Sète (quinze) : Dans la brume

18 octobre 2024


« Hier, encore, y avait un peu de ciel bleu mais là c’est complètement bouché », constate-t-on au Classic. La patronne vient d’augmenter l’éclairage. Il faisait tristement sombre quand j’y suis arrivé. Un café déserté par plusieurs de ses habitués du début de matinée. « Ça s’annonce mal pour les vacances de la Toussaint », dit-on encore.
Ce n’est que lorsque j’ai reçu un courrier de l’ami de Stockholm, il y a quelques jours, que j’ai pris conscience que ces vacances arrivaient. Nous ne pourrons pas nous voir à Rouen, quand il y sera avec sa compagne et ses enfants. Aurais-je été là que cela aurait été la même chose. Ils sont pris par un tas d’obligations lors de leur court passage annuel dans la ville où je les ai connus. Plus de rencontre Rouen Stockholm depuis plusieurs années, j’en suis marri.
Il fut un temps où je me souciais des dates de vacances scolaires pour partir, afin d’éviter les familles débordées par leur descendance. Cette fois, je n’y ai même pas pensé.
Un bus Trois me conduit à l’arrêt Théâtre de la Mer. Les vagues mènent une attaque contre le socle rocheux sur lequel est érigé le bâtiment. C’est la Nature à l’assaut de la Culture, la déferlante contre le blockhaus. Quand je veux en faire une image, je reçois de l’eau salée sur la tête. A défaut de m’être baigné dans la Méditerranée, m’en voilà aspergé.
Je rentre pénardement par la Grand’Rue Mario-Roustan où l’on trouve une boutique nommée Chez Ta Mère. Elle est défunte depuis un moment et sert de panneau d’affichage. En bas de cette rue est le Tabary’s sous la véranda duquel je m’achemine vers la dernière page du Journal de Jean-Luc Lagarce. Je l’atteins peu avant midi
Je reste à ma table pour déjeuner d’un couscous royal à quatorze euros. De cet endroit surélevé, ne voyant que le quai d’en face sans voitures et ses maisons à belles façades, je pourrais me croire à Venise. N’était le manque de circulation sur le Canal. Ici, les bateaux semblent amarrés une fois pour toutes. J’ai un peu de mal à terminer ce couscous royal car je suis toujours patraque.
Le sommet du Mont Saint-Clair disparaît dans la brume quand je quitte le Tabary’s pour rejoindre le Classic dont j’apprécie peu le café, mais aime le cadre et l’ambiance. En général, car aujourd’hui déjeunent ici de petits plats micro-ondés surtout des touristes anglophones.
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Jamais lu un Journal plus attristant que celui de Jean-Luc Lagarce. Le courage dont il fait preuve pendant les années où il souffre atrocement du Sida, ne renonçant à rien. Je me demandais à chaque page mais comment fait-il pour subir tout ça et continuer à écrire, à mettre en scène, à voyager, à rencontrer, à s’occuper de son appartement, à acheter des livres et des disques, alors qu’il est si diminué et se sait condamné.