« Lundi 19 septembre 14h, je me suis tenu seul contre un arbre avec une pancarte "NON à l'ABATTAGE" pour en empêcher l'abattage par les bûcherons de la ville de Rouen. Une responsable des espaces verts est venue me parler ainsi qu'une journaliste de Paris-Normandie. Quelques passants se sont joints à moi. La séance de coupage s'est interrompue. Mais demain mardi, ils remettent ça à 8h. Si vous voulez venir cela augmentera les chances de survie de ces pauvres arbres. »
Je connais le jeune homme qui raconte ça sur le réseau social Effe Bé ce lundi soir. Je trouve sa réaction salutaire. Je connais aussi les arbres de la rue d’Amiens. Plus d’une fois, ils m’ont abrité du soleil brûlant. Aussi ce mardi à huit heures, j’y vais.
Le jeune homme est là, accompagné d’un autre que je connais également et qui va devoir aller au lycée. Ils ont apposé des panneaux dénonçant l’abattage sur les arbres dont les branches ont été coupées hier et dont il ne reste que les fûts. D’autres sont encore intacts. L’équipe des bûcherons de la ville de Rouen arrive peu après. Ils installent un système de feux tricolores pour mettre la rue en circulation alternée puis des plots devant les arbres intacts. Nous nous déplaçons vers ceux-ci.
L’un des bûcherons s’adresse au jeune homme qu’il connaît depuis la veille :
-T’es au bon endroit, là, c’est par là qu’on doit commencer.
Bientôt arrivent un camion avec nacelle et une broyeuse de branches. Puis c’est le tour d’autres personnes venues soutenir les arbres et d’une voiture de la Police Municipale venue aux nouvelles. Un Policier et une Policière en sortent. Le Policier nous dit que lui non plus n’aime pas qu’on coupe des arbres mais qu’en empêchant les ouvriers de travailler, on ne s’en prend pas aux bonnes personnes, qu’on serait plus efficace si on allait discuter avec ceux qui ont décidé ça, à la Mairie. Bref, il veut qu’on parte. La Policière nous demande de lui dire si on va le faire. Nous restons évasifs et ne bougeons pas.
Nous sommes rejoints par des habitant(e)s de l’immeuble qui est derrière les arbres. Des retraité(e)s qui n’étaient au courant de rien. Bien que ces arbres leur fassent beaucoup d’ombre, ils y tiennent. Le Président du Conseil Syndical nous dit que jamais les copropriétaires n’ont demandé cet abattage. Lui-même habite là où un arbre a déjà été privé de toutes ses branches. Hier soir, il a baissé le rideau tellement il était triste de ne plus avoir sa vue habituelle. Il passait beaucoup de temps à regarder cet arbre et le pigeon qui y faisait des allers et retours. Est aussi présente la journaliste de Paris Normandie qui habite en face, venue faire son métier.
Nous nous attendons à voir arriver la Police Nationale mais rien ne se passe. Au bout d’un long moment, le Policier Municipal nous annonce qu’un élu va venir nous donner des explications. Il y a maintenant là aussi un spécialiste de la contestation politique organisée qui plaide pour que les habitants des différents quartiers s’organisent et fassent remonter leurs revendications (air connu).
On attend l’élu. Il finit par arriver. C’est Kader Chekhemani, l’Adjoint chargé du quartier. Il serre la main de tout le monde. Depuis le début de la matinée, Jezabel Saumur, la « gestionnaire du patrimoine arboré » de la ville de Rouen, est présente, mais sur l’autre trottoir. Il faut que l’élu l’appelle pour qu’elle daigne traverser la rue.
Questionné par les habitant(e)s de l’immeuble le plus touché par la disparition des arbres, Kader Chekhemani reconnaît un manque d’information mais justifie la coupe. Les arbres seront remplacés par d’autres, ils sont vieux, cinquante ans, on ne peut plus les élaguer, ça les stresse. La gestionnaire aussi est stressée, elle se tord les doigts et peine à s’exprimer. Sur les points techniques, son adjoint parle à sa place. Elle a tout de la technocrate. Son plan de remplacement des arbres est un plan quinquennal à la soviétique.
-Elle connaît peut-être les arbres, me dit une riveraine, mais il y a aussi ce que ressentent les êtres humains.
Finalement, nous obtenons qu’une réunion avec les habitants concernés et les autres ait lieu jeudi soir dans l’ancienne école Victor-Hugo et qu’en attendant l’abattage soit arrêté.
Ce délai n’empêchera rien. Néanmoins, il permet aux riverains de profiter des arbres indemnes pendant quelques jours encore et à ceux de la rue du Docteur-Blanche, où poussent les prochains sur la liste des arbres à abattre, d’en jouir quelques jours de plus (pour eux, c’était prévu lundi prochain).
-À jeudi, me dit le jeune homme à l’origine de la rébellion.
-Non, lui dis-je, je déteste les réunions. On se reverra sous un arbre ou ailleurs.
Ce jeune homme va souffrir, il est viscéralement opposé à l’abattage de ces arbres et ne pourra pas l’empêcher.
Il est onze heures et demie quand je remonte la rue d’Amiens pour rentrer. Une dame que je connais un peu m’interpelle. Elle m’apprend qu’elle aussi habite dans l’immeuble protégé par les arbres. Je l’informe de ce qui se trame et de la réunion de jeudi. Elle est navrée de la disparition prochaine de celui qu’elle appelle « mon tilleul ».
-Je l’aime tellement, me dit-t-elle.
*
La grosse majorité des arbres de Rouen datent du baby boom. On les abat avant qu’ils soient trop vieux et malades pour les remplacer par des jeunes. Ce discours municipal sonne bizarrement aux oreilles de celles et ceux qui ont le même âge (ou plus) que ces feuillus.
Je connais le jeune homme qui raconte ça sur le réseau social Effe Bé ce lundi soir. Je trouve sa réaction salutaire. Je connais aussi les arbres de la rue d’Amiens. Plus d’une fois, ils m’ont abrité du soleil brûlant. Aussi ce mardi à huit heures, j’y vais.
Le jeune homme est là, accompagné d’un autre que je connais également et qui va devoir aller au lycée. Ils ont apposé des panneaux dénonçant l’abattage sur les arbres dont les branches ont été coupées hier et dont il ne reste que les fûts. D’autres sont encore intacts. L’équipe des bûcherons de la ville de Rouen arrive peu après. Ils installent un système de feux tricolores pour mettre la rue en circulation alternée puis des plots devant les arbres intacts. Nous nous déplaçons vers ceux-ci.
L’un des bûcherons s’adresse au jeune homme qu’il connaît depuis la veille :
-T’es au bon endroit, là, c’est par là qu’on doit commencer.
Bientôt arrivent un camion avec nacelle et une broyeuse de branches. Puis c’est le tour d’autres personnes venues soutenir les arbres et d’une voiture de la Police Municipale venue aux nouvelles. Un Policier et une Policière en sortent. Le Policier nous dit que lui non plus n’aime pas qu’on coupe des arbres mais qu’en empêchant les ouvriers de travailler, on ne s’en prend pas aux bonnes personnes, qu’on serait plus efficace si on allait discuter avec ceux qui ont décidé ça, à la Mairie. Bref, il veut qu’on parte. La Policière nous demande de lui dire si on va le faire. Nous restons évasifs et ne bougeons pas.
Nous sommes rejoints par des habitant(e)s de l’immeuble qui est derrière les arbres. Des retraité(e)s qui n’étaient au courant de rien. Bien que ces arbres leur fassent beaucoup d’ombre, ils y tiennent. Le Président du Conseil Syndical nous dit que jamais les copropriétaires n’ont demandé cet abattage. Lui-même habite là où un arbre a déjà été privé de toutes ses branches. Hier soir, il a baissé le rideau tellement il était triste de ne plus avoir sa vue habituelle. Il passait beaucoup de temps à regarder cet arbre et le pigeon qui y faisait des allers et retours. Est aussi présente la journaliste de Paris Normandie qui habite en face, venue faire son métier.
Nous nous attendons à voir arriver la Police Nationale mais rien ne se passe. Au bout d’un long moment, le Policier Municipal nous annonce qu’un élu va venir nous donner des explications. Il y a maintenant là aussi un spécialiste de la contestation politique organisée qui plaide pour que les habitants des différents quartiers s’organisent et fassent remonter leurs revendications (air connu).
On attend l’élu. Il finit par arriver. C’est Kader Chekhemani, l’Adjoint chargé du quartier. Il serre la main de tout le monde. Depuis le début de la matinée, Jezabel Saumur, la « gestionnaire du patrimoine arboré » de la ville de Rouen, est présente, mais sur l’autre trottoir. Il faut que l’élu l’appelle pour qu’elle daigne traverser la rue.
Questionné par les habitant(e)s de l’immeuble le plus touché par la disparition des arbres, Kader Chekhemani reconnaît un manque d’information mais justifie la coupe. Les arbres seront remplacés par d’autres, ils sont vieux, cinquante ans, on ne peut plus les élaguer, ça les stresse. La gestionnaire aussi est stressée, elle se tord les doigts et peine à s’exprimer. Sur les points techniques, son adjoint parle à sa place. Elle a tout de la technocrate. Son plan de remplacement des arbres est un plan quinquennal à la soviétique.
-Elle connaît peut-être les arbres, me dit une riveraine, mais il y a aussi ce que ressentent les êtres humains.
Finalement, nous obtenons qu’une réunion avec les habitants concernés et les autres ait lieu jeudi soir dans l’ancienne école Victor-Hugo et qu’en attendant l’abattage soit arrêté.
Ce délai n’empêchera rien. Néanmoins, il permet aux riverains de profiter des arbres indemnes pendant quelques jours encore et à ceux de la rue du Docteur-Blanche, où poussent les prochains sur la liste des arbres à abattre, d’en jouir quelques jours de plus (pour eux, c’était prévu lundi prochain).
-À jeudi, me dit le jeune homme à l’origine de la rébellion.
-Non, lui dis-je, je déteste les réunions. On se reverra sous un arbre ou ailleurs.
Ce jeune homme va souffrir, il est viscéralement opposé à l’abattage de ces arbres et ne pourra pas l’empêcher.
Il est onze heures et demie quand je remonte la rue d’Amiens pour rentrer. Une dame que je connais un peu m’interpelle. Elle m’apprend qu’elle aussi habite dans l’immeuble protégé par les arbres. Je l’informe de ce qui se trame et de la réunion de jeudi. Elle est navrée de la disparition prochaine de celui qu’elle appelle « mon tilleul ».
-Je l’aime tellement, me dit-t-elle.
*
La grosse majorité des arbres de Rouen datent du baby boom. On les abat avant qu’ils soient trop vieux et malades pour les remplacer par des jeunes. Ce discours municipal sonne bizarrement aux oreilles de celles et ceux qui ont le même âge (ou plus) que ces feuillus.