Un mercredi de Saint-Valentin à Paris

15 février 2024


Message tonitruant Gare de Rouen ce mercredi matin : « A l’occasion de la Saint-Valentin, nous offrons nos haut-parleurs pour la diffusion de vos mots doux. Bonne fête à tous les amoureux et à ceux qui ne le sont pas ». Sur le borduquet, nul(le) ne s’émeut.
Dans le train de sept heures vingt-trois qui m’emmène à Paris le jeune homme à ma gauche travaille sur son ordinateur et le vieux couple à ma droite exhibe sa médiocre intimité. Lui ne cesse de bailler. « On va bien dormir ce soir », dit-il. « Ouais », lui répond-elle. Je lis Hors cadre de Pierre Alechinsky. En passant à Asnières-sur-Seine, j’ai une pensée pour celle vivant dans cette ville avec qui autrefois je fêtais la Saint-Valentin.
Le bus Vingt-Neuf ne me fait attendre que deux minutes avant de démarrer. En arrivant place de la Bastille, j’ai une pensée pour celle travaillant dans le quartier avec qui autrefois je fêtais  la Saint Valentin.
Au Marché d’Aligre, chez Émile, deux livres sont pour me plaire mais je les ai déjà, la Correspondance Flaubert Sand et le Journal de l’Abbé Mugnier.
Presque personne au Camélia, c’est les vacances à Paris. Dans Le Parisien s’affiche une publicité pleine page pour une banque en ligne : « Les vrais oubliés du 14 février ne sont pas les célibataires mais ceux qui s’appellent Valentin. » Elle offre aux Valentin (et aux Valentine) quatre-vingts euros s’ils ouvrent un compte aujourd’hui.
Peu de monde également au Book-Off de Ledru-Rollin. J-y suis beaucoup moins heureux que souvent dans ma pêche aux livres à un euro. Je ne mets dans mon sac à dos qu’Autoportrait d’Edouard Levé (Pol).
Au Diable des Lombards, je suis le premier arrivé. Un type imbibé entre peu après pour boire une bière. Il est refusé par le patron serveur. On ne peut pas dire qu’il est envoyé au Diable, mais qu’il est envoyé hors du Diable. Suivent des habitués trentenaires, trois hommes et une femme. « Je n’ai encore jamais fêté une Saint-Valentin avec trois hommes », dit-elle au serveur. « J’avais remarqué que tu devenais gourmande », lui répond-t-il. Je choisis la verrine de crevettes guacamole et le mignon de cochon sauce miel moutarde pommes sautées salade.
Pour la première fois, je ne trouve au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin aucun livre à acheter. Trois jeunes filles sont plus chanceuses et l’expriment joyeusement. «  Ah Proust ! Et Le Temps retrouvé en plus ! ».
Mon sac est donc léger quand en métro je rejoins le Bistrot de Edmond où je suis toujours bien accueilli. Mon café.de comptoir bu, j’explore le troisième Book-Off. Encore une fois, ma récolte est fort mince, un seul  livre à un euro, Le Bonnet rouge de Daniel de Roulet (Héros-Limite). Celui qui me suit à la caisse est plus heureux et l’exprime bruyamment : « Ah je suis content, ça faisait longtemps que je le cherchais ce cédé de Sardou. Il est introuvable. C’est celui où il y a Les Ricains. La provoc totale au temps de la Guerre du Vietnam. »  L’employé sourit poliment.
Comme je suis en avance pour mon train de retour à Rouen, je termine Hors cadre de Pierre Alechinsky sur l’un des sièges de la Gare Saint-Lazare. A côté de moi, un jeune couple se chamaille. Elle lui reproche de se laisser marcher dessus. Il finit par partir excédé. Elle lui court après. C’est la fête de l’amour. 
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La bonne nouvelle du jour : Macron renonce à virer les bouquinistes qui devaient faire place nette pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, désavouant ainsi son Ministre de l’Intérieur et le Préfet de Police de Paris.
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Actualité encore. Au point où on en est,  il ne manque plus qu’une déclaration de celui qui nous gouverne : « J’étais sous emprise. Je n’avais que seize ans et c’était ma prof de théâtre. »