Rien n’est donc perdu, me suis-je dit en recevant le carton d’invitation au vernissage de l’exposition Affiche & Alphabet de Jacques Villeglé, l’arrivée du Maire de Droite, François-Xavier Priollaud, n’a pas eu comme conséquence la fin des expositions intéressantes au Musée de Louviers dirigé par Michel Natier. Je le craignais, en raison de la précédente, consacrée à un artiste local du passé.
Avoir la possibilité de voir une nouvelle fois des œuvres de Villeglé, après celles vues au Centre Pompidou lors de l’exposition La Comédie urbaine en deux mille huit, ne se refuse pas. Ce vendredi après-midi, je prends donc la route de Louviers, faisant un crochet par la bouquinerie rurale Détéherre d’où je repars avec un sac de livres, dont le Guide du Routard deux mille cinq de la Franche-Comté (vingt centimes). Arrivé dans la ville natale, je me gare devant le salon de coiffure Une coupe d’en F’hair et me pose au soleil en terrasse à la Brasserie Juhl’s (anciennement Juhel). De là, je regarde tourner les bus autour de la place Thorel (des rouges, des bleus, des jaunes). La Caisse d’Epargne, maison bourgeoise en pierres et en briques rouges, est toujours là, où j’allais avec grand-mère Eugénie mettre l’argent de ma tirelire sur mon livret, il y a plus d’un demi-siècle.
J’entre tôt au Musée afin de visiter avant la foule et y trouve Jacques Villeglé, petit homme souriant à chapeau, entouré de journalistes à gros appareils photo. Il a quatre-vingt-dix ans. L’œil bleu est vif mais l’oreille faible.
Deux dames et moi visitons les trois salles de l’exposition. Nous sommes rejoints par un monsieur âgé.
-Quand même, il fallait l’avoir l’idée, nous déclare-t-il devant l’une des œuvres à base d’affiches.
C’est un cousin issu de germain de l’artiste.
-Sa mère est morte à cent ans, ajoute-t-il, alors il y a de l’espoir.
Deux autres femmes âgées, dont l’une à canne, arrivent :
-C’est un artiste qui fait surtout des collages, explique l’une à l’autre.
Elle apprendra bientôt que c’est un artiste qui fait surtout décollage.
Les premiers montrés datent de mil neuf cent cinquante-six (j’avais cinq ans et déjà une tirelire). Mes préférés datent de soixante-cinq, ce sont les plus abstraits : Rue Jacob, Boulevard de la Bastille, Rue Brisemiche. « L’affiche prend de l’intérêt lorsque son objet s’efface. »
Certaines des œuvres ici montrées viennent d’une galerie d’art, d’autres de collections particulières. Parmi ces dernières, je serais curieux de savoir à qui appartient Chartres-Fabius (mil neuf cent quatre-vingt-neuf).
Les arrachages d’affiches s’achèvent avec le siècle. Faute de munitions, Villeglé entre alors dans sa deuxième période, tout aussi intéressante, bien représentée dans cette exposition, celle des œuvres graphiques composées à l’aide de son « alphabet socio-politique » qui reprend les symboles monétaires, les sigles politiques ou les signes religieux. « Si les signes vous fâchent, quand vous fâcheront les choses. »
Les moins de vingt-cinq ans sont rares et venus avec leurs parents. Parmi les vernisseuses et les vernisseurs sont essentiellement des plus de soixante ans, dont plusieurs de la Gauche défaite, et sans doute d’autres de la Droite victorieuse mais je ne les connais pas. Ces élu(e)s ont toujours droit à leur catalogue gratuit, le personnel aussi. Certain(e)s le font signer à Villeglé. Près de moi, l’un retrouve l’une qui arrive :
-Vous venez voir l’expo, c’est spécial.
Et d’embrayer sur le marché de l’art : « Vous savez, quand y a une guerre ou une grande crise, tout ça, ça vaut plus rien. »
Monsieur le Maire, Priollaud, de Droite, retardé par une réunion, finit par arriver. Rien de commun avec l’ancien, le suffisant Martin (fils), de Gauche. Dans son discours, il ne parle pas de lui, ni de politique, ni de la ville, uniquement de l’œuvre de l’artiste. Je le soupçonne d’avoir écrit lui-même son texte. Il dit des choses intelligentes sur le travail de Villeglé. Philippe Piguet, critique d’art et commissaire de l’exposition, l’en félicite et lui dit qu’il pourrait exercer sa profession. Quand il a la parole Villeglé se contente de remercier. Infatigable, il sera à New York, vendredi prochain, pour le tournage d’un film au MoMA.
Le buffet est toujours à la hauteur de l’évènement. On y boit le champagne dans des verres et les petits fours sont copieux. Lorsque arrivent les sucrés, des mini pâtisseries crémeuses, certain(e)s se ruent :
-On reconnaît les vrais amateurs d’art, dit l’un qui était prof d’histoire au lycée lorsque j’y étais.
-J’y ai pas le droit, j’y ai pas le droit, claironne une dame tout en s’en goinfrant. Allez, encore un dernier et j’arrête.
C’est ce que je fais moi aussi. Sur la route du retour, à Amfreville-la-Mivoie, je remarque au mur d’un immeuble un panneau publicitaire comme on n’en fait plus, dont les affiches superposées sont artistiquement lacérées, un vrai Villeglé, plus qu’à le signer.
Avoir la possibilité de voir une nouvelle fois des œuvres de Villeglé, après celles vues au Centre Pompidou lors de l’exposition La Comédie urbaine en deux mille huit, ne se refuse pas. Ce vendredi après-midi, je prends donc la route de Louviers, faisant un crochet par la bouquinerie rurale Détéherre d’où je repars avec un sac de livres, dont le Guide du Routard deux mille cinq de la Franche-Comté (vingt centimes). Arrivé dans la ville natale, je me gare devant le salon de coiffure Une coupe d’en F’hair et me pose au soleil en terrasse à la Brasserie Juhl’s (anciennement Juhel). De là, je regarde tourner les bus autour de la place Thorel (des rouges, des bleus, des jaunes). La Caisse d’Epargne, maison bourgeoise en pierres et en briques rouges, est toujours là, où j’allais avec grand-mère Eugénie mettre l’argent de ma tirelire sur mon livret, il y a plus d’un demi-siècle.
J’entre tôt au Musée afin de visiter avant la foule et y trouve Jacques Villeglé, petit homme souriant à chapeau, entouré de journalistes à gros appareils photo. Il a quatre-vingt-dix ans. L’œil bleu est vif mais l’oreille faible.
Deux dames et moi visitons les trois salles de l’exposition. Nous sommes rejoints par un monsieur âgé.
-Quand même, il fallait l’avoir l’idée, nous déclare-t-il devant l’une des œuvres à base d’affiches.
C’est un cousin issu de germain de l’artiste.
-Sa mère est morte à cent ans, ajoute-t-il, alors il y a de l’espoir.
Deux autres femmes âgées, dont l’une à canne, arrivent :
-C’est un artiste qui fait surtout des collages, explique l’une à l’autre.
Elle apprendra bientôt que c’est un artiste qui fait surtout décollage.
Les premiers montrés datent de mil neuf cent cinquante-six (j’avais cinq ans et déjà une tirelire). Mes préférés datent de soixante-cinq, ce sont les plus abstraits : Rue Jacob, Boulevard de la Bastille, Rue Brisemiche. « L’affiche prend de l’intérêt lorsque son objet s’efface. »
Certaines des œuvres ici montrées viennent d’une galerie d’art, d’autres de collections particulières. Parmi ces dernières, je serais curieux de savoir à qui appartient Chartres-Fabius (mil neuf cent quatre-vingt-neuf).
Les arrachages d’affiches s’achèvent avec le siècle. Faute de munitions, Villeglé entre alors dans sa deuxième période, tout aussi intéressante, bien représentée dans cette exposition, celle des œuvres graphiques composées à l’aide de son « alphabet socio-politique » qui reprend les symboles monétaires, les sigles politiques ou les signes religieux. « Si les signes vous fâchent, quand vous fâcheront les choses. »
Les moins de vingt-cinq ans sont rares et venus avec leurs parents. Parmi les vernisseuses et les vernisseurs sont essentiellement des plus de soixante ans, dont plusieurs de la Gauche défaite, et sans doute d’autres de la Droite victorieuse mais je ne les connais pas. Ces élu(e)s ont toujours droit à leur catalogue gratuit, le personnel aussi. Certain(e)s le font signer à Villeglé. Près de moi, l’un retrouve l’une qui arrive :
-Vous venez voir l’expo, c’est spécial.
Et d’embrayer sur le marché de l’art : « Vous savez, quand y a une guerre ou une grande crise, tout ça, ça vaut plus rien. »
Monsieur le Maire, Priollaud, de Droite, retardé par une réunion, finit par arriver. Rien de commun avec l’ancien, le suffisant Martin (fils), de Gauche. Dans son discours, il ne parle pas de lui, ni de politique, ni de la ville, uniquement de l’œuvre de l’artiste. Je le soupçonne d’avoir écrit lui-même son texte. Il dit des choses intelligentes sur le travail de Villeglé. Philippe Piguet, critique d’art et commissaire de l’exposition, l’en félicite et lui dit qu’il pourrait exercer sa profession. Quand il a la parole Villeglé se contente de remercier. Infatigable, il sera à New York, vendredi prochain, pour le tournage d’un film au MoMA.
Le buffet est toujours à la hauteur de l’évènement. On y boit le champagne dans des verres et les petits fours sont copieux. Lorsque arrivent les sucrés, des mini pâtisseries crémeuses, certain(e)s se ruent :
-On reconnaît les vrais amateurs d’art, dit l’un qui était prof d’histoire au lycée lorsque j’y étais.
-J’y ai pas le droit, j’y ai pas le droit, claironne une dame tout en s’en goinfrant. Allez, encore un dernier et j’arrête.
C’est ce que je fais moi aussi. Sur la route du retour, à Amfreville-la-Mivoie, je remarque au mur d’un immeuble un panneau publicitaire comme on n’en fait plus, dont les affiches superposées sont artistiquement lacérées, un vrai Villeglé, plus qu’à le signer.