Ayant rendez-vous à treize heures au restaurant libano-brésilien L’Area, rue des Tournelles, avec celle qui travaille à Paris, je ne suis pas pressé ce jeudi, aussi quand la cheffe de bord du train de sept heures cinquante-neuf annonce qu’en raison d’une panne électrique nous allons être déviés par Conflans-Sainte-Honorine, ce qui allongera le voyage de dix à vingt minutes, contrairement à l’ensemble des voyageuses et voyageurs, je prends cela comme une bonne nouvelle. Cela me permet de lire plus longtemps les Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers (Babel/Actes Sud). Ce pauvre chevalier est lui aussi victime d’un retard, et furieux. Le bateau qui doit l’emmener de La Rochelle au Sénégal, dont il est nommé Gouverneur, ne peut quitter le port faute de vent favorable.
Le contretemps permet aux contrôleurs de passer dans l’ensemble du train. Pour une fois je suis assis à la place de ma réservation mais je ne l’ai pas fait exprès, appelons ça une coïncidence.
Là où ça coïncide moins, c’est à L’Area. Quand j’y entre, à une heure moins le quart, la sympathique femme qui m’accueille m’apprend que ce midi on n’y fait pas à manger en raison d’un problème à la cave. Elle m’invite à m’asseoir sur un tabouret du bar pour attendre celle à qui j’avais dit de téléphoner pour réserver une table et qui ne l’a pas fait. Je lui demande quels autres restaurants elle peut nous conseiller. Il y en a trois très bien dans la rue, me dit-elle, un italien, un marocain et un français. L’un des deux maîtres du lieu arrive et me serre la main comme si on se connaissait depuis toujours. Je me plais bien ici, dommage qu’on y fasse relâche.
Quand arrive celle que j’attendais et à qui je souhaite une nouvelle fois un bon anniversaire bien qu’il date d’il y a deux jours, nous allons voir les trois lieux conseillés. Je suis davantage tenté par Saveurs d’Atika où elle est déjà venue avec celui dont elle est devenue l’associée.
La salle est petite. Elle ne peut contenir plus de vingt convives mais il y a de la place pour nous. Ici c’est mère et fille. La maman est à la cuisine et la fille au service. Tout est fait avec des produits frais et parfumé avec des épices venus de là-bas. La décoration est également du pays et la musique aussi.
Après que je lui ai offert le Quarto consacré à Annie Ernaux, nous passons commande de trois petites entrées à partager, d’un couscous boulettes pour elle et d’un couscous de Fès pour moi (attention, il n’y a pas de légumes, c’est un sucré salé, me met en garde Atika) et ajoutons sagement une demi-bouteille de vin rouge de là-bas.
Cette cuisine est délicieuse. Il nous faut bientôt l’accompagner d’une autre demi-bouteille du même vin. Lequel est favorable à la conversation mais pas forcément au travail d’après-midi en ce qui la concerne. Tandis qu’infuse un thé à la menthe, nous sortons prendre le frais (cigarette oblige).
-C’est peut-être le meilleur couscous que j’aie jamais mangé, dis-je à Atika au moment de l’addition.
-Peut-être ? me reprend-elle.
-C’est que j’en ai mangé beaucoup et depuis longtemps, alors je ne peux pas être affirmatif. Ce qui est sûr, c’est qu’il est excellent.
Elle nous explique que c’est parce que la marmite est petite puis va dire notre satisfaction à la maman.
Nous sortons de là ravis et nous promettons d’aller déjeuner à L’Area pour une autre occasion. Comme elle a oublié au bureau la clé de son appartement qu’elle doit me passer et que son associé est absent, elle m’invite à monter au premier étage, ce qui me permet de découvrir son lieu de travail.
-Je crois que je vais dormir cet après-midi, me dit-elle quand je la quitte.
*
Je me souviens très bien des premiers couscous que j’ai mangés. C’était au début des années soixante-dix avec mes comparses de l’Ecole Normale d’Evreux, dans cette ville au Timgad, et à Rouen dans une gargote qui me faisait un peu peur car la salle se trouvait derrière la cuisine et en cas d’incendie on y aurait grillé comme des merguez. Un soir, nous y avions côtoyé une prostituée et son souteneur en pleine discussion commerciale.
Lui ne cessait de lui dire :
-Tu vas voir tout à l’heure, j’vas te l’filer moi ton dessert.
Cette formule nous était devenue plaisanterie privée durant un certain temps.
Le contretemps permet aux contrôleurs de passer dans l’ensemble du train. Pour une fois je suis assis à la place de ma réservation mais je ne l’ai pas fait exprès, appelons ça une coïncidence.
Là où ça coïncide moins, c’est à L’Area. Quand j’y entre, à une heure moins le quart, la sympathique femme qui m’accueille m’apprend que ce midi on n’y fait pas à manger en raison d’un problème à la cave. Elle m’invite à m’asseoir sur un tabouret du bar pour attendre celle à qui j’avais dit de téléphoner pour réserver une table et qui ne l’a pas fait. Je lui demande quels autres restaurants elle peut nous conseiller. Il y en a trois très bien dans la rue, me dit-elle, un italien, un marocain et un français. L’un des deux maîtres du lieu arrive et me serre la main comme si on se connaissait depuis toujours. Je me plais bien ici, dommage qu’on y fasse relâche.
Quand arrive celle que j’attendais et à qui je souhaite une nouvelle fois un bon anniversaire bien qu’il date d’il y a deux jours, nous allons voir les trois lieux conseillés. Je suis davantage tenté par Saveurs d’Atika où elle est déjà venue avec celui dont elle est devenue l’associée.
La salle est petite. Elle ne peut contenir plus de vingt convives mais il y a de la place pour nous. Ici c’est mère et fille. La maman est à la cuisine et la fille au service. Tout est fait avec des produits frais et parfumé avec des épices venus de là-bas. La décoration est également du pays et la musique aussi.
Après que je lui ai offert le Quarto consacré à Annie Ernaux, nous passons commande de trois petites entrées à partager, d’un couscous boulettes pour elle et d’un couscous de Fès pour moi (attention, il n’y a pas de légumes, c’est un sucré salé, me met en garde Atika) et ajoutons sagement une demi-bouteille de vin rouge de là-bas.
Cette cuisine est délicieuse. Il nous faut bientôt l’accompagner d’une autre demi-bouteille du même vin. Lequel est favorable à la conversation mais pas forcément au travail d’après-midi en ce qui la concerne. Tandis qu’infuse un thé à la menthe, nous sortons prendre le frais (cigarette oblige).
-C’est peut-être le meilleur couscous que j’aie jamais mangé, dis-je à Atika au moment de l’addition.
-Peut-être ? me reprend-elle.
-C’est que j’en ai mangé beaucoup et depuis longtemps, alors je ne peux pas être affirmatif. Ce qui est sûr, c’est qu’il est excellent.
Elle nous explique que c’est parce que la marmite est petite puis va dire notre satisfaction à la maman.
Nous sortons de là ravis et nous promettons d’aller déjeuner à L’Area pour une autre occasion. Comme elle a oublié au bureau la clé de son appartement qu’elle doit me passer et que son associé est absent, elle m’invite à monter au premier étage, ce qui me permet de découvrir son lieu de travail.
-Je crois que je vais dormir cet après-midi, me dit-elle quand je la quitte.
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Je me souviens très bien des premiers couscous que j’ai mangés. C’était au début des années soixante-dix avec mes comparses de l’Ecole Normale d’Evreux, dans cette ville au Timgad, et à Rouen dans une gargote qui me faisait un peu peur car la salle se trouvait derrière la cuisine et en cas d’incendie on y aurait grillé comme des merguez. Un soir, nous y avions côtoyé une prostituée et son souteneur en pleine discussion commerciale.
Lui ne cessait de lui dire :
-Tu vas voir tout à l’heure, j’vas te l’filer moi ton dessert.
Cette formule nous était devenue plaisanterie privée durant un certain temps.