Passant une journée grise à l’aide de Georg Christoph Lichtenberg

6 juin 2020


Dans quel état serais-je si durant toute la durée du confinement puis de la première étape du déconfinement, le temps avait été aussi gris et triste que ce vendredi. En manière de recours contre la morosité, je trie ma sélection de Pensées ou d’Aphorismes (titres donnés à leurs différentes traductions) de Georg Christoph Lichtenberg :
Il s’étonnait que les chats eussent la peau percée de deux trous précisément à la place des yeux.
Les gens qui ont de grands pieds marchent généralement mal. Ce que les pieds ont en trop manque aux genoux.
Devant la méfiance générale, on fera réaliser les expériences par des orphelins.
Les sabliers ne servent pas seulement à nous rappeler la fuite du temps, ils évoquent également la poussière que nous deviendrons un jour.
Tout le monde s’étonnera que je pense encore écrire de telles choses dans les derniers jours de ce monde vieilli.
De la transformation de l’eau en vin à l’aide de la règle et du compas.
J’aurais aimé avoir Swift chez le barbier, Sterne chez le coiffeur, Newton au petit-déjeuner et Hume au café.
Son jupon était rouge et bleu avec une large lisière et semblait avoir été taillé dans un rideau de théâtre. J’eusse donné beaucoup pour être aux premières loges, mais il n’y eut pas de représentation.
Vous êtes-vous plu en leur compagnie ?
Réponse : Absolument, presque autant que dans ma chambre.
L’une des sœurs prit le voile et l’autre la braguette.
Il faut croire que le monde n’est pas encore très vieux, puisque les hommes ne peuvent pas encore voler.
Je n’aurais jamais cru qu’on pût faire autant de sottises avec des plumes d’oie, du moins sans le secours de l’encre.
Il n’y a, sous le soleil, rien de plus perfide et de plus méchant qu’une putain qui se voit forcée par l’âge de se transformer en bigote.
On dit à un homme que l’âme était un point ; ce à quoi il a répondu : « Pourquoi pas un point-virgule, ainsi elle aurait une queue. »
Ah ! les nonnes n’ont point seulement fait strict vœu de chasteté, elles ont aussi de forts barreaux à leurs fenêtres.
De nos jours, nous avons déjà des livres sur d’autres livres et des descriptions de descriptions.
Aujourd’hui, j’ai permis au soleil de se lever plus tôt que moi.
A Brunschwig, on vendit dans une vente publique, pour une forte somme, une coiffure confectionnée avec les cheveux les plus intimes d’une jeune fille.
A – Cet homme a beaucoup d’enfants.
B – Oui, mais pour la plupart je crois qu’il n’y a guère contribué qu’en corrigeant les épreuves.
Un tombeau reste toujours la meilleure fortification contre les tempêtes du destin.
Que l’homme soit la plus noble créature du monde, on peut le déduire de ce qu’aucune autre créature ne l’a jamais contredit sur ce point.
Que les choses les plus importantes s’effectuent par des tuyaux. La preuve : les organes de la reproduction, la plume à écrire et notre fusil. Qu’est-ce que l’homme, sinon un confus paquet de tuyaux ?
A vrai dire, je suis venu en Angleterre pour apprendre l’allemand.
On hésite à faire des cornets à poivre avec une rame de papier blanc, mais dès que quelque chose est imprimé dessus, on ne se gêne pas.
Il pleuvait si fort que tous les porcs devinrent propres et tous les hommes crottés.
La plupart des hommes ont rarement dans la tête plus de lumière qu’il ne faut pour qu’on s’aperçoive qu’elle est précisément complètement vide.
Si seulement je connaissais quelqu’un qui consentirait à faire savoir à ce brave homme qu’il n’est pas intelligent.
Ce qu’ils nomment le cœur est situé bien plus bas que le quatrième bouton de la veste.
Curieux cabinet à Paris ! La vierge de Loretto, les ours de Berne et les pantoufles du Pape. Il ne manque que la chaise percée du Dalaï Lama.
Là où tous les gens veulent arriver aussi tôt que possible, il faut nécessairement que la plus grande partie d’entre eux arrive trop tard.
Il arborait déjà un nez tricolore, bien longtemps avant la Révolution française.
L’Américain qui découvrit le premier Christophe Colomb fit une méchante découverte.
L’âne me semble un cheval traduit en hollandais.
Quoique je ne sois pas en mesure de prononcer sur de la matière morte le : que cela soit ! et de l’animer, je vais peut-être tout de même souffler dans la trompette de la Résurrection et voir si quelque chose bouge parmi les morts.
D… dit par moments des choses si niaises que l’on a peine à croire qu’il le fait avec la bouche.
On a beaucoup écrit sur les premiers hommes, il faudrait que quelqu’un essayât un jour d’écrire sur les deux derniers.
Pourquoi ne serait-il pas permis au Roi de France de se faire élire député de l’Assemblée nationale ? Ce serait préférable pour lui.
Il y a véritablement beaucoup de gens qui ne lisent que pour être dispensés de penser.
Le livre qui mériterait d’être interdit avant tous les autres serait un catalogue des livres interdits.
Tout homme qui est sourd comme un pot devrait léguer ses oreilles à la science.
Ce n’est point parce que l’on prêche dans les églises que les paratonnerres y sont inutiles.
Je ressens chaque fois une impression étrange quand je vois un grand savant ou un quelconque homme important et bien situé et que je pense au temps qui a existé jadis où il chantait une petite chanson aux coccinelles pour les encourager à s’envoler.
En Angleterre, un homme, accusé de bigamie, est sauvé par son avocat qui prouve que son client avait trois femmes.
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A Göttingen, nous habitons dans des bûchers pourvus de portes et de fenêtres. écrit encore Georg Christoph Lichtenberg. Ce que peuvent dire aussi de nombreux Rouennais, dont moi-même. Mon logement donnant sur une venelle, il semble aussi en être question dans ce qui suit :
J’ai eu à Hanovre un logement dont la fenêtre donnait sur une ruelle étroite qui établissait la communication avec deux grandes artères. Il était très plaisant de voir comment les gens qui passaient dans cette ruelle et ne se croyaient pas observés changeaient de visage ; l’un se mettait à pisser, l’autre rattachait ses bas, l’un riait tout seul tandis que l’autre secouait la tête. Les jeunes filles souriaient en pensant à la nuit précédente et arrangeaient leurs rubans pour faire la  conquête de la prochaine grande rue.
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Georg Christoph Lichtenberg, dix-septième enfant d’un pasteur, naît le premier juillet mil sept cent quarante-deux. A l’âge de huit ans, il devient infirme suite à une chute. En mai mil sept cent soixante-dix-sept, il fait la connaissance de Maria Dorothea Stechard, treize ans, dont il tombe amoureux. Ils vivent ensemble jusqu’à la mort de cette dernière en mil sept ans quatre-vingt-deux. S’ensuit une période de dépression et d’envie de suicide. En septembre mil sept cent quatre-vingt-trois, il rencontre Margarethe Kellner, qui devient son épouse et avec qui il a de nombreux enfants. Il meurt le vingt-quatre février mil sept cent quatre-vingt-dix-neuf, à l’âge de cinquante-six ans.