient des Etats-Unis. Peut-être d’Atlanta, la ville de Christelle. Puis plus rien à vendre. Tous ces billets que lui avaient donnés les gens. Tout cet argent pour Christelle. Un dernier repas au restaurant avant. Manger une dernière fois toute seule en suivant des yeux les péniches sur la Seine. Un souvenir qui lui était brusquement revenu. Un repas dans un restaurant du même genre ici à Vernon. Ses parents, son frère, sa sœur. Ce jour-là aussi, ils avaient mangé en regardant par la fenêtre. Ils avaient vu un homme qui nageait dans la Seine. Ils avaient parlé de lui. Il ne doit pas avoir chaud. On dirait qu’il est tout habillé. Peut-être qu’il se noie. Mais non, il nage. Tiens une barque avec les pompiers. On ne le voit plus. C’était loin tout cela. La postière était gentille. C’était elle qui avait rempli le mandat international à l’adresse de Christelle. L’argent par-dessus l’Atlantique. Pardonne-moi Christelle. L’eau quand elle entrait dans les poumons, ça devait faire très mal. Mais ça ne devait pas durer longtemps.
        Elle descendit à pas lents le chemin qui menait vers la Seine. Elle passa devant une maison dont la fenêtre était ouverte. Elle vit une jeune femme qui préparait le petit-déjeuner. Elle l’entendit demander à l’homme qui l’embrassait s’il préférait du thé ou du café.
                                                     Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°17 au printemps 2002.)