Un mercredi parisien de boucle à l’envers (deux)

1er juillet 2016


Après avoir réglé mes dix-huit euros cinquante Chez Céleste (petite friture, escalope de porc sauce portugaise, quart de vin rouge du pays), j’explore le second Book-Off. J’y trouve notamment Incorrigible théâtre (histoire du théâtre d’Evreux témoin de l’art dramatique en province aux 19e et 20e siècles) de Jean-Marie Lhôte, ouvrage publié par la Scène Nationale Evreux Louviers en deux mille trois pour le centenaire de cette salle de spectacle. En page de garde est inscrit le nom de son ancien propriétaire : Jacques Falguières. Celui-ci était le directeur de la Scène Nationale Evreux Louviers à cette époque. Je me demande s’il s’est débarrassé de ce livre avec autant de plaisir qu’un enseignant partant à la retraite se débarrasse d’un livre de pédagogie. Je l’achète un euro.
Il fait lourd quand je ressors rue du Faubourg-Saint-Antoine. Je la remonte jusqu’à la place de la Bastille. Des jeunes gens en triporteur y distribuent publicitairement des petites bouteilles du thé infusé glacé May Tea. Je bois la mienne sur un banc devant l’Opéra, assistant à l’arrivée du bus gratuit pour l’Ikea de Villiers-sur-Marne. S’y engouffrent des hommes et des femmes de tous les âges dont une jeune femme qui tire derrière elle un compagnon moins enthousiaste.
Le bus Vingt me conduit à Saint-Lazare. En attendant le train de dix-sept heures cinquante pour Rouen que je peux prendre à prix Prem’s en remplacement du dix-huit heures vingt encore supprimé pour une douteuse raison de travaux, je bois un diabolo menthe Chez Léon en poursuivant la lecture de Motel blues de Bill Bryson. Une quadragénaire de ma connaissance y entre, qui travaille à l’Esadhar, anciennement Ecole des Beaux-Arts de Rouen. Elle commande un café au comptoir puis va s’asseoir en terrasse sans m’avoir vu. Je suis le seul client à l’intérieur, c’est dire si je suis transparent.
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Le magnifique théâtre à l’italienne d’Evreux est fermé pour cause de gros travaux.
Au début des années soixante-dix, j’y ai vu et ouï Robert Charlebois au faîte de sa gloire (je me souviens que le son était épouvantable, on ne comprenait rien à ce qu’il chantait).
Plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, j’en ai occupé la scène pendant une semaine avec une dizaine de mes semblables lors d’un stage culturel de l’Education Nationale, une initiation au jeu théâtral sans souci de retombées pédagogiques menée par deux comédiens dont je regrette d’avoir oublié le nom (je me souviens qu’il avait fallu arriver avec en tête un texte et une chanson, j’avais choisi un extrait de Tokyo-Montana express de Richard Brautigan et La Javanaise de Serge Gainsbourg).
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Certes, Chez Léon, j’aurais pu interpeller cette personne que je connais depuis des années mais à chaque conversation elle me parle de son travail, des expos des Beaux-Arts et d’elle-même, ne se souciant jamais de ce que je fais ou vis. J’ai préféré rester dans la voiture de Bill Bryson et parcourir avec lui les Etats-Unis en une déso(pi)lante équipée.