Rush deux mille seize, jour un : Charles Pennequin

30 mai 2016


Cette année, l’évènement Rush, série de concerts gratuits organisés par le Cent Six, salle de musique zactuelles, n’a pas lieu dans le quartier Martainville, c’est-à-dire à deux pas de chez moi, mais au bout de Rouen dans la presqu’île Rollet autrefois dévolue au déchargement du charbon, transformée par la Matmutropole en un « jardin naturel » qu’ignorent une grande partie des habitants, c’est tellement loin, juste à côté d’un silo à grains du même modèle que celui qui a explosé à Blaye en quatre-vingt-dix-sept en faisant onze morts.
Grâce à cet évènement, peut-être que ce lieu sera davantage fréquenté à l’avenir, a décidé Frédéric Sanchez, chef de la Matmutropole, dont dépend le Cent Six ; les artistes c’est bien, quand ça sert à quelque chose c’est mieux. Tope-là, lui ont répondu les membres du staff de la Smac, tous adeptes de la bicyclette, ce sera aussi l’occasion d’obliger le plus grand nombre à pédaler. Ce qui m’incite à y aller quand même, c’est le programme, confié à Bertrand Belin dont je découvrirai les chansons dimanche.
Ce vendredi après-midi, je prends donc un bus Teor jusqu’au Mont Riboudet puis traverse à pied le pont Flaubert et arrive avant l’ouverture officielle des portes, dix-sept heures, devant une barrière qui empêche d’aller plus loin. N’ayant rien de mieux à faire, je titille le vigile : « Pourquoi, alors que nous sommes si peu nombreux à attendre, ne peut-on pas entrer dans ce jardin public ? ».
-Il faut toujours qu’il y ait des gens qui râlent, me répond-il.
-Je ne râle pas, je fais usage de mon esprit critique.
L’attente se prolonge au-delà du raisonnable sous le chaud soleil. On ne sait pourquoi. Finalement, à dix-sept heures trente, un message arrive aux hommes en noir. La barrière s’ouvre pour la dizaine de présent(e)s.
-Je croyais qu’on serait beaucoup plus nombreux, dit l’une, ils en ont parlé sur France Inter.
-C’est sûr que ce n’est pas Woodstock, lui répond un autre.
Trois lieux de spectacle sont en place sur la verte presqu’île, le Haut-Parleur pour les poètes performeurs, le Dancing pour les musiciens et chanteurs peu connus et la Grande Scène pour les vedettes (comme on disait il y a fort longtemps). La scénographie a été confiée à Marc Hamandjian qui me fait la tête bien que je n’aie jamais dit du mal de ses installations, « ou alors y a longtemps ou bien j’ai oublié ».
Aujourd’hui, je suis venu pour Charles Pennequin, entendu moult fois sur France Culture, mais le premier à s’exprimer sur la scène du Haut Parleur devant laquelle sont disposés quelques bancs en bois est un autre poète performeur : Damien Schultz. Le début de son texte me rappelle beaucoup trop Ghérasim Luca et la suite tourne au délire sans fond. Quand il en a fini, je vais au bout de la presqu’île puis fais demi-tour. Il se met alors à pleuvoir fort. J’ouvre mon parapluie. D’autres sont vite douchés, ainsi Rover que je croise trempé comme une soupe (je n’irai point à son concert du soir l’ayant déjà vu à Paris en plein air et pas aimé). L’averse redoublant, j’entre dans le dancing, un chapiteau bas de plafond et sombre avec une marche descendante qui manque d’en faire tomber plus d’un jusqu’à ce qu’un des organisateurs vienne y mettre un adhésif blanc, où joue Mocke Trio. L’endroit est oppressant, la musique décorative et déjà entendue il y a longtemps, mais on y est à l’abri.
Cette averse orageuse cesse peu avant l’heure de la performance poétique de Charles Pennequin. Nous sommes peu nombreux assis sur les bancs essuyés quand celui-ci s’installe derrière le micro. Il me fait penser à l’Homme nu de Ron Mueck qui terminait l’exposition Mélancolie de Jean Clair au Grand Palais, sauf qu’il est habillé, à la va comme je te vêts. Son sac à dos rouge est posé derrière une enceinte. Il fouille dans ses papiers et commence à dire ses textes décapants, faisant parfois intervenir son téléphone pour dialoguer avec une voix enregistrée. Le meilleur moment est celui où il se lance parmi les spectateurs muni d’un mégaphone d’enfant. « Allez on y va c’est l’heure de se révolter », lance-t-il d’une voix lasse en arpentant les allées entre les bancs, « Dépêche-toi, ta révolte va être froide ».
Il ne m’en faut pas plus pour être content. L’homme au chapeau qui ne connaissait pas cet individu est aussi réjoui que moi.
Boudant la suite, je rentre par le quai bas de la rive gauche, passant devant le chantier du futur Palais de la Matmutropole, plus de trois kilomètres à pied.
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Dans une vie précédente, Charles Pennequin était gendarme. Aujourd’hui, c’est l’un des poètes français vivants les plus importants. Il sera dit que pour sa venue à Rouen, un vendredi soir à dix-neuf heures, seuls une trentaine de spectateurs étaient là, dont un tiers faisant partie des organisateurs de Rush.