Un mardi ensoleillé à Sainte-Adresse

3 mars 2021


Seulement dix minutes de retard ce mardi pour le train de huit heures cinq arrivant de Paris et allant au Havre. La plupart de ses occupants descendent à Rouen, ce qui me permet de voyager loin d’autrui. Après la banlieue, c’est une sorte de désert campagnard dont on pourrait croire les habitants confinés. Une poignée d’humains descendent et montent à Yvetot puis à Bréauté-Beuzeville et c’est l’arrivée à la Gare du Havre. Devant celle-ci, je monte dans le tramouais qui arrive et en descends à La Plage son terminus.
De là, la mer à ma gauche, je marche un certain temps et arrive à Sainte-Adresse, ancienne capitale de la Belgique. La promenade y devient plus chic, avec une moitié pour les vélos et une moitié pour les piétons. Cette dernière est hélas polluée par une quantité de coureuses et coureurs qui expectorent à dix mètres.
Je connais peu Sainte-Adresse, et pas du tout ses hauteurs. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais combler cette lacune car j’ai envie de rester au bord de la mer. Elle est haute, c’est jour de grande marée. Toujours marchant j’arrive à une fourche qui donne le choix. La première branche permet de continuer en bas par la digue du Bout du Monde mais celle-ci est effondrée et son accès barré. La seconde invite à monter sur la falaise mais le chemin s’achève par une boucle qui invite à redescendre. Un chemin de terre s’enfonce néanmoins dans les broussailles mais il est officiellement interdit en raison du risque d’éboulement de cette falaise. Je dois donc revenir sur mes pas.
Redescendu en bord de mer, je trouve à m’asseoir sur une structure en bois d’où, le masque ôté, je peux surveiller l’entrée et la sortie des porte-conteneurs dans le port du Havre. Devant moi passent les sempiternels sportifs et des familles plus ou moins masquées.
Comme il fait bon, je sors le livre emporté, Lettres à Věra de Karel Čapek en édition de poche chez Cambourakis. J’en lis une moitié avant de pique-niquer. Mon café bu, je reprends cette lecture attrayante.
Un deux ans et demi marchant sur la structure en bois descend pour me contourner. Remonté de l’autre côté, il se tourne vers moi :
-Monsieur, il est où papa ?
En voilà une question. Avant que je tente d’y répondre, il aperçoit celui qui, resté en arrière, tape ses chaussures de sport sur le sol pour les nettoyer. Le chérubin rejoint vite ce géniteur plus soucieux de ses godasses que de sa descendance.
Comme nous sommes ici en vacances scolaires, j’en vois d’autres passer, des pères divorcés. L’un d’eux a remplacé sa femme par sa mère pour la promenade au bord de la mer. C’est une famille recomposée d’un genre particulier.
Il est quinze heures quand je termine Lettres à Věra. Je rejoins Le Havre, croisant de plus en plus de monde, dont beaucoup de jeunes, mais aussi des vieux qui ne consentent pas à s’auto-isoler. Des branlotins en maillot plongent du haut d’une sorte de belvédère en bois dominant la mer. A quoi ne faut-il pas se résoudre pour éblouir certaines filles.
D’autres jeunes mâles préfèrent s’affronter au parc à skaite. Près de celui-ci est la station de tram. Je monte dans le premier en attente de départ. Après avoir traversé le centre-ville, je descends à l’arrêt Gares. « Pourquoi il y a un s à gares ? » demande à sa mère un moutard. Ferroviaire et routière, pourrait-elle lui répondre si elle se souciait de sa question.
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Ce mardi marque le trentième anniversaire de la mort de Serge Gainsbourg. Multiples hommages un peu partout. Assortis de multiples critiques sur le personnage et certaines de ses chansons jugées désormais problématiques. Sa fille Charlotte n’entre pas dans ce jeu-là, qui espère que s’il vivait aujourd’hui il les ferait quand même. J’en doute.